1À l’extrême fin du Moyen Âge, l’image envahit les édifices domestiques et civils à travers toute l’Europe occidentale. Elle se multiplie de façon inédite au sein des maisons privées dans un processus de domestication de l’image particulièrement marqué chez la classe bourgeoise urbaine. L’image figure sur des supports variés que ce soit des objets domestiques comme des coffres et des chandeliers ou sur des décors monumentaux tels que des peintures murales, des tapisseries et des plafonds peints. Ces derniers sont souvent les témoignages in situ les mieux conservés de ces décors et représentent ainsi un support majeur de l’image peinte et sculptée dans les centres urbains de l’arc méditerranéen entre le XIIIe et le début du XVIe siècle. Des études récentes visent à mieux comprendre ces images souvent placées dans des espaces à la fois publics et privés comme des salles d’apparat1.
2Pour la région Occitanie, plus de deux mille images peintes sont conservées sur les plafonds peints entre le XVe et la première moitié du XVIe siècle. Grâce au travail incessant de l’association internationale de Recherche sur les Charpentes et Plafonds Peints Médiévaux (la RCPPM, rcppm.org), ce support longtemps resté méconnu est de plus en plus étudié en tant que témoin matériel majeur de la société médiévale. Alors que le rôle premier des plafonds peints est de saturer un espace de couleurs et de motifs, leur iconographie complexe développe également des discours moralisateurs, humoristiques et identitaires selon les souhaits du commanditaire. En outre, cette iconographie est systématiquement accompagnée de motifs ornementaux comme des rinceaux, des fleurs et des motifs géométriques. Si ces décors peuvent orner tous les éléments du plafond, l’iconographie intervient surtout au niveau des closoirs (fig. 1). Enfin, des recherches documentaires ont permis d’identifier un certain nombre de commanditaires pour ces décors, révélant ainsi des statuts sociaux variés, seigneurs laïcs, ecclésiastiques de haut rang, ainsi que bourgeois et surtout marchands.
Fig. 1
Schéma simplifié des composants d’un plafond.
Lannie Rollins d’après Charlotte Devanz © Lannie Rollins
3De manière exceptionnelle, certaines maisons conservent des peintures murales et des plafonds peints dans la même salle d’apparat dont nous allons étudier six ensembles plus ou moins bien conservés. Après une brève introduction de ces ensembles, nous analyserons ces deux supports à travers trois problématiques principales : l’iconographie et l’organisation des décors et l’évolution de celles-ci dans le temps, l’exécution des décors et la fonction des images au sein des salles d’apparat.
- 2 Images oubliées, 2014, p. 76.
4L’hôtel de Brignac à Montagnac (Hérault) conserve deux plafonds peints contemporains dont les décors ont été exécutés pendant les derniers mois de 14462. Commandités par Paul de Brignac, viguier du roi Charles VII, ils couvrent deux pièces contiguës au premier étage, une loggia et une salle d’apparat qui servait ponctuellement de salle de justice (fig. 2). L’iconographie des closoirs des deux plafonds comprend principalement des écus armoriés qui alternent avec des hybrides, des scènes de chasse et des représentations d’hommes et de femmes souvent arrangés par couples. Les peintures murales, conservées à l’état fragmentaire dans la salle d’apparat, sont de faux appareils sur fond beige aux joints tracés d’un unique trait rouge (fig. 3).
Fig. 2
Montagnac, L’hôtel de Brignac, Le plafond peint de la salle d’apparat.
Lannie Rollins © RCPPM
Fig. 3
Montagnac, L’hôtel de Brignac, Les peintures murales fragmentaires dans la salle d’apparat.
Lannie Rollins © RCPPM
- 3 Idem., p. 57.
- 4 MARIN, 2006, p. 169.
5Dans l’aula au premier étage du château des archevêques de Narbonne à Capestang (Hérault) est conservé un plafond peint datant des années 1450 et réalisé pour l’archevêque Jean d’Harcourt3 (fig. 4). Cette pièce a reçu au moins trois décors successifs ; dans une dernière étape, la hauteur originelle de la salle a été divisée en deux par la pose d’un plancher. La salle a été cloisonnée, créant trois espaces de taille inégale, la salle d’apparat étant la plus vaste4. Les motifs iconographiques conservés sur certaines poutres et sur les closoirs comprennent des scènes de bal et de chasse, des scènes scatologiques, les armoiries du commanditaire et du chapitre cathédral de Narbonne ainsi que des images d’animaux et de végétaux. La totalité des salles a reçu un décor mural composé de faux appareils aux joints doubles peints en noir qui ont recouvert les peintures murales héraldiques datées de la première moitié du XIVe siècle et commanditées par l’archevêque Bernard de Farges (fig. 5).
Fig. 4
Capestang, Le château des archevêques de Narbonne, Le plafond peint de la salle d’apparat.
