1En 1817, la ville de Pamiers voit l’installation d’une petite usine de forges hydrauliques. Au fil des décennies, cet établissement va s’étendre jusqu’à former un grand quartier rivalisant avec le centre ancien. Sa situation en plein cœur de ville, le long des canaux alimentés par la rivière Ariège, à moins de 300m de la cathédrale en fait un acteur incontournable de l’histoire et de la vie de Pamiers (fig. 1).
Fig. 1
Pamiers (Ariège), vue de Pamiers et de son usine depuis le clocher de la cathédrale
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
- 1 - L’inventaire du patrimoine culturel du territoire a débuté en 2001 avec la signature d’une conven (...)
- 2 - La communauté de communes du Pays de Pamiers est devenue au 1er janvier 2017, suite à la fusion a (...)
2Dans le cadre de l’étude menée en collaboration avec l’Inventaire général1, la communauté de communes du Pays de Pamiers2 a souhaité valoriser le patrimoine industriel au travers d’un parcours de découverte. Les commissions culture et tourisme se sont associées pour porter ce projet affichant ainsi le double objectif de conservation et de transmission du patrimoine et de mise en valeur à visée touristique. Le projet s’est développé sur trois ans autour de trois grandes thématiques : la restauration d’une locomotive électrique pour présentation statique, la mise en place d’un sentier d’interprétation et l’installation d’un marteau-pilon en entrée de ville.
3La ville de Pamiers est située à un carrefour entre la plaine toulousaine au nord et la Haute-Ariège au sud. Fondée sur la rive droite de la rivière Ariège, dans la plaine alluviale, elle est flanquée en rive gauche, de collines molassiques formant le Terrefort.
- 3 - Cf. LAHONDES ; cf. BABY.
4Le centre ancien est enserré dans un réseau de canaux occupant un ancien méandre de la rivière recoupé à l’ère géologique. Au départ simples chenaux, ils ont été, par la suite, entretenus, modifiés, consolidés au moyen de murets de briques et de galets pour répondre aux besoins de générations d’Appaméens. Au fil de leur histoire, ils ont rempli des fonctions diverses : défense de la ville en association avec les murailles, industrie et artisanat (tanneries, teintureries, foulons, moulins…), lieu de vie (lavoirs, fontaines), égouts3…
- 4 - L’établissement de Lazare Flandry s’installe en 1812 dans le quartier de Lestang avec sept machin (...)
- 5 - CANTELAUBE, p. 139-158.
5Au XIXe siècle, en bordure de ces canaux, se sont implantées deux usines : une manufacture au nord dans le quartier de Lestang4, aujourd’hui disparue, et une petite usine de forges hydrauliques5 à l’est, à proximité du moulin des Carmes. Cette dernière s’impose rapidement comme un établissement de premier ordre pour la ville.
6Le département de l’Ariège présente une tradition métallurgique importante depuis le Moyen Âge grâce au minerai de fer des mines du Rancié dans le Vicdessos6. À Pamiers, l’industrie sidérurgique bénéficie des atouts conjoints de l’énergie hydraulique offerte par l’Ariège et ses canaux et du charbon de bois provenant des forêts du Terrefort.
- 7 - Le moulin farinier des Carmes dit d’Encouloumies est mentionné dès le XIIIe siècle mais est recon (...)
- 8 - AD Ariège. 7 S 57. Pamiers, Jean-Baptiste Sans, une usine de cémentation du fer et divers martine (...)
- 9 - AD Ariège. 7 S 58.
- 10 - AD Ariège. S 102. Usines établies sur le canal des Carmes, 1851.
