1Dans les Corbières, du littoral méditerranéen au Pays d’Olmes, en Ariège, s’étend le territoire méridional de la sénéchaussée de Carcassonne et Béziers. Sa limite, déterminée par le traité de Corbeil, se matérialise, en deçà de la frontière, par une série de châteaux. Actuellement ces territoires forment la partie orientale du département l'Aude tout en englobant une partie de l’Ariège.
2Quelques-uns de ces châteaux, que leur perchement extraordinaire fait appeler aujourd'hui « citadelles du vertige » ont été classés au titre des monuments historiques à des dates diverses et font l'objet depuis trente ans d'un engouement touristique qui ne se dément pas. Ils ont été promus, avec la cité de Carcassonne et quelques autres sites audois, dans le cadre du programme « pays cathare ». Mais par un glissement fâcheux, si tant est que le concept de pays cathare ait une validité historique, on les a vite désignés sous le nom de « châteaux cathares » : leurs ruines, comme le démontre cet article, ne sont pourtant (presque) pas cathares, mais royales.
3La création de la sénéchaussée de Carcassonne est la conséquence directe de la lutte contre l’hérésie albigeoise. Cette lutte résulte des actions coordonnées de la Papauté et de la volonté de la royauté capétienne d’imposer sa suzeraineté sur les contrées méridionales insurgées. Louis VIII, roi depuis 1223, prend possession des territoires confisqués par l’Église. En 1226, il soumet Béziers, Carcassonne et Pamiers, assurant ainsi son contrôle sur le Midi. Cette même année, Nunyo Sanche, parent du roi Pierre d’Aragon, tué à Muret en 1213, entre en possession des comtés de Roussillon et Cerdagne, ainsi que de la vicomté de Fenolhédès-Pérapertusès dont le vicomte, Pierre de Fenouillet est déclaré hérétique. Nunyo Sanche se met au service de Louis VIII qui, recevant son hommage, lui concède la vicomté de Fenolhédès-Pérapertusès, en octobre 1226. Son successeur, Louis IX, en achevant les opérations militaires, confirme l’hommage de Nunyo Sanche.
4En 1229, le traité de Meaux-Paris, signé par Raymond VIII de Toulouse et celui de Melun consacrent le rattachement du Languedoc au domaine royal. Raymond VIII conserve l’usufruit - sa fille étant promise à Alphonse de Poitiers, frère du roi - de la majeure partie de ses biens. Amaury de Montfort cède ses biens, dont Carcassonne qui devient le siège de la sénéchaussée. Les places-fortes majeures en sont, outre Carcassonne, les lieux de Minerve, Lastours et Termes.
5Au sud, la vicomté de Fenolhédès-Pérapertusès paraît jouir d’une certaine indépendance et d’un calme relatif. Ceci semble résulter de la désorganisation des nobles faydits, dépossédés, dont certains participent, avec Nunyo Sanche, sous les ordres du roi Jacques Ier d’Aragon, aux conquêtes de Majorque et du royaume de Valence jusqu’en 1238.
6Pour autant le roi d’Aragon ne renonce pas à ses droits de suzeraineté sur Carcassonne, Toulouse et autres lieux, entraînant un regain de tension entre les deux monarchies. En 1239, Nunyo Sanche cède à Louis IX le château de Peyrepertuse pour la somme de 20 000 sous melgoriens. Cette vente reste théorique jusqu’à la révolte des méridionaux conduite par Raimond Trencavel, au cours de l’été 1240. Carcassonne est assiégée à partir du 17 septembre. La ville est débloquée le 11 octobre par Jean de Beaumont qui, progressant dans les Corbières obtient la capitulation de Peyrepertuse le 16 novembre. Quelques mois plus tard, en mai 1241, la soumission d’Olivier de Termes permet à la monarchie capétienne de s’établir temporairement au château d’Aguilar.
7Louis IX s’attache à continuer de fidéliser la noblesse locale. La participation d’Olivier de Termes à la septième croisade, entreprise en 1248, fournit un exemple de cette politique d’apaisement et de réconciliation. Peu de temps après, des travaux sont effectués à Peyrepertuse, documentés en 1250-1251. Cette même année, le château d’Aguilar est restitué à Olivier de Termes. Le sud du Fenolhédès n’est pas encore sous le contrôle du roi de France. Lorsque Louis IX rentre de Terre sainte, en juillet 1254, commence la phase définitive de la conquête des franges méridionales du Languedoc. La capitulation du chevalier Chabert de Barbaira qui occupait Quéribus résulte de sa capture par Olivier de Termes. En août 1255, l’ensemble des Corbières est passé dans la mouvance capétienne.
- 1 - Fonds Doat, Bibliothèque Nationale, 154, f° 71.
- 2 - Par ce traité, le roi de France cède à Jacques et à ses successeurs tous ses droits sur les comté (...)
- 3 - LANGLOIS, 2001.
8Le roi ordonne au sénéchal de Carcassonne de faire évacuer et fortifier le château de Puilaurens, de réduire les garnisons de Termes et de Quéribus1. Les raisons de ce désarmement sont à rechercher dans la signature par Louis IX et Jacques Ier d’Aragon, d’un compromis destiné à régler leurs différends au sujet de la frontière commune de leurs royaumes. Par le traité de Corbeil en 1258, le roi de France cède à Jacques et à ses successeurs tous ses droits sur les comtés d'outre Pyrénées et reçoit en échange les droits de la couronne d’Aragon sur les contrées en deçà2. Un soin constant va dès lors être apporté à la fortification, à l’entretien et à la garde des châteaux royaux « qui commandent l’entrée du royaume de France et couvrent à distance la Cité de Carcassonne », à savoir les cinq forteresses principales, appelées plus tard « les cinq fils de Carcassonne » : Peyrepertuse, Puilaurens, Quéribus, Termes et Aguilar, finalement acheté à Olivier de Termes en 12613.
