- 1 - CHABROL, 2002, p. 192-204. Intéressante synthèse de Gisèle Boyer sur l’histoire de la production (...)
1Le nord de l’ancien Gévaudan, aujourd’hui département de la Lozère pour sa majeure partie, a longtemps été réputé pour sa production lainière1. Toutefois, ce passé est de nos jours bien oublié alors que nombre de filatures ont été construites entre le XVIIIe et le XIXe siècle le long des rivières du département, comme la Colagne, le Lot ou le Langouyrou. C’est au bord de ce cours d’eau que la dernière filature du département s’est arrêtée en 1990, à Langogne. Son dernier propriétaire, Louis Engles, conscient de l’intérêt à conserver l’ensemble des machines, entreprend des démarches auprès de la commune pour trouver une solution qui éviterait la dispersion. Depuis 1994, la filature est ouverte au public qui peut ainsi découvrir des machines en action et comprendre comment le fil était fabriqué. Mais c’est justement cette activité ininterrompue qui a accéléré l’usure des engrenages, aggravée par une mauvaise transmission des techniques de graissage que maîtrisait parfaitement le dernier filateur, Louis Engles. Ces défauts de graissage et d’utilisation allaient, sans une intervention rapide, mener à la casse de certains éléments.
2Ce bref article a donc pour ambition, après une présentation du contexte qui a mené à l’ouverture au public, de présenter une intervention de conservation curative, menée par la conservation départementale du patrimoine culturel du département de la Lozère. Elle a été réalisée sur l’ensemble des machines industrielles du XIXe siècle protégées au titre des monuments historiques. Cette opération a, en outre, pu être suivie des restaurations indispensables à la survie de certaines d’entre elles.
3Langogne est un chef-lieu de canton situé au nord-est de la Lozère, à 910 m d’altitude, en rive gauche de l’Allier, près du confluent du Langouyrou, ruisseau sur lequel sont établis la plupart des établissements industriels de la commune. La filature se situe en ville, une centaine de mètres au sud de l’enceinte médiévale, dans un quartier urbanisé aux XVIIIe et XIXe siècles, au bord du Langouyrou.
- 2 - Un article synthétique permet de découvrir l’historique de cette filature et le travail de recher (...)
- 3 - BOYER, Gisèle, 1989-1991.
4Un travail de longue haleine, mené par Gisèle Boyer-Daclin2 alors professeur responsable du service éducatif des archives départementales de Lozère, permet de mettre en lumière le passé industriel lainier du département. Deux volumes, édités par le département de la Lozère, permettent aux élèves des collèges et lycées de s’approprier ce pan historique oublié3. C’est au cours de ses recherches qu’elle rencontre Louis Engles et visite la filature des Calquières, encore en activité. Cette rencontre enclenche le processus qui mène, dans un premier temps, à l’inventaire, des machines, puis à la cession à la Ville de Langogne en 1992 (fig. 1 et 2).
Fig. 1
Langogne (Lozère), filature des Calquières, vue d’ensemble de la carde-bobineuse, au 1er étage.
J.-M. Périn © Inventaire général région Occitanie, 1992
Fig. 2
Langogne (Lozère), filature des Calquières, Mule-Jenny ou machine à filer, au 2e étage
M. Descossy © Inventaire général région Occitanie, 1992
- 4 - Isabelle Darnas remercie son collègue et ami, Michel Wienin, qui a apporté une aide précieuse au (...)
- 5 - Avis de l’inspecteur des Monuments historiques à la commission supérieure des Monuments historiqu (...)
