1Le développement d’une archéologie médiévale attentive à l’analyse des situations locales et sachant désormais faire feu de tout bois au sein des documentations écrites, matérielles, planimétriques et iconographiques permet aujourd’hui d’identifier une famille de nouvelles fortifications qui viennent s’intercaler aux marges des grandes seigneuries castrales du XIe siècle et des premières décennies du XIIe siècle. Les situations comme toujours sont très diverses, mais l’on voudrait ici attirer l’attention sur un « modèle » particulier où c’est désormais un enclos quadrangulaire réduit formant un bloc de 400 à 700 m2 qui fait « château » sans que celui-ci soit nécessairement doté d’une tour majeure ou de tours de flanquement. Le corpus réuni tient compte de ces caractéristiques en premier lieu mais aussi et surtout d’un contexte documentaire relativement confortable qui permet de dater la mise en œuvre de ces édifices. De fait le corpus comprend des sites abandonnés - sites dits de la Tour et de la Tour d’Arthus respectivement à Valros (Hérault) et Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault) – qui ont conservé des vestiges significatifs offrant une prise archéologique directe, mais aussi des sites qui sont aujourd’hui encore des lieux habités, noyés au cœur de villages et de bourgs contemporains, comme Mireval, Teyran ou Vendémian où les observations sont de fait plus complexes. Au-delà des aspects architecturaux et des plans adoptés, ces cinq cas de figure nous font entrevoir surtout un volet particulier de ce que Claudie Amado a qualifié « de frénésie défensive », une agitation qui s’empare des seigneurs locaux fortifiant désormais aussi bien les églises, les moulins et les villages mais aussi de nouvelles collines, puechs et autres reliefs dominant souvent des routes. L’espace pris en compte est volontairement réduit à celui de l’emprise de la seigneurie montpelliéraine de Guilhem VIII et plus marginalement à celui des Trencavel à proximité de Pézenas. Chaque monument étudié est associé à une analyse de la dynamique du peuplement local dans la tradition des études médiévales méridionales qui associe château et habitat, château et territoire.
2Cet ensemble monumental exceptionnellement bien conservé a bénéficié d’une enquête archéologique et historique récente. Situé dans la plaine héraultaise, à 6 km au sud-ouest de Pézenas, le lieu est aujourd’hui désigné par le toponyme « La Tour » bien qu’aucun ouvrage majeur de ce type ne lui soit associé. Faiblement perchée, la construction implantée à l’extrémité sud d’un petit réseau collinaire domine néanmoins à 100 m d’altitude des terroirs de plaine peu vallonnés (fig. 1).
Fig. 1
Valros (Hérault), le fort, face sud avant la restauration de la grande porte
© Michel Dupin, 2009
- 1 - MAUNÉ, 1994 ; PAYA, 2002 ; COMMANDRÉ, 2011.
3Le village médiéval et actuel de Valros se situe d’ailleurs en contrebas et à 800 m du puech basaltique dont il est séparé par l’actuelle Nationale 9, qui reprend peu ou prou le tracé de l’ancien chemin médiéval de Béziers à Pézenas. Une seconde voie importante, dite de Saint-Thibéry à Alignan, traverse le territoire communal du sud-est vers le nord-ouest, passe à proximité de la « Tour » et traverse de porte en porte le village médiéval de Valros. Les opérations archéologiques ont permis d’identifier une première occupation (de nature funéraire) rattachée aux VIIIe-Xe siècles et de dater très clairement les vestiges aujourd’hui en élévation du XIIIe siècle1. L’absence de céramique glaçurée médiévale est par ailleurs un solide argument pour envisager un abandon avant le dernier tiers du XIIIe siècle, sinon avant le milieu du siècle.
- 2 - DEVIC, 1872-1879, VIII, c. 453.
4La fortification de Valros peut être associée sans difficulté à un acte de 1199 dans lequel Raymond Roger Trencavel confie à Étienne de Servian le soin de fortifier le podium de Valros soit d’édifier ou de construire forciam vel forcias, seu castrum vel, alia quamlibet municionem vel quodlibet aliud edificium ad omnem voluntatem vestram2. Fort, fortin, château ou forteresse la variété des termes utilisés est assez habituelle et l’on ne s’attardera pas ici à essayer d’en commenter le sens exact, si tant est qu’il faille projeter ce vocabulaire sur des réalités matérielles précises et soigneusement distinguées. Ce qui compte davantage est sans doute que Raymond Roger ne s’embarrasse pas de directives précises mais d’une intention générale qui est de rendre le podium de Valros plus fort qu’il ne l’était jusqu’à présent laissant ainsi à Étienne de Servian la faculté de lui donner, d’un point de vue formel, le développement qui conviendra le mieux (fig. 2).
Fig. 2
Valros (Hérault), restitution du fortin avec le jeu polychromique des matériaux employés
© Patrice Cervelin, Association GRAL, 2011
- 3 - Pierre Raymond de Corneilhan pour y faire forciam cum vallatis et muris et turribus et cum aliis (...)
- 4 - C’est également une albergue de 10 chevaliers qui est due en 1200 pour le comte de Toulouse à Tey (...)
5Entre 1138 et 1206, vingt-deux actes émanant des Trencavel mettent en jeu le droit de fortifier (licentia operandi). Ceux-ci couvrent l’ensemble de leur territoire (vicomtés d’Agde, de Nîmes, d’Albi, de Béziers et de Carcassonne) mais dans ce corpus seuls deux concernent le biterrois et l’actuel département de l’Hérault : Valros ainsi que Saint-Jean-de-la-Buade, une autre forcia toute proche mais disparue, édifiée peu après Valros en 1206 vers Nézignan-l’Evêque. Les évêques de Béziers ont eux aussi procédé à ce genre de concession dans les dernières décennies du XIIe siècle, notamment à Lieuran en 1195, position intercalée entre les castra de Servian et Corneilhan3. Ces autorisations fonctionnent comme des inféodations avec hommages. Il s’agit d’abord de la donation ou plutôt de la remise en fief d’un bien appartenant à Étienne de Servian, le podium seu gardam de Valrano, avec en retour le droit de fortifier octroyé par Raimond Roger Trencavel, contre une albergue de 10 chevaliers4. L’emplacement de ce puech est précisément donné, il confronte le chemin reliant Béziers à Pézenas et le chemin allant de Saint-Thibéry vers Notre-Dame de Fraisse. L’acception gardam associée à podium désigne très certainement dans ce contexte un poste de surveillance et renvoie elle aussi à l’idée d’un lieu élevé d’où l’on peut observer, ici un carrefour de voies importantes dans le réseau local.
- 5 - À la fin du XIIe siècle le castrum de Servian possède son atelier d’écriture et ses propres scrib (...)
- 6 - DUHAMEL-AMADO, 2007, p. 134-135.
- 7 - Il est question en sus de la bastide de Valros, du castrum de Montblanc, de la forcia de Bassan, (...)
6Étienne de Servian est un proche de Raimond Roger, issu d’une famille qui possède un sous-réseau de fidèles à l’intérieur même de la zone d’influence vicomtale. Son domaine est centré sur le castrum éponyme de Servian, non loin de Valros et fonctionne comme un véritable chef-lieu de seigneurie à l’instar du château d’Aumelas, sur les marges des pagi de Maguelone et de Béziers ou de Minerve pour le Minervois5. Les Servian ont des droits sur Alignan, Pouzolles, Espondeilhan, Saint-Nazaire-de-Ladarez, dans les villæ de Causses-et-Veyran, dans le castrum de Puimisson, à Bassan, Roujan…6 Valros s’inscrit donc parmi les possessions indirectes de cette puissante famille. Mais Servian est pillé par les croisés en juillet 1209. Soupçonné d’hérésie pour avoir offert l’hospitalité à des prédicants cathares, Étienne devra abjurer en 1210. Ses possessions sont alors confisquées et mises sous la coupe de Simon de Montfort. Raimond Roger, suzerain d’Étienne de Servian, est mort à Carcassonne, le réseau féodal se disloque, c’est la fin pour une grande partie de l’aristocratie biterroise. Le sort des Servian se perd : au-delà de 1215, ni Étienne ni même son fils ne paraissent plus dans la documentation. Le « fort » de Valros est sans doute alors démilitarisé à la suite de la confiscation des biens d’Étienne de Servian (mort entre 1215 et 1218) et c’est désormais au village de Valros situé en contrebas à proximité du chemin de Béziers à Pézenas que se rapporte la documentation ultérieure. Signalons toutefois un document de 1247 dans lequel une certaine Comdors, veuve de Raimond Guilhem de Fabrezan et fille de feu Étienne de Servian, tente de faire valoir ses droits sur la bastidam de Valrano, que son père lui avait légué par testament parmi plusieurs autres biens7. Si Comdors en demande la restitution aux enquêteurs royaux on ne connaît pas les suites de cette réclamation mais il n’est pas difficile de supposer que sa tentative était vouée à l’échec.
7De forme carrée, le complexe monumental de Valros est encore d’une grande cohérence. Le corps central est délimité par une puissante enceinte carrée de 24 m de côté, dénuée de tout flanquement tandis que les murs atteignent 1,55 à 1,65 m d’épaisseur et 1,85 m pour le front nord qui se rattache au plateau. La muraille mesurait au moins 11 m de hauteur, comportait un chemin de ronde et, très certainement, un crénelage. Sa partie haute se distingue par l’emploi exclusif de basalte alors que les sept premiers mètres mobilisent en parement une brèche volcanique plus claire. Une porte simple de 2,20 m de largeur s’ouvre dans l’épaisseur du mur au milieu du front sud et se distingue par l’emploi d’un calcaire coquillier « piscénois ». Elle était surplombée par un hourd, sorte de logette en bois destinée au tir plongeant, dont on aperçoit encore les trous de support. À droite en entrant, des traces de pierres saillantes suggèrent l’existence d’un escalier d’accès au chemin de ronde. Un mur d’escarpe ou braie enveloppe le fort et ne laisse qu’un faible couloir de circulation dans les lices notamment au nord et à l’est. Cette chemise de protection qui délimite un quadrilatère de 32 x 25 m est elle-même enveloppée par un fossé, en partie taillé dans la roche, qui atteint 5 à 7 m de largeur (fig. 3). Un rétrécissement du fossé sur le flanc sud et celui des lices déjà signalé sur les fronts nord et est ainsi qu’un pan coupé du mur de lice font envisager l’existence d’un pont et d’une porte dans l’angle nord-est.
Fig. 3
Valros (Hérault), le fortin de Valros, coupe est-ouest restituée
© dessin Michel Dupin
- 8 - PAYA, 2002.
- 9 - COMMANDRÉ, VASSAL, 2011.
8L’intérieur de la forcia ne comporte plus aujourd’hui de bâti en élévation et a été perturbé par des occupations pastorales modernes, la construction d’un télégraphe de Chappe dans l’angle sud-ouest, divers aménagements récents et des travaux qui n’ont pas toujours été réalisés avec une surveillance archéologique. Mais des fouilles qui ont été stoppées sur les niveaux du XIIIe siècle8 et une opération de diagnostic et de surveillance de travaux réalisées en 2011 apportent quelques enseignements significatifs9 (fig. 4).