- 4 - MOULIS.
- 5 - Les constructions d’époque médiévale s’élevaient au revers oriental du fort bastionné. Un dessin (...)
9En 1272, Philippe le Hardi s'empare du château de Roquefixade (Ariège), et le complète. Enfin, en 1312, Philippe le Bel fait l'acquisition du lieu de Leucate. Ces deux forteresses complétaient à l'est et à l'ouest les fortifications de la frontière. Elles sont abandonnées au XVIIe siècle. Roquefixade est détruit selon l'ordre de Louis XIII, en 1632 « pour vaquer incessamment (…) au rasement et démolition entière (…) sans y rien réserver »4. Quant au château de Leucate, devenu inutile par la conquête du Roussillon, Louis XIV ordonne sa démolition en 16645.
- 6 - FRIEDLANDER, 1984. p. 235-251. BIGET, 2010, p. 215-232.
10Dès sa création, lors de la prise de possession de cette partie du Languedoc par la monarchie capétienne, la sénéchaussée possède les différents services, abrités dans le château de la Cité, nécessaires à l’administration et à la défense de cette marche frontière. La mise en place de ces services se fait progressivement6 dès avant 1229, reprenant les grandes lignes de l'organisation des Trencavel et des Montfort. L'armature militaire en est sans doute la première étape, avec l'installation de garnisons, commandées par des châtelains sous les ordres du sénéchal, dans les châteaux royaux de la région, d'abord Cabrières, Cessenon, Pézenas, les châteaux du Cabardès, Termes et Montréal, et quelques seigneuries confiées aux descendants des « croisés » venus avec Montfort, comme les Lévis. Aux lendemains des révoltes avortées de 1240 et 1242, et surtout à partir de 1247, de nouvelles structures administratives et financières sont organisées, vigueries, baylies, ferme des péages... C'est alors, pendant une quinzaine d'années, marquée notamment par le traité de Corbeil signé avec l'Aragon en 1258 et la commise des biens de Pierre de Fenouillet en 1262 qu'est pensée l'organisation de la « frontière » et son architecture de proclamation d'un grand royaume.
- 7 - AD Gard, 1E, liasse 2904, BONNET, 2000.
- 8 - FAWTIER, 1953.
11L'étude de l'organisation matérielle des chantiers royaux ne bénéficie que d'une documentation fragmentaire. Quelques indications figurent dans la collection Doat. Il subsiste un rouleau de parchemin intitulé Comptes du château de Peyrepertuse, des années 1250-12517. Ce document est capital pour connaître le déroulement de ce chantier situé dans un environnement alors difficile, sur un site à la topographie tourmentée. Les Comptes royaux, publiés par Robert Fawtier, grâce au Rôle de la sénéchaussée de Carcassonne pour l'année 1301–13028, apportent quelques trop rares indications sur l'organisation, la réalité et le coût des travaux.
- 9 - Fonds Doat, Bibliothèque Nationale, vol. LXIV, fol. 29 et suiv. ; MOT, 1956.
- 10 - DURLIAT, 1968.
- 11 - MAHUL, 1869.
12Il convient de tenter d'esquisser l'activité de personnages à la fois techniciens et officiers royaux : le maître charpentier « magister carpentarius » et le maître maçon « magister lathomus ». Le maître maçon gère aussi l'arsenal de la Cité9. Ils perçoivent un salaire quotidien de 2 puis 3 deniers au début du XIVe siècle. « C'est donc un administrateur, membre du corps des fonctionnaires de la sénéchaussée, mais aussi un homme de l'art10. Un « clerc des œuvres »11.les assiste pour les tâches administratives, dépenses, achats de matériaux, déplacements, etc. Maître maçon et maître charpentier sont à la tête de l'activité architecturale dès le deuxième tiers du XIIIe et le début du XIVe siècle, période d'intense activité de construction, matérialisant sous les règnes de Louis IX, Philippe le Hardi et Philippe le Bel, le rattachement de cette partie du Languedoc au royaume de France.
13La liste et le coût des travaux réalisés par les maîtres des œuvres du roi dans la sénéchaussée nous sont conservés pour une année, du 24 juin 1302 au 24 juin 1303. Gérard de Royaumont, seul ou avec Adam de Comène, visite plusieurs chantiers. Il effectue des travaux dans différents châteaux royaux dans les Corbières. À Peyrepertuse, par exemple, il perçoit 198 livres 12 sous, somme conséquente que, dans l'état actuel de nos connaissances nous sommes incapables d'identifier et de rattacher précisément à tel ou tel des ouvrages conservés.
- 12 - AUBERT, 1961.
- 13 - Maître des œuvres, avant 1298 en la sénéchaussée de Carcassonne, puisqu’il est nommé le 2 novembr (...)
- 14 - DURLIAT, 1968.
- 15 - Idem, ibidem.
- 16 - Idem, ibidem.
- 17 - DEVIC, t. X, cc. 538-539.
14« Les maîtres maçon et charpentier pour la sénéchaussée de Carcassonne, en 1302-1303, reçoivent des sommes considérables : 1597 l. 4 s. 9 d. pour l’un, 1086 l. 17 s. 3 d. pour l’autre, pour les travaux qu’ils ont exécutés à l’entreprise et pour lesquels ils ont acheté les matériaux et payé la main d'œuvre »12. Évoquant Jean de Mantes13, Marcel Durliat précise : « le maître des œuvres est donc un personnage important. On le devine à la tête de l’activité architecturale considérable que déterminèrent à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle l’annexion du Languedoc à la couronne et le développement de l’administration royale »14. En outre, Marcel Durliat suppose ses relations avec les constructeurs d’édifices religieux15. Il précise : « cependant l’exemple de Jean de Mantes nous invite à ne pas négliger non plus la transformation parallèle effectuée dans l’architecture civile sous la direction des maîtres des œuvres du roi dans les sénéchaussées. Ces derniers ont parfois les mêmes origines que les architectes des chantiers ecclésiastiques et monastiques et ils entretiennent avec eux des relations étroites16 ». Le testament de Jean de Mantes, du 22 novembre 1316, souligne cette observation, car il indique son désir d’être enterré dans la chapelle axiale de l’église du couvent des Augustins de Toulouse dont le chantier débute, et ordonne en outre la construction de quatre autres chapelles. Ainsi donc, si Jean de Mantes laisse l’impression d’un homme de bien, en revanche, son successeur, Gérard de Royaumont, accusé d’avoir trafiqué sur les grains, est supplicié avec un complice17. Mais pour l’un, comme pour l’autre, l’origine de leur art est bien à chercher en Île-de-France.
