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1En juillet 2019 était lancé le premier appel à contribution de la revue scientifique Patrimoines du Sud en vue de collecter l’état de la recherche et des expérimentations sur les champs croisés, et fertiles, des patrimoines et du numérique. Ce premier appel en inaugure d’autres à venir, tant cette rencontre entre patrimoine et technologie est porteuse d’avancées et de promesses à suivre.

2Pour cet opus n° 12, pas moins de 12 articles répondent à l’appel lancé et le dépassent. Celui-ci ciblait trois grandes thématiques : la conservation, la connaissance et la valorisation des patrimoines par les technologies numériques. Ces trois thématiques ont émergé de l’histoire du développement des technologies numériques qui, depuis les années 1990 à aujourd’hui, se sont déployées tout le long de la chaîne du patrimoine. Premier maillon de cette chaîne, la production du patrimoine : les patrimoines se sont informatisés avec rapidité, soit par la numérisation des objets analogiques, soit par la génération de patrimoines numériques natifs. Deuxième maillon, celui de la représentation ou de la diffusion du patrimoine : l’informatisation des patrimoines a rendu possible leur formidable circulation, via ses fac-simile numériques et surtout, via le Web. Troisième maillon, celui de la valorisation : par le Web, mais aussi par d’autres canaux numériques que sont les réseaux sociaux ou le jeu vidéo, les technologies numériques modifient en profondeur les possibilités de description, d’explication, de mise en contexte et de monstration des patrimoines et atteignent, ou cherchent à atteindre, des publics moins experts éloignés du champ patrimonial.

3Comment ces 12 articles répondent aux trois problématiques énoncées ? Les quatre premiers articles, sur les navires de l’Antiquité romaine, les plafonds peints, le cercle méridien et le Pic du midi traitent avec acuité de la question de l’acquisition, de la conservation et de l’exploitation des données sur le patrimoine. Au-delà de la production et de l’accès facilité, enrichi, accéléré aux connaissances des objets et des sites, la numérisation des patrimoines crée d’autres réalités et donc d’autres expériences comme elle modifie profondément les approches professionnelles et institutionnelles. Les trois articles suivants décrivent et analysent des projets expérimentaux en matière de diffusion des données et contenus patrimoniaux numériques. Ces trois projets permettent de sortir d’une vision binaire de l’expérience patrimoniale dans laquelle seule l’expérience sensible de l’objet, de l’œuvre, du site physique serait authentique et complète. Dans le secret des œuvres d’art restaurées du musée Fabre de Montpellier, dans le réveil participatif du patrimoine cartographique « dormant » de l’Université Jean-Jaurès de Toulouse ou dans la co-construction et la cogestion du patrimoine ethnographique numérique des Wayana et des Apalaï d’Amazonie : l’expérience patrimoniale numérique n’est pas un simple complément ou palliatif de l’expérience physique, elle est d’une autre nature et la renouvelle. Enfin, les cinq derniers articles abordent la problématique de la valorisation, depuis le cas d’un réseau patrimonial, les sites du « Pays cathare » dans l’Aude, jusqu’à différentes méthodes de conduite de projet de valorisation numérique : hackathon archéologique à Brive, conception d’un musée numérique à Perpignan ou d’un jeu vidéo pour la presse ancienne numérisée en Occitanie. Ici encore, les contributions et projets présentés révèlent comment le numérique constitue une source de créativité, d’approches et de lectures différentes, sans cesse renouvelées, du patrimoine : les données du patrimoine associées aux nouveaux médias deviennent sources de lectures et d’expériences aussi plurielles que les profils, les sensibilités, les cultures de ceux qui s’en saisissent.

4Bien sûr, les frontières sont poreuses entre ces trois grandes approches, et dans chaque article, derrière la production et la conservation numérique se profile la question de la consultation, tout comme diffusion et valorisation sont inextricablement liées.

5Dans l’écosystème de plus en plus riche de la recherche et de la documentation sur les humanités numériques, quels éléments font de ce numéro de Patrimoines du Sud une avancée de la connaissance sur l’usage des technologies numériques appliquées aux patrimoines ?

  1. Des cas concrets. Dans ce numéro de Patrimoines du Sud, pas de généralités qui ne soient étayées par le concret et la pratique. La précision de la description de ces cas d’école est d’ailleurs remarquable : plusieurs pages sont souvent nécessaires pour décrire le contexte, la technologie, les intentions, le projet.