7Ainsi, en 1817, Barthélemy Hippolyte Morlière, notaire à Pamiers, décide de construire une usine sur un jardin qu’il possède le long des canaux, face à l’ancien moulin farinier des Carmes7. Avec son associé Jean-Baptiste Sans, négociant à Toulouse, il dépose une demande d’autorisation le 2 décembre 1817 pour construire une usine métallurgique. La pétition mentionne des fourneaux pour la cémentation du fer, des martinets mus par l’eau pour convertir l’acier en faux ou taillanderie8. Rapidement, une troisième personne s’associe aux deux premières : Abat, maître des forges d’Orlu. L’usine, dénommée « Usine Sainte-Marie », alimente ses forges grâce à une prise d’eau dans le bassin du moulin des Carmes voisin. Dès 1824, elle compte six marteaux, six feux de forge, six martinets, un fourneau à cémentation pour 8 à 10 ouvriers. En 1848, 82 ouvriers travaillent dans l’usine, dont 12 enfants de moins de 16 ans. En 1842, une forge à la catalane est ajoutée9. En 1859, une pétition sollicite l’autorisation d’établir deux hauts-fourneaux et un laminoir pour agrandir le site10 (fig. 2).
Fig. 2
Pamiers (Ariège), plan de l’usine Sainte-Marie, 1851, AD Ariège 7 S 57
Repro A. Guéguen © archives départementales de l’Ariège
8En 1862, l’usine Sainte-Marie est vendue. En 1867 est créée la Société métallurgique de l’Ariège. L’usine Sainte-Marguerite dite « usine d’en haut » est alors bâtie et s’étend vers la rive de l’Ariège. En 1880, 800 ouvriers, dont 70 femmes et enfants, y travaillent. En 1881, est installée la première fonderie d’acier. Au début du XXe siècle, cinq petites centrales sont construites en amont de Pamiers afin de fournir l’énergie électrique nécessaire au fonctionnement de l’ensemble des installations.
- 11 - Une remarquable campagne photographique a été menée par le photographe Mésière en 1917 afin d’ill (...)
9Pendant la première guerre mondiale, l’usine, éloignée des zones de combat, participe activement à l’effort de guerre. Des femmes remplacent les hommes partis au front et occupent tous les postes, de l’administration aux ateliers11 (fig. 3). Après guerre, fortement concurrencée par la sidérurgie du nord et de l’est, la Société Métallurgique de l’Ariège dépose le bilan en 1921.
Fig. 3
Pamiers (Ariège), fabrication des obus de 75 m/m (emboutissage et tréfilage), dans MESIÈRE, Ernest. Société métallurgique de l’Ariège, album de photographies imprimées (18x24), 1917
Repro A. Gueguen © Ernest Mésière
10En 1930, l’usine entre dans le giron de la Commentry Fourchambault Decazeville. La crise économique entraîne une période de stagnation. Il faut attendre 1938-39 pour voir une nouvelle phase de modernisation : installation d’un deuxième four électrique et d’un grand atelier pour le matriçage des alliages légers.
11Pendant la deuxième guerre mondiale, la ville de Pamiers est occupée en 1942. L’usine est alors réquisitionnée et travaille pour l’armement allemand. À la Libération, le directeur est accusé de collaboration et exécuté.
12Après 1945, le travail reprend son cours et une école d’apprentissage, où contremaîtres et ingénieurs forment les ouvriers, est créée. En 1948, une nouvelle presse à matricer Somua de 20 000 tonnes est installée pour l’aéronautique. En 1954, l’usine est transférée à la Société métallurgique d’Imphy qui y emploie 1 400 personnes et se spécialise essentiellement dans la forge et l’estampage. En 1967, la Société d’Imphy est absorbée par la Société des forges et ateliers du Creusot qui devient Creusot-Loire en 1970. L’usine se tourne alors vers les industries de pointe grâce à l’élaboration et la transformation des aciers et des alliages. Malgré la fermeture de la fonderie en 1973, l’usine reste parmi les premières usines d’estampage de France.
13Suite à une acquisition, en 1991, l’usine devient Fortech et se spécialise dans la transformation par forgeage, estampage et matriçage des aciers inoxydables ou spéciaux, des alliages d’aluminium ou de titane et des superalliages. Les pièces sont destinées aux industries aéronautiques, spatiales, énergétiques, ferroviaires et d’armement.