- 18 - AD Gard, 1E, liasse 2904. Il s’agit d’un document issu de la famille de Pian, ancienne propriétai (...)
15Le document fragmentaire intitulé : « Rolle de dépenses d'un édifice ou chasteau à Peyre Traucada, compte journalier d'une construction non localisée, document provenant du château de Londres en langue d'oc »18 relate les dépenses entre le 24 juin 1250 et le 4 juin 1251.
16Appelé magister de cisterna, Pierre Pauc semble être un spécialiste des citernes. Cependant, sa rémunération, l'utilisation d'un cheval pour ses déplacements, le don d'une robe et son temps de présence - quarante-sept jours – indiquent son rôle de responsable du chantier. Officier royal, il peut passer des contrats avec l'administration où il fait figure de bailleur de fonds. Deux paragraphes du rôle font allusion à des remboursements de sommes avancées par lui.
17Deux « maçons de l'œuvre » font office de chef de chantier. L'un, Jauffroy de Comes, est présent pendant toute la durée du Compte. Il commande cent cinquante hommes environ, effectif maximum des ouvriers. Carriers, tailleurs de pierre, maçons et manœuvres constituent 70 % de la main d'œuvre. Les 30 % restant se répartissent entre les charpentiers, pour la mise en place des engins, charpentes et menuiseries, les muletiers chargés du transport des matériaux, forgerons, charbonniers et chaufourniers. Ponctuellement, les paysans des villages voisins sont engagés avec leurs bœufs, et payés, pour le débardage des pièces de charpente ou pour aider les chaufourniers. Notons aussi la présence de goujats employés à de menus travaux de transport d'outils à la forge, d'aide au charbonnier ou de garde du chantier. L'éventail des salaires journaliers est large : l'ouvrier non qualifié perçoit 3 deniers, le plus qualifié 2 sous, soit huit fois plus. La durée du travail varie selon les saisons, entrainant la variation des salaires.
18Les autres dépenses sont affectées à la fabrication, à l'achat et au transport des matériaux. Le coût s'élève à 16 % environ du total du chantier pour la période considérée. Sur place, plusieurs milliers de pierres sont taillées. Enfin, on note l'achat de tuiles pilées, d'huile et de vinaigre. Ces matériaux sont nécessaires à la finition des citernes, la tuile pilée entrant dans la composition du mortier de tuileau, le vinaigre assurant le retard de la prise du tuileau tout en augmentant sa dureté, l'huile servant à éclairer ce chantier particulier.
19La somme totale dépensée se monte à 1 759 livres 19 sous.
20Cependant, la localisation exacte des différents chantiers est délicate à préciser. Plusieurs opérations semblent se dérouler au « donjon-vieux » : déroctage à proximité de l'église, aménagement de la « chambre du châtelain ». Si l'on peut avancer que le gros œuvre du donjon Sant Jordi est bien avancé, puisque l'on travaille aux deux citernes, en revanche, nous ne savons pas où précisément sont mis en place les planchers et les volets que mentionne le fragment de compte...
21L'unité de temps, de lieu et d'action confère à l'ensemble des forteresses royales une indéniable homogénéité de conception et d'aspect. Les maîtres maçons et les maîtres charpentiers appliquent un répertoire de recettes de chantier et de formes éprouvées dans le domaine royal. Ils les adaptent en les simplifiant, tout en tirant parti des contraintes topographiques propres aux sites escarpés de crêtes ou de plateaux.
22Amplifiant ainsi les anciennes forteresses occitanes, les maîtres maçons royaux adoptent le modèle dit philippien qui se caractérise par un plan géométrique simple, le plus souvent quadrangulaire, flanqué de tours circulaires ou semi-circulaires et d'une tour maîtresse de plan également circulaire. Elles sont parfois voûtées d'ogives. Des archères à ébrasements internes sont percées à la base des courtines reliant les flanquements et distribuées en quinconce aux différents niveaux des tours. Mais cet aspect n'est valable que pour les sites de plaine.
23À de rares exceptions, les maîtres d'œuvre doivent tenir compte des constructions antérieures. Ainsi, à Aguilar l'enceinte intérieure est conservée, ainsi qu'à Termes. À Peyrepertuse, dans la partie basse du site, les restes d'une construction quadrangulaire dominent l'église Sainte-Marie ; toutes deux sont conservées. Enfin, à Quéribus, subsistent quelques rares vestiges de la construction primitive matérialisés par trois étroites meurtrières situées à la base méridionale de la tour-maîtresse.
24Outre ce parti d'ensemble « philippien », les maîtres des œuvres du roi adoptent de nouvelles formes architectoniques.
25L'utilisation de l'appareil moyen pour la construction des murs et des courtines est la règle. Toutefois, certains éléments affectent des dimensions plus importantes : les appareils d'angle, les dalles de chemin de ronde, les marches d'escalier ou les linteaux. Les caractéristiques dimensionnelles sont très semblables dans les diverses forteresses. Des hauteurs d'assises un peu plus fortes sont relevées dans les parements à bossage (fig. 1) utilisés à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle.
