Droit de réponse à la communication « Perceptions de l’intégrité de la peinture murale : exemples de Saint-Sernin de Toulouse et Saint-Martin-des-Puits » (Colloque sur la peinture monumentale en Occitanie, 28, 29, 30 septembre 2022)
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1Animer un colloque scientifique et technique par un élément de controverse ou de polémique est classique et légitime. Inviter un conférencier extérieur, présenté comme « indépendant », à intervenir sur les sujets sensibles de « l’intégrité » et des « perceptions » est attractif, voire accrocheur. Lui permettre un plaidoyer pro domo en faveur de spécialistes de sa partie pour relayer des opinions dissidentes précédemment exposées est plus hasardeux, surtout en l’absence des professionnels critiqués. « Audiatur et altera pars », enseignait la sagesse populaire antique : Que l’on entende aussi l’autre partie ! L’objet d’un colloque est de confronter les points de vue, faute de quoi il risque de perdre son caractère scientifique et technique pour dégénérer en conciliabule revanchard.
2Le colloque sur la peinture monumentale en Occitanie, qui s’est déroulé les 28, 29 et 30 septembre 2022 à Toulouse a réuni de très nombreux conservateurs-restaurateurs, qui ont présenté leurs travaux. De toutes les communications, celle intitulée « Perceptions de l’intégrité de la peinture murale : exemples de Saint-Sernin de Toulouse et Saint-Martin du Puits » fait figure d’exception.
3Elle omet de rappeler que la restauration des peintures du transept Nord de Saint-Sernin qu’elle critique a été motivée par les dégradations qui sont apparues après une première restauration lors de la découverte de ces peintures en 1974 et que l’intervention, engagée en 2018, a été précédée d’une étude scientifique menée sous la direction de la Conservation régionale des monuments historiques d’Occitanie (voir l’étude préalable, non citée par l’orateur : « Basilique Saint-Sernin, Toulouse, Étude des peintures murales dans la salle du massif occidental, dans le bras nord du transept », par Marie-Lys de Castelbajac, conservatrice-restauratrice, 2016-2017 ).
4À cet effet, un comité scientifique de 16 membres a été constitué de personnalités qualifiées, d’élus et d’agents de la mairie de Toulouse. Ce comité a approuvé l’étude et le diagnostic « Restauration du massif occidental, des peintures du transept nord et de la crypte » établi par l’agence d’architecture du patrimoine Bossoutrot et Rebière (2017). Comme il est d’usage dans toute opération de dé-restauration, les limites de l’intervention ont été définies lors de l’étude préalable, en particulier la conservation des enduits de réintégration de piquage dans les sujets peints.
5Le programme de restauration s’est déroulé sur plus de six mois, du 18 juillet 2018 au 14 février 2019, sous le contrôle effectif du maître d’œuvre Jean-Louis Rebière (ACMH), des membres de la Conservation régionale des monuments historiques et des membres du comité scientifique, lesquels se sont rendus sur l’échafaudage à plusieurs reprises. Il en a notamment été ainsi pour prendre parti sur le motif central de la voûte (agneau mystique) qui fait l’objet de la principale critique de l’orateur. Les travaux ont été accomplis par l’Atelier 32 dans le respect de la Charte de Venise de 1964 et des principes dégagés à l’époque par Cesare Brandi.
6Les articles et commentaires publics qui ont accueilli la réalisation de ces travaux ont été élogieux, et notamment sur internet contrairement à ce qui est affirmé en introduction de la communication. La restauration des peintures du bras nord du transept de la basilique Saint-Sernin a fait l’objet d’une communication longue de Mesdames Anne Bossoutrot-Rebière, architecte du patrimoine, et Marie-Lys de Castelbajac déjà citée, lors de la séance privée de la Société archéologique du Midi de la France qui s’est tenue le 5 novembre 2019, sous la présidence de Madame Émilie Nadal, historienne de l’art médiéval. À cette occasion, se sont exprimés deux points de vue minoritaires : celui d’un des présentateurs du récent colloque, qui a qualifié de « spectaculaire » le travail réalisé et demandé pourquoi on ne s’était pas arrêté au nettoyage, et celui d’une historienne de l’art qui a regretté l’effacement d’un repentir sur la peinture de l’agneau mystique et le traitement des cheveux de saint Jean-Baptiste. Les oratrices ont alors répondu à ces objections en justifiant les partis qui avaient été pris et réfutant l’accusation de « coloriage ». Un autre participant, conservateur honoraire d’un musée toulousain a jugé, quant à lui, la restauration « très positive sur le plan de la connaissance de ces peintures », « des éléments qui n’avait pas été vus ont été révélés » (voir le compte-rendu de cette séance).
