1L’article qui suit souligne la richesse et l’intérêt du secteur du Biterrois (Hérault) en matière de châteaux. Il souligne l’évolution des édifices pour la période de la Renaissance et celle du XVIIe siècle. Deux exemples significatifs sont mis en avant : le château de Ribaute (commune de Lieuran-les-Béziers) et celui de Perdiguier (commune de Maraussan). Ces deux édifices majeurs pour le territoire situé en marge nord et ouest de la ville de Béziers, font l’objet d’une nouvelle approche descriptive détaillée. Cette approche prend en compte, leur histoire, leur évolution chronologique, ainsi que la présence d’éléments d’exception, révélant ainsi leur intérêt. Le lecteur pourra découvrir dans cet article les caractéristiques de ces deux édifices, l’aspect unique d’une de leurs cages d’escaliers, la présence d’une ornementation intérieure de décors peints et de plafonds totalement inédits, ainsi que celle d’anciens jardins d’agréments, dévoilés par les sources d’archives.
2Un processus de modernisation des châteaux semble s’amorcer dans le Biterrois à partir de la fin du XVe siècle, représenté par des exemples situés sur la commune de Béziers, les châteaux de Lirou, la Courtade ou Clairac (château détruit) (fig. 1 à 4), on peut rajouter celui du Thou (Sauvian). Il est révélateur d’une rupture fonctionnelle par rapport à la période précédente du Moyen Âge. Un nouveau type de château à vocation résidentielle apparaît, qui se caractérise par des bâtiments généralement sur plan rectangulaire, ajourés en façade principale par une série de fenêtres à croisées. Une tourelle hors œuvre comprenant une vis d’escalier dessert les niveaux d’habitation. Cette typologie semble reproduire, extramuros de la ville de Béziers, la configuration de certains hôtels particuliers. Le cas de Lirou reste le cas le plus remarquable de cette série de petits châteaux, ou métairies nobles, comprenant pour cet exemple un corps de bâtiment central flanqué latéralement d’échauguettes.
Fig 1
Béziers (Hérault), le château de Lirou situé dans la plaine de l’Orb à Béziers
© F. Mazeran
Fig. 2
Béziers (Hérault), l’ancien château de Clairac vers 1900, avant sa destruction, photographie ancienne
F. Mazeran © collection particulière
Fig. 3
Sauvian(Hérault), la métairie noble du Thou
© F. Mazeran
Fig. 4
Béziers (Hérault), la métairie noble de la Courtade
© F. Mazeran
- 1 - Il se peut que la baisse démographique connue par la région depuis le milieu du XIVe siècle ait d (...)
3À la même période, à la charnière des XVe et XVIe siècles, apparaissent d’autres exemples beaucoup plus élaborés, adaptés non plus à des bâtiments isolés, mais à des châteaux situés en cœur de village1. C’est le cas du château neuf de Roujan qui dispose de quatre ailes en périphérie d’une cour centrale. Ces ailes sont ajourées de nombreuses fenêtres à croisées, dont certaines sont à cadres moulurés (fig. 5 et 6). Une de ces ailes se trouve également dotée d’une tourelle hors œuvre de vis d’escalier. À cet exemple, il faudrait ajouter la partie moderne du château d’Alignan du Vent, dont la réalisation au XVe siècle, aujourd’hui détruite, reproduit en partie cette configuration.
Fig. 5
Roujan (Hérault), le château neuf, état du château aux environs de 1900
F. Mazeran © coll. particulière
Fig. 6
Roujan (Hérault), château neuf, détail du portail d’accès à la vis d’escalier
© F. Mazeran
4L’évolution de ce type d’architecture est marquée ensuite par un basculement de l’architecture vers de nouveaux modèles propres à la Renaissance. Le château de Margon au nord du Biterrois (fig. 7 et 8), en est le principal exemple, édifié vers 1520. L’édifice, situé sur l’emplacement d’un bâtiment plus ancien, reproduit la volumétrie médiévale d’un château à multiples tours épaulant un logis central. Obéissant cependant à une modernité pour ses aménagements intérieurs, il comprend de grandes salles plafonnées, ajourées de fenêtres à croisées, et dispose de salles et de chambres d’apparat, ainsi que d’un cabinet à l’intérieur d’une tour. Ce château à vocation résidentielle est magnifié par une grande vis orientée côté cour d’Honneur. Tourné aussi vers la modernité en termes de défense, il se dote d’une série de bouches à feux situées à la base de ses tours.
Fig. 7
Margon (Hérault), château, vue générale côté jardins
© F. Mazeran
Fig. 8
Margon (Hérault), château, détail d’une fenêtre à croisée située côté cour
© F. Mazeran
5La période de la Renaissance va donc marquer un tournant pour l’architecture des châteaux, qui adoptent de nouvelles formes, lesquelles se traduisent par de nouveaux plans. Cette évolution prend appui le plus souvent sur des publications ou des traités d’architecture accompagnés d’estampes2. De nouveaux modèles sont mis en avant par des architectes de renom, notamment Androuet du Cerceau ou Philibert de Lorme. Leurs traités vont permettre une diffusion d’un nouveau type d’architecture agrémentée d’une ornementation propre au style de la Renaissance.
- 3 3 - BABELON.
- 4 4 - ANDOQUE. Cet ouvrage mentionne à différentes époques l’état du château de Lignan. Il indique l’ (...)
6Le midi de la France, dont l’Occitanie, est alors le foyer de nouveaux projets axés sur cette modernité. Des villes comme Toulouse, se distinguent par la qualité de certains projets, le plus souvent civils, réalisés durant la première moitié du XVIe siècle (Hôtel d’Assézat, Hôtel de Bagis, Hôtel de Bernuys). Certaines autres villes, notamment Béziers, sont également l’objet de projets novateurs, mais plus tardifs, réalisés dans le dernier quart du XVIe siècle, comme les Hôtels de la Merci ou de Graulhe. Cette diffusion d’un nouveau type d’architecture3 va s’appliquer plus particulièrement aux châteaux, dont les plus beaux exemples en Occitanie sont représentés à Assier (Lot) vers 1535, Grammont (Tarn et Garonne) entre 1535 et 1545, Bournazel (Aveyron), aile de 1545, Saint-Jory (Haute Garonne) avant 1545, Genevrières (Lot) du milieu du XVIe siècle jusqu’à 1585, Ferrières, Mailhoc Roquevidal (Tarn). Pour le bas Languedoc, on soulignera des exemples tout aussi remarquables situés à Marsillargues pour le milieu du XVIe siècle (Hérault), ou pour le département de l’Aude à Couiza entre 1540 et 1550, Sallèles-d’Aude vers 1540 ou Ferrals (commune de Saint-Papoul) après 15644.