Fig. 1
Puilaurens (Aude), château, tour à bossages
F. Pionchon ©
26Avant et après cette période, l'appareil est lisse, soigneusement taillé pour les lignes de force de l'architecture. Ainsi, si Peyrepertuse ne comporte aucun bossage, en revanche à Puilaurens certaines tours sont entièrement réalisées en bossage; il en va de même pour les souches tronconiques de la première enceinte d'Aguilar.
27Les escaliers d'accès aux chemins de ronde ont des volées droites, plaquées au revers des courtines, à Aguilar, Peyrepertuse, Puilaurens ; ils sont plus rarement perpendiculaires aux courtines, comme à Puilaurens. Les chemins de ronde étaient dallés. Les dalles subsistent, remises en place, presqu'intégralement à Peyrepertuse, ou gisent sur le sol, à Aguilar.
28Le crénelage (fig. 2), partiellement restauré, est visible au sommet du chevet de l'église de Peyrepertuse ; Puilaurens conserve l'ensemble de son crénelage, sans doute plus tardif.
Fig. 2
Puilaurens (Aude), château, crénelage
L. Bayrou ©
29Les archères (fig. 3) sont logiquement distribuées en fonction du secteur à défendre, avec une concentration privilégiée dans l'élévation des tours. Trois types d'archères, classés par l'aspect de leurs extrémités extérieures sont à distinguer. Un type simple présente une partie inférieure rectangulaire, souvent associée à un appareil tout-venant ; il est visible sur le front nord de l'enceinte basse de Peyrepertuse, sur le front est de la seconde enceinte de Puilaurens.
Fig. 3
Puilaurens (Aude), archère
L. Bayrou ©
30Dans le second type, en étrier, la partie inférieure affecte la forme d'un triangle : à côté de la porte de l'enceinte basse, au mur nord de l'église à Peyrepertuse, sur la première enceinte d'Aguilar. Enfin, il existe des archères en bêche ou en rame, dont la base rectangulaire est plus large que la fente proprement dite, la différence de largeur étant rattrapée par un étrier ; il en est ainsi à Aguilar, à la tour est accolée au donjon vieux, sur la tour médiane de Sant Jordi à Peyrepertuse et sur la tour est de Puilaurens.
31Les portes et poternes (fig. 4 et 5) sont couvertes en arc brisé comme à Peyrepertuse, ou surbaissé comme à Puilaurens.
Fig. 4
Puilaurens (Aude), château, porte
L. Bayrou ©
Fig. 5
Peyrepertuse (Aude), château, donjon vieux, poterne nord
L. Bayrou ©
32Les fenêtres (fig. 6), avec ou sans coussièges, sont couvertes par un linteau soutenu par deux corbeaux, au profil en quart de rond (Sant Jordi à Peyrepertuse) ou moulurés (tour ouest de Puilaurens).
Fig. 6
Duilhac-Peyrepertuse (Aude), château de Peyrepertuse, Sant Jordi, fenêtre à coussiège
L. Bayrou ©
33Les escaliers en vis sont un apport proprement gothique dans l'architecture militaire du Midi. La réalisation de ce type d'escalier par empilage d'éléments au profil identique contribue à la rapidité d'exécution du chantier.
34L'unité de temps, de lieu et d'action confère à l'ensemble des forteresses royales une indéniable homogénéité. Maîtres maçons et charpentiers appliquent un répertoire de recettes de chantier et de formes éprouvées dans le domaine royal. Ils les adaptent en les simplifiant, tout en tirant parti des contraintes topographiques propres aux sites escarpés, « malgré les extraordinaires difficultés qu'il a fallu vaincre pour élever [les] murs au bord même de rochers dont certains surplombent l'abîme19 ».
35Les Hautes Corbières étaient semées de castra, pour la plupart apparus dans la documentation écrite peu avant ou peu après l'an mil. Ils ont connu des histoires diverses, dont une seule, celle de Peyrepertuse est durablement liée au lignage qui le possédait. Cinq d'entre eux, qui avaient en commun leur installation sur un site vertigineux, naturellement défensif, sont devenus des forteresses au cours du XIIIe siècle, dans des circonstances plus ou moins violentes ou tragiques. Les Maîtres des Œuvres du roi les ont considérablement transformés, en adoptant des formes architectoniques issues d’Ile de France.
36Pour autant, d'autres castra viennent en appui de ce système défensif, à la fois entre les principales forteresses et aussi dans les Corbières plus septentrionales, confiées à des vassaux du roi ou aux pouvoirs ecclésiastiques. Ainsi l'abbaye de Lagrasse ou les archevêques de Narbonne qui fortifient, entre autres, selon les modèles royaux, Peyriac et Sigean sur le littoral, Villerouge Termenès, Auriac dans le haut-Razès, Saint-Martin-Lys (qui est une grotte de l’archevêque) et surtout Quillan dans la haute vallée de l'Aude.
- 20 - LANGLOIS, 2001 ; TÈRÈS, 2005-2006, p. 395-436.
37Depuis le courant du XIIe siècle, peut-être même dès la fin du XIe siècle, le château d'Aguilar appartenait aux seigneurs de Termes, l'une des grandes familles féodales des Corbières. En 1010, il avait été cédé par les comtes de Carcassonne au comté de Besalù, avec une partie du territoire qui dépendait du château de Peyrepertuse. Muets ensuite à son sujet pendant de longues décennies, les documents textuels ne permettent pas de savoir si ce « pech » à la limite du comté de Roussillon et de la vicomté de Narbonne était habité et fortifié. En 1228, Olivier de Termes, dépossédé du principal château de son lignage, conquis dès 1210 par Simon de Montfort, en fit le coeur de ses biens. En 1240, Aguilar est, autour de ce charismatique chevalier, l'un des points forts de la révolte des nobles « faidits » contre le roi. Après l'échec de ce soulèvement, Olivier de Termes remet au roi le Termenès et le château d'Aguilar qui devient pour quelques années forteresse royale. En remerciement de sa fidélité et de sa bravoure en Terre sainte, Louis IX, auquel il avait prêté hommage, rend à Olivier de Termes, le Termenès et Aguilar. Mais dès 1262, Olivier le vend au roi et Aguilar est désormais forteresse royale jusqu'à son abandon aux lendemains de la signature du traité des Pyrénées20. Le château a été classé au titre des monuments historiques en 1999.