Fig. 4
Valros (Hérault), plan du fortin
© Michel Dupin
9L’espace est organisé autour d’une citerne centrale d’un volume d’environ 40 m3. Dans l’angle nord-est, la présence de harpes d’attentes laisse envisager qu’une tour avait été initialement prévue mais que le programme architectural n’a pas été réalisé, ce qui est un indice possible de la rapidité d’exécution du chantier et finalement de la brièveté de l’occupation. Les fouilles de Didier Paya ont mis au jour néanmoins différentes pièces. Tous les murs intérieurs identifiés sont liés à la terre mais les seuils sont soignés. Deux pièces (n° 5 et n° 6) dont on ne connaît pas la fonction occupaient le flanc oriental et communiquaient entre-elles. La première dans l’angle sud-est disposait d’un sol de mortier et comportait un pilier maçonné en position centrale. Une autre grande pièce occupe les deux tiers du flanc septentrional et disposait également d’un sol de mortier. Incomplètement dégagée, on n’en connaît guère la fonction mais en l’état on peut suggérer de la considérer comme la salle principale sinon comme une véritable sala. Dans l’angle sud-ouest en revanche les structures dégagées ne sont plus orthogonales et il n’est pas assuré que celles-ci soient bien toutes médiévales. La découverte d’un fragment de colonne, de tuiles et d’enduits peints rougeâtres suggère par ailleurs un certain niveau de confort et d’aisance.
10Le cas de la forcia de Valros, précieuse réserve archéologique pour essayer de mieux déterminer l’organisation interne d’un fortin ou château du début du XIIIe siècle, vaut surtout pour sa contextualisation historique, sa datation resserrée et le plan général qu’il permet d’établir : un noyau carré de 22 m de côté, chemisé et fossoyé enveloppant une superficie d’un peu de plus de 500 m2.
11Au delà de la surveillance de deux grands axes, il n’est pas improbable que cette fortification ait été liée à un programme plus ou moins coercitif de restructuration d’un pôle d’habitat préexistant mais la conjoncture historique générale et locale aura stoppée nette cette possibilité. Il reste que Valros est un témoignage saisissant des investissements consentis au seuil du XIIIe siècle pour encadrer routes et terroirs à la veille d’un monde en bascule. Le cas suivant montre une situation différente.
- 10 - SCHNEIDER, 1997 et 2013.
12À une trentaine de kilomètres de Valros, Vendémian est aujourd’hui une localité d’un peu plus de 1 000 habitants située au pied occidental du causse d’Aumelas dans la moyenne vallée de l’Hérault dans cette enclave nord-orientale du pagus de Béziers, en rive gauche, maintenant mieux documentée10.
- 11 - BOURRIER, 1978 ; SCHNEIDER, 2003 ; VASSAL, 2004 ; OLIVE, 2014.
- 12 - Travaux conduits par l’architecte Michel Dupin après un diagnostic archéologique et historique.
- 13 - VASSAL, 2004.
13La position est étonnante, car le site n’est pas proprement celui d’un relief mais celui d’un versant en contrebas des derniers contreforts calcaires du causse et en lisière des terroirs de la vallée où le peuplement est ancien et relativement dense. La localité qui conserve les vestiges d’une grande enceinte englobante construite après 1389 mais aussi d’une porte d’agglomération a déjà fait l’objet d’études et de notices11 ; des opérations plus récentes12 liées à la restauration de l’ancien « presbytère » et du toit de l’église ont attiré l’attention sur ce bloc central préexistant aux grands aménagements de la fin du XIVe siècle13.
14Vendémian apparaît timidement dans les textes dans un secteur pourtant bien documenté depuis le Xe siècle. Il s’intercale entre trois principaux châteaux qui ont émergé au XIe siècle et sont situés dans un périmètre relativement proche, soit à moins de 4 km de la localité : Popian (1013) au nord, Aumelas à l’est (1036) et Le Pouget (1036) à l’ouest. Dès les années 1120-1130 ces terres faisaient vraisemblablement partie du patrimoine associé à la châtellenie ou à l’honneur d’Aumelas. Il est d’ailleurs significatif de constater que la documentation ne remonte pas au-delà du XIIe siècle et qu’elle est exclusivement issue du cartulaire seigneurial des Guilhem de Montpellier14, apparentés dès l’origine aux seigneurs d’Aumelas, Guilhem VIII, seigneur de Montpellier réunissant les deux patrimoines à la fin du XIIe siècle.
- 15 - GERMAIN , 1884-1886, p. 670, n° 487.
- 16 - GERMAIN, 1884-1886, p. 671-672, n° 488 (1155) et p. 675-676, n° 492 (1173).
- 17 - VASSAL, 2004 ; GERMAIN, 1884-1886, p. 682, n° 498.
- 18 - GERMAIN, 1884-1886, p. 197, n° 99 (testament de Guilhem VIII, 4 novembre 1202) et p. 742, n° 556, (...)
15C’est d’abord dans le cadre d’une paroisse dédiée à Saint-Marcelin qu’apparaît Vendémian en 112915 mais il faut attendre les années 1171-1172 pour que ces terroirs dans lesquels agissent entre 1155 et 1173 les Peyrebrune, possesseurs de terres et probables coseigneurs du castrum du Pouget16, soient associés au cadre d’une villa. À cette date, les finages ne sont pas encore unifiés ou globalisés autour de localités hiérarchisées et polarisatrices. De nombreuses villae de statut différent coexistent même lorsqu’elles ne disposent pas d’une église et des manses encore plus nombreux s’égrainent en leur sein sur les contreforts du causse et au contact de la plaine. Ainsi lorsque Guilhem VIII de Montpellier récupère l’Aumeladès, il fait transcrire dans son cartulaire un vieux censier (tel quel ou réactualisé) se rapportant à la villa de Vendémian mais aussi à la villa de Bouliargues, localité dont ne subsiste que l’église au XVIIe siècle, située à moins de 1,5 km au sud-ouest de l’actuel village, mais qui n’a jamais été un centre villageois. Sont cités une quinzaine de manses dont une moitié au moins peuvent être localisés soit directement sur l’actuelle commune soit dans sa proche périphérie17. À travers cette documentation, il se dégage plutôt l’image d’un territoire morcelé en autant d’habitats dispersés. Même s’il faut tenir compte de la spécificité d’un espace intercalé entre causse montagnard et vallée collinaire, on ne perçoit pas les effets polarisateurs des églises Saint-André de Bouliargues ou Saint-Marcelin (de Vendémian) ou d’un éventuel autre monument. Il faut en fait attendre 1202 pour que Vendémian soit associé, dans le testament de Guilhem VIII, pour la première fois à un castrum, alors que le lieu était encore désigné comme une villa en 118818.
16Pour tenter de comprendre cette mutation, qui n’est pas un simple effet de vocabulaire, il faut essayer de comprendre la destinée des lignages de l’Aumeladès où le poids de l’endettement chronique n’est sans doute pas étranger à l’entretien et à la construction immobilière.
- 19 - GERMAIN, 1884-1886, p. 754-759, n° 560 (1199). Raimond de Maroiol avait baillé 600 sous, Bermond (...)
- 20 - … et in hedificiis et constructionibus, voluntate et mandato nostro factis Mire vallis, et ville (...)
- 21 - Voir infra la notice consacrée à Mireval.
- 22 - Et sit manifestum, quod si expensas tu, vel tui, feceritis in operibus, sive in bastimento, sive (...)
17Après avoir été précocement détachée du patrimoine des Guilhem de Montpellier (testament de Guilhem V de 1114), la châtellenie d’Aumelas avec les différentes localités qui la composent et qui en ont augmenté l’étendue au cours des années 1120-1150, fait finalement retour à la branche aînée des seigneurs de Montpellier à la fin du XIIe siècle. Les derniers représentants de la branche cadette avaient surtout récupéré les dettes de Raimbaud d’Orange, petit-fils de Guilhem V. Le cartulaire seigneurial fait état des difficultés accumulées par ses descendants directs, sa sœur Tiburgette et Adhémar de Murviel son beau-frère, et les petites-filles du couple en dernier lieu. La liste des engagements faits sur les biens et possessions de la châtellenie se compte en dizaines. L’ultime tentative d’extinction des multiples obligations et emprunts est effectuée par Tiburge et Sibille, filles de Raimond Aton de Murviel. Au mois d’août 1199, ces dernières se défont, au profit de Guilhem VIII, d’Aumelas avec toutes les seigneuries qui en dépendent. La vente semble bien motivée par des dettes accumulées, énumérées dans l’acte de vente avec les noms des différents créanciers. Ainsi l’on apprend que l’engagement de Bouliargues et de Vendémian avait rapporté 2200 sous melgoriens19. Mais plus intéressant encore, le document nous révèle que les deux sœurs (ou bien Raimond Aton de Murviel leur père, voire Adhémar de Murviel, leur grand-père, véritable gestionnaire de la seigneurie dans le dernier tiers du XIIe siècle), ont effectué un certain nombre de travaux et constructions à Mireval, Vendémian et dans d’autres localités dépendantes d’Aumelas, le tout pour la somme considérable de 25000 sous melgoriens20. Certes, la formule employée reste générale puisqu’elle implique divers lieux, mais Mireval et Vendémian sont bien spécifiquement mentionnés comme les principaux bénéficiaires des investissements constructifs réalisés avant 119921. Déjà, en 1173 lors d’un premier engagement effectué à l’échelon subalterne, par Gasc de Peyrebrune en faveur de Gui Guerrejat (oncle et tuteur de Guilhem VIII), le coseigneur du Pouget avait offert la possibilité à l’engagiste d’améliorer ou de bâtir dans les lieux détenus par lui en fief ce qu’il tenait in villam de Vindimiano22.
18Ce contexte général associé à la mention d’un château neuf à Mireval en 1198 et pour la première fois d’un castrum à Vendémian en 1202 dans la liste des biens légués par Guilhem VIII fait envisager un élan de nouvelles constructions fortifiées dans les deux dernières décennies du XIIe siècle sinon dans les dernières années du siècle. De fait le château de Vendémian pourrait avoir été élevé entre 1173-88 et 1199.
- 23 - AD 34 1 E 1458. Transcription dans VASSAL, 2004 puis OLIVE, 2014.
19Le village de Vendémian est surtout connu des médiévistes parce que ses remparts de la fin du XIVe siècle (un quadrilatère irrégulier doté de tours d’angle rectangulaires et de tours médianes dont les côtés varient entre 95 et 130m) englobant environ 1,2 ha ont été conservés jusqu’au XIXe siècle et peuvent être mis en rapport avec un long document daté de 1389 qui en autorise la mise en œuvre avec force détails23. Ces travaux considérables ont alors triplé la superficie du village, entrainé des destructions de bâtiments et des modifications significatives (fig. 5).
Fig. 5
Vendémian (Hérault), plan cadastral de Vendémian (1824). Le tracé de l’enceinte collective de 1389 est encore bien visible. Le château primitif est également visible en bleu au sud-ouest. On remarquera également le parcellaire régulier enveloppant ce premier noyau (AD 34, 3P3755-1824, Vendémian).
© AD 34
20Le noyau médiéval initial alors qualifié de « forteresse ancienne » disposant d’un « portal » n’a pas été éradiqué cependant et, malgré ces modifications, a subsisté dans ses grandes lignes topographiques jusqu’à aujourd’hui. On distingue surtout dans l’angle sud du village un îlot central quadrangulaire de 23 x 18 m, soit peu ou prou 414 m2 qui rappelle dans sa configuration générale le cas de la forcia de Valros. La muraille périphérique atteint en moyenne 1,10 m d’épaisseur. En raison de la déclivité du terrain, son élévation varie de 7,70 m à 9,40 m, mesures effectuées au niveau du chemin de ronde, lui-même surélevé d’un garde-corps. Ici cependant, la longue histoire multiséculaire de ce bloc dont le découpage interne a été plusieurs fois recomposé ne permet pas de comprendre le dispositif originel (fig. 6).