7Pour la partie ouest du département de l’Hérault et le secteur du Biterrois, on note la présence de plusieurs châteaux intéressants. Ces édifices ont été élevés majoritairement durant le dernier quart du XVIe siècle ou au tout début du XVIIe siècle, au pied des avant-monts, au Poujol-sur-Orb, à Colombières-sur-Orb, à Hérépian, à la Bastide (commune de Bédarieux), ou dans la plaine du Biterrois à Fos, à Saint-Geniès de Fontedit (fig. 9 à 11), à Puissalicon, à Murviel-les-Béziers, à Perdiguier (commune de Maraussan), à Ribaute (commune de Lieuran-les-Béziers) ou à Preignes le Vieux (commune de Vias). Ces châteaux sont liés à la présence de grands personnages (les Caylus, Puimisson, Saint-Geniès, Caylar d’Espondeilhan, Carrion Nizas, Turc, Marion) pour ne citer que les plus connus.
Fig. 9
Saint-Geniès de Fontédit (Hérault), château, vue de l’aile côté cour
© F. Mazeran
Fig. 10
Saint-Geniès de Fontédit (Hérault), château, détails de décors peints de la fin de la Renaissance retrouvés à l’intérieur de l’ancien cabinet de la tour nord-ouest, Neptune sur son char
© F. Mazeran
Fig. 11
Saint-Geniès de Fontédit (Hérault), château, détails des décors peints de la fin de la Renaissance retrouvés à l’intérieur de l’ancien cabinet de la tour nord-ouest, représentations féminines
© F. Mazeran
8Bon nombre de ces châteaux, notamment en Biterrois, sont gravement endommagés ou parfois détruits durant les guerres de Religion qui frappent l’Occitanie dans la seconde moitié du XVIe siècle. Ils feront par la suite l’objet d’une reconstruction partielle, parfois totale à partir de la fin du XVIe siècle et durant la première moitié du XVIIe siècle. Ce phénomène permet la réorganisation spatiale des châteaux au cœur des bourgs, avec parfois une refonte complète des bâtis préexistants et leur modernisation. Il est particulièrement présent dans le secteur allant du Biterrois aux Avant-Monts. Aux exemples déjà cités de Saint-Geniès de Fontedit, de Puissalicon, de Murviel-les-Béziers, de Perdiguier, de Ribaute ou de Preignes le Vieux, s’ajoutent pour la plaine du Biterrois les châteaux de Sauvian, celui de Colombiers, de Savignac-le-Haut (Commune de Cazouls-les-Béziers), de Pailhès, de Ribaute en 1574 (commune de Lieuran-les Béziers), de Murviel-les Béziers (fig. 12), de Puissalicon (fig. 13 et 14), de Cazilhac (commune de Pouzolles), de Laurens, de Neffiès, de Fos.
Fig. 12
Murviel-les-Béziers (Hérault), façade du château côté cour
© F. Mazeran
Fig. 13
Puissalicon (Hérault), vue du château
© F. Mazeran
Fig. 14
Puissalicon (Hérault), château, essai de restitution à la fin du XVIe siècle
dessin © F. Mazeran
9Parmi ces châteaux, certains relèvent de biens ecclésiastiques. L’un d’entre eux, celui de Lignan (ancienne résidence des évêques de Béziers), est durement frappé et incendié par les huguenots5 (fig. 15). Il va s’en suivre sa reconstruction complète avec l’apparition d’un nouveau bâtiment dont le plan va se caractériser par un corps central flanqué de tours latérales surmontées de dômes à l’impériale. Ce château dont le maître d’œuvre nous est inconnu, va se doter d’un nouveau jardin d’agrément au-devant de la façade principale.
10On note aussi parfois, pour certains châteaux maintenus au cœur des villages du Biterrois, la conservation de parties médiévales importantes (anciennes tours-donjon, ailes médiévales, parties d’enceintes), qui vont se trouver intégrées aux parties reconstruites. Les autres châteaux, en l’absence d’une vocation résidentielle, subiront peu de transformations, soit du fait de leur abandon, soit de leur isolement, conservant ainsi leur caractéristique médiévale. C’est notamment le cas des tours et castra ruinés des Avant-Monts, avec les exemples des châteaux de Cabrerolles, de Caussiniojouls, des tours de Vieussan ou de Montady dans la plaine du Biterrois.
Fig. 15
Lignan-sur-Orb (Hérault), château des Évêques avant restauration, façade principale
© F. Mazeran
11Le château de Ribaute se situe à 5 km au nord de Béziers le long de la route départementale 15 menant à Roujan. L’édifice, inscrit à l’Inventaire des monuments historiques depuis le 31 octobre 1997, présente une silhouette élancée qui se détache en premier plan d’un massif arboré (fig. 16 et 17). Il peut être considéré comme un des plus beaux châteaux situés en périphérie de Béziers. S’il doit sa notoriété à la partie édifiée à la fin du XVIe siècle, correspondant à la partie centrale de l’aile sud-ouest, il conserve encore une partie médiévale remaniée, soulignant son origine ancienne.
Fig. 16
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, vues générale côté sud
© F. Mazeran
Fig. 17
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, côté ouest
© F. Mazeran
12Une origine gallo-romaine du site s’avère probable si l’on en juge par les découvertes faites jadis aux abords du château, notamment au tènement dit du champ de l’église. Le lieu a permis en effet la mise au jour de nombreux fragments de dolia, de tegulae, d’enduits peints, d’éléments en marbre et des briquettes de sols6. On peut supposer la présence d’une villa antique sur le site de Ribaute.
- 7 - Mention de Ripa alta prope Biterris, archives municipales de Pézenas, A/7/4/15 f° 36 v°, cahier a (...)
- 8 - AZAÏS, p. 200.