- 6 - « Ancienne filature (parcelle AI 39), avec son canal d’amenée d’eau (parcelles AI 16, 39, 459). »
5En 1992, un rapide inventaire des machines de la filature pour l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, de la DRAC Languedoc-Roussillon est réalisé par Isabelle Darnas, alors chercheur/vacataire en charge du département de la Lozère. Claudine Cartier, conservatrice du patrimoine à la sous-direction de l’Inventaire général et spécialiste de patrimoine industriel, se rend sur site et confirme l’intérêt de cet ensemble de machines. Michel Wienin4, chargé du patrimoine industriel au service régional de l’Inventaire, complète alors les fiches d’un point de vue technique. En tant que conservatrice des antiquités et objets d’art, Isabelle Darnas porte le dossier de protection au titre des monuments historiques, dans un premier temps à la commission départementale des objets mobiliers pour l’inscription des machines. En 1993, l’inspecteur des monuments historiques, Olivier Poisson, indique que l’intérêt du « classement au titre objet mobilier » est lié à « la conservation globale de la filature en tant qu’ensemble technique de production, avec une rare cohérence et une rare authenticité. C’est l’ensemble fonctionnel, la réunion effective de tous les éléments en état de marche qui en fait la valeur patrimoniale, depuis les éléments hydrauliques producteurs d’énergie jusqu’aux machines elles-mêmes, en intégrant bien sûr l’enveloppe architecturale et les différents aménagements relatifs au circuit des matières premières et des produits finis dans l’installation5 ». La commission supérieure des monuments historiques classe les machines en 1994 (arrêté du 22 septembre 1994). En parallèle, le bâtiment est inscrit au titre des monuments historiques (arrêté du 30 septembre 19946).
6Même si l’existence d’un moulin à grains (seigle et froment) et à foulons (drap) est attestée dès le XVe siècle, la filature fonctionne de 1853 à 1990. Le bâtiment de la filature résulte de la surélévation, avec alignement de façade en 1842, d’un moulin (moulin Boyer) (fig. 3).
Fig. 3
Langogne (Lozère), filature des Calquières, façade principale de la filature, sise dans la rue éponyme
M. Kérignard © Inventaire général région Occitanie, 2012
7En 1853, elle possède déjà 400 broches. L’énergie provient d’une dérivation (béal) du Langouyrou qui alimentait d’autres établissements, tous situés en amont. Michel Wienin considère qu’elle est la dernière filature de laine dans le sud du Massif central : « Son intérêt majeur réside dans l’ensemble de machines de filature anciennes, présentes et en bon état de marche. La plupart sont antérieures au début du XXe siècle, ce qui est exceptionnel. Le bâtiment comporte un soubassement, un rez-de-chaussée surélevé, deux étages carrés et des combles bas. Ce sont des étages de travail qui correspondent au processus de fabrication du produit lainier. La répartition des activités se fait par étage, avec des machines correspondant à une fonction. À l’étage de soubassement se trouve l’énergie motrice. Là, sont réalisées les étapes de lavage et de battage de la laine. Le cardage s’effectue au rez-de-chaussée. Le filage se fait au premier étage. Une machine à filer du type Mule Jenny, datant de 1850-1860, de fabrication française, est le seul exemplaire subsistant en France. La dernière étape est réalisée au deuxième étage. Le double moulinage s’y fait avec du matériel plus artisanal, datant de 1870-1880 »7. Depuis 1856, une roue verticale à augets en bois de 3,85m de diamètre, d’une puissance de 4 Ch, fournit l’énergie aux machines. Elle a été restaurée en 1981 par Louis Engles.
- 8 - Sur les cardes : GRAF France SARL, 49 rue de Saushein, 68110 ILLZACH ; sur la Mule Jenny : GUIFFR (...)
8La restauration du bâtiment s’enclenche dès la protection au titre des monuments historiques obtenue. Un espace contemporain (bureaux, espace d’exposition, boutique, locaux techniques ; espace audio-visuel dynamique) jouxte le bâti ancien ; la filature est conservée dans un état fidèle au fonctionnement et à l’ambiance du XIXe siècle-milieu XXe siècle. Le 1er juillet 1994, la filature des Calquières de Langogne ouvre au public et devient un « musée vivant », appellation utilisée sur les documents de communication afin d’insister sur la mise en marche des machines lors des visites guidées. En 1996, d’importants travaux de restauration sur les cardes (fileuse, nappeuse et bobineuse), la Mule Jenny, ainsi que des travaux de regarnissage, sont confiés à deux entreprises8.
9Depuis, l’accueil du public, la valorisation, la maintenance et la conservation sont assumées conjointement par une association qui gère le « musée » et la commune de Langogne. Il y a en moyenne cinq visites par jour. Le visiteur a accès bien sûr à une visite guidée classique, mais celle-ci bénéficie d’un dynamisme extrêmement prégnant, puisque les machines sont en activité et produisent réellement un fil commercialisable. Du rez-de-chaussée au deuxième étage, retour vers le passé : la salle d’attente du rez-de-chaussée mène à une petite passerelle qui surplombe le canal aménagé (béal) du Langouyrou. Ce canal permet l’alimentation hydraulique de l’ensemble des machines de la filature. La visite suit le processus du traitement de la laine : du lavage à la tonne à la réalisation d’une bobine achevée, lavage et battage de la laine au rez-de-chaussée, cardage au premier étage, filage au second.