38Aguilar se situe sur une colline dominant la plaine de Tuchan (fig. 7). L'accès est défendu par une enceinte extérieure, au sud du site, traces, avec la chapelle Sainte-Anne de forme romane, de l'existence d'une agglomération disparue.
Fig. 7
Aguilar (Aude), château, vue d’ensemble
J. Pagnon © Inventaire général Région Occitanie
39Le château antérieur à la croisade, abstraction faite du bâtiment abritant la citerne au nord, doit pouvoir être daté du XIIe ou du début du XIIIe siècle. Les angles extérieurs de chaque pan coupé sont matérialisés par une taille en bourrelet formant une saillie verticale, raffinement qui ne se perçoit que le soir en lumière rasante... Cette construction est devenue la seconde enceinte. Elle est séparée par des lices et entourée par la première enceinte, au tracé hexagonal irrégulier, construite à l'époque royale (fig. 8).
Fig. 8
Aguilar (Aude), château, plan
L. Bayrou ©
40Cantonnée de tours de plan semi circulaire, ouvertes à la gorge, elle est accessible par une porte ruinée protégée par une barbacane au centre du front ouest. Ses vestiges montrent la présence d'un assommoir et d'une herse perceptible par une pierre de taille creusée en rainure. Cinq des six tours bâties en calcaire au parement lisse sur souches tronconiques en bossage ont à peu près les mêmes dimensions. La tour élevée à l'angle nord-ouest affecte un diamètre plus grand. Les tours du front est sont plus rapprochées dans la mesure où elles protègent l'enceinte d'une colline assez proche.
41Les archères des tours, à la terminaison en étrier ou en bêche, sont disposées en quinconce dans les deux niveaux subsistants. D'autres archères sont distribuées à la base des courtines. En outre, les ruines d'une poterne s'ouvrent à proximité de la tour nord-est. Trois départs d'escaliers, deux situés de part et d'autre de la tour sud-ouest et le dernier près de la tour nord-est, accédaient au chemin de ronde. À proximité de l'emplacement de la porte d'entrée une niche devait servir d'abri au portier. Plus loin, le massif de maçonnerie conserve les rainures des bâcles. Dans les lices séparant les deux enceintes des bâtiments étaient appuyés au revers des courtines, côté est ; certains, en pierre sèche, semblent liés à une utilisation pastorale.
- 21 - BAYROU, 2000.
- 22 - DEVIC, t. VIII, preuve n° CCXXXII, col. 1045-1046.
42Comme le château de Termes, mais pas comme celui d'Aguilar, Peyrepertuse est le point fort d'un territoire qui porte son nom, le Peyrepertusès, lié à la vicomté de Fenouillédès et comprenant aussi le château de Quéribus. Mentionné dans la notice testamentaire de Bernard Taillefer, comte de Besalu, dès 1020, le « castrum » de Peyrepertuse est à nouveau mentionné en 1070 et 1110 ; il est alors un lieu habité21. Les membres du lignage de Peyrepertuse, qui semble s'imposer peu après l'an mil, sont présents à la cour des comtes de Besalu, mais ils ont surtout un très fort tropisme narbonnais, et apparaissent souvent dans les chartes de l'abbaye de Fontfroide. Les documents de la cour vicomtale de Narbonne les distinguent parmi les plus nobles. Malgré un hommage à Simon de Montfort en mai 1217, prêté devant le vicomte de Narbonne, Guilhem de Peyrepertuse est directement visé comme ennemi de la foi et de la paix par l'un des canons du concile de Toulouse de 1229, peut-être pour avoir pris possession du château de Puilaurens. Néanmoins, malgré la vente du château au roi de France par le vicomte de Fenolhédès en 1239, la présence militaire royale est longtemps bien peu sensible. Jusqu'à la révolte de 1240, dont l'échec comme à Aguilar, signe le passage sous la domination du roi. L'armée royale, commandée par Jean de Beaumont, poursuivit les seigneurs faydits, dont Guillaume de Peyrepertuse et son frère Gaucelin de Capendu jusqu'à Peyrepertuse. Y eut-il un siège ? Montségur et Quéribus tenaient encore lorsqu'au mois de novembre de cette année 1240, Guillaume se soumet, lui, son château de Cucugnan, toute sa terre et tous ses hommes22. Cet acte de soumission ne mentionne pas le château de Peyrepertuse. Dix ans plus tard, le chantier royal de réaménagement du château est déjà entamé.
43La crête où s'élèvent les fortifications domine, à 700 m d'altitude, plusieurs plateaux arrosés par le Verdouble. Partant du sud, le sentier contourne la crête au col de l'Aire, suit la courbe de niveau sur le versant nord et, contournait autrefois un rocher dans lequel un escalier taillé dans le roc débouchait à l'aplomb de la porte d'entrée. Couverte en arc brisé, elle était équipée d'une bretèche dont un corbeau est encore en place.
44Le château (fig. 9, 10) se compose essentiellement de trois ensembles.