13Les archives anciennes concernant Ribaute, sont perdues. Les sources antérieures au XVe siècle sont peu nombreuses. Tout juste peut-on citer les registres de l’imposition royale indiquant en 1304 la présence de 13 feux pour le hameau de Ribaute (soit environ une soixantaine d’habitants) alors qu’il n’en comptait plus que 5 en 1702, ou la mention en 1344 de Ripa Alta propre Biterris7. Pour la période de la fin du Moyen Âge, une source fondamentale nous indique qu’en octobre 1483, la dame de Levis, comtesse de Florensac, donne au couvent des Minorettes de Béziers la seigneurie de Ribaute « pour que le produit des tasques, usages et richesses serve à entretenir les deux chapelains chargés du service de leur monastère ». Les habitants du hameau de Ribaute ne pouvant souffrir d’être sous la domination de religieuses, transigèrent avec elles et donnèrent la somme de 380 livres tournois afin d’acheter avec cette somme des terres suffisantes pour entretenir l’ordinaire des deux religieux8.
- 9 - Parchemin du 14 mai 1565 (0,59 x 0,60 m), collection particulière de Jacques Nougaret ; la transc (...)
- 10 - Archives de la Famille de Montal, propriétaires de Ribaute aux XIXe et XXe siècles, notice et arc (...)
14À partir du XVIe siècle le château et les terres qui l’environnent sont mentionnés comme appartenant au chapitre de l’abbaye de Saint-Aphrodise de Béziers. Un parchemin du 14 mai 1565, détenu dans une collection privée9, indique la vente de Ribaute. Cette vente survient à la suite de la prise et du sac de Béziers en 1562 par les huguenots, le produit de la vente étant destiné à alimenter le trésor public afin de ramener l’ordre et la paix dans le royaume. François de Turc est alors acquéreur du domaine et devient le nouveau seigneur de Ribaute. C’est lui qui semble être à l’initiative des principales transformations ou modifications qui vont être apportées au château (création de la cage d’escalier et de la façade sur cour), ensemble daté ou attribuable à la campagne de travaux de 1574. Un édit du roi Henri IV, de 1606, autorisant les ecclésiastiques à recouvrer leurs biens temporels par eux aliénés en remboursant les acquéreurs, les religieux de Saint-Aphrodise revendiquent par la suite à nouveau Ribaute au détriment de François de Turc10.
- 11 - Fonds Rives (collection privée). Compoix de Ribaute de 1728 (collection privée).
15Le château est mis en vente en 1613 et la seigneurie est acquise en 1614 par Gabriel de Lenoir (conseiller du Roi, lieutenant au siège Présidial de Béziers et ancien capitaine au Régiment Royal). La seigneurie est achetée pour 1100 livres, comportant les droits de haute, moyenne et basse justice. Le château est mentionné à cette période comme en partie ruiné, sans planchers ni portes ni fenêtres11. C’est durant cette période qu’est encore signalée, à proximité du château, une ancienne maison ruinée ayant servi autrefois de prison.
- 12 - Le compoix de Ribaute daté de 1728 mentionne ainsi Messire François Louis de Lenoir, baron de Rib (...)
- 13 - Monsieur de Rives était Intendant des Gabelles du Languedoc et Grand Voyer de France.
16Le bien reste en possession des Lenoir dans la première moitié du XVIIIe siècle, comme l’indique une des armoiries présente dans le château12, mais il passe en 1749 à la famille de Rives13, puis, par mariage à celle de Montal à partir de 1803.
17Ribaute est la propriété des Montal durant les XIXe et XXe siècles. Les travaux sont menés sur le château à la fin du XIXe siècle : extension d’une aile au nord-est, réalisation de la nouvelle église, réaménagement du parc au nord du château. Durant les années 1930 le parc du château est le siège de courses hippiques de grande notoriété dans le Biterrois.
18Le château, le domaine et les terres qui l’environnent, ont été vendus par la Safer au début des années 2000. Les bâtiments, le château ainsi qu’une partie des communs, seront achetés par de nouveaux propriétaires, M. et Mme Thiébaut, aujourd’hui toujours en possession des lieux.
19Le domaine de Ribaute comprend le château, les communs et ce qui s’apparentait depuis le Moyen Âge à un hameau (fig. 18 à 20). Le plan cadastral Napoléonien de 1829 nous montre que l’ensemble était établi linéairement de part et d’autre d’un chemin permettant l’accès au site, chemin en lien avec un passage à gué autrefois situé sur le Libron.
Fig. 18
Plan aquarellé - 1770 (2,00 x 0,80m env.) représentant la vallée du Libron, entre Boujan et Ribaute intitulé : « Plan géométrique et figuratif des pièces de terres, sentiers, chemins et ruisseaux aux environs des métairies dites de la Médaille, Sagnes, du château d’Hortes, du château d’Arnoye, de St-Marcel et de Boujan » (collection privée)
© F. Mazeran
Fig. 19
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, extrait du plan de la terre de Ribaute, 1774, collection privée
© F. Mazeran
Fig. 20
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, plan cadastral Napoléonien du château et du domaine
© AD Hérault, 148 EDT 44
20La comparaison de cet état du XIXe siècle avec l’état de 1774 et l’état actuel, souligne la disparition de nombreux éléments bâtis, notamment au sud de la cour du château. Un accès secondaire au domaine, en venant côté sud se faisait entre une série de bâtiments aujourd’hui soit modifiés soit détruits. On note qu’un des plans des archives de la famille de Montal (fig. 19) signale ainsi la présence d’un bâtiment ruiné dit « ancienne prison » qui devait faire partie de ces éléments disparus. La nature et l’implantation des communs anciens ne nous sont pas connus. Tout juste est-il signalé par certains textes l’existence d’une église ancienne formant paroisse, et édifice desservant l’ensemble des hameaux environnants à Ribaute, et celle d’un four à pain propriété du seigneur des lieux. Le domaine médiéval puis postérieur au Moyen Âge devait comprendre une série de communs en lien avec l’activité et les revenus agricoles du lieu, mais aussi des écuries, pressoir à olives, chais… Les nombreuses transformations opérées durant la seconde moitié du XIXe siècle, ou plus tardivement ont ainsi modifiées l’organisation du site.
