Navigation – Plan du site

AccueilNuméros18Dossier - La peinture monumentale...Street ArtArt urbain à Montauban : valorisa...

Dossier - La peinture monumentale en Occitanie du Moyen Âge à nos jours
Street Art

Art urbain à Montauban : valorisation et médiation

Urban art in Montauban, promotion and mediation
Sarah Gerber

Résumés

Longtemps considéré comme subversif ou vandale, l’art urbain n’en demeure pas moins aujourd’hui apprécié voire encouragé par les pouvoirs publics. De nombreuses villes se sont ainsi ouvertes au phénomène Street Art qui permet de valoriser le patrimoine, de créer des évènements mais aussi de tisser du lien social dans les centres urbains. En l’espace de dix ans, les formes d’art urbain se sont multipliées dans les rues de Montauban (œuvres libres et commandes) et l’installation de la galerie Hall 82 a fait de la ville un lieu de référence pour les amateurs de Street Art. Devant cet engouement, et pour répondre à l’intérêt qu’éveillent les œuvres réparties dans le centre-ville, le CIAP de Montauban a adapté ses offres de médiation et de valorisation.

Haut de page

Texte intégral

1La Ville de Montauban est labélisée Ville D’art et d’Histoire (VPAH) depuis 1998. Son Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (CIAP) propose toute l’année des visites guidées, expositions, conférences et animations pour les habitants, les scolaires et les touristes. Le CIAP traite également diverses thématiques patrimoniales par le biais d’une collection de brochures.

Genèse d’un sujet

L’art urbain

2En 2021, le CIAP a choisi de traiter le sujet de l’art urbain. Le choix de ce thème s’explique d’une part par le contexte d’engouement pour le Street Art devenu un phénomène mondial et d’autre part par la présence en ville de nombreuses œuvres issues de commandes publiques éveillant la curiosité des visiteurs et des habitants. L’art urbain est apprécié par de nombreuses collectivités car il permet de redécouvrir les centres-villes surtout s’ils sont accompagnés d’itinéraires artistiques et touristiques.

  • 1 Alias Réso
  • 2 Né en 2013, Mister Freeze est un collectif composé de peintres, graffeurs, photographes, illustrate (...)

3À ce contexte, s’ajoute l’installation en périphérie de Montauban de la galerie d’art Hall 82, née de la collaboration entre Cédric Lascours1 (RESO) co-créateur de l’évènement Mister Freeze2 de Launaguet (2013) et de Marie-José Duprat gérante du parc commercial Aussonne de Montauban. Ce hangar commercial est devenu en quelques années un lieu permanent de la culture urbaine.

4Pour accompagner le public dans cette découverte, le CIAP a créé entre 2021 et 2022 une visite guidée, une brochure intitulée Focus Montauban Street Art, une visite pour les scolaires et un livret pédagogique nommé Explorateurs Montauban Street Art (fig. 1 et 2).

5Cet ensemble d’outils de découvertes n’est pas un simple support d’itinéraires qui téléguide le public vers les œuvres disséminées dans l’espace urbain. Le rôle du CIAP est d’ouvrir plus largement le sujet en tentant de donner une définition du Street Art, de revenir aux origines de ce phénomène et de faire un lien avec les lieux et l’histoire de Montauban. Le rôle du service est aussi d’interroger les artistes. Ces rencontres ont permis de rendre compte de la diversité de leur parcours artistique, des techniques, de leurs influences et de leur sensibilité mais aussi de leur propre perception du phénomène Street Art.

Fig. 1

Fig. 1

Focus Street Art Montauban, couverture : Le fils d’Ossian, 100Taur, conception graphique Gaele Gicquel, ville de Montauban

© CIAP, Ville de Montauban

Fig. 2

Fig. 2

Livret Pédagogique Street Art à Montauban, couverture : Tigr, conception graphique Gaële Gicquel, ville de Montauban

© CIAP, Ville de Montauban

La voie Ladoumègue

6La voie Jules Ladoumègue est un chemin qu’empruntent de nombreux collégiens et lycéens de Montauban. Cette voie, créée à l’emplacement d’un ruisseau busé, est située en contrebas de plusieurs habitations. La ruelle fait près de 400 mètres de long. Elle est bordée de part et d’autre d’un mur de soutènement. Située loin des regards, la voie Ladoumègue recueille depuis une quarantaine d’années les œuvres de plusieurs graffeurs locaux (pièces) mais également des messages de toutes formes.