Fig. 9
Duilhac-Peyrepertuse (Aude), château de Peyrepertuse, vue d’ensemble
A.Mayans ©
Fig. 10
Duilhac-Peyrepertuse (Aude), château de Peyrepertuse, plan d’ensemble
L. Bayrou ©
45L'enceinte basse affecte la forme d'un triangle allongé dont le front nord se matérialise par une longue courtine flanquée de deux tours, de plan semi-circulaire, ouvertes à la gorge. Cette courtine conserve son chemin de ronde aux larges dalles soutenues par des corbeaux, l'une et l'autre au profil en quart de rond, récemment remises en place. La courtine se termine à l'est par un éperon. Le front sud, bien que dominant la falaise, était également fortifié par le retour de la courtine se terminant à sa base par des latrines. Un flanquement de plan polygonal, dont il ne reste que des vestiges, protégeait la poterne dérobée aujourd'hui murée. Face à ce flanquement, une aiguille rocheuse masque un étroit sentier débouchant sur une plate-forme d'où l'on pouvait se hisser jusqu'à la poterne. Celle-ci se trouve sous un passage voûté servant de palier à un escalier en partie taillé dans le roc et en partie maçonné (fig. 11).
Fig. 11
Duilhac-Peyrepertuse (Aude), château de Peyrepertuse, escalier
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
46Ce dernier distribue également un banc et un évier tous deux taillés dans le roc. Le bâtiment d'époque plus tardive possède en son angle sud-ouest des latrines. Dans l'angle nord-ouest, noyés dans des maçonneries d'époque moderne, les vestiges des supports d'une échauguette sont encore visibles.
47Le second ensemble occupe l'angle sud-ouest de l'enceinte basse; un ensemble de bâtiments y forme « le donjon vieux » (fig. 12 et 13).
Fig. 12
Duilhac-Peyrepertuse (Aude), château de Peyrepertuse, « donjon vieux », face est
L. Bayrou ©
Fig. 13
Duilhac-Peyrepertuse (Aude), château de Peyrepertuse, « donjon vieux », face ouest
L. Bayrou ©
48Il se compose de l'église Sainte Marie au nord et du « logis du gouverneur » au sud. Ces deux bâtiments sont reliés par deux courtines crénelées également munies de poternes défendues par des assommoirs et une herse pour celle de l'ouest. À l'époque royale, l'église est fortifiée par surhaussement des murs goutterots ; celui du nord est muni de contreforts et crénelé par des merlons percés d'archères. Le sommier d'un arc biais indique la présence d'une échauguette bâtie sur le double contrefort de l'angle nord-ouest. Un escalier desservait l'aire de l'assommoir de la poterne est, les parties hautes de l'église et enfin, le « logis du gouverneur ». Ce dernier édifice est muni d'une tour semi-circulaire à l'est et d'une tour circulaire, abritant une citerne à son angle nord-ouest.
49Le troisième ensemble, l'enceinte médiane, reliée à l'enceinte basse par une porte en plein cintre percée dans le mur non fortifié, occupe une terrasse fortement déclive vers le nord. Ses murailles épousent étroitement les bords déchiquetés du côté nord, assurant ainsi les flanquements. Au centre, les vestiges d'une petite construction correspondent sans doute à un poste de garde. Au nord du sentier d'accès au roc Sant Jordi, sont les ruines d'un bâtiment de plan polygonal aux murs peu percés s'organisant autour d'une cour intérieure (fig. 14). À proximité de la poterne ouest du donjon vieux, s'élèvent les restes d'une sorte de casemate voûtée dont l'extrados était accessible par un escalier aux vestiges encore apparents.
Fig. 14
Duilhac-Peyrepertuse (Aude), château de Peyrepertuse, vue d’ensemble, avec le bâtiment polygonal au premier plan
M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie
50Utilisant une vire située en bord de falaise, un escalier d'une soixantaine de marches taillées dans le roc vif permet de monter au donjon Sant Jordi. Une courtine flanquée d'une tour semi-circulaire, à proximité de laquelle s'ouvre la seule porte couverte en arc brisé, barre la falaise.
51Au-delà, l'escalier se poursuit, desservant les salles construites au revers de la courtine. L'examen de son parement indique qu'une toiture en appentis les couvrait. À l'ouest, une première salle dont la porte s'ouvre sur l'escalier, possédait une cheminée dont il reste un fragment de colonne prismatique et le contre cœur bâti en grès car cette pierre résiste au feu par rapport au calcaire des maçonneries. Une cave, auparavant voûtée, rattrapait la déclivité naturelle du toit de la roche afin d'obtenir un sol d'usage horizontal. Passant au-dessus de l'escalier à l'aide d'une passerelle en charpente reconstituée, on débouche dans une série de salles également équipée d'une cheminée sur le mur sud, s'agrandissant de la base de la tour ouverte à la gorge, pour la première. Par un court perron, on passe à la deuxième salle abritant une citerne et sa gargouille de trop plein. Les bases d'une porte permettent d'accéder par un sentier à la troisième et dernière salle, d'un niveau plus bas que les autres. Elle fut réaménagée à une période post médiévale. Toutes ces salles sont éclairées par des fenêtres à coussièges, percées au fond d'un ébrasement en arc surbaissé (fig. 6). L'ouverture proprement dite est couverte par un linteau soutenu par deux corbeaux en quart de rond. Un escalier de quelques marches fait aboutir à l'extrémité orientale composée au centre d'une salle dont le sol est le toit de la roche, au nord d'une tour arasée recèle une citerne, enfin au sud sur une plate-forme un peu plus haute, la chapelle castrale Sant Jordi dont il ne subsiste que le pignon ouest, les bases de pilastres et de l'abside en forte saillie par rapport au périmètre fortifié.
52Le plus méridional des grands châteaux royaux de la « frontière », Puilaurens est aussi celui qui apparaît le plus tôt dans les documents écrits, dès le milieu du Xe siècle, dans une donation qu'en fait le comte de Cerdagne à la lointaine abbaye de Saint-Michel de Cuxa. Très peu documenté, le castrum semble, du moins à la fin du XIIe siècle, sous l'autorité de châtelain, fidèles du vicomte de Narbonne. Guillaume de Peyrepertuse l'a occupé, au temps de son faidiment.
53Le château (fig. 15 et 16) se dresse sur un piton dont le sommet est à 700 m d'altitude, sur la rive gauche de la Boulzane, affluent principal de l'Agly. L'accès s'effectue par le versant sud-ouest, au moyen d'une rampe en chicanes aménagées dans une faille. Cette rampe débouche sur une plate-forme devant la porte, restituée, en arc surbaissé.