14En 1995, l’usine prend le nom d’Aubert et Duval. En 2007 est inaugurée Airforge, usine moderne et automatisée avec une presse à matricer de 40 000 tonnes dédiée aux pièces aéronautiques et aux moteurs d’avions. L’usine, qui a fêté son bicentenaire en 2017, est aujourd’hui le premier employeur industriel du département de l’Ariège.
- 12 - L’inventaire a débuté par les communes rurales autour de Pamiers avec l’étude des sites de Guillo (...)
15Le passé industriel de la ville de Pamiers s’est ainsi rapidement imposé comme objet d’étude. Dès 2001, un inventaire thématique débute sur l’ensemble du territoire intercommunautaire aboutissant à la constitution d’une importante documentation12.
16De 2004 à 2011, l’étude s’est recentrée sur l’usine métallurgique de Pamiers, associant l’exploration des archives publiques et privées à la visite des ateliers offerte par un ingénieur de l’usine. Tous les ateliers et les machines n’ont pas pu être étudiés et photographiés pour des raisons de sécurité et de protection des savoir-faire et des modes de fabrication.
17Parallèlement à cette étude, en 1999, le lit des canaux de la ville de Pamiers est inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.
18Fin 2011, au vu des résultats de l’étude menée dans le cadre de l’inventaire et dans l’optique de mettre en valeur les canaux, la communauté de communes a souhaité développer un projet mêlant interprétation, restauration et mise en tourisme de ce patrimoine constitutif de l’histoire de la ville de Pamiers. L’objectif était aussi de permettre la rencontre entre des visiteurs et des vestiges originaux au croisement des savoirs techniques, artisanaux et historiques. De plus, le projet de valorisation devait respecter une consigne : concilier la conservation de témoignages de l’usine sans gêner son développement actuel. Il n’était donc pas possible d’utiliser des espaces internes à l’usine ou de faire pénétrer des visiteurs dans son enceinte. Le projet s’est alors orienté vers une mise en lumière de machines représentatives de l’activité métallurgique doublée d’un sentier d’interprétation permettant de faire le lien et d’apporter les connaissances nécessaires à la compréhension du patrimoine in situ.
19Or une locomotive appartenant à l’usine avait été donnée dans les années 1980 à la ville de Pamiers. Elle est rapidement apparue comme un élément central du projet d’interprétation. Sa restauration a constitué la première tranche.
20L’histoire de la BB n° 2 commence dans le premier quart du XXe siècle. En 1915, l’usine met en place une voie de chemin de fer de 1,8 km environ jusqu’à à la gare. Des locomotives électriques sont alors achetées pour desservir ce tronçon (fig. 4).
Fig. 4
Pamiers (Ariège), train de marchandises descendant de la gare sur le raccordement des usines, dans MESIÈRE, Ernest. Société métallurgique de l’Ariège, album de photographies imprimées (18x24), 1917, 80 p.
Repro A. Gueguen © Ernest Mésière
21La BB n° 2 est une locomotive fabriquée par les Ateliers des chartreux de la compagnie générale française de tramway de Marseille en 1916 pour la Société métallurgique de l’Ariège, usine de Pamiers.
- 13 - Cf. BAUDE, Yann ; article très complet apportant de nombreuses précisions techniques sur cette lo (...)
22Les BB étaient surnommées « boîte à sel » car leur forme rappelait les anciennes boîtes à sel avec les deux compartiments sel et poivre. Elles présentaient toutes une physionomie semblable : une cabine de conduite centrale, avec un double capot plongeant permettant de rendre la machine réversible et éviter les demi-tours. Leur gabarit réduit s’adaptait bien à une circulation urbaine. Une BB est une locomotive à deux bogies de deux essieux moteurs, d’où son nom, la motorisation de chaque essieu étant indépendante13.
23Cette machine pèse 21,7 tonnes, 26 tonnes avec son lest. Elle fait 11 m de long pour 2 m de large et 3,45 m de hauteur.