21L’examen parcellaire du cadastre Napoléonien révèle l’existence d’un parc au nord du château attenant au domaine. Ce parc intègre une série de jardins. Parmi les pièces de terres apparaissant sur le cadastre, on note la présence d’une grande parcelle de forme carrée délimitée par de vastes allées. L’état tardif du plan de 1829 figure l’emprise de l’ancien jardin du château, maintenue depuis le XVIIIe siècle. Ce plan révèle enfin le fonctionnement hydraulique en place, comprenant un puits à roue (noria ?) permettant l’alimentation en eau d’un grand fossé bordant les jardins (Ravin du Puits).
22Le château de Ribaute présente une silhouette particulière que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Languedoc. Cette silhouette effilée se trouve magnifiée par deux tourelles d’angle, dont une en forme d’échauguette, qui flanquent le haut volume central - tour escalier - coiffé d’une charpente à forte pente. Le château, en approche directe, marque ainsi le paysage du vignoble environnant Ribaute en bordure de la vallée du Libron. Le lieu (privé et non visitable) peut s’apprécier du bord de la route reliant Béziers à Roujan.
23Au Moyen Âge, Ribaute se caractérisait par une bâtisse de plan rectangulaire, à laquelle, on peut supposer que devait être adossée une tour. De cette partie la plus ancienne du château, il subsiste la façade sud, présentant encore au niveau du premier étage et de l’ancienne salle d’apparat, une fenêtre géminée murée d’époque médiévale (fig. 21, 22). Cette fenêtre était complétée à l’origine d’une seconde ouverture identique, dont on perçoit encore l’amorce aujourd’hui dissimulée par la partie du château réalisée à la fin de la Renaissance. L’examen de la fenêtre géminée encore en place, et notamment de la corbeille de son chapiteau, permet de dater ce couple de fenêtres, du XIIIe siècle.
Fig. 21
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, vue de la façade sud de l’aile sud-est
© F. Mazeran
Fig. 22
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, restitution de la fenêtre géminée du XIIIe siècle apparaissant en négatif sur la façade sud
© F. Mazeran
24On note également, en partie basse de cette même façade, la présence d’un portail cintré à grands claveaux, contemporain à ces deux ouvertures (fig. 23). Les autres parties du bâtiment n’ayant pas pu être visitées, on ne sait si d’autres parties médiévales sont susceptibles encore d’exister.
Fig. 23
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, restitution de l’ancien portail médiéval de la façade sud bouché en 1761 lors des travaux de réaménagement intérieur du rez-de-chaussée lancés par M. de Rives
© F. Mazeran
25Le château de Ribaute doit sa notoriété à la partie édifiée à la fin du XVIe siècle. Elle correspond à l’aile sud-ouest et marque la reconstruction du bâtiment avec sa refonte complète dans le cadre d’un projet dont le maître d’œuvre reste inconnu. Son commanditaire ne peut être que François de Turc si l’on en juge par la date de 1574 conservée dans l’escalier, et l’acquisition de la seigneurie et du château par cet illustre personnage en 1565 (fig. 24).
Fig. 24
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, clé de voûte du rez-de-chaussée datée 1574
© F. Mazeran
26On ne saura jamais si l’œuvre prévue au départ est aboutie ou si elle reste inachevée dans sa conception. La belle unité de la cage d’escalier et de la façade côté cour semble en revanche indéniable et contemporaine pour ces deux éléments. La partie sud de cette aile attenante à la cage d’escalier, mitoyenne d’une tourelle en forme d’échauguette sur contrefort, est probablement elle aussi ancienne, même si elle présente un certain nombre de modifications ultérieures en façade, notamment pour ses ouvertures. On note à l’examen des parties hautes de la façade de cage d’escalier côté cour et de la façade sud de cette même aile, la présence d’un élément de merlon décoratif situé à l’aplomb d’une corniche de forme torique. Tout laisse supposer pour cette partie, la présence à l’origine d’un couronnement ostentatoire, soit inachevé, soit détruit à une époque indéterminée.
27On retiendra de l’intérêt de cette aile sud-est, la modénature rare de l’aile de la cage d’escalier donnant sur cour (fig. 25). Sa façade élevée sur quatre niveaux présente une partition en trois fenêtres à chaque niveau, en dehors de celui du rez-de-chaussée où se situe le portail (fig. 26).
Fig. 25
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, vue générale des ailes sud-est et sud-ouest, côté cour
© F. Mazeran
Fig. 26
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, façade est donnant sur l’ancienne Cour d’Honneur, détail du portail armorié du rez-de-chaussée
© S. Sotos
28Les fenêtres du premier étage sont à demi-croisée avec moulures périphériques disposant de crossettes et sont surmontées d’une corniche avec entablement. Par dégressivité, les fenêtres des deux niveaux supérieurs sont moins hautes, disposant soit de linteaux droits moulurés ou d’arcatures cintrées moulurées. La façade bien ordonnancée et sans équivalent sur les autres châteaux de la région, se trouve magnifiée à son quatrième niveau par trois fenêtres en formes de lucarnes, surmontées de frontons brisés (fig. 27).
Fig. 27
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, vue de la façade est donnant sur l’ancienne Cour d’Honneur
© F. Mazeran
29Chacune de ces fenêtres dispose de sculptures aux traits naïfs, alternant des personnages masculins et féminins (fig. 28 et 29). Les sculptures en ronde bosse représentent des atlantes et cariatides engainés. En partie latérale de cette façade et au niveau du deuxième étage se trouve une ancienne porte donnant sur le vide et en partie murée. Cette porte cintrée donnait autrefois sur une galerie avec parapet crénelé sur encorbellement qui ceinturait une petite Cour d’Honneur au-devant de la façade. Cette cour était autrefois accessible par un grand portail situé dans l’alignement de la seconde petite tour. Ce portail (disposant peut-être d’une bretèche), présentait à l’origine une armoirie. Les archives de la famille de Montal14 signalent l’existence de ce haut mur clôturant auparavant la cour.