Fig. 6
Vendémian (Hérault), ancien château dans son dispositif actuel
© plan Michel Dupin d’après R. Bourrier, 1978
21Mais trois éléments essentiels sont néanmoins à signaler et distinguent le « château-fortin » de Vendémian :
-
Contrairement à Valros, dont la porte était simplement ouverte dans l’épaisseur de la muraille, l’accès au fort ou château de Vendémian a été associé à une tour aménagée dans l’œuvre sur le flanc médian du front ouest, alors que le reste de la muraille, comme à Valros, est dépourvu de flanquement. Cette tour-porte de 5,25 x 3,90 m atteignait à l’origine 9,70 m de hauteur, disposait d’une ouverture de 3,25m et d’une hauteur sous le premier arc de 5,70 m. Transformée en une sorte de beffroi seigneurial avant les travaux de la fin du XIVe siècle, sa souche a été renforcée (6,25 x 6,25 m) pour permettre une première surélévation jusqu’à près de 19 m. Une deuxième surélévation marque sa transformation en clocher dans le courant du XVe siècle lorsque l’église est agrandie. La terrasse sommitale dotée d’un parapet atteint désormais 25 m de hauteur (fig. 7 et 8).
Fig. 7
Vendémian (Hérault), la tour-porte transformée en beffroi puis clocher
© atelier Michel Dupin d’après Bourrier, 1978
Fig. 8
Vendémian (Hérault), îlot du château et ancienne tour-porte devenue clocher dans le bâti actuel. On remarquera au premier plan, un segment de l’enceinte collective de la fin du XIVe siècle
© Communauté de Communes Vallée de l’Hérault
-
- 24 - À titre d’hypothèse, on peut considérer que la chapelle du château est devenue paroissiale dans l (...)
- 25 - AD 34, 1 E 1458, folio 9 r°.
La seconde originalité de Vendémian est que ce fort châtelain épuré intègre par ailleurs une église, dédiée à saint Marcelin qui occupe dans sa dernière configuration toute la moitié sud de l’îlot. On ignore si cette église24 était déjà intégrée dans l’enclos de la fin du XIIe siècle. Les travaux liés à la réfection des toitures en 2014 ont néanmoins permis la découverte d’une baie ouvragée (fig. 9) établie à forte hauteur qui suggère que le volume actuel du sanctuaire résulte d’un aménagement du XVe siècle ce que semble corroborer une brève mention de 1419 évoquant l’acquisition d’un patus dans lenclos dud Vendémian pour élargir Léglise25. L’agrandissement aurait été réalisé essentiellement dans l’angle nord-est du fortin.
On situe très prudemment de fait le logis seigneurial initial plutôt dans l’angle sud-ouest de l’enclos, à l’emplacement de l’ancien presbytère.
Fig. 9
Vendémian (Hérault), baie nord-est de l’église Saint-Marcelin découverte en 2014 lors des travaux de restauration de la toiture
© Michel Dupin 2014
-
- 26 - AD 34, 1 E 1458, folio 2 r° et 2 v°.
La troisième originalité du castrum de Vendémian enfin est qu’il semble avoir été associé dès le début du XIIIe siècle à un noyau de peuplement subordonné. C’est du moins ce que l’on déduit de la disposition du parcellaire ennoyant le château ou bloc central en formant une nouvelle enveloppe quadrangulaire d’environ 48 m de côté, soit peu ou prou 0,23 ha. Aujourd’hui les rues qui séparent le noyau central de la seconde enveloppe atteignent seulement 1,8 à 2 m de largeur. Les conventions contractées à partir de 1389 qui règlent la construction de la grande muraille devant redessiner le village laissent clairement entendre que ce premier ensemble médiéval était alors saturé. Comme des maisons « quy sont bâties dans l’ancienne forteresse » débordent le mur extérieur, les syndicts et députés pourront de fait les détruire et ordonner de nouvelles rues. Ils pourront par ailleurs » muer et changer la tour quy est dans la place vielle en barbacane des murs, ainsi quils leur semblera mieux convenable ». Ils pourront également « faire des ponts levis et prendre celuy quy est dans le portal de l’ancienne forteresse pour le mettre à lune des (nouvelles) portes ». Le document évoque également les anciennes caves et « les maisons quy sont hors ladite ancienne forteresse que les députés pourront faire abbattre et démolir » et réemployer « les débris » pour la constitution de la nouvelle muraille26.
22De fait, ces travaux importants ne sont sans doute pas étrangers à une certaine régularité du parcellaire de l’ancien noyau médiéval. Il n’en est pas moins assuré que le château ou fort de Vendémian, plus étroit que celui de Valros fut associé au début du XIIIe siècle à un programme de peuplement subordonné. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut comprendre l’usage du terme castrum alors que la fortification proprement dite était relativement épurée et modeste.
23À un peu plus d’une dizaine de kilomètres de Vendémian, le toponyme « Tour d’Arthus » désigne aujourd’hui les ruines d’une fortification médiévale abandonnée qui était implantée à 209 m d’altitude au sommet d’une petite colline entaillée à l’ouest et au sud par les gorges du Coulazou, affluant de la Mosson (fig. 10 et 11). En limite des diocèses de Béziers et de Maguelone, dans le comté de Mauguio, aux marges de la vicomté biterroise et dans l’aire d’influence des Guilhem de Montpellier, elle marque une position liée au contrôle et à la surveillance de l’un des passages permettant de franchir le Causse d’Aumelas, ensemble de montagnes séparant la moyenne vallée de l’Hérault à l’ouest, du secteur de Murviel-les-Montpellier et plus largement des étangs de la plaine littorale montpelliéraine à l’est.
Fig. 10
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), relief dit aujourd’hui de « la Tour d’Arthus »
© Laurent Schneider, 2007
Fig. 11
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), l’effondrement de la tour du castrum forme aujourd’hui un énorme dôme au sommet du relief, vue prise de l’ouest
© Laurent Schneider, 2007
- 27 - GERMAIN, 1884-1886, p. 743, n° 566.
- 28 - GERMAIN, 1884-1886, p. 353-357, n° 205 (Renonciation de Marie de Montpellier à la seigneurie de M (...)
- 29 - Acte transcrit au Grand Thalamus (AC Montpellier, AA 4 ) f°3 v°.
- 30 - Les auteurs tiennent ici à remercier Pierre-Johan Bernard qui a contribué à enrichir la réflexion
- 31 - GERMAIN, 1884-1886, p. 645-646, n° 465.
- 32 - SCHNEIDER, 1995, p. 168-176 ; GERMAIN, 1884-1886, p. 628-629, n° 448.
- 33 - Vers 1381-1383, l’ancienne forcia de Valmalle est encore désignée comme un castrum. Vincent Chall (...)
24Le point fort domine surtout l’église Saint-Paul de la villa Mont Camel implantée en contrebas à 700 m de distance et mentionnée pour la première fois en 1187 dans l’acte de donation de Raimond Aton de Murviel qui permet à Guilhem VIII d’étendre la seigneurie montpelliéraine de part et d’autre du Causse d’Aumelas27. La forteresse proprement dite n’apparaît formellement dans les textes qu’en 1204, dans le contrat de mariage de Pierre II d’Aragon et de Marie de Montpellier comme composante de la seigneurie montpelliéraine sous la forme Castrum Arluz. Dans ces listes, la mention en elle-même pose problème. Ainsi en 1197, lorsque Marie de Montpellier cède tous ses droits, le castrum d’Arluz n’y figure pas alors que les autres villae et castra énumérés sont les mêmes que ceux évoqués en 120428. De fait on retrouve le castrum d’Arluz en 1206 dans la liste des biens issus de la dot de Marie mis en gage aux consuls de la ville contre le versement de 100 000 sous29. Le lieu disparaît ensuite de la documentation écrite conservée. Est-ce à dire que le castrum a été édifié après 1197 ou plus simplement qu’il est entré dans le patrimoine montpelliérain après cette date ? La seule source est donc le cartulaire des Guilhem qui a été rédigé en 1202. Ce même cartulaire permet dans une chronologie très resserrée de compléter le tableau30. Le castrum apparemment éphémère d’Arluz s’intercale en effet aux confins des territoires castraux de Gignac, Aumelas et Montarnaud qui ont émergé au cours du XIe siècle. En 1196, Ugo de Gignac (castrum contrôlant le franchissement de l’Hérault et la montée de la Taillade) qui s’était préalablement soumis à Guilhem VIII de Montpellier, lui donne tous ses biens et droits dans la paroisse de Saint-Paul de Montcamel pour 100 sous et les reprend en retour de fief31. L’année suivante, en 1197 Bernarde de Mauguio et son époux Raymond de Maroiol, originaire d’une modeste villa rurale intercalée entre les bourgs monastique d’Aniane et castral de Gignac, reconnaissent détenir en fief de Guilhem VIII la forcia de Vallis Malle32. Celle-ci, sans doute située dans la localité éponyme (Valmalle) à moins de 3 km de Saint-Paul n’a pas laissé de traces archéologiques identifiables, mais constitue un nouveau point d’ancrage verrouillant d’autres accès au causse et au château d’Aumelas33.
25En résumant brièvement, le castrum d’Arluz apparaitrait donc entre 1197 et 1204 et disparaitrait après 1206 dans un contexte relativement complexe qui est celui de la rédaction du cartulaire dit des Guilhem en 1202 et de la succession entre Guilhem VIII décédé la même année et Guilhem IX fils d’Agnès de Castille, tandis que Marie issue du premier lit de Guilhem VIII avec Eudoxie Comène s’est alliée avec le roi d’Aragon. De fait le castrum d’Arluz, bien périphérique dans le contexte de la mutation montpelliéraine vers le consulat, n’en demeure pas moins un témoignage de cette période mouvementée et incertaine à la veille de la croisade contre les Albigeois.
- 34 - Le compoix de la communauté de Saint-Paul de Montcamel de 1612-14 évoque des champs, vignes et he (...)
- 35 - Bilan Scientifique de la Région Languedoc-Roussillon, 2007, p. 153-155.
26Les vestiges oubliés du castrum d’Arluz devenu « tour d’Arthus » au XVIIIe siècle en référence aux légendes arthuriennes34 n’ont pas vraiment attiré l’attention des érudits et chercheurs avant le seuil du XXIe siècle. Une fouille programmée ponctuelle engagée en 2007 par Charlotte Britton et Laurent Schneider35 sous la forme d’un diagnostic général a permis néanmoins de préciser et établir une nouvelle chronologie et d’ébaucher de nouveaux récits.
27La position stratégique du site aux confins de cités puis de diocèses, et surtout de passage entre le bassin moyen de l’Hérault et la plaine littorale est soulignée par la résilience de ses occupations. Après une première occupation durant l’âge du Fer, la colline est massivement réinvestie durant les V-VIe siècles de notre ère. L’occupation caractérisée par de nombreux mobiliers comportait surtout une enceinte englobant une superficie de 0,8 ha (fig. 12).
Fig. 12
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), plan général du site dit de la « tour d’Arthus »
© Charlotte Britton, Georges Marchand (†) et Laurent Schneider, 2007
- 36 - SCHNEIDER, 2004.
- 37 - CHALON, 1982.