24Ces locomotives fonctionnaient avec l’énergie électrique grâce à des perches roulant sur les caténaires comme des tramways. La production électrique dédiée à leur alimentation était assurée par une station intérieure à l’usine14.
25Avant la création de la voie par l’entreprise, les transports se faisaient par charrois au travers de la ville mais l’étroitesse des rues et les nombreux accidents incitent l’usine à trouver une autre solution. Ainsi, en 1915, un embranchement ferroviaire est créé entre l’usine et la gare avec deux types de voies ou en accotement de la route, telle qu’on peut encore la voir aujourd’hui par endroit ou directement sur la chaussée des rues comme pour un tramway.
26Les locomotives transportaient les matières premières nécessaires au bon fonctionnement des forges (coke, houille, sable, dolomie…) et les pièces une fois usinées.
27Elles faisaient le trajet matin et soir au minimum et parfois plus selon les besoins. Suite à des accidents, la longueur du convoi de wagons a été limitée à 45 m. afin de limiter le poids, notamment en descente depuis la gare située au sommet d’un coteau15.
- 16 - Il est assez difficile d’évaluer la rareté de ces locomotives car un certain nombre d’entre elles (...)
28La ligne a été fermée en 1979 mais la BB n° 2 a continué à fonctionner dans l’usine pendant quelques années pour desservir les ateliers. Elle est donnée à la ville de Pamiers dans les années 1980 dans le cadre d’un projet de valorisation qui ne sera pas réalisé. En 1992, elle est classée au titre des monuments historiques16 en tant qu’objet, aux côtés d’une deuxième locomotive OBO n° 4 restée dans l’usine et qui a aujourd’hui disparue. La communauté de communes en devient finalement propriétaire en 2012 afin de la faire restaurer.
29Stockée en plein air depuis de nombreuses années, la locomotive avait fortement souffert (fig. 5, 6).
Fig. 5
Pamiers (Ariège), locomotive BB n° 2 avant restauration, vue de côté
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
Fig. 6
Pamiers (Ariège), locomotive BB n° 2 avant restauration : vue de l’intérieur de la cabine
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
30La carrosserie était très rouillée voire élimée et percée en de nombreux endroits. Dès le départ, pour des raisons de coût, le projet avait défini une présentation statique de la machine et non une restauration en état de marche.
31Du fait de son statut d’objet classé, un expert a été sollicité afin de dresser un état des lieux avant travaux. En juillet 2011, M. Éric Ducom, expert ferroviaire à Villenave-d’Ornon a dressé un rapport d’expertise listant les travaux à réaliser pour une restauration dans un état de présentation. Un cahier des charges a alors pu être écrit et une consultation lancée.
- 17 - Dans le cadre de ce projet, des subventions ont été sollicitées et obtenues : 15 000 € de la part (...)
32Fin novembre 2011, suite à l’appel d’offre, l’entreprise SAFRA, basée à Albi, spécialisée dans la carrosserie industrielle et experte dans la restauration du mobilier industriel protégé a été retenue. Le coût total de la restauration s’est élevé à 75 000 € HT17. Le déplacement de la machine est intervenu en juillet 2012 vers les ateliers albigeois (fig. 7).
Fig. 7
Pamiers (Ariège), locomotive BB n° 2 avant restauration : déplacement vers les ateliers de restauration
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
33Chaque étape a été soigneusement documentée par l’entreprise par des photos avant, pendant et après travaux. Tous les éléments de robinetterie, manomètres, boiseries… ont été démontés afin de traiter et de réparer l’ensemble de la carrosserie.
34De nombreuses opérations ont été menées sur la carrosserie : redressement de la tôle, rebouchage des trous et fissures, soudage en remplacement lorsque la tôle était trop abimée.
35Le plancher d’origine à l’intérieur de la cabine a été conservé à chaque fois que possible. Seules les zones très endommagées, notamment au niveau des seuils de portes, ont été remplacées. Même chose pour le lambris du plafond qui a été simplement poncé et repeint ; seules quelques traverses ont été changées.