7C’est dans cette rue peu passante que le CIAP a choisi de faire débuter son parcours Street Art. Le lieu permet, d’une part, de remonter aux origines de l’art urbain en abordant l’histoire du graffiti. D’autre part, la rue offre une « galerie » à ciel ouvert dans laquelle le guide soulève des questionnements propres à l’art urbain à savoir la transgression des codes de la société, la fugacité des œuvres, les détériorations ou le recouvrement volontaires de certaines réalisations… (fig. 3).

8La voie Ladoumègue confronte aussi les visiteurs à l’air du temps et aux faits de société du monde actuel. En effet, les références populaires, les tendances/influences mais aussi les contestations se reflètent sur ses murs : affichages féministes, combat contre le réchauffement climatique ou le racisme, violences policières, wokisme…

Fig. 3

Fig. 3

Formation des guides-conférenciers du CIAP à la visite Street Art, formateur Marion Tillier, voie Ladoumègue

© CIAP, Ville de Montauban

Parcours d’œuvres montalbanaises

9Le parcours des œuvres Street Art élaboré par le CIAP se poursuit dans un ordre chronologique. Il débute par la découverte d’œuvres issues de l’exposition évènement Ingres et les Modernes (2009) suivie des œuvres réalisées entre 2018 et 2022 dans le contexte de la valorisation du centre-ville.

Les œuvres de l’exposition « Ingres et les Modernes » (2009)

10C’est par le biais d’une exposition fondatrice Ingres et les Modernes que le musée Ingres Bourdelle s’ouvre en 2009 aux commandes publiques Street Art. Lors de cet évènement, des artistes investissent les rues de la ville et créent plusieurs hommages à Jean-Auguste-Dominique Ingres. De grandes figures de l’art urbain interviennent parmi lesquelles des pionniers du genre.

11Ernest Pignon-Ernest est ainsi l’auteur de deux collages monumentaux d’anges inspirés par le Vœu de Louis XIII d’Ingres, peints sur la façade de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption. Leur ayant attribué un sexe féminin, son travail ne manquera pas de faire débat, ce qui aboutira au saccage de son œuvre une nuit de juillet 2009. Les vestiges de ses dessins sur papier sont aujourd’hui conservés au musée Ingres Bourdelle.

12Le collectif des Guerilla Girls réalise pour Ingres et les Modernes des affiches aux messages féministes. Ainsi, le temps de l’exposition, une grande odalisque au masque de gorille, fut collée telle une publicité sur douze bus de ville. L’œuvre se déplaçait ainsi à travers la cité, interrogeant et informant le passant : « Est-ce que les femmes doivent être nues pour entrer au Metropolitan museum ? Moins de 3 % des artistes exposés sont des femmes mais 83 % des nus sont féminins ». Un exemplaire de l’affiche est aussi conservé au musée Ingres Bourdelle.

13Certaines œuvres de Miss.Tic et Invader (fig. 4 et 5), autres pionniers de l’art urbain sont encore conservées sur les murs des rues montalbanaises.

14Miss.Tic réalise ainsi pour Montauban deux peintures au pochoir dans la discrète rue du Vieux-Poids en prenant pour référence deux autres toiles d’Ingres : l’Odalisque à l’esclave et la Dormeuse de Valpinçon.