28Ce type d’établissement de taille moyenne se rattache à ces fortifications de plateau ou d’éperon, castra, castella ou oppida de la fin de l’Antiquité maintenant mieux connus, tel tout proche, celui du Roc de Pampelune sur la commune d’Argelliers, qui atteignait pour sa part 2,25 ha36. Si l’établissement de la Tour d’Arthus semble avoir été abandonné avant le VIIIe siècle, il est manifeste néanmoins que la première enceinte mise en œuvre a subsisté dans le paysage au delà de l’an mil. On peut supposer aussi que la topographie de la colline bien visible dans le paysage et associée aux ruines de cette première occupation conséquente a contribué à une localisation du toponyme Montcamel, désignant le nom de la villa attachée à la paroisse Saint-Paul située en contrebas au XIIe siècle et plus largement (Montcalmes) le causse dit aujourd’hui d’Aumelas. Une hypothèse plus risquée, mais qu’il est nécessaire de formuler, compte tenu des traces archéologiques désormais identifiées, ferait aussi correspondre cette colline avec le locus de Mons Cameli mentionné dans le récit de Julien de Tolède de l’expédition du roi Wamba en Narbonnaise en 673. Dans ce texte, le locus sert alors de borne pour désigner les confins occidentaux du territoire que se sont taillé l’évêque de Maguelone et le comte de Nîmes lors de leur révolte. De fait la colline est bien en limite du pagus et diocèse de Maguelone37. Le réinvestissement de la hauteur par l’aménagement d’une nouvelle fortification un demi-millénaire plus tard se traduirait donc aussi par un renouvellement toponymique.
29L’enceinte héritée de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Age a été restaurée pour partie tandis que la pointe sommitale de la hauteur a été totalement réaménagée. C’est ici que les vestiges sont les mieux conservés (fig. 13 et 14).
Fig. 13
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), plan de la partie haute
© Charlotte Britton, Georges Marchand (†) et Laurent Schneider, 2007
Fig. 14
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), Tour d’Arthus, coupe Ouest-Est du dispositif sommital
© Charlotte Britton, 2007
30Une enceinte quadrangulaire (31 x 22 m) isole le sommet de la colline. Ses murs maçonnés d’une largeur comprise entre 1 m et 1,20 m enserrent un espace utile d’environ 680 m2, ce qui en fait un enclos sensiblement plus important que ceux de Valros (528 m2 pour le corps central mais 875 m2 avec la chemise des lices) ou Mireval (502 m2) retenus dans notre corpus. Mais l’on ne peut estimer la hauteur de cette muraille aujourd’hui arasée. Ce noyau situé à l’extrémité occidentale de la hauteur est par ailleurs détaché du reste de la colline, côté est, par un fossé en demi-lune taillé dans le rocher. D’une profondeur de 2,5 à 3 m, il atteint peu ou prou 9 m de large. Une partie des déblais de son creusement a servi à aménager une levée extérieure amplifiant l’obstacle.
31Côté ouest, en contre bas de l’enceinte sur une petite plateforme délimitée par d’importants décrochements de pente, les fouilles de 2007 ont permis d’identifier le plan d’un grand bâtiment d’environ 160 m2 divisé en 3 pièces.
32Enfin, dans l’enceinte sommitale un immense monticule de pierres scelle les ruines d’une tour majeure. C’est sur cet édifice qu’a essentiellement porté l’opération de fouille de 2007.
33Le plan de la tour majeure a pu être reconnu grâce à d’importants travaux d’épierrement et sa chronologie précisée grâce à la réalisation d’un sondage dans son angle sud-ouest (fig. 15).
Fig. 15
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), sondage de 2007 implanté dans l’angle sud-ouest de la tour sommitale. Unité stratigraphique 1012 marquant la séquence d’un incendie sous l’effondrement des murs
© Laurent Schneider, 2007
34Ce sont en premier lieu les dimensions de l’ouvrage qui doivent être soulignées. Doté de murs qui atteignent 1,50 m d’épaisseur en élévation, le monument mesure par ailleurs 13,6 m dans l’œuvre pour la longueur nord-sud et 11,05 m d’est en ouest, ce qui équivaut à une superficie interne de plus de 85 m². Il se distingue d’emblée des principales tours connues dans le secteur de la garrigue montpelliéraine comme celles de Montredon à Grabels, de Tourrière à Cazevieille, ou encore de Vias aux Matelles qui sont plus proprement quadrangulaires et d’une dimension hors-œuvre qui est généralement comprise entre 6 et 8 m. Un autre élément déterminant est également l’existence d’une porte imposante (1,73 m de large) ouverte dans le mur sud en rez-de-chaussée. Le sondage réalisé a permis de déterminer que l’élévation conservée est aujourd’hui d’environ 2,70 m. La pierre mobilisée est un calcaire froid blanc local. Les blocs sont sommairement équarris mais les faces utilisées pour le parement ont reçu un aplanissement grossier. L’ensemble est organisé en assises régulières, malgré la variété des modules de pierre utilisés.
35Le sondage réalisé a permis par ailleurs d’identifier deux niveaux de sol en terre battue entre 208,50 et 208,60 m NGF, l’un étant associé à un foyer rustique, et de documenter le processus d’abandon lié à un incendie. Celui-ci a provoqué l’effondrement d’une toiture de tuiles (fig. 16, 17 et 18). Le mobilier peu abondant ne permet pas de dater la phase de construction de l’ouvrage mais situe son occupation et son abandon dans la seconde moitié du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle.
Fig. 16
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), tour sommitale, effondrement de la toiture (US 1013), lambeaux de sol et rocher affleurant
© Laurent Schneider, 2007
Fig. 17
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), parement interne du mur sud de la tour ; on distingue le piédroit de la porte basse
© Laurent Schneider, 2007
Fig.18
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), coupe stratigraphique du remplissage de la tour
© Charlotte Britton, 2007
36Sur cette terrasse d’environ 700 m2 qui est une sorte d’arrière-cour, un corps de bâtiment trapézoïdal a pu être reconnu (fig. 19).
Fig. 19
Saint-Paul-et-Valmalle (Hérault), vue générale du bâtiment de la terrasse occidentale implanté à l’extérieur de l’enclos
© Charlotte Britton, 2007
37Orienté nord-sud, la façade occidentale atteint 25 m hors œuvre mais la façade orientale seulement 21,80 m tandis que la largeur est comprise entre 9,50 à 10,40 m. L’unité est divisée en trois pièces. La plus vaste située au sud atteint 82 m2 comme la tour, les deux autres (8 x 5 m pour 1C2 et 5,20 x 7,90 m pour 1C3 dans œuvre) ont une superficie interne située autour de 42 m2. Conservée sur une hauteur maximale de 0,6 à 0,7 m d’élévation, le bâtiment dont les murs atteignent 0,76 à 0,89 m de largeur est passablement érodé comme le montrent les couches de destruction de chacune des pièces qui se limitent à une épaisseur de quelques dizaines de centimètres. La mise en œuvre est liée au mortier de chaux léger et friable, d’une qualité beaucoup plus médiocre que le mortier employé pour la construction de la tour. Chaque pièce conserve une ouverture tournée vers l’est et la tour, ce qui suggère l’existence d’une porte dans le mur occidental de l’enceinte quadrangulaire. Les ouvertures des petites pièces septentrionales atteignent 1,95 à 2,06 m et celle de la grande pièce méridionale 2,14 à 2,34 m. Ces dimensions suggèrent des portes à deux vantaux. Les sondages réalisés dans chaque pièce prouvent l’existence d’une toiture de tuiles et montrent des sols rudimentaires. Dans la grande pièce, des scories et des agrégats de fer et de plomb et une couche cendreuse suggèrent par ailleurs des activités de forge ou de réparation d’objets métalliques. Le mobilier céramique découvert se rattache dans l’ensemble à la seconde moitié du XIIIe, sinon au début du XIVe siècle.
- 38 - ROUQUETTE, 1912, II, n° 389, p. 227.
- 39 - La tour de Puech Augé atteint 12,7 m x 8,88 m hors œuvre. Avec des murs d’une épaisseur moyenne d (...)
- 40 - FIXOT, 1974 ; COULET, 1979 et 1980.
- 41 - AD 34, 1 E 1433 copie d’une sentence de 1355 concernant le péage et les péagers de Saint-Paul de (...)
38Il n’est pas assuré chronologiquement que la forteresse décrite corresponde matériellement au castrum du début du XIIIe siècle, même si l’hypothèse reste défendable. Dans le même sens, la datation précise de la reprise médiévale de la grande enceinte englobante reste incertaine et ne permet pas de dire clairement si elle était associée ou non à la configuration du nouveau castrum. L’enquête archéologique documente essentiellement la période d’abandon du dispositif sommital qui montre un ensemble cohérent. Il reste que le castrum d’Arluz s’inscrit pleinement dans ce mouvement des décennies 1180-1200 qui est celui d’une accélération de construction de nouveaux forts et de « châteaux » intercalaires aux marges des castra du XIe siècle (ici Gignac, Montarnaud et Aumelas). La configuration du site d’Arluz révèle une situation hybride dans la mesure où l’enclos quadrangulaire accueille encore une tour majeure, contrairement à Mireval, Vendémian et Teyran où les configurations initiales demeurent néanmoins inconnues. Mais l’originalité d’Arluz est que cette tour majeure répond aussi à un nouveau modèle marqué par l’existence d’une porte en rez-de-chaussée mais surtout par des dimensions importantes qui la distinguent avec une surface utile de 85 m2 (qu’il faut multiplier par deux ou trois étages) des autres constructions locales. On citera notamment Leneyrac dans la plaine lodévoise vraisemblablement construite entre 1270 et 1286 qui atteignait seulement 6 x 7,85 m et 30 m2 de surface utile ou encore celle postérieure à 1222 édifiée dans la paroisse de Grabels par le chevalier Bertrand de Vailhauques sur le podium « herme et inculte » de Montredon que lui avait inféodé à cette date l’évêque Bertrand de Mèze pour y édifier fortiam sive munitionem38. De plan peu ou prou rectangulaire, la tour qui subsiste aujourd’hui conserve une élévation d’environ 6 m mais ses dimensions hors œuvre n’atteignent pas 7 m de côté (6,90 x 6,55) et sa surface utile se réduit à moins de 20 m2. Inversement on pourrait la rapprocher des « tours » hospitalières du lodévois méridional, plus massives, telles celles de Lieuran et de Puech Augé à Nébian39 et surtout des bastides provençales étudiées par Michel Fixot et Noël Coulet40. Il est possible par ailleurs que d’autres bâtiments aient été implantés dans l’enclos, notamment à l’est de la tour. Mais celui-ci ne suffit pas à contenir les équipements et édifices annexes nécessaires au fonctionnement de l’établissement comme le montre la construction (étable, lieu d’habitation et de travail…) de la plateforme occidentale. L’aménagement du site répond en définitive à plusieurs enjeux généraux : emprise de la seigneurie des Guilhem de Montpellier et de leurs héritiers désormais liés à l’influence aragonaise, restructuration avortée d’un noyau de peuplement traditionnel comme à Vendémian, mais sans doute aussi et surtout, domination économique liée au contrôle d’un passage clef sur la route de Montpellier depuis la vallée de l’Hérault et plus largement encore depuis le Rouergue. Si le castrum d’Arluz disparaît de la documentation après 1206, l’archéologie montre que le lieu était néanmoins encore occupé à la fin du siècle, sinon au seuil du XIVe siècle d’une part, tandis que d’autre part des documents plus tardifs évoquent l’existence d’un péage lucratif à Saint-Paul41.