36Lors du sablage, il est apparu que la couleur d’origine était grise. Le choix final a fait l’objet de longues discussions sur la nécessité de restaurer selon la couleur d’origine ou selon la dernière couleur connue à Pamiers à savoir verte et jaune. Après consultation de la DRAC et de l’expert ferroviaire, la couleur d’origine a finalement été choisie (fig. 8) car il n’existait pas de charte chromatique propre à l’usine de Pamiers.
Fig. 8
Pamiers (Ariège), locomotive BB n° 2, couche de peinture finale
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
37Des compromis ont dû être trouvés pour garantir la durabilité de la restauration. Fallait-il fermer la locomotive ? À l’origine, elle n’avait pas de porte ; seul un store de moleskine modulable protégeait le conducteur et permettait une aération des cabines surchauffées. Une porte a finalement été posée afin d’éviter les intrusions et les dégradations. Peinte en noir, elle permet de donner une impression de relief laissant penser à une ouverture sombre.
38Fallait-il enlever les composants ? Sur recommandation de la DRAC et dans le but d’éviter les vols, tous les composants intérieurs ont été déposés. Voltmètres, ampèremètre, manettes de commande… sont ainsi conservés en lieu sûr.
39La locomotive a été replacée devant l’usine sur une portion de voie. En effet, suite aux travaux du plan-rail de la Région Midi-Pyrénées sur la ligne Portet-Tarascon, la société TSO a fait don de traverses et de rails de chemin de fer placés sur site par les services techniques de la ville.
40Le choix du site a également fait débat. Fallait-il respecter la réalité historique et replacer la locomotive sur son trajet initial ou la poser devant l’entrée de l’usine sur le parcours d’interprétation ? La seconde option a été retenue pour une question de visibilité et pour respecter les objectifs premiers du projet : la valorisation du patrimoine industriel et des canaux. Le panneau placé à proximité de la locomotive a permis de mentionner le véritable trajet emprunté par la machine, à l’arrière de l’usine.
41Au fur et à mesure du développement du projet, l’intérêt et les attentes de la population étaient de plus en plus forts. La locomotive apparaissait comme un objet mémoriel auquel de nombreuses références se rattachaient : le Pamiers prospère des Trente Glorieuses, le travail à l’usine faisant vivre une grande partie de la population, le sentiment d’un monde disparu… Ces locomotives étaient le trait d’union entre l’usine et la ville. Il était très intéressant de constater le glissement de l’objet-outil à l’objet mémoriel. L’équipe projet a réellement pris conscience de la portée émotionnelle de cette restauration lorsque la locomotive est partie à Albi pour les travaux. De nombreuses personnes s’étaient réunies pour assister à la préparation de la machine et venaient spontanément raconter leur vécu, leur souvenir et signifier leur attachement. De même, lors du retour, des anciens ouvriers, des habitants, une classe de CM2 de l’école voisine étaient présents (fig. 9).
Fig. 9
Pamiers (Ariège), locomotive BB n° 2, passage de la locomotive devant l’entrée de l’usine
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
42Beaucoup témoignèrent des accidents spectaculaires mais heureusement jamais graves causés par la BB. Une anecdote en particulier a été réutilisée en illustration sur le panneau d’interprétation : l’histoire du facteur Charles Roudière pédalant à tout rompre sur son vélo pour prévenir les piétons de l’arrivée du convoi fou dévalant la côte du Jeu-du-Mail. M. Charles Roudière était d’ailleurs présent lors du retour de la locomotive avec son vélo et son uniforme de facteur. La grande surprise a également été la découverte du suivi des travaux par des passionnés du patrimoine ferroviaire, auteurs de comptes rendus détaillés sur un site internet. L’inauguration a eu lieu le 14 décembre 2012. Un public nombreux s’est déplacé pour assister à une présentation des travaux et profiter d’une exposition de photographies sur la BB n° 2 et sa restauration (fig. 10, 11).