7Le débat ayant eu lieu, de façon contradictoire, dans le cadre d’une société savante, on est donc surpris de voir ressurgir la critique, trois ans plus tard, publiquement et sans débat. La surprise est d’autant plus grande que les griefs sont repris par un orateur qui semble ne pas avoir vu de près les travaux accomplis et n’en avoir pris connaissance que sur des documents dont il a donné des citations tronquées. Comme on va le voir, aucun de ses trois griefs ne parait fondé.
8Le principal est tiré de la prétendue absence de collégialité pour conseiller les acteurs du chantier. Il est évidemment contraire aux faits qui viennent d’être rappelés, à la collégialité du comité scientifique de 16 membres qui a présidé aux travaux et à la diversité des intervenants de qualité qui y ont participé. L’accusation d’incompétence des conservateurs des monuments historiques en matière d’histoire de l’art est injurieuse. Si l’orateur déplore l’absence d’un historien de l’art médiéval spécialisé au comité scientifique, son objectif exprimé de privilégier une lecture archéologique de l’œuvre en cours de réalisation au détriment de la lisibilité de l’œuvre achevée - qui va, dans cette communication, jusqu’à des interprétations hasardeuses - ne milite pas en faveur d’une excessive spécialisation.
9Le deuxième grief ne vaut pas mieux : il procède d’une citation tronquée du DDOE sur lequel l’orateur a prétendu se fonder alors qu’après avoir exposé l’état de l’Agneau mystique, les analyses effectuées et les emplacements successifs du sujet (page 13), ce document énonce expressément : « lors d’une réunion de travail du comité scientifique sur l’échafaudage, a été soulevée la question du repentir très présent et gênant l’appréciation d’ensemble. Il a été décidé de l’atténuer par hachures à l’aquarelle, le laisser visible de près et le ramener au niveau de lecture des autres éléments visibles du premier agneau ». À l’inverse, la préservation du repentir mis en évidence par un dégagement intempestif lors de la première restauration de 1974 eut brouillé la lisibilité de l’œuvre et l’esthétique de la présentation. Le « brouillage » dénoncé n’est pas le bon.
10Le premier grief, tiré du « traitement outrancier » de certaines parties des figures, spécialement le visage de saint Jean-Baptiste, ne résiste pas davantage à l’examen des différents niveaux de retouche : tratteggio pour les lacunes qui nécessitent une vibration, ton local légèrement en dessous pour les petites lacunes et ton neutre de fond sur les manques mettant au jour l’enduit support. Ainsi que l’a rappelé Madame de Castelbajac devant la Société archéologique du Midi de la France, « l’absence de restauration aurait laissé subsister de la confusion et trop de lacunes auraient affecté la valeur spirituelle de la peinture ». On ne pouvait donc pas s’arrêter après le nettoyage. Au demeurant « les glacis d’aquarelle sont parfaitement réversibles, puisqu’ils peuvent être enlevés à l’éponge ».
11Pour conclure en plagiant Brandi, le degré de réintégration à mettre en œuvre pour rétablir l’unité de l’œuvre d’art, sans commettre un faux artistique ou historique, est la résultante d’une dialectique de la restauration. Un praticien ajoutera que le choix du degré de réintégration est matière à décision de l’autorité compétente pour arbitrer entre les objectifs poursuivis et les solutions admissibles. Désormais, ce choix est réversible.
12Pour avoir méconnu ces principes, et quelques autres, la communication sur les perceptions de l’intégrité de la peinture murale appelle cette réponse.
Pour citer cet article
Référence électronique
Alain Lacoste, « Droit de réponse à la communication « Perceptions de l’intégrité de la peinture murale : exemples de Saint-Sernin de Toulouse et Saint-Martin-des-Puits » (Colloque sur la peinture monumentale en Occitanie, 28, 29, 30 septembre 2022) », Patrimoines du Sud [En ligne], 18 | 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/14803 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pds.14803
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