Lannie Rollins © RCPPM
Fig. 5
Capestang, Le château des archevêques de Narbonne, faux appareils visibles sur le mur est.
Lannie Rollins © RCPPM
6Le troisième ensemble se situe dans le Musée de l’art sacré du Gard à Pont-Saint-Esprit. Cette grande demeure conserve trois plafonds peints dont deux datent de 1450, moment où le commanditaire, Guillaume de Piolenc, agrandit la maison en ajoutant une nouvelle aile5. Les deux plafonds superposés se trouvent au rez-de-chaussée et au premier étage de cette nouvelle construction. Le programme iconographique des deux plafonds, très similaire, est composé d’écus armoriés qui alternent avec des scènes de danse, de jeux d’enfant comme la toupie et des images d’animaux réels ou fantastiques. Des peintures murales sont uniquement conservées dans la salle d’apparat au premier étage où toutes les surfaces des murs et des embrasures des fenêtres sont ornées de motifs géométriques en trompe-l’œil (fig. 6). Une petite inscription, « bonne fortune » est également peinte près de la porte d’entrée.
Fig. 6
Pont-Saint-Esprit, Musée de l’art sacré du Gard, Le plafond peint et les peintures murales de la salle d’apparat au premier étage.
Lannie Rollins © Musée de l’art sacré du Gard
7Un ensemble remarquable est conservé dans la salle au rez-de-chaussée d’une maison canoniale de la collégiale Saint-Salvi à Albi (Tarn), il date de la deuxième moitié du XVe siècle. Les armoiries peintes sur le plafond n’ont pas livré l’identité du commanditaire. Toutes les faces visibles du plafond sont peintes y compris les poutres qui sont ornées de scènes de la danse macabre, d’une danse champêtre et des inscriptions traitant un dialogue virulent entre la Mort et la Nature (fig. 7). Les autres images du plafond comprennent des bustes d’hommes et de femmes, des cœurs, des animaux réels ou fantastiques, des phylactères inscrits en occitan et de l’héraldique. Sur l’un des murs de la pièce sont conservés des fragments de deux décors successifs de faux appareils dans des styles différents.
Fig. 7
Albi, Maison canoniale, Le plafond peint au rez-de-chaussée, détail de l’une des poutres ornées de la danse macabre.
David Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
- 6 BERGÈS, 1995, Tome 1, p. 188.
8À quelques kilomètres d’Albi se situe la commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Rayssac (Tarn). À la fin du Moyen Âge, cet édifice abritait trois plafonds peints dont un seul est conservé au premier étage (fig. 8). Il est précisément daté de 1515 grâce à une inscription de dédicace peinte sur des closoirs qui nomme également le commanditaire, Jean de Boniface, commandeur de l’ordre6. L’iconographie des closoirs toujours in situ est composée d’armoiries qui alternent avec des couples d’hommes et de femmes, des phylactères inscrits, des scènes scatologiques et proverbiales ainsi que quelques représentations d’animaux et d’hybrides. En plus des traces de polychromie sur la cheminée monumentale, des peintures murales composées de faux appareils tracés d’un trait unique rouge sont conservées de façon fragmentaire sur trois des murs de la salle.
Fig. 8
Rayssac, La Commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Le plafond peint de la salle d’apparat.
Lannie Rollins © RCPPM
Fig. 9
Rayssac, La Commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Les faux appareils conservés sur les murs.
Lannie Rollins © RCPPM
Fig. 10
Rayssac, La Commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Les traces de polychromie sur le manteau de la cheminée.
Lannie Rollins © RCPPM
- 7 Les Neuf Preux sont des héros juifs, païens et chrétiens qui symbolisent un idéal chevaleresque. Il (...)
- 8 CZERNIAK, 2003, p. 25.
9Le dernier ensemble de l’étude se trouve au château de Bioule (Tarn-et-Garonne) dans une salle du rez-de-chaussée dite des Preux7 d’après le sujet des peintures qui couvrent tous les murs. Ces décors ainsi que le plafond peint datent du deuxième quart du XVIe siècle et auraient été commandités par Antoine II de Cardaillac, seigneur de Bioule8. Les décors ornementaux du plafond sont limités aux motifs floraux et végétaux alors que le cycle des Neuf Preux est représenté sur une fausse tenture accompagnée de motifs géométriques en trompe l’œil et des motifs à plis de serviette (fig. 11).
Fig. 11
Bioule, Château, Vue des peintures murales et du plafond peint dans la salle des Preux.
Lannie Rollins © RCPPM
10Alors que ces ensembles ne sont pas les seuls à abriter des peintures murales et des plafonds peints dans une même pièce, ils sont les plus complets et les mieux étudiés parmi ceux qui sont connus. Ils permettent de suivre l’évolution iconographique et stylistique des décors domestiques dans la région durant les derniers siècles du Moyen Âge et de formuler des hypothèses quant à la fonction des images au sein de la maison.