Fig. 15
Puilaurens (Aude), château, tour ouest et courtine adjacente
L. Bayrou ©
Fig. 16
Puilaurens (Aude), château, plan d’ensemble
L. Bayrou ©
54Le « château » se compose de deux enceintes accolées. La première enceinte au tracé irrégulier épouse strictement les contours du rocher (fig. 17). On pénètre dans un vaste espace d'environ 60 m. par 25, entouré par des courtines qui conservent leurs élévations mais aussi leur crénelage, déchiqueté mais présent. Cette première enceinte est flanquée de deux tours de plan semi-circulaire, ouvertes à la gorge, au sud et à l'est. La tour orientale est réalisée entièrement en bossage (fig. 18), la méridionale en appareil à la fois lisse et à bossage.
Fig. 17
Puilaurens (Aude), château, cour de la première enceinte
L. Bayrou ©
Fig. 18
Puilaurens (Aude), château, tour est
L. Bayrou ©
55Un bâtiment, sans doute refait sur des bases médiévales, car il conserve une citerne, s'élève au revers du front nord. À côté, une salle basse possède une étroite poterne à la base de la courtine. Une passerelle en charpente dont les corbeaux subsistent, précédée d'une rampe, était l'accès à la seconde enceinte, dominant la première d'une dizaine de mètres.
56Cette enceinte, où alternent courtine et tours en pierre de taille ou en appareil moins soigné semble refléter les difficultés du chantier plutôt que des campagnes successives de construction. Des deux tours, celle du nord, ouverte à la gorge, est en appareil mixte, celle de l'ouest, fermée et couverte sur croisée d'ogives, est en appareil à bossage. La base de cette dernière se situe au niveau d'une cave, anciennement accessible par une volée d'escalier, condamné par les travaux ultérieurs. Le premier étage comporte une fenêtre à coussiège située au-dessus des chicanes. Ces deux salles superposées conservent leur entrée en arc brisé. Le sommet, ruiné, se caractérise par un retrait dans la maçonnerie où reposait un plancher de service du crénelage disparu et la charpente de sa toiture. Le front nord possède trois conduits verticaux, dont l'un est aménagé en latrines, défendait un couloir d'éboulis pouvant être utilisé par un assaillant. Si le périmètre fortifié est d'époque médiévale, en revanche l'enchevêtrement de bâtiments, occupant la surface, d'époque plus récente, est construit à partir d'une citerne seule conservée. Le site, le plus méridional de l'ensemble des forteresses royales, a été remanié à l'époque moderne.
57Comme Peyrepertuse, le nom du castrum de Quéribus apparait dans le testament du comte de Besalu Bernard Taillefer en 1020. Le castrum demeure, jusqu'au milieu du XIIe siècle, fortement associé aux marges nord de l'espace barcelonais, dont il est l'une des forteresses majeures. Comme toute cette partie du Fenolhédès, l'influence narbonnaise y est ensuite plus marquée.
- 23 - POUDOU, Francis (dir.) et LANGLOIS, Gauthier (dir.). Canton de Tuchan et Communauté de Communes d (...)
58Outre la place qu'il occupe dans la chaîne des forteresses des Hautes Corbières, Quéribus domine une petite région où se sont multipliés les castra « de second niveau » : Duilhac, Padern, Palairac, Rouffiac, Tuchan et Cucugnan qui est aux Peyrepertuse et où s'entrecroisent les réseaux féodaux23.
59Après l'échec de la révolte de 1240 et la mort de Nunyo Sanche, comte de Roussillon l'année suivante, le grand faidit Chatbert de Barbaira tient longuement la forteresse jusqu'à sa capture par Olivier de Termes en mai 1255, après un court siège de trois semaines. Il capitule en renonçant aussi à ses biens sur les « petits » castra de Padern et Molhet. Quelques mois plus tard le dernier bastion des « rebelles » au roi de France, le château des Niort, plus à l'Ouest, en pays de Sault, tombe à son tour.
60À Quéribus, la présence militaire ne disparaît qu'à la Révolution. Le château se dégrade lentement jusqu'aux années 70, la restauration commençant en 1998. Entre temps, un chantier de fouilles avait révélé l'existence d'un habitat sur une plateforme en contrebas du château.
61Le château (fig. 19 et 20) se compose de trois enceintes successives reliées par des escaliers. La première, qui défend l'accès situé au nord-ouest, est formée par un mur épais, en retour d'équerre, muni d'embrasures de tir pour armes à feu.
Fig. 19
Cucugnan (Aude), château de Quéribus, vue aérienne
A. Mayans ©
Fig. 20
Cucugnan (Aude), château de Quéribus, plan
A. Mayans ©
62La deuxième conserve une salle, détruite, et une citerne. La troisième au pied même de la tour-maîtresse, est la seule d'époque médiévale. Elle s'organise autour d'une étroite courette. On y distingue un bâtiment d'habitation ruiné au sud, une salle voûtée, une citerne et une casemate à l'ouest et au nord. Enfin, la tour-maîtresse, empâtée par une puissante maçonnerie polygonale « à l'épreuve »est accessible soit par une poterne au sud-ouest, soit par un escalier en vis au sud distribuant les différents niveaux, qu'une porte aujourd'hui murée et un court passage en charpente dont les consoles subsistent, reliait au bâtiment sud. À la base, côté est, une salle obscure dissimule sous un rocher le départ d'une galerie débouchant dans une caponnière, située au nord-est, défendant la base de la tour-maîtresse. Deux salles superposées s'élèvent au-dessus de la salle obscure, formant le vestibule au corps principal de la tour-maîtresse composée de deux niveaux. Le niveau inférieur, accessible par la poterne, de plan irrégulier était une cave. Le niveau supérieur est la grande salle de plan quadrangulaire. D'un pilier excentré au chapiteau réduit à deux bagues, jaillissent les nervures des croisées d'ogives au profil prismatique (fig. 21).