Fig. 10
Pamiers (Ariège), locomotive BB n° 2, inauguration de la locomotive restaurée
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
Fig. 11
Pamiers (Ariège), locomotive BB n° 2 sur son site
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
43Pendant les travaux de restauration de la locomotive étaient lancées les deuxième et troisième tranches du projet : le sentier d’interprétation du patrimoine industriel et la restauration du pilon.
- 18 - L’interprétation est un mode de mise en valeur développé au sein des grands parcs naturels et thé (...)
44Le sentier d’interprétation a pour but de mettre en valeur les connaissances issues de l’inventaire, le patrimoine industriel et les canaux. L’interprétation est rapidement apparue comme mode de valorisation le plus adéquat18 : les vestiges, ténus, ne permettaient pas de restauration mais présentaient un intérêt suffisant pour être montrés et expliqués.
45Ainsi, un parcours longeant les canaux a été mis en place avec huit stations permettant d’évoquer les canaux, le travail du cuir, les moulins, la locomotive, l’usine métallurgique, les foulons… (fig. 12).
Fig. 12
Pamiers (Ariège), sentier d’interprétation du patrimoine industriel, plan du parcours
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
46Tous les textes ont été produits en interne avec constitution d’un comité de pilotage pour la validation des contenus. Ce comité était constitué d’élus, des services de la communauté de communes, d’historiens locaux, de représentants d’associations de valorisation du patrimoine et de sociétés savantes, de membres de l’office du tourisme, du CAUE, de la DRAC, de chercheurs de l’Inventaire général de la région Midi-Pyrénées et de l’architecte des bâtiments de France.
- 19 - Le bureau d’études retenu a été Au fil du Temps, basé à Cadouin (Dordogne). Les mobiliers ont été (...)
47Un bureau d’étude a été recruté pour concevoir le design général des mobiliers et des panneaux19. Inspirés de vieilles photos ou de plans, des dessins ont été réalisés afin d’apporter un visuel ludique mais réaliste. Le comité de pilotage a validé toutes les étapes de présentation des panneaux et des lutrins. Les mobiliers ont été fabriqués en acier afin de rappeler la thématique de la métallurgie (fig. 13).
Fig. 13
Pamiers (Ariège), sentier d’interprétation du patrimoine industriel, ensemble des lutrins
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
48La station consacrée à la locomotive a fait l’objet d’un soin particulier : la découpe de la partie supérieure du mobilier suit la forme de la locomotive et les pieds simulent des traverses de chemin de fer (fig. 14).
Fig. 14
Pamiers (Ariège), sentier d’interprétation du patrimoine industriel, panneau d’interprétation de la locomotive sur site
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
49Les illustrations ont pris soin de replacer la machine dans la ville sur son parcours journalier (fig. 15). Des jeux, constitués de cubes, rappellent les nombreuses interactions avec les habitants et les anecdotes qui ont émergé lors de la phase de travail.
Fig. 15
Pamiers (Ariège), sentier d’interprétation du patrimoine industriel, dessin du panneau représentant la locomotive sur son parcours, au carrefour de Lestang
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
50Le profil de la BB n° 2 a également été choisi comme symbole du sentier et fil conducteur. Des découpes en acier Corten et des clous directionnels à son effigie ont complété la signalétique.
51Le sentier d’interprétation du patrimoine industriel a été inauguré le 30 août 2013.
52En 2011, l’usine Aubert et Duval a pris contact avec la communauté de communes pour faire don d’un marteau-pilon. Les commissions en charge du projet ont été enthousiastes car une machine de forge apportait une plus-value au sentier.
53Dans la mémoire des habitants, les pilons sont l’incarnation même de l’usine. Par leurs coups répétés qui résonnent partout dans le centre ancien, ils rythment la vie quotidienne. Aujourd’hui, les pilons ne frappent plus la nuit mais auparavant, les coups retentissaient nuit et jour ; les silences soudains entraînaient doutes et angoisses, jetant les habitants dans la rue en attente de nouvelles. Les silences signifiaient au mieux la casse, au pire un accident… La mise en valeur de cette machine-outil, cœur battant de la ville, se révèle alors aussi importante que celle de la locomotive.