10En 2015, lors d’une visite de la filature des Calquières, le conservateur du patrimoine chargé du département de la Lozère (DRAC Languedoc-Roussillon), Laurent Hugues, qui ne connaissait pas les lieux, Isabelle Darnas et Cécile Vanlierde remarquent une importante prolifération d’insectes xylophages dans les éléments en bois des machines. La directrice de la filature, Corinne Noirot, et le maire de la commune, Guy Malaval, présents tous les deux, en conviennent : le danger de détérioration est réel et peut être rapide. Laurent Hugues demande une visite complémentaire du CICRP (centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine) à Marseille, effectuée par Katia Baslé, qui confirme le diagnostic ainsi que l’urgence à intervenir. Pour aider la commune à faire face à ces coûts imprévus, Isabelle Darnas fait, au nom du département de la Lozère, deux propositions à la commune : d’une part, la réalisation du constat d’état par la conservation départementale du patrimoine culturel, d’autre part et dans un deuxième temps, une intervention curative via un traitement insecticide des éléments en bois grâce à un programme d’aide aux communes pour la conservation de leur patrimoine mobilier mis en place par le conseil départemental de la Lozère. L’aide de l’État est également acquise, du fait du classement au titre des monuments historiques des machines, à hauteur de 50 %, pour la restauration des mécanismes endommagés : la commune accepte de lancer une consultation, une fois que l’intervention du département aura été réalisée.
11En quoi consiste l’intervention du département en matière de conservation curative ? Depuis 2008, le conseil départemental de Lozère a décidé d’aider, en régie directe, la mise en conservation préventive des biens culturels publics, propriétés des communes, en créant un poste d’assistant de conservation du patrimoine. Depuis, Cécile Vanlierde, formée en conservation curative et préventive, intervient à la demande sur les biens patrimoniaux des communes. Présentée comme un service aux communes, la proposition de traiter les attaques d’insectes xylophages sur le mobilier en bois mobilise un certain nombre de maires : à charge pour les communes propriétaires de fournir le matériel et le produit insecticide, le département fournissant l’agent et son savoir-faire technique ainsi que le matériel spécifique de conservation. Tous les édifices qui bénéficient de ces interventions doivent être en bon état sanitaire, condition sine qua non avant tout travail. C’est donc le concours de cet agent, Cécile Vanlierde, qui est proposé à la commune de Langogne pour pallier au plus vite l’urgence sanitaire (fig. 4 et 5). La tâche est lourde : aucun traitement insecticide n’a jamais été effectué.
Fig. 4
Langogne (Lozère), filature des Calquières. Le loup-batteur, situé au rez-de-chaussée, avant l’intervention de conservation curative et préventive. Il était en mauvais état et très encrassé.
M. Kérignard © Inventaire général région Occitanie
Fig. 5
Langogne (Lozère), filature des Calquières, Mule-Jenny, avant l’intervention de conservation curative et préventive. Les traces d’attaques d’insectes xylophages sont bien visibles sur le plancher et les poutres du plafond.
C. Vanlierde © Conseil départemental de Lozère, 2016
- 9 - Ce rapport de constat est consultable parmi les documents liés sur le dossier d'ensemble (IM48003 (...)
- 10 - A priori des vrillettes (Anobium ponctatum) compte-tenu de la taille des trous d’envol (2 à 4 mm (...)
12En février 2016, le constat d’état est réalisé par Cécile Vanlierde qui fournit un rapport technique complet9. Des attaques importantes d’insectes xylophages10 sont identifiées sur toutes les pièces de bois des machines, certaines sont pulvérulentes. Des éléments sont lacunaires et nécessiteront des greffes. En outre, la plupart des machines fonctionnent grâce à diverses courroies qui nécessitent un entretien et des réparations régulières. L’achat anticipé des formats les plus complexes a dû être envisagé afin de ne pas stopper le fonctionnement de l’ensemble des machines comme cela a été le cas en 2017 lors des interventions de restauration. Le descriptif de chaque machine est référencé sur la base Palissy et n’est donc pas repris au sein de cet article. Toutefois, les casiers de stockage de la laine, qui étaient installés dans les combles et protégés au titre des monuments historiques, ont été détruits pendant les travaux de restauration de 1994 car non retrouvés en 2016 lors du constat d’état.