Fig. 28
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, façade est, une des fenêtres en forme de lucarne
© F. Mazeran
Fig. 29
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, façade est, détail d’une des fenêtres en forme de lucarne : un turc
© S. Sotos
30Le château de Ribaute possède la plus remarquable cage d’escalier du Biterrois. Cette cage élevée à la fin de la Renaissance remonte à 1574, comme l’indique la date apposée au-dessous d’une des voûtes du rez-de-chaussée. L’escalier répond à la typologie des escaliers dits « rampe sur rampe ». Il comprend quatre niveaux qu’il dessert au rez-de-chaussée en lien avec le portail d’accès extérieur, celui du premier étage en direction des salles d’apparats, celui du second étage vers des pièces secondaires, et le troisième étage ainsi qu’un niveau d’accès sous comble.
31L’escalier de Ribaute doit sa notoriété à la typologie de ses voûtes situées à l’aplomb des paliers d’étages ou des paliers intermédiaires. Il se caractérise par une alternance successive de voûtes sur coupoles plates, de voûtes sur coupoles sphériques retombant sur pendentifs, de voûtes d’arêtes et de voûtes en berceaux (fig. 30 et 31). Chaque palier se trouve matérialisé par deux travées séparées par un arc retombant sur des pilastres. Chacune des travées est couverte, selon les cas, de coupoles ou de voûtes d’arêtes selon les niveaux. Le dernier niveau supportant le comble dispose de deux berceaux longitudinaux. On note aussi pour chacun des niveaux de cet escalier, la présence de pilastres surmontés de chapiteaux à ordre soit ionique, soit dorique, positionnés à l’amorce ou au débouché de chaque volée. Les arcs situés à l’aplomb des pilastres sont soit à profils en anse de panier au rez-de-chaussée, soit plein cintre aux étages. Ce qui peut donc caractériser l’escalier de Ribaute, c’est une hiérarchie ascensionnelle des volumes du bas de la cage vers sa partie haute, en matière de détails architecturaux (typologie des voûtes, portes à pilastres et frontons desservant les étages, pilastres avec chapiteaux, nature des arcs…). On note également pour les coupoles, l’emploi d’une stéréotomie parfaite et parfois complexe en terme d’appareil de pierre ou de conception.
Fig. 30
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, croquis schématique axonométrique
Dessin © F. Mazeran
Fig. 31
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, coupe schématique entre les niveaux du second et troisième étage
Dessin © F. Mazeran
32Par comparaison et analogies avec d’autres édifices, le maître d’œuvre (inconnu) de cet escalier, pourrait être intervenu sur deux autres cages d’escaliers d’hôtels particuliers à Béziers, à l’Hôtel Graulhe (impasse Lavabre) et à l’Hôtel Dardé (rue du 4 septembre). Ils présentent traits pour traits les mêmes détails architecturaux intérieurs et les mêmes types de coupoles qu’à Ribaute.
33La partie sommitale de la cage d’escalier, avec ses deux derniers niveaux, plus sobre, présente aussi un intérêt. Elle correspond à la partie inférieure au grand comble et à celle du comble proprement dit.
34L’ensemble présente une volumétrie en forme de tour barlongue surmontée d’une toiture à forte pente. C’est cette dernière partie qui est représentative de Ribaute et de sa silhouette. Le maître d’œuvre de la cage d’escalier semble avoir pris le parti de magnifier le château avec ce haut volume reproduisant la forme d’une tour-donjon.
35L’examen détaillé de ces deux derniers niveaux souligne un ancien état aujourd’hui disparu (fig. 32 à 36), comprenant autrefois une vis en forme de guette, qui permettait à l’origine de relier le dernier niveau de la cage d’escalier à l’ancienne terrasse délimitée autrefois par un parapet crénelé. Cet ensemble semble avoir été modifié au XVIIe siècle avec le rajout du haut comble charpenté. De l’ancien dispositif subsiste une partie de la vis (aujourd’hui découronnée) et autrefois couverte d’une coupole. De l’ancien parapet, il nous reste également un sur-épaississement, dernier témoin de la partie basse du crénelage. On note enfin dans les angles du comble la présence de piles en pierre de taille de formes monocylindriques couronnées également de cônes en pierres de taille. Ces quatre éléments probablement surhaussés de boules à l’origine, tendaient à reproduire des formes en échauguettes, à l’image d’un autre château, plus récent de quelques décennies que celui de Ribaute, celui de Viols en Laval situé au nord-est du département.
Fig. 32
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, escalier, vue générale ascendante
© F. Mazeran
Fig. 33
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, escalier, vue générale descendante
© F. Mazeran
Fig. 34
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, escalier, coupoles plates du rez-de-chaussée
© F. Mazeran
Fig. 35
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, escalier, coupoles sphériques retombant sur pendentifs du premier étage
© F. Mazeran
Fig. 36
Lieuran-les-Béziers (Hérault), château de Ribaute, escalier, voûtes d’arêtes du troisième étage
© F. Mazeran
36Le site de Ribaute a comporté autrefois une ancienne église paroissiale qui desservait non seulement le hameau situé à proximité du château, mais également les métairies avoisinantes de Sagnes et d’Hortes (commune de Béziers). Cette église dédiée à saint Julien et à sainte Basilisse devait remonter au Moyen Âge. Une visite pastorale de 1605, faite par l’évêque de Béziers Jean de Bonsy, précise que le prélat est reçu à cette occasion par les chanoines de Saint-Aphrodise et le curé de la paroisse, Antonin Vinte. L’édifice est alors signalé en mauvais état.
- 15 - Le compoix de 1728 indique la présence d’une église avec cimetière, sans que l’on puisse bien les (...)
37Où était-elle située ? Les archives restent muettes à ce sujet15. Tout au plus peut-on se référer au plan cadastral Napoléonien de 1829, ce dernier nous indiquant la présence d’une parcelle située au nord-ouest du domaine, dénommée « Champ de l’Église ». Elle localiserait ainsi l’emplacement du premier édifice de culte de Ribaute. L’église a été reconstruite au XVIIIe siècle, comme l’indiquent les archives des familles de Rives et de Montal. Elles précisent qu’une bénédiction de la nouvelle église est faite le 18 novembre 1781 en présence du seigneur du lieu, Jean-François de Rives. L’édifice se serait situé à l’extrémité nord du jardin. Le culte s’arrête à la Révolution et ne reprend par la suite que temporairement, la paroisse étant supprimée. La seconde église va faire l’objet de nombreuses réparations (également mentionnées dans les archives de Montal). Cependant, toujours considérée en mauvais état, elle est démolie, puis remplacée sur un nouveau site, par une simple chapelle privée. Ce troisième édifice à destination des nouveaux propriétaires de Ribaute, les Montal, est l’œuvre d’un architecte inconnu. Réalisé en style néo roman, il est achevé en 1864. C’est cet édifice que l’on peut encore aujourd’hui admirer en bordure de la cour d’honneur du château.