39Le cas de la localité de Mireval située à environ 25 km du castrum d’Arluz et à moins de 15 km de l’îlot épiscopal de Maguelone nous fait pénétrer dans un tout autre contexte géographique qui est désormais celui des étangs du littoral montpelliérain.
40La dynamique du peuplement médiéval est ici assez complexe à saisir dans la mesure où la hiérarchisation des localités résulte de tâtonnements sinon de réajustements qui demandent aujourd’hui de longues analyses érudites. Le dossier une fois encore est essentiellement documenté par un chapitre du cartulaire des Guilhem intitulé De castro quod vocatur Miravals qui rassemble 11 actes. Il dépend de fait de la mémoire de la construction seigneuriale montpelliéraine. On peut la résumer en trois étapes principales.
41Comme à Vendémian, les premières occurrences se rapportent au cadre d’une paroisse dédiée à sainte Eulalie et à un toponyme déterminant (Valle) qui est aussi attaché à une seconde église, Sainte-Léocadie. On comprend plus tard que l’une et l’autre contribueront à la cristallisation de deux localités différentes qui sont aujourd’hui deux communes distinctes (Mireval et Vic-la-Gardiole) dont les centres ne sont pourtant distants que de trois kilomètres. Mais pour l’heure au seuil du XIIe siècle le peuplement est encore diffus. Le chapitre De castro quod vocatur Miravalis s’ouvre par un acte de 1112 qui permet à Guilhem V de Montpellier d’obtenir un droit de quart sur le manse d’un certain Pierre Ricard simplement situé dans la paroisse Sainte-Eulalie, sans aucune mention de villa. Une autre donation de 1123, cette fois de vignes dans le terroir, tènement ou quartier (terminium) dit du bosquet de Guilhem, qu’il faut comprendre comme relevant de la paroisse Sainte-Eulalie, évoque d’autres manses mais aussi une troisième église (Saint-Jean de Celles) qui elle, ne semble pas paroissiale. Comme à Vendémian ces éléments évoquent des finages éclatés et encore non globalisés qui s’inscrivent aux marges des vieux castra tels ici Frontignan et Villeneuve (les Maguelone), dans l’héritage du premier Moyen Âge. Seul le cadre paroissial post-grégorien fournit un espace d’encadrement en des terres qui par ailleurs sont loin d’être dépeuplées.
- 42 - …et dimitto eidem Bernardo, filio meo, totum quod habeo in tota parrochia Sancte Eulalie, vel ali (...)
- 43 - De edificio Vallis, unde comes conqueritur, judicatum est ut dentelli destruantur, et ipsum scada (...)
- 44 - KATSURA, 1996, p. 37-38.
- 45 - GERMAIN, 1884-1886, p. 95-97, n° 55 (c. 1140).
42L’église Saint-Jean apparaît à vrai dire dès 1121 dans le testament de Guilhem V de Montpellier. Celui-ci lègue alors à Bernard son benjamin tout ce qu’il possède dans la paroisse Sainte-Eulalie, et ordonne de lui construire une demeure ou maison (stare) à Saint-Jean de Celles42. La construction préconisée semble bien avoir pris forme. Dans un accord passé en 1125, à la suite d’un conflit violent survenu entre Bernard IV, comte de Melgueil et Guilhem VI de Montpellier, ce dernier accepte la demande du premier, touchant Mireval et Centrayrargues. L’édifice, réalisé comme stipulé dans le testament de Guilhem V, fait bien partie des principaux objets de la plainte : ses créneaux (dentelli) doivent être détruits, les échafaudages (ou plutôt les hourds dans ce contexte) et les autres constructions rabaissés, et la barbacane ainsi que le fossé ceinturant ladite maison (domus) doivent également disparaître43. On doit donc comprendre que cette « maison » (domus ou stare) est en fait un prototype de « château » qui ne dit pas exactement son nom soit un « manoir » pour user aujourd’hui d’une autre terminologie. Cela permet sans doute en ce début de troisième décennie du XIIe siècle de mieux comprendre tous les problèmes posés par ces nouvelles constructions élitaires. Cela révèle peut-être aussi un indice d’autorité aristocratique de niveau comtal exercé envers des élites seigneuriales entreprenantes et proactives qui tentent d’y échapper sans que la nature de leurs relations ne soit réellement indiquée ou précisée44. Le pouvoir épiscopal semble lui-même avoir été contrarié par cette initiative comme il paraît en résulter d’un accord passé vers 1140 entre Guilhem VI et l’évêque de Maguelone où le prélat parmi les griefs exposés évoque la situation de laïcs qui auraient investi la zone des trente pas de l’église Saint-Jean désormais associée au déterminant de Valle et non plus « Cellis » la villa d’origine45. On en déduit surtout que l’endroit devenu une véritable localité était en mutation matérielle. De fait les changements qu’opèrent dans la zone les seigneurs de Montpellier, qui passent sans doute aussi par un regroupement et un recentrement du peuplement, ne se font pas sans tension et sans éveiller inquiétudes et jalousies.
43De nos jours, les lieux de l’église Saint-Jean et du manoir de Bernard sont perdus et oubliés et l’on ne sait dire exactement s’ils étaient distincts du lieu actuel de Mireval bien qu’un tènement Saint Jean existe à l’ouest de l’agglomération contemporaine.
- 46 - ROUQUETTE, 1912, n° 121 p. 237.
- 47 - …videlicet omnia illa localia, seu casalia, et generaliter totum honorem, et omnia jura quecu(m)q (...)
- 48 - ... ni not tolrai la forsa de la Val, ni ren de la honor que a la forza de la Val perten : GERMAI (...)
- 49 - C’est ce que constate Hideyuki Katsura, en analysant la liste fournie par l’acte de 1196 et celle (...)
44En 1165 une certaine Lainurgairéta engage tout ce qu’elle possède in valle soit la moitié de ce qu’elle détient au stare de valle que l’on nomme forcia. De fait la mention semble bien faire référence à la maison forte ou au manoir des années 1120 qui fut celui de Bernard46. En 1196 cependant, les choses se précisent. Guilhem Bremond de Castelnau fait don à Guilhem VIII de Montpellier de la forcia nova du podium de Valle avec tout ce qui est à l’intérieur des murs du fort ou qui relève de la villa extérieure47. S’agit-il du même site ou d’une nouvelle entreprise comme le suggère le terme nova ? La donation d’octobre 1196 est suivie dès le mois de novembre d’un serment de fidélité prêté par les hommes de la forcia vallis au nouveau seigneur, Guilhem VIII de Montpellier. L’acte, très court, est en occitan pour la partie essentielle afférente à l’objet de la prestation du serment48, puis en latin pour la formule juratoire et la liste des jureurs et des témoins. Les hommes de Mireval qui prêtent serment sont au nombre de seize répartis en deux groupes, ayant chacun leurs propres témoins. La séparation de ces deux groupes ne s’explique pas (partition sociale ou topographique entre anciens habitants de la villa et nouveaux arrivants ?). Il semble que les noms mentionnés dans les deux groupes correspondent à des familles déjà anciennement enracinées dans la localité49. Les seize hommes semblent en revanche bien réunis ensemble lors de la prestation physique, l’acte étant passé extra portale castri novi de forcia. Toute la question demeure de savoir si cette porte renvoie à la nouvelle construction castrale seule ou bien à un programme plus vaste incluant une enceinte villageoise et un nouvel espace qu’il faudrait dès lors allotir (fig. 20). La mention dans la donation du mois d’octobre de localia, seu casalia renvoie bien l’image de loges ou espaces vacants qui restent à combler, voire à de petites constructions (casalia) à parachever.
Fig. 20
Mireval (Hérault), plan interprété du village d’après le cadastre de 1819 ; le château quadrangulaire se distingue encore très nettement à l’est
© dessin Vivien Vassal
- 50 - AD Hérault. 2 O 159/6 ; 30 J 159/1.
45Comme à Vendémian le château se présente sous la forme d’une enceinte quadrangulaire presque carrée (24,50 m x 20,50 m). Formellement proche, la fortification de Mireval se détache cependant des modèles de Valros, Vendémian et Arluz par l’adjonction de quatre petites tours carrées, pleines, placées dans les angles (4 m x 4 m), et par l’emploi d’un petit appareil roman (fig. 21 et 22). Lorsqu’à l’extrême fin du XIXe siècle l’église paroissiale (ancienne chapelle Saint-Louis) fut devenue trop petite et hors d’usage, le lieu de culte fut transféré au vieux château (parcelle n° 199 du cadastre de 1819 dite « Castellas »). Le dossier de ce transfert est suffisamment complet pour donner plan et élévation des vestiges encore en place avant le déroulement des nouveaux travaux50. On repère à l’intérieur de l’enveloppe principale (murs de 1,75 m d’épaisseur), des aménagements latéraux dégageant une petite cour intérieure avec, au centre, un puits.
Fig. 21
Mireval, (Hérault), plan du château en 1900
© dessin Vivien Vassal d’après AD Hérault. 2 O 159/6
Fig. 22
Mireval, (Hérault), détail de l’appareil du château
© Vivien Vassal
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46Une seconde ceinture se détache à peu de distance, il s’agit des vestiges d’une fausse-braie (aujourd’hui totalement disparue suite aux travaux d’aménagement de l’église à la fin du XIXe siècle) mentionnée dans le compoix du XVIIe siècle et dans une expertise de travaux faite en 163851. Dès le début du XVIe siècle une barbacane est également associée à ce château52. Ces différents aménagements laissent entrevoir une certaine adaptation de l’édifice aux nouvelles conditions de la défense, alors qu’il est en principe situé à l’intérieur du village, protégé par une enceinte doublant réellement sa protection (contrairement à Vendémian où l’enceinte du castrum primitif est incluse dans le dispositif). Cette enceinte collective est difficilement datable. Le cadastre de Mireval la montre dans un état tronqué, les portions de l’angle nord-ouest ceinturant primitivement le château ayant disparu. Deux portes sont encore bien conservées en élévation, dont l’une est aménagée contre la chapelle Saint-Louis (style roman tardif ?). Le tracé rectiligne et la facture de ces structures de passage renvoient à une construction du bas Moyen-Âge (guerre de cent Ans), sans plus de précision53.
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47On restera prudent sur l’origine précise de cette enceinte d’autant que sa construction semble s’accompagner d’un découpage parcellaire en damier, peu courant à l’échelle locale. Un vieux mur appartenant à la commune clôture du lieu est signalé au début du XVe siècle, de même qu’une barbacane associée à un portail supérieur par lequel on se rend à Frontignan54. Cette barbacane qu’il faut comprendre dans son acception « française55 », c’est-à-dire d’ouvrage avancé placé au-delà des fossés pour barrer l’accès direct au pont ou à la porte même, fonctionnait avec une porte bien connue par d’autres textes : le portail d’Amont, nommé ici portail supérieur, du fait de sa position topographique dominante, par rapport à l’autre porte située à l’extrémité de la même rue (le portail d’Aval). Le premier situé à l’ouest donne effectivement vers Vic et Frontignan alors que le second à l’est, ouvre vers le chemin de Villeneuve et Montpellier (fig. 23 et 24).