- 20 - RAVEUX, Olivier. Le marteau-pilon : mise au point et répercussions d’une innovation dans la forge (...)
54Les anciennes machines-outils sont rares car le renouvèlement est très rapide dans les usines avec, la plupart du temps, un reconditionnement sur place des matériaux. C’est pourquoi celles qui nous parviennent sont aujourd’hui précieuses pour le témoignage qu’elles nous apportent sur l’histoire des techniques. Les marteaux-pilons sont des machines-outils utilisées pour produire des biens métallurgiques. Ils sont inventés en 1841 par François Bourdon pour l’usine Schneider du Creusot selon un procédé simple : un marteau est soulevé grâce à l’action de la vapeur et retombe par son propre poids. On le nommera alors marteau-pilon à simple-effet20. Il repose sur une chabotte, bloc d’acier placé dans le sol permettant de soutenir, maintenir et amortir les coups du marteau. À partir de ce principe de base, des innovations vont voir le jour : pour les pilons à simple effet, la vapeur va être remplacée par l’air comprimé et des pilons à double effet vont être créés, la masse retombant grâce à son poids et à une poussée d’air comprimé.
55Le marteau-pilon donné par Aubert et Duval avait été étudié dans son atelier lors de l’étude d’inventaire (fig. 16).
Fig. 16
Pamiers (Ariège), marteau-pilon sur site dans l’atelier d’estampage de l’usine
J. Bonhôte © Inventaire général Région Occitanie
- 21 - Toutes les informations concernant la taille et le poids du pilon proviennent du plan dressé par (...)
56Il s’agit d’un pilon 13 tonnes à simple-effet de marque Eumuco, entreprise allemande. La dénomination « 13 tonnes » ne renvoie pas à son poids global mais au poids de la masse tombante. Il mesure 9,30 m de haut pour la partie au-dessus du sol et 5 m en fondation constituée de plusieurs lits de bois. Il pèse environ 80 tonnes et 238 tonnes pour la seule chabotte21, pour un poids total de 318 tonnes. Il était placé dans l’atelier Forge-Estampage de l’usine.
- 22 - Un tableau de 1977 conservé dans une boîte d’archives listant les caractéristiques des pilons à s (...)
57Arrivé à l’usine de forge de Pamiers en 195222, il n’a pas été spécifiquement créé pour cette usine. En effet, en 1934, les établissements Lemoine installés à Ivry-sur-Seine dresse un plan du pilon. On ignore s’il est acheté neuf ou d’occasion auprès de l’entreprise Eumuco. Dans les années 1930, les établissements Lemoine et l’usine métallurgique de Pamiers sont repris par la société Commentry-Fourchambault Decazeville. Ainsi le matériel circule entre les différents établissements du groupe.
58Sur le plan, il est indiqué que les premiers « ajout de côtes de montage » ont lieu en 1951 en vue de son implantation à Pamiers. Le 29 mars 1952, les cotes « sont rectifiées suivant montage sur place » ; il est donc déjà installé dans l’usine.
- 23 - Toutes les informations dont nous disposons sur le pilon proviennent de plans (25Q) conservés par (...)
59Le pilon va connaître diverses réparations : en 1952, le cylindre et le chapeau sont remplacés ; en 1966, changement de la chabotte supérieure ; en 1973, réparation par Centrozap, à Katowice (Pologne) d’un jambage avec Huta Zygmunt pour les contrôles ; en 1975 et 1976, remplacement de la chabotte intermédiaire ; en 1977, reprise des soudures de la chabotte supérieure par la Soudure Autogène Française ; en 1986, chabotte intermédiaire refaite en acier moulé et en 1997, à nouveau réparation de la chabotte23.