38Le château de Perdiguier situé dans la plaine de l’Orb à 5 km au nord-ouest de Béziers sur la commune de Maraussan, est un remarquable édifice, inscrit à l’Inventaire des monuments historiques depuis le 20 septembre 197216. D’origine médiévale, il est entièrement reconstruit en deux campagnes, à partir de la fin du XVIe siècle, puis durant la première décennie du XVIIe siècle. Archétype du château de plaisance, cet édifice de plaine et de type château-cour, reste unique en son genre.
Fig. 37
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, vue générale extérieure, côté ouest
© F. Mazeran
Fig. 38
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, vue générale extérieure, côté sud
© F. Mazeran
39Les sources concernant le château de Perdiguier sont rares pour la première partie du Moyen Âge. La première mention de son existence apparaît au XIIIe siècle sous l’appellation de « Bastide d’en Auger », probablement en lien avec le nom d’un de ses premiers propriétaires. Cette mention s’inscrit dans le cadre d’un échange de fiefs entre Auger d’Assignan (seigneur d’Assignan) et le roi Philippe le Bel ; les fiefs concernent le Biterrois et le territoire de Maraussan.
- 17 - AD Hérault, 148 EDT 44.
40Le nom actuel du château semble rattaché à Jean de Perdiguier, trésorier général de la province à Montpellier en 1378. Le château de cette période ne nous est pas connu ; cependant la base de sa partie centrale dite aujourd’hui du « Logis Vieux » pourrait correspondre à cette période. À partir du XVe siècle, le château est la propriété de Jean Tallepan ou Tailhepan, marchand de Montpellier17. Il passe ensuite aux mains d’Étienne Petit en 1449, trésorier général du Languedoc.
- 18 - Cf. fig. 7.
- 19 - Joseph de Lort mentionné seigneur de Perdiguier, de Sérignan, de Savignac et lieutenant des maréc (...)
41Sa transformation de tour médiévale en véritable château ne semble s’opérer qu’à partir de la fin du XVIe siècle, à la suite d’une première campagne portant sur le Logis Vieux (peut-être à partir de 1572 comme l’indique une date retrouvée gravée sur un linteau et présente sur le site). Les ailes délimitant la cour au-devant du Logis Vieux apparaissent durant une seconde campagne à partir du premier quart du XVIIe siècle. Entre le XVIe siècle et le XVIIe siècle, vont se succéder plusieurs propriétaires. En 1546, Pierre Plantavit de la Pause est mentionné comme seigneur de Perdiguier, de Villenouvette et de Margon18. Au XVIIe siècle, les Rouch d’Arnoye, issus d’une plus grande famille locale, sont propriétaires de Perdiguier. C’est à cette famille que l’on doit certainement la configuration du château actuel. Elle conserve le bien jusqu’en 1715, avant qu’il ne passe à une autre grande famille du Biterrois, les de Lort de Sérignan qui le possèdent en 172819.
42À la Révolution, cet imposant château ne semble pas laisser indifférent, puisqu’en 1793 le propriétaire du lieu est obligé de faire rabaisser les toitures et d’abattre la partie haute des tours.
- 20 - Mémonum-Médiathèque Montpellier 3M (Fonds de dessins de Jean-Marie Amelin - 1823 - cotes 1652RES_ (...)
- 21 - Le dernier commun en place a fait l’objet d’un réaménagement en chai viticole. Le château et le d (...)
43L’édifice est par la suite vendu comme bien national. Il passe ainsi entre les mains de différents propriétaires. De passage à Perdiguier, l’artiste Jean-Marie Amelin le représente par deux dessins en 182320. On note qu’à cette période le château conserve encore sa galerie de premier étage surmontant le mur d’accès à la cour d’honneur (fig. 39). Perdiguier subit peu de transformations à l’époque contemporaine. L’arrivée de la prospérité viticole en Biterrois entraîne cependant la disparition d’un des deux communs d’origine, situé au sud du château, et daté du premier quart du XVIIe siècle21.
Fig. 39
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, entrée du côté de l’avant-cour côté sud, avec à droite l’ancien pigeonnier (disparu), en arrière-plan dans l’axe, le portail d’accès à la Cour d’Honneur surmonté de la galerie (disparue), et en fond le château
dessin © F. Mazeran d’après un dessin de 1823 de Jean-Marie Amelin
44Perdiguier développe un ensemble d’ailes organisées autour d’une cour, rattachant cet édifice à la typologie des châteaux-cour, peu présents dans cette partie du Languedoc, que l’on retrouve cependant pour cette même période au château de Preignes le Vieux dans la plaine du Libron (commune de Vias) (fig. 40). La zone encore aujourd’hui inondable pose un problème d’interprétation sur l’état d’origine du bâtiment, dont la tour médiévale initiale devait être assez probablement bordée d’un fossé. Le château neuf qui va lui succéder, devait être aussi délimité par des douves.
Fig. 40
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, plan cadastral Napoléonien
© AD Hérault, 3P 3576
45Ce qui caractérise Perdiguier, c’est tout d’abord sa silhouette, déterminée par un ensemble d’ailes et de logis à combles à fortes pentes. L’aile principale, côté nord (Logis Vieux) domine nettement l’ensemble, reproduisant ainsi l’emplacement de l’ancien donjon d’origine. De nombreuses échauguettes - la plupart aujourd’hui en partie arasées - venaient magnifier et compléter l’intérêt des hauts volumes des toitures des trois logis.
46L’orientation nord-sud du château est à souligner. L’implantation du bâti semble avoir été conditionnée dès l’origine au Moyen Âge par un accès provenant du sud. La réorganisation de Perdiguier à partir de la fin du XVIe siècle et jusqu’au XVIIe siècle, va maintenir cet axe, déterminant une approche successive des bâtiments : l’arrivée au domaine se fait à travers les anciens communs, puis on pénètre dans une première avant cour située entre les communs et le château, et enfin vient l’arrivée dans la Cour d’Honneur (fig. 41). Un second axe orienté à l’ouest en direction du village de Maraussan, ne fut utilisé de façon privilégiée qu’à partir du XIXe siècle.