Fig. 23
Mireval, (Hérault), porte ouest du castrum
© Vivien Vassal
Fig. 24
Mireval, (Hérault), porte est, dite de Montpellier, du castrum de Mireval
© Vivien Vassal
- 56 - AD 34, 2 E 95/1735, minutes de Christophe, notaire de Vic et Mireval (1355), f°11 v°.
48Une de ces portes est déjà signalée en 1355, avec une indication qui nous permet de dire qu’elle n’était déjà pas toute seule et que, par conséquent, il ne pouvait pas s’agir de la porte du château, mais bien de celle du village castral. Le 12 juillet 1355 a lieu un compromis entre particuliers suite à une sentence du juge royal de Mireval. L’accord est passé entre les parties in castro de Mirisvallibus, in primo portali quo intratur dictum castrum56. Il est en revanche impossible de savoir de quelle porte il est alors question (Amont ou Aval ?). La position supérieure de la porte d’Amont et sa plus grande proximité avec le château, laisse penser qu’il pourrait s’agir de celle-ci. Les quelques actes notariés faisant état du tissu urbain de Mireval entre 1355 et 1480 ne signalent jamais de fortification récente (absence de mentions d’un fortalicium novum). La distinction classique mettant en évidence un chantier lié à la défense contre les compagnies, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, n’existe pas pour Mireval ; aussi on pourra supposer que si les portes ont pu être reprises en ces temps troublés (c. 1360-c. 1390), le tracé de l’enceinte avec son tissu d’habitats infra-muros précède bien cette période. La mention de vieux murs entraperçus en 1420 ne peut à elle seule valoir preuve de l’existence de murs neufs. Ces murs anciens ont donc une genèse antérieure au milieu du XIVe siècle.
- 57 - ROUQUETTE, 1912, t. II, p. 112-114, n° 335.
- 58 - Item unum stare, quod tenet a me Guillelmus de Montearbezone, et est in castro de Miravalle, et c (...)
- 59 - AD 34, 58 H 18 (copies du XVIIIe siècle) et LACARRA, 1978, p. 112.
- 60 - Même si cela reste anecdotique, ce n’est sans doute pas un hasard si la légende de la conception (...)
- 61 - AD 34, 58 H 18, bulle de Grégoire IX demandant à l’archevêque de Narbonne d’intervenir auprès de (...)
- 62 - Lorsque l’évêque entre en conflit avec Jacques d’Aragon, au sujet de Montpellier, vers 1238-1239, (...)
49Une explication peut être donnée à propos de l’existence ancienne d’une enceinte villageoise, ce dès le début du XIIIe siècle. En juin 1213, Bernard du Pin, fait reconnaissance à l’évêque de Maguelone de tous les biens qu’il tient de lui dans la paroisse de Mireval (quod est in parrochia Sancte Eulalie de Miravalle), à savoir pour 11 pièces de terre (jardin, faïsse, champ, plantier, bosquet) et pour 7 maisons (4 domus, 3 stares) et 1 casal57. Parmi ces maisons il est notamment question d’une demeure (stare) située à l’intérieur du village (castrum), et d’une autre maison d’habitation (domum) confrontant au nord-ouest les murs du château58. Tous ces biens sont tenus en arrière-fief par des individus dont certains figurent parmi les jureurs de 1196 (Guilhem de Montaubérou, Pierre Richard, Pons Lobasson). D’autres sont tenus par des femmes, absentes lors de l’hommage rendu à Guilhem VIII (Marie de Celles, na Salvariz). Les confronts mentionnés pour les maisons laissent entrevoir un patrimoine peu éclaté. Même si l’on ignore d’où proviennent les droits dont l’évêque semble user pour cette longue reconnaissance, tout porte à croire qu’elle est authentique. Il s’agit, qui plus est, d’une reconnaissance in feudum censatum (ou fief honoré) assez classique, mais de laquelle ne transparaît aucun indice, sauf la position intermédiaire de Bernard du Pin, totalement inconnu jusqu’à présent (absent en 1196). On sait qu’en 1213 le castrum est donné à l’abbaye Saint-Félix de Montceau, par Marie de Montpellier qui l’avait sans doute hérité de son père Guilhem VIII59. Dans son premier testament rédigé en 1209, six jours après l’assaut de Béziers par les croisés de Simon de Montfort, en la chambre de l’abbé du monastère d’Aniane, elle avait d’abord légué le château à sa tante Clémence tandis que celui-ci était devenu un lieu de résidence pour la reine depuis la destruction du château de Montpellier en 120760. Son mari, Pierre, roi d’Aragon et seigneur de Montpellier (depuis 1204) est mort à Muret, mais les possessions aragonaises n’ont jamais fait l’objet de saisie lors de la Croisade. Son fils, Jacques d’Aragon, hérite de la seigneurie de Montpellier dans sa quasi-intégrité et intervient encore au sujet de Mireval entre 1227 et 123161. Pour autant la reconnaissance (unique en son genre) faite à l’évêque en 1213 montre sans doute l’implication de forces contradictoires à Mireval même dans la mesure ou Vic, localité voisine, relevait de la seigneurie des évêques62. Quoi qu’il en soit, ce que l’on retiendra de cet étonnant document, c’est avant tout l’existence d’un habitat resserré à l’intérieur d’une muraille à proximité du château et ce dès le début du XIIIe siècle. En ce sens le texte de 1196 marque sans aucun doute un tournant dans l’évolution du village.
50À dix kilomètres de Montpellier la commune de Teyran se partage entre plaine alluvionnaire (Salaison) et premières collines calcaires de la garrigue montpelliéraine. Le village actuel perché à 104 m d’altitude domine les anciens foyers d’habitat et notamment le chef-lieu paroissial, Saint-André d’Aubeterre situé à moins d’un kilomètre à l’ouest. L’analyse archéologique du château (forcia ou castrum) que l’on peut effectuer aujourd’hui est relativement succincte et se résume peu ou prou au constat d’un bloc quadrangulaire de 22 x 17,5 m. Mais le dossier des sources écrites déjà commenté au début du XXe siècle par l’abbé Augustin Villemagne offre la possibilité d’une contextualisation précise et documente de manière suggestive et assez rare le cas d’un transfert d’un noyau villageois initial vers une hauteur et un château neuf au cours du premier tiers du XIIIe siècle. Nous accordons de fait ici une plus large place à l’analyse historique qui complète et informe les conditions précises d’émergence de ces nouveaux châteaux secondaires entre les années 1170 et 1230.
- 63 -… in tota parrochia Sancti Andree de Albaterra, in Albaterra videlicet et in toto terminio ejus… : (...)
51Deux actes des années 1167 et 1169 mettent tout d’abord en scène les seigneurs d’Assas, castrum voisin de Teyran situé à moins de 3 km agissant comme nouveaux seigneurs dans la villa d’Aubeterre. Guilhem d’Assas et Rostaing son fils reconnaissent alors leur castrum d’Assas à Béatrice, comtesse de Melgueil, qui en contrepartie leur cède les droits qu’elle possédait dans la paroisse Saint-André d’Aubeterre, à Aubeterre même et dans tout son terroir63. Divers autres actes dispersés font apparaître par ailleurs plusieurs individus qui associent à leur nom le toponyme de l’ancienne villa. Certains ne semblent être que des habitants du lieu mais d’autres comme Guilhem d’Aubeterre pourraient se rattacher à une famille seigneuriale enracinée dans ladite villa.
- 64 - ROUQUETTE, 1912, t. I, p. 443-444, n° 251(août 1199). Également édité dans VILLEMAGNE , 1913, p. (...)
- 65 - ROUQUETTE, 1912, t. I, p. 449-450, n° 254 (mai 1200). Acte également analysé dans MACÉ , 2008, p. (...)
52De fait, dans un troisième acte daté d’août 1199, le représentant de Raimond VI de Toulouse, successeur de Raimond V au comté de Melgueil, accorde la sauvegarde comtale à tous les habitants de la villa Saint-André d’Aubeterre, tant chevaliers que probes hommes64 sans que les noms des seigneurs locaux ne soient évoqués. Cependant dès le mois de mai 1200, un Guilhem d’Aubeterre rend directement hommage à Raimond VI65. L’acte met pour la première fois en lumière la mainmise de cette famille d’Aubeterre sur la villa et son territoire, puisqu’en préambule Guilhem donne au comte, un de ses alleux sis dans la villa : le mont de Teyran (montem de Teyrano). En retour Raimond VI rétrocède en fief ledit bien à Guilhem et à ses successeurs, tout en l’autorisant à édifier sur place un castrum. L’accord est soumis à plusieurs clauses :
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la construction du castrum est faite sous condition de sa mise à disposition lorsque le comte l’exigera selon un échange assez classique,
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la haute justice ou du moins les cas de trahisons et de meurtres resteront le privilège du comte,
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Guilhem en sus du serment de fidélité, devra par ailleurs fournir une albergue pour 10 chevaliers et continuer à livrer sa part des 24 setiers d’orge qu’il donne avec les hommes d’Aubeterre au comte de Melgueil,
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- 66 - Ad hoc, si ibi ecclesiam edificare contingerit, et Ecclesia vel episcopus Magalonensis domum ibi (...)
de son côté le comte garantit à Guilhem d’Aubeterre de ne jamais aliéner sa suzeraineté à personne, sinon à son successeur au comté de Melgueil, et interdit à toute église ou maison que l’évêque de Maguelone pourrait construire au mont de Teyran, de posséder la moindre fortification, tout en spécifiant qu’en tel cas cette église sera libre de toute exaction66.
53Cette dernière clause est particulièrement significative. Si la construction d’une église ne semble pas faire partie de l’accord, cette éventualité est néanmoins déjà prévue. Tout porte à croire de fait que la construction du château s’accompagne d’un programme de peuplement. C’est dans ce contexte que l’acte antérieur (celui d’août 1199), plaçant les hommes de la villa d’Aubeterre sous la protection du comte, prend tout son sens. Il s’agissait de préparer un déplacement sans doute planifié bien en amont et en concertation avec les différents protagonistes (seigneurs, habitants de la villa, comte de Melgueil).
- 67 - ROUQUETTE, 1912, t. I, p. 485-486, n° 170 (4 mars 1203).
- 68 - Ces hommes du castrum de Teyran sont : Rostagnus de Albaterra, Guiraldus Alamandi, Petrus Alamand (...)
54La construction du château semble avoir été assez rapide par ailleurs. Moins de trois ans après la rétrocession du mont de Teyran, Guilhem, fils de feu Guilhem d’Aubeterre, initiateur du projet, disparu entre temps, remet entre les mains des bayles de Melgueil et de Montferrand les clefs du castrum de Teyran, rendant l’hommage promis par son père devant les représentants du comte de Melgueil67. L’acte est passé au castrum de Teyran où les hommes du nouveau lieu (homines castri de Teyrano), réunis pour l’occasion prêtent à leur tour hommage à Guilhem d’Aubeterre. Seuls onze chefs de famille sont mentionnés : c’est peu, d’autant que parmi eux se trouvent un membre de la famille de Guilhem, Pons (son frère ?), et sans doute quelques chevaliers formant un embryon de militia castri et/ou un groupe de fidèles de la première heure, tous habitants Aubeterre et ayant suivi leur seigneur sur le mont de Teyran68.