13Plusieurs facteurs de dégradation ont pu être identifiés. Les insectes xylophages se sont bien propagés en toute quiétude : cela est en partie dû à des éléments en bois résineux non traités qui ont été apportés dans les locaux depuis une vingtaine d’années pour diverses réparations. Il semble qu’aucun traitement n’ait d’ailleurs été effectué pendant ou à la suite des travaux de 1994. À ces facteurs biologiques s’ajoutent le facteur humain : les visites quasi quotidiennes facilitent l’intrusion d’éléments étrangers comme les insectes.
14Le service départemental est intervenu pour aider au nettoyage (décrassage et dépoussiérage) des éléments en bois des machines et des structures liées à ces dernières, ainsi qu’au traitement insecticide de ces ensembles. En accord avec le personnel de la filature et en tenant compte des contraintes de chacun ainsi que celles du bâtiment (humidité très importante au rez-de-chaussée et premier étage), Cécile Vanlierde a procédé au dépoussiérage et au traitement insecticide en commençant par l’étage le plus haut, puis en descendant progressivement, selon la météo et le planning des visites guidées (5 par jour) : d’abord, avec un dépoussiérage minutieux des murs, poutres, plafond et sols, puis un dépoussiérage des machines et un dégraissage des parties en bois attaquées (notamment l’intérieur des rouleaux). Le technicien en poste à l’époque à la filature, Cyril Bonnal, participe à toutes les interventions. Afin d’optimiser le traitement, deux, voire trois passages, ont été réalisés sur l’ensemble des éléments traités. Les produits utilisés contiennent de la cyperméthrine en phase liquide (aqueuse) et en gel. Ils ont été pulvérisés sur toutes les parties en bois brut (poutres, parquets et éléments de boiserie), badigeonnés au pinceau sur les parties en bois brut des machines et injectés dans les parties difficilement accessibles (fig. 6).
Fig. 6
Langogne (Lozère), filature des Calquières, traitement curatif contre les insectes xylophages par pulvérisation sur la mule-Jenny en 2016
C. Vanlierde © Conseil départemental de Lozère
- 11 - Toutes les machines ont été nettoyées et traitées.
15Le traitement de la Mule Jenny, pièce maîtresse de la filature, a été le plus conséquent : l’encrassement généralisé a nécessité un dépoussiérage long et fastidieux. L’aspiration minutieuse a permis de constater qu’aucun nettoyage, ni même simple ménage approfondi, n’avait été effectué depuis les travaux de 1994, les restes du sablage des poutres et planchers étant déposés dans tous les interstices, du sol au plafond... Quant à l’estrade sur laquelle se trouve la machine, se sont accumulés dessous, gravats, pierres et ossements, mêlés à du sable et de la laine... L’intervention s’est échelonnée sur 38 jours, soit près de deux mois complets, et s’est achevée en juin 201611 (fig. 7-8-9-10).
Fig. 7
Langogne (Lozère), filature des Calquières, le loup-batteur après l’intervention de conservation curative
C. Vanlierde © Conseil départemental de Lozère
Fig. 8
Langogne (Lozère), filature des Calquières, la cardeuse bobineuse, au premier étage, est en cours d’opération de conservation curative et préventive
C. Vanlierde © Conseil départemental de Lozère
Fig. 9
Langogne (Lozère), filature des Calquières. Détail d’un rouleau de la cardeuse bobineuse avant intervention : les vermoulures d’insectes xylophages sont bien visibles.
C. Vanlierde © Conseil départemental de Lozère
Fig. 10
Langogne (Lozère), filature des Calquières. Détail d’un rouleau de la cardeuse bobineuse après intervention.