  2. Des conclusions qui font références. Les articles sont le résultat d’une approche scientifique rigoureuse selon les modes complémentaires inductif ou déductif. Protocoles d’expérimentation de crowdfunding, tests comparés de musées numériques, analyse de situation de création de dispositifs type hackathon, processus empiriques et itératifs de numérisation des navires antiques ou des plafonds peints : toutes ces situations conduisent à autant de nouvelles connaissances sur l’emploi des technologies numériques dans le champ patrimonial. La méthodologie déductive des études sur le jeu vidéo, sur la plateforme ethnographique collaborative ou sur la médiation numérique en pays cathare met à l’épreuve des faits les concepts convoqués et statue sur leur emploi. Chaque article représente un apport décisif dans la compréhension du numérique dans le champ patrimonial.

  3. De belles synthèses sur les avancées et les limites des technologies numériques abordées, parfois leurs errements et insuffisances, toujours leurs avantage et potentiel. Ainsi en est-il de la médiation au musée Fabre, de l’application Cathare ou du jeu vidéo sur la presse ancienne : que leur mise en œuvre soit terminée ou en cours, ces trois applications illustrent le caractère incomplet du numérique, qui ne se substitue pas à l’œuvre, qui ne se complète que dans la situation d’usage réelle, et qui suppose une analyse fine de ses usages.

6Ce numéro sur l’état de la recherche et de l’expérimentation numérique appliqués aux patrimoines aboutit à plusieurs enseignements majeurs :

  • Le numérique a bien investi l’ensemble du champ patrimonial, avec des degrés de maturité divers en fonction des patrimoines. Les objets patrimoniaux complexes nécessitent de nouveaux outils, tels que l’industrie 4.0 peut les fournir, notamment le BIM (building information management), gestion informatisée des bâtiments et de leur évolution temporelle. La description de certains objets suppose un mode d’acquisition numérique plus performant et des référentiels de description adaptés.

  • Les modélisation et plateforme numériques sont des outils de recherche tout autant qu’un mode de valorisation. C’est particulièrement décrit en archéologie mais aussi en ethnologie. Les chercheurs sont les premiers publics de ces modélisations et plateformes et en font un usage scientifique testant leurs hypothèses et leurs descriptions.

  • La réussite des applications numériques dépend de la connaissance des publics et des objets patrimoniaux. Ce qui pourrait sembler une évidence se trouve démontré dans ce numéro. Le mode collaboratif et le design d’expérience, pointes extrêmes de la connaissance des publics et du lien avec l’objet patrimonial, se révèlent alors extrêmement puissants : ils sont capables d’augmenter la connaissance, favorisent l’appropriation, voire peuvent modifier la relation politique entre public et patrimoine. À l’inverse, l’oubli du public visé peut rendre un dispositif de valorisation pourtant plébiscité stérile et sans usage.

  • À la maturité des dispositifs numériques répond désormais la maturité de leur analyse : l’inventaire et la description précise des critères d’usage fournissent aux professionnels de la médiation patrimoniale des critères de choix pour atteindre leurs publics et objectifs.

7Lire ce numéro 12 de Patrimoines du Sud, c’est ainsi faire un voyage initiatique dans les contrées en pleine expansion du numérique et du patrimoine. Le numérique y apparaît tour à tour aux âges de l’enfance et de la maturité. Sa technologie et son usage se révèlent à la fois avancés et balbutiants, générateurs de solutions comme de nouvelles problématiques, en acquisition des données, en conservation, en modalités d’exploitation et d’usage. Le numérique, ce n’est que trente ans de recul sur ce qui n’est pas un simple changement de medium mais bien une révolution technique, professionnelle, culturelle. C’est sans doute peu mais c’est déjà assez pour que ce numéro de Patrimoines du Sud fasse date dans sa compréhension.

8Lire ce numéro 12 de Patrimoines du Sud, c’est remercier aussi l’équipe qui prend en charge sa parution, avec rigueur, disponibilité et intelligence, au sein de laquelle œuvrent particulièrement Vérène Charbonnier et la rédactrice en chef, Josiane Pagnon.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Agnès Demé et Benjamin Assié, « Éditorial »Patrimoines du Sud [En ligne], 12 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 26 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/5756 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pds.5756

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Auteurs

Agnès Demé

Responsable du service Innovation, transmission et appui aux territoires, conseil régional d’Occitanie

Benjamin Assié

Conseiller pour le patrimoine écrit et les archives, DRAC Occitanie

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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