55Une telle contextualisation n’est pas si fréquente dans l’ancien Languedoc. Elle nous montre le niveau d’une petite aristocratie non châtelaine gravitant dans l’environnement seigneurial des Guilhem de Montpellier puis des comtes de Melgueil dans la seconde moitié du XIIe siècle. Seigneurs d’une villa sans château, les Aubeterre ne sont pas sans rappeler de ce point de vue le cas des Maroiol entre Aniane et Gignac dans la vallée de l’Hérault69 et peut-être aussi celui des Vailhauquès. Mais ici la greffe tardive d’un château dans le territoire que contrôle ce type de famille et la réussite rapide d’un incastellamento dont l’aspect coercitif paraît évident à l’aune des trois textes conservés (1199, 1200 et 1203) évoquent une situation plus originale. La prospérité du lieu se comprend de manière indirecte, à travers une plainte plus tardive portée par les grands absents des actes de la charnière des XIIe-XIIIe siècles, les seigneurs d’Assas. Une vingtaine d’années après la construction du castrum, ces derniers font alors valoir les droits obtenus soixante ans plus tôt de la comtesse Béatrice en 1167-1169.
56En 1228, le comte de Toulouse, éliminé de l’échiquier politique à la suite de la croisade contre les Albigeois, a été remplacé dans le comté de Melgueil depuis plus de dix ans par l’évêque de Maguelone (comte depuis 1215). C’est un atout, quoique mobilisé tardivement par Rostaing et Pierre d’Assas, pour tenter de prouver qu’ils avaient des droits, comme leurs ancêtres avant eux les avaient partagés sans doute avec les seigneurs d’Aubeterre, sur l’entière seigneurie d’Aubeterre et par conséquent sur le castrum de Teyran, nouvelle place dynamique ayant émergé à moins de 4 km de leur propre château. La formule utilisée pour désigner Teyran (in villa et forcia de Teirano) tendrait à montrer que si le site est bien un nouveau pôle d’attraction pour les habitants de la villa d’Aubeterre, il reste encore ouvert, le terme forcia renvoyant sans doute à la fortification érigée par Guilhem d’Aubeterre et non à une agglomération pourvue d’une enceinte collective.
- 70 - C’est au cours de ce procès qu’est produit l’acte de 1169, alors que celui de 1167 est inscrit co (...)
57S’appuyant sur les actes de 1167-1169, établissant les seigneurs d’Assas comme feudataires du comte de Melgueil pour la paroisse Saint-André d’Aubeterre, Rostaing et Pierre prennent la formule in Albaterra videlicet et in toto terminio ejus au pied de la lettre70. Si leurs droits sont authentiques, l’évêque ne leur reconnaît aucune valeur pour Teyran, puisque la donation de 1200 précisait bien que le mont de Teyran était un alleu tenu par Guilhem d’Aubeterre et nul autre. Rostaing d’Assas cependant conteste ce point en affirmant que Teyran n’a jamais été l’alleu du seigneur d’Aubeterre, et qu’au contraire la donation de 1167-1169 faisait de ses prédécesseurs les seuls détenteurs de la villa d’Aubeterre. Pour lui, même si Teyran était bien un alleu de Guilhem d’Aubeterre, le nouveau château construit devrait lui appartenir, comme le voulait la coutume du pays. D’où la réclamation portée contre l’évêque, puisque ce dernier en tant que comte de Melgueil perçoit des droits de suzeraineté sur Teyran et toute la paroisse d’Aubeterre alors que les chartes de 1167-1169 avaient fait des seigneurs d’Assas les nouveaux suzerains d’Aubeterre en lieu et place des comtes de Melgueil.
- 71 - …quod patet ex eo dicta villa de Albaterra derelicta penitus et deserta, plebs et populus et univ (...)
- 72 - ROUQUETTE, 1912, t. II, p. 490-499, n° 484 (11 janvier 1235). Également édité dans VILLEMAGNE 191 (...)
- 73 - Pour une analyse détaillée de ces différentes clauses, voir VILLEMAGNE 1913, p. 50-53.
58Le seigneur d’Assas fait indirectement valoir en faveur de sa thèse qu’il n’y avait jamais eu de maison construite sur le mont de Teyran, du moins pas avant 1200, affirmant que la villa était déjà presque tout entière désertée, ses habitants s’étant transportés depuis Aubeterre vers le castrum71. Au moment de ce procès (conclu en 1230) le castrum de Teyran a vraisemblablement déjà pris la place occupée jadis par Aubeterre comme lieu central (chef-lieu administratif et lieu d’habitat de la population). C’est bien ce nouveau village, centre économique en plein essor, qui attise de fait l’intérêt des seigneurs d’Assas, bien discrets jusqu’ici. Et leur audace finit par payer : les deux arbitres nommés pour trancher le litige, s’appuyant sur la seule charte de 1169, leur concèdent finalement le castrum de Teyran, cassant ainsi le lien féodo-vassalique que les actes de 1200 et 1203 avaient établi. La situation entraîna un nouvel accord, puisque les actes qui faisaient des seigneurs d’Aubeterre, sous la suzeraineté de l’évêque, les détenteurs du castrum de Teyran, n’avaient plus aucune valeur72. Sans être totalement évincés les seigneurs d’Aubeterre partagèrent dès lors les droits sur Teyran avec les seigneurs d’Assas. L’évêque, choisi comme arbitre par les deux parties, plaça les seigneurs d’Aubeterre dans une situation intermédiaire : ils auront droit sur la seigneurie, juridiction et district du château de Teyran, de la villa d’Aubeterre et dans leurs dépendances, possessions qu’ils tiendront dorénavant non plus du comte de Melgueil mais des seigneurs d’Assas. Une partie des clauses établies par l’inféodation de 1200, ainsi que celles de la sauvegarde de 1199 sont reprises, Rostaing d’Assas se substituant ici au comte de Toulouse73.
59Certaines dispositions de l’accord nous donnent des indices relatifs à la matérialité du transfert de la population de la villa d’Aubeterre vers le mont de Teyran.
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L’évêque, arbitre du compromis, accorde aux seigneurs d’Aubeterre, la possibilité de détruire le four existant dans la villa, comme les fortifications et tous les autres édifices qui ont pu exister.
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Rostaing d’Assas et ses successeurs conserveront leurs droits sur le sol et les honneurs dans ladite villa et dans toute la paroisse Saint-André d’Aubeterre.
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- 74 - ….possint diruere, vel dirui facere furnum in villa de Albaterra constructum, et municiones, et a (...)
- 75 - Item dixit dictus dominus episcopus, quod dicta Adzalacia, et dictus Bernardus Petri, vel success (...)
Les dépenses engendrées par ces destructions et par les nouvelles constructions seront évaluées par deux experts74. Mieux encore les pierres et les matériaux provenant des démolitions des bâtiments encore debout dans Aubeterre, pourront être récupérés par les vassaux des seigneurs d’Assas, Adalaïs, veuve de Guilhem d’Aubeterre, son fils Bernard Pierre, et leurs successeurs, afin d’être acheminés à Teyran et employés à la réédification de leur maison noble (stare) ou dans toutes nouvelles constructions qu’ils souhaiteraient y bâtir75.
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- 76 - Item dixit et statuit dictus dominus episcopus, quod de cetero, in dicta villa de Albaterra vel a (...)
Toute nouvelle fortification est interdite dans la paroisse Saint-André, à l’exception de celle du château de Teyran, et à moins d’une décision contraire des héritiers de Guilhem d’Aubeterre ou de toute autre personne disposant des droits pour ce faire76.
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- 77 - La clause relative à cette maison se développe encore en relation avec son occupation par des fam (...)
Les seigneurs d’Aubeterre devront prêter à Rostaing d’Assas 300 sous melgoriens pour lui faciliter l’achat d’une maison (stare) à Teyran, édifice dont il ne disposait pas jusqu’à présent et qui sera libre de droits. Ce stare ne sera cependant jamais fortifié et ne devra pas dépasser la hauteur des autres maisons afin de ne pas concurrencer le château77.
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Dorénavant les seigneurs d’Aubeterre utiliseront le four de Teyran pour cuire les pains nécessaires aux familiers que Rostaing logera dans sa nouvelle maison, un jour par semaine ou bien moins d’une journée en fonction des besoins, ledit four restant à l’entière disposition d’Adalaïs et de ses successeurs tous les autres jours.
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Enfin il est rappelé qu’en sus des 300 sous melgoriens dus par Adalaïs pour la construction du stare dévolu à Rostaing d’Assas, les dommages causés par les destructions des maisons d’Aubeterre devront également être remboursés par ladite Adalaïs. Le montant de ces dépenses sera évalué par des experts et soldé par Adalaïs le jour de la prochaine fête de Saint-Pierre d’août. Cette dernière s’engage à exécuter de bonne foi toutes ces prescriptions.
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L’évêque de son côté, avec l’accord des parties, se réserve le droit de désigner les experts, et de choisir l’endroit réservé à la maison de Rostaing.
- 78 - L’absence de tout hommage rendu par les Aubeterre aux seigneurs d’Assas, le retrait probable de c (...)
60L’œuvre commencée par Guilhem d’Aubeterre vers 1199-1200 sous l’autorité de Raymond VI de Toulouse, est donc entièrement reprise en main par les seigneurs d’Assas qui, agissant comme aurait pu agir le comte de Melgueil, incitent leurs nouveaux feudataires à détruire ce qu’ils possédaient encore dans la villa pour achever la translation vers le nouveau castrum et réduire l’ancien centre habité à un agrégat de masures sans défenses. La destruction du four d’Aubeterre, l’existence d’un four à Teyran, la construction d’une maison pour le seigneur d’Assas, sont autant d’indices qui permettent d’affirmer que le programme élaboré à l’aube du XIIIe siècle est en voie d’achèvement trente cinq ans plus tard. Le délai donné à Adalaïs pour effectuer les destructions et en dédommager Rostaing, est d’ailleurs assez court. Rien ne transparaît cependant à propos d’une éventuelle enceinte collective qui aurait déjà protégé un petit groupe de maisons (fig. 25). À ce niveau, tout semble encore à faire. De même, l’abandon programmé du site d’Aubeterre tel qu’il nous est présenté en 1235 ne peut être vérifié et donc précisément daté78.
Fig. 25
Teyran (Hérault), localisation du château et de l’enceinte collective du village sur le fond cadastral
© Vivien Vassal
- 79 - VILLEMAGNE, 1913, p. 55.
61L’église paroissiale, seul édifice épargné, ne semble avoir été abandonnée que durant la première moitié du XVIIe siècle79. Son transfert éventuel, prévu dans l’acte de 1200, n’a, semble-t-il jamais eu lieu, du moins pas avant le XVIe siècle, époque à laquelle le seigneur de Teyran aménage près de son château une chapelle castrale qui sera utilisée par la suite comme lieu de culte paroissial (seconde moitié du XVIIe siècle).
- 80 - Dès 1842, peu après l’acquisition du château par la commune de Teyran, fut dressé un devis d’amén (...)
62En revanche le château construit entre 1200 et 1203 a laissé quelques substantiels vestiges (fig. 26). Comme à Mireval, sa sauvegarde est en partie due à un changement de destination survenu dans la seconde moitié du XIXe siècle80. De la structure castrale positionnée en bordure occidentale du vieux village, avant une importante rupture de pente, il nous reste un plan assez massif.
Fig. 26
Teyran (Hérault), plan du château d’après un relevé dressé le 15 juin 1864 par Henri Besine
Mise en forme Vivien Vassal d’après ADH : 2 O 309-8 liasse 3
- 81 - Cote 1652RES_Vol 78064, Mémonum, bibliothèque numérique patrimoniale de Montpellier.