Fig. 41
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, entrée sud du côté du portail
© F. Mazeran
47Le degré d’importance des ailes du château, lié à leur fonction résidentielle, ne nous est plus connu puisqu’aucune documentation ancienne ou visite d’état des lieux n’a pu être retrouvée. Tout au plus peut-on reconnaître l’importance de la tour formant le Logis Vieux (fig. 42 et 43) avec sa salle du premier étage.
Fig. 42
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, façade sud du Logis Vieux côté Cour d’Honneur
© F. Mazeran
Fig. 43
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, façade nord du Logis Vieux
© F. Mazeran
48Le Logis oriental est magnifié côté cour par un degré d’escalier menant à une porte, autrefois surmontée d’une armoirie (fig. 44).
Fig. 44
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, façade ouest du Logis Est, côté Cour d’Honneur
© F. Mazeran
49Le Logis ouest, quant à lui, conserve au premier étage une série de salles plafonnées, en enfilade et en lien avec une circulation conduisant au Logis Vieux (fig. 45). Au rez-de-chaussée de cette aile, côté cour d’honneur, se situait l’ancienne chapelle. Une des tours flanquant ce logis ouest (la tour sud-ouest), en situation privilégiée par rapport aux salles du premier étage, faisait office de cabinet et de bibliothèque. En témoigne la présence de tablettes maçonnées faisant office de support aux rayonnages des ouvrages, et celles de décors peints qui agrémentaient ce cabinet.
Fig. 45
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, façade ouest du Logis Ouest côté entrée
© F. Mazeran
Fig. 46
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, façade est du Logis Ouest côté Cour d’Honneur
© F. Mazeran
50La Cour d’Honneur du château était autrefois mise en scène par un revers d’arcades, du côté de son accès. La partie conservée forme une galerie basse et voûtée en rez-de-chaussée (fig. 46). Elle était autrefois surmontée d’un étage permettant la liaison avec les deux logis diamétralement opposés à la cour. La configuration côté cour d’une série de trois arcades, autrefois reproduite sur deux niveaux, s’inscrivait ainsi dans une typologie de façade à arcades sur cour, présente au château de Sorbs (non loin du Caylar) ou à celui de Pégairolles-de-l’Escalette dans le Lodévois. On note au niveau du seuil d’entrée du portail d’accès à la cour, la présence d’une dalle de seuil, qui servait primitivement de linteau de porte. Ce linteau mouluré conserve un cartouche daté de 1572 (fig. 47). Sa localisation d’origine ne nous est pas connue, mais il pourrait provenir d’une ancienne porte détruite, située autrefois à l’extérieur du Logis Vieux.
Fig. 47
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, date de 1572 inscrite dans un cartouche provenant d’un linteau de porte probablement situé autrefois sur une façade du Logis Vieux
© F. Mazeran
51La tour sud-ouest du château Perdiguier conserve un ensemble exceptionnel de décors peints. Elle remonte au premier quart du XVIIe siècle et avait à l’origine une fonction de bibliothèque et de cabinet, en lien avec la grande salle du premier étage du logis ouest. Cette affectation de cabinet semble disparaître au cours du XVIIIe siècle, lors d’un réaménagement opéré sur ce logis. Il entraîne la création d’une nouvelle circulation verticale réalisée à l’intérieur de la tour. C’est à cette époque que disparaissent les décors peints intérieurs, au profit de la mise en place d’un simple badigeon au ton clair. Le positionnement du nouvel escalier détermine parallèlement la suppression du plancher bas de la tour et l’élargissement de la seule fenêtre en place qui va être agrandie. C’est en 1992 seulement que, à la suite de sondages stratigraphiques opérés par une restauratrice22, l’ensemble de ces décors est à nouveau révélé.
52Le décor peint mural se présente sous la forme de deux registres présents sur la partie courbe de la tour. Réalisé à la détrempe, il comprend un premier niveau de soubassement allant du niveau de sol aux tablettes des anciens rayonnages de la bibliothèque, et un second niveau, plus étendu en hauteur, regroupant les scènes du grand décor intérieur. Ces scènes sont des compositions en tableaux ou en médaillons, intégrés à une architecture feinte, traitée en trompe l’œil. Le décor de soubassement reste peu figuratif (un personnage tendant le bras et disposant une monnaie dans la main), et se distingue surtout par un décor d’accompagnement végétalisé ou coquillé (coquilles Saint-Jacques), situé au-dessus ou autour d’anciennes niches de placards aménagées en périphérie de la base de la pièce.
53Le décor majeur anime l’ancien cabinet. Il se compose de dix panneaux figuratifs représentant des scènes de paysages locaux, ou des jardins de Perdiguier, animées de personnages en costumes d’époque (fig. 48 et 49). Ces scènes sont complétées d’une scène religieuse (la représentation de saint Antoine en position de prière, accompagné de deux cochons), d’une scène de vendange dans la plaine de l’Orb avec, en fond, l’enceinte nord-ouest de la ville de Béziers, d’une scène de promenade en barque sur le fleuve Orb avec en arrière-plan la représentation du Pont Vieux de Béziers. D’autres scènes de ce décor restent à ce jour énigmatique ou non interprétées. L’intérêt du décor de la tour de Perdiguier résulte d’une composition mettant en avant une alternance d’atlantes et de cariatides supportant un entablement (fig. 50 et 51), l’ensemble étant réalisé en trompe l’œil.
Fig. 48
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, tour sud-ouest, couple de personnages se promenant dans un parc
© F. Mazeran
Fig. 49
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, tour sud-ouest, embarquement pour une promenade sur l’Orb
© F. Mazeran
Fig. 50
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, tour sud-ouest, un atlante
© F. Mazeran
Fig. 51
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, tour sud-ouest, une cariatide
© F. Mazeran
54Le plafond couvrant l’ancien étage du cabinet de la tour a fait lui aussi l’objet d’une découverte de décor en 1992. Les sondages stratigraphiques pratiqués sous les badigeons ont mis en évidence l’existence d’un décor réalisé au pochoir, à la fois sous les solives du plafond et également sous les planches situées entre les solives.