Fig. 21
Cucugnan (Aude), château de Quéribus, pilier de la grande salle
J. Pagnon © Inventaire général Région Occitanie
63Les vestiges d'une cheminée, au revers de la paroi ouest, deux fenêtres murées sur celle du nord sont perceptibles. L'ensemble est éclairé par une vaste fenêtre percée sur la cour, au sud. Le dernier niveau est matérialisé par la terrasse, récemment accessible, défendue par un épais parapet muni de trois canonnières, d'époque moderne.
64Roquefixade appartient à un territoire différent du Fenolhédès qu'hérissent quatre autres « fils de Carcassonne »; il est aux portes de Foix. La première mention du castrum n'est pas dans le testament de Bernard Taillefer, mais remonte à cette même première moitié du XIe siècle où pullulent les « nouveaux » castra. Roquefixade est aux seigneurs de Paihès, lignage lié aux Péreille du proche Montségur. Même s'il servit de refuge à quelques cathares, Roquefixade ne souffrit pas ou peu lors de la conquête du Languedoc et le roi l'acquit par achat en 1278. Les travaux des architectes royaux y furent bien plus modestes.
65Le château (fig. 22 et 23) domine les Pyrénées, la vallée de l'Esponne et le pays d'Olmes. Il se compose de deux enceintes accolées occupant deux plates-formes. La première enceinte, construite en pierre calcaire tout-venant et en moellon équarri, conserve son passage situé dans l'angle sud-est, composé d'une avant-porte donnant dans un sas menant à une seconde porte construite en pierre de taille en grès. Cette dernière semble une œuvre d'époque royale. On débouche dans la première enceinte de forme irrégulière dont les murs arasés épousent les contours du rocher.
Fig. 22
Roquefixade (Ariège), château, vue d’ensemble
Alain Pujadas ©
Fig. 23
Roquefixade (Ariège), château, plans d’ensemble et de la troisième enceinte
R. Martin, ACMH ©
66La seconde enceinte, auparavant accessible par un escalier taillé dans le rocher, est construite en pierre de taille en calcaire et en grès, soigneusement appareillé. Le sas d'entrée est dominé par un rocher non aménagé situé au nord-est. Entièrement réalisée en grès, la porte extérieure s'ouvre à la base d'un puissant massif de maçonnerie à retraits successifs, dont la face sud est consolidée par un arc rampant. La porte elle-même était défendue par un assommoir ; ses piédroits sont chanfreinés. On débouche alors dans une salle rectangulaire qui était couverte sur croisée d'ogives (culots et départs des nervures subsistent). Les faces nord et sud conservent deux niches à usage de placards. Une volée de six marches permet d'atteindre la seconde porte semblable à la première et également défendue par un assommoir. À ce sas, succède une courette, la courtine sud est arasée ; en face, une porte mène à une salle appuyée sur la roche. Son mur sud est percé d'un couloir allant vers l'extérieur, il s'agit très vraisemblablement d'un accès aux latrines. À proximité, est un escalier taillé dans le rocher dont le palier d'arrivée domine une faille où un arc, en grès bandé sur les deux parois porte un grand pan de muraille de deux niveaux. Le premier est muni de deux fenêtres à ébrasements internes, le second est équipé de deux grandes fenêtres à coussièges couvertes en arc surbaissé. Au-delà d'un mur de refend, une autre pièce conserve deux fenêtres et les vestiges d'une cheminée. À l'ouest, un bâtiment de plan quadrangulaire aux murs arasés domine l'ensemble.
67Une des conséquences de la croisade contre les Albigeois est, en particulier et d'abord, l'établissement de forteresses royales, sur d'anciens lieux fortifiés antérieurs à la croisade sur le territoire de la sénéchaussée. Ainsi, au fur et à mesure de la conquête du Languedoc, dans le territoire de la sénéchaussée, de l'est vers l'ouest on note successivement : le château de Leucate, entièrement détruit selon l'ordre de Louis XIV. Si l'enceinte bastionnée se discerne encore, en revanche le réduit central médiéval est, en l'état actuel, illisible. Le château d'Aguilar est entouré d'une enceinte. Peyrepertuse est considérablement agrandi tout en conservant l'église paroissiale Sainte-Marie et son vieux logis, érigé en forteresse autonome à l'intérieur du nouvel ensemble fortifié. La puissance royale permet la construction d'une nouvelle fortification, Sant Jordi, dont le gros œuvre est achevé au milieu du XIIIe siècle. À Quéribus, d'infimes vestiges subsistent au pied de la façade sud de la tour-maîtresse. Puilaurens ne conserve aucune trace de la fortification antérieure dans la mesure, vraisemblablement, où le site a été complètement bouleversé par l'exploitation en carrière de la crête rocheuse, ce qui a fait disparaître une possible implantation initiale. À Roquefixade tardivement acheté, les interventions se limitent essentiellement à la fortification de la porte de la seconde enceinte. Les villages sont déplacés à Puilaurens et Aguilar, dont seule la chapelle Sainte-Anne subsiste, en dehors de l'enceinte, comme témoin de l'ancien lieu de peuplement.
68Ainsi donc, sur la frontière méridionale du royaume, la monarchie capétienne élève des fortifications nouvelles, pérennité de la topographie oblige, à partir de sites parfois très anciennement occupés. Cette unité de constructions, dû au pouvoir royal, adaptée à cette échelle n'a plus rien à voir avec le passé, auparavant matérialisé par une mosaïque féodale. Ce grand essor de l'architecture militaire en Languedoc est à mettre en parallèle avec le développement exceptionnel des constructions de toutes sortes de cette période, non seulement fortifications, mais aussi cathédrales, églises, abbayes, ouvrages civils et urbanisme.