63Le château se présentait avant sa transformation sous la forme d’un bloc quadrangulaire de 22 m de longueur pour 17,75 m de largeur et 16 m d’élévation (hauteur impressionnante constatée au début du XXe siècle). D’après le plan livré par l’abbé Augustin Villemagne, il aurait été initialement conçu selon un plan en U intégrant une cour intérieure. Le mur oriental fermant cette cour aurait été rajouté ultérieurement. Pourtant depuis l’extérieur la reprise ne se lit plus et l’ensemble paraît cohérent, sans qu’il soit possible d’attribuer l’intégralité de ce lissage aux transformations de la fin du XIXe siècle. On voit d’ailleurs très bien comment l’épaisseur du mur oriental est constante jusqu’à la hauteur des baies latérales de l’église, intégrées sous la voûte, mais en retrait par rapport à ce mur. Si toutefois plusieurs remaniements peuvent être déduits sur la seule base des sources iconographiques – dont un dessin81 de Jean-Marie Amelin de 1822 - figurant le château avant sa reconversion (larges ouvertures « Renaissance » aux deux derniers niveaux, tour d’escalier polygonale et galeries suspendues au-dessus de la cour intérieure) il ne fait aucun doute que ces éléments se greffent sur un monument du Moyen Âge.
64Cette enveloppe médiévale se repère, là où elle n’a pas été restaurée, par l’emploi de moellons calcaires en moyen appareil, plutôt bien équarris, desquels émergent parfois quelques bossages. La technique (bossages d’économie) est utilisée dans la région de Montpellier à la charnière des XIIe et XIIIe siècles. À Montpellier-même la grande enceinte de rassemblement dite Commune Clôture érigée entre 1200 et 1220, offre un bel exemple de cette utilisation, au même titre que le château de Murles au nord-ouest de Montpellier, qui possède quelques similitudes techniques avec celui de Teyran et présente de surcroît un plan potentiellement en U fermé plus tardivement. L’épaisseur des murs d’environ 1,70 m n’est pas sans rappeler celle du château de Mireval. Tout semble indiquer que la structure médiévale répond à un modèle proche de ceux déjà observés à Vendémian et à Mireval (fig. 27 et 28).
Fig. 27
Teyran (Hérault), aspect actuel du mur oriental de l’ancien château transformé en église
© Vivien Vassal
Fig. 28
Teyran (Hérault), base du mur est du château avec appareil à bossage
© Vivien Vassal
- 82 - VILLEMAGNE, 1913, p. 26.
65À l’instar de ces villages, l’enceinte collective étonne par sa régularité dans un contexte topographique pourtant contraint (forte inclinaison de la colline vers le sud avec un différentiel de près de 7 m entre le château (point haut du village) et la porte principale de l’agglomération située seulement à moins de 50 m (18 % de pente moyenne). Les vestiges de cette fortification collective sont importants : longues sections de courtines encore en élévation peu parasitées par des constructions contiguës au nord et à l’est, tours, porte. Initialement l’enceinte était flanquée de quatre tours d’angles quadrangulaires, deux sont encore visibles dont une sensiblement remaniée, une troisième tour a été détruite en 2001 pour créer un parking. L’abbé Villemagne a pu voir trois de ces tours. Leurs murs faisant seulement 1,10 m d’épaisseur pour 12 à 14 mètres de hauteur d’après ses relevés82. Les débris de la porte principale, intégrée au centre dans la section méridionale de l’enceinte, permettent de restituer une tour-porte non flanquante, avec sas multiples, mâchicoulis, herse, porte et archères latérales (archère-canonnières ?). Les arcs et voûtes de l’arrière-voussure ont depuis longtemps disparu. Une restauration incertaine, pour ne pas dire inadéquate a rajouté un arc à l’entrée de la porte, construction qui structurellement ne s’imposait pas et qui reste esthétiquement très discutable. Une des tours montre encore un percement remanié en archère-canonnière. Aucun texte ne donne d’indication fiable au sujet de l’aménagement de cette défense collective. À l’image de l’enceinte collective de Vendémian, plan régulier (pentagonal), flanquements quadrangulaires et porte (défendue par des archères-canonnières, modèle rare) incitent à penser que ces structures ne sont pas antérieures à la seconde moitié du XIVe siècle avec de possibles remaniements au début du XVe siècle.
66Il reste que le bloc du château bâti, comme la forcia de Valros, en quelques années seulement complète le corpus que nous avons tenté de constituer, famille de châteaux peu ou prou rudimentaires et généralement dépourvus de flanquement mais surtout érigés avec une certaine fièvre constructive dans ces années 1190-1200 autour de Montpellier.
67Au-delà des questions de forme ou de modèle, le dossier réuni témoigne en premier lieu d’une phase d’accélération notable des chantiers de mise en fortification, peu ou prou sur des sites neufs, dans un espace et plus largement dans des pays où la longue guerre du XIIe siècle entre méridionaux s’achevait et basculait dans un autre conflit cette fois-ci de nature plus invasive. Ce mouvement bien que concomitant à une activité constructive seigneuriale marquée aussi à partir des années 1120-50 en Languedoc par le phénomène du regroupement fortifié de l’habitat, traduit plus précisément encore dans les dernières décennies du XIIe siècle et au seuil du XIIIe siècle un nouveau resserrement de la maille de la structuration seigneuriale des territoires (fig. 29).
Fig. 29
Développement du maillage des castra dans les anciens pays, comté et diocèse de Maguelone-Substantion-Mauguio (XIe – début XIIIe siècle)
© Laurent Schneider, CNRS, 2019
68Les cinq cas présentés, choisis parce qu’ils documentaient formellement une famille de « châteaux » constitués selon le plan simple d’un fortin quadrangulaire ou d’un enclos-bloc et offraient aussi des contextes suffisamment éclairés par les sources écrites illustrent finalement un niveau d’investissement aristocratique intermédiaire. Celui de familles enracinées dans des villae traditionnelles qui, en cette fin du XIIe siècle n’avaient pas encore été dotées de châteaux ou de fortifications comme à Aubeterre-Teyran, celui issu aussi du dynamisme de lignages castraux secondaires ou produit par un essaimage dicté et appuyé par des réseaux aristocratiques de niveaux supérieurs comme à Vendémian ou Valros. À Vendémian et Teyran, à Mireval peut-être aussi, les nouveaux castra sont néanmoins associés à des entreprises de restructuration du peuplement, tandis que les « forts » de Valros et de La Buade paraissent davantage liés à la défense des marges d’une seigneurie châtelaine, ici celle des Servian. C’était probablement le cas également du dispositif construit autour d’Aumelas avec le castrum d’Arluz et la forcia de Valmalle.
69Dans ces régions relativement peuplées de la bordure méditerranéenne où les terroirs bénéficiaient de mise en valeur ancienne, les nouvelles fondations occupent de fait des positions intercalaires dans les grands interstices laissés par l’implantation des centres castraux issus du XIe siècle et des premières décennies du XIIe siècle Mais elles ne sont jamais très éloignées des églises et des noyaux de peuplement constitués au sein des villae traditionnelles. C’est le choix d’un relief significatif, mons (Teyran, Arluz) ou podium (Mireval et Valros) qui détermine avant tout les nouvelles positions.
70Les investissements consentis sont réels et non négligeables, au point que des endettements peuvent être détectés comme pour les Murviel qui se séparent de Vendémian. Mais cette formule du château-fortin quadrangulaire demeure somme toute épurée dans la mesure où les ouvrages sont généralement dépourvus de flanquement et surtout de tour majeure (fig. 30).
Fig. 30
Synthèse comparative des plans des châteaux de Vendémian, Mireval, Teyran, Valros et d’Arluz
© V. Vassal, L. Schneider et I. Commandré, 2019
71À Valros, la tour programmée qui devait initialement prendre place dans un angle de l’enclos, n’a jamais été mise en œuvre. À Vendémian la tour non saillante était liée au contrôle de la porte. Seul finalement le castrum d’Arluz a été doté d’une tour centrale encore que celle-ci équipée d’une porte basse et disposant de dimensions inhabituelles introduisait dans cette région une nouvelle formule architecturale. Mais dans ce modèle général du château et fort quadrangulaire les déclinaisons sont à vrai dire nombreuses et diversifiées, sinon systématiquement singulières comme en témoigne la superficie des blocs : autour de 400m2 pour les plus petits comme Vendémian et Teyran, entre 500 et 680 m2 pour les plus grands comme Mireval (502 m2), Valros (576 m2) et Arluz (682 m2). De fait vouloir faire correspondre aujourd’hui l’ancien registre lexical des textes de la fortification et du château à des modèles architecturaux précis ne peut conduire qu’à des impasses méthodologiques. La forcia sive castrum occitane de Valros évoquée en 1199 est devenue, trente ans plus tard, une bastide lorsqu’il s’agit de s’adresser aux représentants du roi. Le castrum de Teyran dont la construction fut autorisée par le comte Raymond VI en 1200 est toutefois qualifié de forcia en 1228, tandis que la résidence élitaire ou demeure de Guilhem VI à Mireval qui fut dotée de créneaux, de hourds, de fossés et barbacane est déjà un prototype de château qui ne dit pas son nom. Désignée comme domus et stare, elle est aussi qualifiée de forcia tandis que la forcia nova de 1196 est évoquée en 1208 comme un castellum dans le testament de Marie de Montpellier ! Le château-fortin quadrangulaire que nous avons tenté de circonscrire est en fait un concept architectural encore moderne en cette fin du XIIe siècle parce qu’il n’est plus spécifiquement associé à un édifice « tourriforme » marqueur et gradiant d’une domination aristocratique. Il engendre de fait un principe d’orthogonalité lorsqu’il est associé à une œuvre de peuplement comme cela est manifeste à Vendémian, principe relativement étonnant dans une région où le dispositif des parcellaires villageois ou des petites villes obéissait surtout à une trame circulaire et radio-concentrique. Si ces châteaux ou ces forts sont le plus souvent désignés comme forcia dans la zone montpelliéraine, c’est surtout parce qu’ils ne sont pas toujours associés ou connectés à un centre de peuplement, contrairement au castrum dont le lien avec un habitat groupé est désormais de plus en plus explicite.
72Mais une fois encore, il est nécessaire de pouvoir examiner les situations au cas par cas tant les changements peuvent être rapides au sein d’un même lieu comme le montre la situation de Mireval entre 1125 et 1196-1213, tant l’intention d’un projet initial a pu faire face à des aléas et laisser place à d’autres configurations comme il en a peut-être été dans le cas du castrum d’Arluz, tant les destins politiques et la guerre surtout ont pu stopper net une trajectoire comme dans le cas de Valros. Ce qui frappe également c’est, d’une certaine manière, la rapidité de mise en œuvre de ces nouveaux forts et châteaux. Il aura fallu moins de trois ans pour ériger celui de Teyran ! Cette rapidité est amplifiée par l’accélération générale du mouvement de fortification des années 1190-1206. Elle est néanmoins aussi le reflet d’une certaine plasticité des ouvrages mis en place, car au moins deux des cinq forteresses évoquées sont abandonnées assez vite et d’autres connues uniquement par les textes telle la forcia de Saint-Jean-de-la-Buade à Tourbes, n’ont pas laissé de traces significatives dans le paysage contemporain. Il n’en demeure pas moins que c’est aussi ce mouvement qui a imprimé le grand dessin d’une maille particulièrement resserrée de villages agglomérés, de bourgs et de petites villes qui caractérisent aujourd’hui encore les espaces de l’Occitanie méditerranéenne.