55On constate à l’examen de ce plafond, qu’il est constitué d’une poutre centrale supportant le solivage, et que ce plafond a manifestement fait l’objet d’une valorisation due à la mise en place d’un décor d’accompagnement venant compléter le décor mural principal.
56L’artiste (ou les ateliers d’artistes) qui sont intervenus à l’intérieur de la tour, que ce soit pour les décors peints muraux ou ceux du plafond, nous sont inconnus. On en retient cependant la grande qualité de l’ensemble qui fait de l’exemple de Perdiguier l’un des plus beaux exemples de décors peints anciens conservé en Bas Languedoc (fig. 52).
Fig. 52
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, vue générale et détail du registre supérieur du grand décor ornant la tour sud-ouest
© F. Mazeran
57Perdiguier conserve une iconographie remarquable des XVIIe et XVIIIe siècles concernant ses anciens jardins, aujourd’hui disparus. Ces espaces d’agréments autrefois situés côté est, entre le château et la rive droite du fleuve Orb, apparaissent sur trois documents qui permettent d’en apprécier l’étendue et l’aménagement. Le premier vient de l’un des décors peints présents à l’intérieur du cabinet de la tour sud-ouest. Le second est un plan aquarellé d’état des lieux dressé vers 1750. Le troisième correspond au plan cadastral napoléonien de 1830, qui reproduit le parcellaire aux abords du château. Les trois documents sont donc trois états à travers lesquels se lit l’évolution chronologique de ces espaces d’agréments.
58Le décor peint mural du XVIIe siècle représente une scène de déambulation de personnages dans une partie des jardins, composée à cette période de cabinets de verdure plantés d’arbres. Il souligne au sol la présence de bordures de buis délimitant des formes de parterres. Les jardins et les personnages sont représentés en premier plan tandis que l’arrière-plan figure le château de Perdiguier avec l’une de ses façades surmontée de toitures à fortes pentes (fig. 53).
Fig. 53
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, les jardins de Perdiguier au XVIIe siècle (détail du décor peint mural de la tour sud-ouest)
© F. Mazeran
59La seconde représentation, le plan de 1750 (fig. 54), montre l’ensemble des jardins partagés en deux espaces distincts. Un de ces espaces est composé de parterres traversés ou délimités par des allées, l’autre par un cloisonnement d’espaces rectangulaires ou carrés, peut-être en lien avec une culture de fruits et légumes approvisionnant le château. On note sur ce dessin une absence totale de pièces d’eau, notamment sur la partie du grand rond-point venant recouper l’axe principal orienté ouest-est. Les jardins de Perdiguier sont également matérialisés à cette période par une clôture périphérique de murs. De cet état ancien formant enclos, il ne subsiste plus aujourd’hui qu’un seul mur, côté nord.
Fig. 54
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, jardins vers 1750. Toulouse, archives VNF (extrait de la carte de l’Orb de Ribard)
© F. Mazeran
60La troisième représentation (fig. 55), celle du plan cadastral napoléonien de 1830, figure un état tardif des jardins, postérieur aux aménagements de 1750, datant sans doute de la fin du XVIIIe siècle ; il se trouve encore matérialisé sur un plan du second quart du XIXe siècle. Le plan, recolorisé pour les besoins de cet article, souligne la présence de deux pièces d’eau venant animer le grand axe ouest-est, ainsi qu’une simplification des parterres par rapport à l’état précédent. Les parterres vivriers déjà supprimés à cette époque, laissent la place à de nouvelles cultures, peut-être de luzerne. On note enfin l’apparition d’un bassin pédiluve au sud-ouest des jardins, en lien probable avec les communs du domaine et la présence de chevaux à cette période.
Fig. 55
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, jardins recolorisés sur le plan cadastral napoléonien
© F. Mazeran
61Les documents présentés ci-dessous correspondent à une interprétation, ou un essai de restitution de l’ancien état du château de Perdiguier (fig. 56 à 59). Ces dessins prennent en compte les éléments ou vestiges encore en place sur les bâtiments, permettant de restituer des ouvrages ou parties disparues ou modifiées (anciennes toitures, poivrières de tours, ornementation en toitures, anciennes lucarnes de bas de toitures, fenêtres à croisées ou demi-croisées aujourd’hui disparues, ancienne galerie restituée de l’aile sud, anciennes douves périphériques au château…).
Fig. 56
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, essai de restitution du château dans son état d’origine, comprenant l’aile sud avec sa galerie disparue
dessin © F. Mazeran
Fig. 57
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, proposition de restitution de la façade du logis Est côté jardins
photo-montage avec dessin © F. Mazeran
Fig. 58
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, proposition de restitution des façades de Perdiguier dans leur état d’origine côté Cour d’Honneur
dessin © F. Mazeran
Fig. 59
Maraussan (Hérault), château de Perdiguier, proposition de restitution des façades de Perdiguier dans leur état d’origine, côté Cour d’Honneur
Dessin © F. Mazeran
62Cet article, à travers l’évocation de deux exemples majeurs de châteaux situés à proximité de Béziers, et de quelques autres exemples d’édifices évoqués, vise à refléter l’intérêt et la richesse du territoire du Biterrois.
63Ce vaste secteur s’étendant de la côte aux premiers reliefs, ne comprend pas moins d’une centaine de châteaux de toutes époques confondues, présentant pour chacun d’entre eux un grand intérêt.
64Pour la période moderne et contemporaine à Ribaute et Perdiguier, il conviendrait de le compléter par une nouvelle approche et une description d’autres édifices emblématiques de ce territoire, notamment pour ceux de Bassan, de Sauvian, de Savignac-le-Haut (commune de Cazouls), de Murviel, de Saint-Geniès de Fontedit ou de Preignes le Vieux. Ces châteaux sont tous situés en périphérie ou à proximité de Béziers.
65Ils feront prochainement l’objet d’une étude s’appuyant sur des notices détaillées, dans un nouvel ouvrage à paraitre portant sur les Châteaux du Biterrois. Cet ouvrage des éditions le Chameau Malin de Béziers, devrait permettre de le compléter en faisant redécouvrir au lecteur l’intérêt de cette thématique.