60Au vu de toutes ces interventions, il semblerait que seul le jambage portant encore la marque EUMUCO soit d’origine et soit antérieur à 1934 (fig. 17). Les autres éléments ont été ou simplement réparés (2e jambage) ou remplacés au fur et à mesure de la fragilisation des pièces due à l’énergie développée par les frappes répétées.
Fig. 17
Pamiers (Ariège), marteau-pilon, marteau-pilon sur site dans l’atelier d’estampage de l’usine, détail du jambage avec la marque EUMUCO
J. Bonhôte © Inventaire général Région Occitanie
61Démonté, il était stocké dans un hangar de l’usine en attente de récupération. Il a été déplacé le 31 janvier 2011 vers les ateliers d’une entreprise de travaux publics sur Pamiers où les pièces devaient être sablées et repeintes (fig. 18 à 20). Lors du sablage, nous avons constaté que la machine-outil avait été repeinte à plusieurs reprises sans que nous puissions établir de façon certaine la couleur d’origine. Le choix s’est donc porté sur la couleur bronze.
Fig. 18
Pamiers (Ariège), marteau-pilon, vue du cylindre et des deux jambages
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
Fig. 19
Pamiers (Ariège), marteau-pilon, outillage : demi-matrice, côté assemblage
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
Fig. 20
Pamiers (Ariège), marteau-pilon, outillage : demi-matrice, coté gravure
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
62Le débat le plus important a porté sur le site d’implantation. La première proposition plaçait le pilon sur le sentier, le long des canaux, à proximité de la locomotive. Cependant, malgré l’intérêt que présente la proximité de l’usine et des panneaux d’interprétation, les contraintes logistiques du projet étaient trop importantes. Une machine de ce poids nécessitait des fondations trop lourdes pour le sol peu stable des berges des canaux. La deuxième proposition, plus classique, le plaçait sur un rond-point de l’entrée nord de la ville. Mais sa position hors agglomération, sur une route départementale, ne permettait pas d’obtenir les autorisations nécessaires. Finalement, la troisième proposition a été retenue, en bordure de l’accès à l’entrée nord. Ce choix par défaut démontre la difficulté de valoriser des objets industriels, lourds et imposants, sans les couper de leur environnement patrimonial. Le positionnement du marteau-pilon en entrée de ville fait de lui un symbole, un signal d’appel. Mais le site interdit toute mise en valeur par une signalétique touristique. C’est pourquoi la station du sentier dédiée à l’usine porte un dessin représentant l’atelier d’estampage où ce pilon est représenté et expliqué (fig. 21).
Fig. 21
Pamiers (Ariège), marteau-pilon, dessin du panneau d’interprétation de l’usine représentant l’atelier d’estampage
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
63En 2013, une fois le site d’implantation retenu et les autorisations obtenues, les sondages géotechniques ont pu commencer. Ils ont été complétés par une étude de structure qui a permis de définir les plans de fondation. Devant la complexité du dossier, l’aide d’un ancien ingénieur de l’usine, M. Bernard Charrié, a été sollicitée. Il a produit l’ensemble des plans de remontage et a suivi les travaux sur site aux côtés des services techniques de la communauté de communes.
64Le 24 avril 2014, le marteau-pilon était remonté et fixé sur son socle à l’entrée de la ville comme témoin de l’activité métallurgique passée et à venir, ancien cœur battant de la ville (fig. 22). Cet événement marque également la fin de ce projet de valorisation du patrimoine industriel.
Fig. 22
Pamiers (Ariège), marteau-pilon, après remontage
A. Guéguen © communauté de communes des Portes d’Ariège Pyrénées
65Aujourd’hui, le sentier est régulièrement emprunté par des visiteurs et des enfants des établissements scolaires qui découvrent ainsi la riche histoire industrielle de la ville. Un projet d’enquête ethnographique auprès des anciens ouvriers de l’usine est également à l’étude pour venir compléter les connaissances et surtout conserver la mémoire de pratiques et de savoir-faire aux mutations très rapides dans ces domaines.