C. Vanlierde © Conseil départemental de Lozère
16Ce travail permettait de stopper les dégradations en cours mais ne résolvait pas les problèmes techniques. En effet, les engrenages endommagés et les courroies « rafistolées » allaient, à terme, provoquer la casse de certaines machines. Leur restauration devait être envisagée dans la suite de l’intervention de conservation curative et préventive. C’est pourquoi le restaurateur Klaus Lorenz a été sollicité. Il a confirmé l’urgence de la restauration. Une fois le devis accepté et les travaux financés par les différents partenaires (commune, département et État), ces derniers ont pu débuter. Le restaurateur est intervenu une fois par mois à la fin de l’année 2017 et toute l’année 2018 sur chacune des machines. Sa rapide compréhension des mécanismes lui a permis de remettre en état les engrenages défectueux, de refaire à l’identique ceux qui n’étaient pas restaurables. Il a pu identifier les zones à graisser et a formé un agent de la commune à cet entretien. Il a conçu une machine spécifique pour fabriquer des chaînes Vaucanson, introuvables aujourd’hui à la dimension nécessaire ! Une réalisation remarquable qui a permis à la filature d’ouvrir de nouveau au public en 2019 et de remettre en marche, en sécurité, toutes les machines (fig. 11).
Fig. 11
Langogne (Lozère), filature des Calquières. Le restaurateur, Klaus Lorenz, en train de remettre en marche la Mule-Jenny afin de vérifier son bon fonctionnement. Un nettoyage de chaque pièce métallique a été effectué. Chaque pièce a été examinée, remise en état quand c’était nécessaire. Des courroies neuves ont remplacé les anciennes qui étaient sur le point de céder.
C. Vanlierde © Conseil départemental de Lozère
- 12 - Le dispositif est en place depuis 2008 en régie directe. Il complète une opération menée conjoint (...)
17Les machines de la filature des Calquières sont aujourd’hui sauvées après avoir frôlé le désastre. Il ne faut pourtant pas croire que la tâche soit achevée. Le traitement insecticide lourd des poutres des planchers et de la charpente n’est toujours pas réalisé. Outre l’opération que Cécile Vanlierde a menée avec un employé de la filature, Cyril Bonnal, qui n’y travaille plus aujourd’hui, elle seule a suivi toutes les phases de la restauration. L’employé communal formé par Klaus Lorenz doit faire le suivi technique et graisser régulièrement (mais pas trop !) les machines : le fera-t-il régulièrement ? Le restaurateur a proposé d’assurer un suivi annuel de maintenance : la commune acceptera-t-elle de financer une intervention régulière ? Ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui. La question essentielle posée par cette intervention, comme pour la plupart de ce type, est toujours celle du suivi. Nous pouvons intervenir en conservation curative, ou en restauration. Nombre de projets sont ainsi menés à bien en croisant les finances des collectivités et de l’État. Mais qu’en est-il de l’entretien et du suivi ? Nous pouvons constater qu’à 20 ans d’intervalle, des bonnes volontés ont sauvé la filature des Calquières par deux fois : une première fois au début des années 1990, une deuxième entre 2016 et 2018. Cela démontre combien notre patrimoine est précieux mais reste fragile. L’oubli, comme l’absence d’entretien et de suivi, sont les meilleurs gages de la destruction lente. L’entretien reste donc le moyen le plus sûr de durer, pour les biens mobiliers comme immobiliers. C’est la raison principale qui a motivé le conseil départemental de la Lozère à mettre en place ces interventions de conservation curative et préventive en régie directe12. Elles permettent d’intervenir rapidement, sans coût important pour les communes. Elles permettent également - et, à ce titre, l’exemple de la filature des Calquières est tout à fait parlant - d’enclencher plus facilement la décision de la restauration en donnant le temps d’établir le montage financier du projet s’il est nécessaire. Si ce programme vise surtout les biens culturels conservés dans les églises et les temples du département, l’intervention à la filature des Calquières montre que le patrimoine industriel, bien présent en Lozère malgré les idées reçues, nécessite aussi des moyens pour sa conservation et sa protection. La création et le maintien dans le temps d’un programme qui pourrait paraître modeste en regard de collectivités au pouvoir financier bien supérieur montre son efficacité sur le terrain en sauvant des ensembles, malheureusement trop souvent en perdition dans notre pays. Aujourd’hui la filature n’est ouverte au public qu’une partie de l’année et deux contractuels assurent les visites. L’un d’entre eux a été formé par le restaurateur. Il devra assurer le suivi technique et l’entretien régulier dont ces belles machines ont tant besoin pour fonctionner, et surtout pour durer. Le sort de ces dernières est entre les mains de la commune mais aussi des habitants de Langogne car seule l’appropriation de ce passé lainier sera le gage de survie, pour les générations futures, de ce magnifique ensemble.