Fig. 4

Fig. 4

Libertine sans Liberté, Miss.Tic

© CIAP, Ville de Montauban

15Enfin, l’artiste Invader propose une réinterprétation de la Source (1856) sur le mur d’une rue proche du musée qu’il intitule la Source de l’invasion. Cette version contemporaine pixélisée en mosaïque de tesselles noire et blanche rappelle l’esthétique des premiers jeux vidéo. La jeune naïade déverse ici une cruche non pas remplie d’eau mais de petits extraterrestres… Depuis 1997, Invader a ainsi collé près de 4 000 mosaïques sur les murs de 79 villes du monde. En 2014 une application pour smartphones permet de « chasser » les œuvres rencontrées et de comptabiliser des points pour comparer son score avec les autres joueurs. Ce jeu international contribue à faire connaitre les œuvres réalisées à Montauban.

Fig. 5

Fig. 5

Invader, La Source de l’invasion (2009)

© CIAP, Ville de Montauban

2018-2022 Une nouvelle vague Street Art

16Plus d’une décennie s’est écoulée depuis l’exposition évènement Ingres et les Modernes. En pleine ascension du phénomène Street Art auquel s’ajoute l’émergence d’un mouvement de reconquête des centres-villes, les œuvres urbaines se multiplient. La ville et ses figures illustres ne cessent d’être une source d’inspiration pour les artistes.

17Plusieurs peintures monumentales ont été volontairement réalisées dans des quartiers du périmètre de restauration immobilière (PRI). Ces commandes publiques mettent en valeur le centre-ville de Montauban mais aussi ses établissements culturels.

18En 2018 et 2021, la muraliste Marika Gysbers alias Mog réalise un portrait d’Olympe de Gouges face au théâtre municipal ainsi qu’une nouvelle version de la Source d’Ingres de plus de 15 mètres de haut peint sur l’un des pignons d’un immeuble de la rue Fourchue (fig. 6). Cette œuvre provoque un effet saisissant dans l’espace urbain non seulement grâce à sa taille monumentale mais aussi par son traitement ultra coloré et contrasté.

  • 3 Retranscription de l’interview de Marika Gysbers enregistrée par le CIAP en 2021 pour la brochure F (...)

19Sur un fond bleu profond et pourpre se détache le corps bigarré d’une jeune fille. Entièrement nue sur l’œuvre d’Ingres, elle est ici pudiquement revêtue d’une culotte de maillot de bain imprimée vichy. Derrière un clin d’œil amusé au topless des années 1960, l’artiste invite à une réflexion sur la liberté des femmes dans l’espace : « dans tous les cas, exposer le corps nu d’une femme dans l’espace public ou faire en sorte de le cacher provoqueraient le débat »3. Mog choisit donc de rhabiller quelque peu cette jeune fille « surexposée » mais ne lui ôte en aucun cas son audace et sa liberté.

20Le rectangle coloré que Mog peint sur les yeux de ses portraits est un signe distinctif de son travail. Il rappelle l’outil de sélection de nos ordinateurs ou encore le viseur-écran de nos téléphones portables. C’est tout à la fois une référence à la technologie moderne et une manière d’insister sur le regard de ses personnages : celui qu’ils ont porté sur le monde et la manière dont on les regarde aujourd’hui.

21Entre 2019 et 2021, la direction du Développement Culturel et du Patrimoine de la Ville de Montauban pilote un projet de réalisation de trois œuvres-hommage à Ingres dans le contexte de la réouverture du musée Ingres Bourdelle (fermé pour travaux pendant deux ans). Fasciné par la dimension mythologique du maître montalbanais, l’artiste-plasticien Nicolas Giraud alias 100Taur interprète, à sa manière, Le Songe d’Ossian, Roger et Angélique et Œdipe et le Sphinx dans un style pop surréaliste.

22L’engouement pour le Street Art s’est poursuivi en 2022 en l’honneur de la première édition du festival de dessin Dess’Ingres. La ville a ainsi commandé une œuvre à Olivier Rizzo alias Speedy Graphito pionnier du mouvement graffiti. À cette occasion, une nouvelle variation autour de la Source d’Ingres a été inaugurée sur un mur de la Maison des Associations, située dans les quartiers est de la ville.

Fig. 6

Fig. 6

Mog, One Grrr…, rue Fourchue

© CIAP, Ville de Montauban

Une œuvre spontanée : Recordando a Manuel Azana (2021)

23C’est lors des commémorations du 80e anniversaire de sa mort qu’est apparu, sur un mur du quartier de Villenouvelle, le visage du dernier président de la Seconde République d’Espagne : Manuel Azaña (1880-1940) (fig. 7). En 1939, après l’avènement des nationalistes de Franco, le chef d’État trouve refuge en France. Il termine ses jours à Montauban.

24Une des particularités du Street Art est de faire entrer l’œuvre en résonnance avec le lieu et l’Histoire. L’artiste espagnol Primo de Banksy (en français : « cousin de Banksy ») détourne ici un piédestal abandonné donnant ainsi plus de visibilité et de solennité à son modèle.

25Interrogé sur sa démarche, Primo de Banksy répond avoir été touché par la persistance, chez nous, du souvenir du président exilé. Ainsi, le collage est installé non loin du cimetière urbain où repose Azaña mais aussi à proximité de la place qui porte son nom. Curieux hasard, l’emplacement choisi par l’artiste est au cœur d’un quartier qui fut aussi celui de nombreuses familles ayant fui la guerre civile d’Espagne…

Fig. 7

Fig. 7

Recordando Manuel Azaña

© Primo Banksy

Conclusion

26L’exemple montalbanais témoigne de l’engouement des collectivités territoriales autour du phénomène Street Art. Les œuvres d’art urbain apportent aux centres-villes une visibilité et concourent, à leurs façons, à une certaine attractivité. Portées sur des pignons d’édifices parfois très ordinaires ou dans des quartiers peu fréquentés, les grandes peintures murales attirent l’attention des passants et éveillent la curiosité. Elles offrent ainsi une formidable galerie d’art à ciel ouvert qu’il est possible de valoriser.

Haut de page

Bibliographie

Ville de Montauban, CIAP de Montauban, Pôle Patrimoine Archives et Mémoire. Focus Montauban Street Art. Rédaction Sarah Gerber, Marion Tillier, ville de Montauban, Ville et Pays d’art et d’Histoire, avril 2022.

Haut de page

Notes

1 Alias Réso

2 Né en 2013, Mister Freeze est un collectif composé de peintres, graffeurs, photographes, illustrateurs, graphistes, sculpteurs, webdesigners et réalisateur. Voir https://expomisterfreeze.com/

3 Retranscription de l’interview de Marika Gysbers enregistrée par le CIAP en 2021 pour la brochure Focus Street Art.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1
Légende Focus Street Art Montauban, couverture : Le fils d’Ossian, 100Taur, conception graphique Gaele Gicquel, ville de Montauban
Crédits © CIAP, Ville de Montauban
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/13818/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 837k
Titre Fig. 2
Légende Livret Pédagogique Street Art à Montauban, couverture : Tigr, conception graphique Gaële Gicquel, ville de Montauban
Crédits © CIAP, Ville de Montauban
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/13818/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 677k
Titre Fig. 3
Légende Formation des guides-conférenciers du CIAP à la visite Street Art, formateur Marion Tillier, voie Ladoumègue
Crédits © CIAP, Ville de Montauban
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/13818/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 880k
Titre Fig. 4
Légende Libertine sans Liberté, Miss.Tic
Crédits © CIAP, Ville de Montauban
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/13818/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 862k
Titre Fig. 5
Légende Invader, La Source de l’invasion (2009)
Crédits © CIAP, Ville de Montauban
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/13818/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Fig. 6
Légende Mog, One Grrr…, rue Fourchue
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/13818/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 802k
Titre Fig. 7
Légende Recordando Manuel Azaña
Crédits © Primo Banksy
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/13818/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 612k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Sarah Gerber, « Art urbain à Montauban : valorisation et médiation »Patrimoines du Sud [En ligne], 18 | 2023, mis en ligne le 01 septembre 2023, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/13818 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pds.13818

Haut de page

Auteur

Sarah Gerber

Chercheur de l’inventaire, CIAP de la Ville de Montauban

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search