- 9 Citons quelques plafonds domestiques des XIIIe et XIVe siècles au palais des archevêques de Narbonn (...)
11Alors que les plafonds peints des XIIIe et XIVe siècles présentent essentiellement des thèmes guerriers et chevaleresques, ceux du XVe et XVIe siècles témoignent d’une iconographie en pleine évolution qui comprend trois grandes catégories : l’emblématique (marques de marchand et armoiries), l’être humain et le monde animal9. Tout un éventail de thèmes se dégage de ces catégories qui confèrent ainsi une diversité importante au répertoire iconographique de ce support. Il s’agit principalement de représentations de références littéraires comme les proverbes, du thème du monde à l’envers, d’inscriptions, de thèmes moralisateurs, de loisirs comme la fête, la chasse et les jeux, de la mort, de scènes scatologiques et de proto-portraits souvent des commanditaires et de leurs familles. À titre d’exemple, examinons quelques thèmes iconographiques qui dévoilent le caractère moralisateur de certaines images : la mort et les rapports entre les hommes et les femmes.
- 10 BELGRANO, DITTMAR et ROLLINS, à paraitre.
12La mise en image de la mort est illustrée aux plafonds peints de Rayssac et d’Albi. Au château de la commanderie, une tête de mort est envahie par des vers, placée sur une assiette et une deuxième tête fait face à un fou de cour. Ces images sont accompagnées par une inscription en occitan « Panses ala mort » qui rappelle aux visiteurs la nature précaire de la vie. Dans une maison canoniale à Albi, la danse macabre orne deux poutres où les cadavres entrainent des ecclésiastiques et des laïcs, identifiés grâce aux inscriptions en occitan, vers le cimetière de l’église Saint-Salvi situé à côté des demeures. Face à cette danse macabre est peinte une scène de danse champêtre représentant vraisemblablement une danse morisque caractérisée par des gestes amples et des sauts, bien différente des calmes danses aristocratiques comme celle illustrée à Capestang. Il s’agit d’une danse de la Nature mise en relation avec la danse macabre dont l’ensemble témoigne de « l’ambivalence du discours clérical sur la vie à la fin du Moyen Âge10 ».
- 11 GRENET et PÉREZ-SIMON, à paraitre.
13Plusieurs plafonds traitent la nature des relations entre les hommes et les femmes qu’elles soient positives ou négatives. À Montagnac, onze scènes de couple témoignent de la diversité des rapports entre les deux sexes11. Certaines illustrent des rapports qui peuvent servir de modèles de comportement tels des couples qui se regardent avec tendresse ou une femme tendant un cœur vers un homme. D’autres scènes sont de nature sexuelle, parfois avec violence : une femme qui montre son sexe à un fou de cour qui lui tend une pièce de monnaie, une femme qui dévoile ses seins à un fou de cour et un homme qui rentre sa main dans la robe d’une femme prête à le gifler (fig. 12). Dans l’ancien presbytère de Lagrasse qui abrite quatre plafonds datant de la fin du XVe siècle, plusieurs images montrent des prostituées parfois représentées avec leurs clients, les moines, alors qu’à Rayssac il s’agit d’un client royal qui fait face à une femme aux seins nus.
Fig. 12
Montagnac, L’hôtel de Brignac, Un homme rentre sa main dans la robe d’une femme.
Lannie Rollins © RCPPM
- 12 CHATEVAIRE, 2014, p. 179-181.
- 13 ORTIZ, 2021, p. 60.
- 14 Idem., p. 98.
14Par ailleurs, il faut noter que les thèmes strictement religieux sont plutôt rares, même chez les ecclésiastiques. Le motif religieux le plus répandu est le monogramme du Christ (IHS) aussi bien chez les laïques que les ecclésiastiques comme au château de Capestang ou dans la maison du riche marchand Simon Saunal à Albi. Le monogramme du Christ est représenté à plusieurs reprises dans la maison canoniale d’Albi tout comme des fleurs de lys couronnées qui est un symbole de la Vierge. Trois plafonds peints conservent une image du Christ, l’un au château de Rayssac et les deux autres dans des maisons carcassonnaises où elle est encadrée par des apôtres12. Au château de Pomas (Aude) dont le plafond date d’entre 1493 et 149413, une série de trois closoirs représente l’Annonciation par la présence de la Vierge accompagnée de la Colombe du Saint-Esprit et de l’archange Gabriel14. Cependant, ces motifs religieux restent très peu nombreux comparés aux motifs profanes.
- 15 BONNE, 2010, p. 29-30, 38.
15À l’extrême fin du Moyen Âge, les plafonds dont le décor est uniquement de nature ornementale semblent moins nombreux que les plafonds figurés. Citons trois exemples connus de l’Hérault et du Gers. Des plafonds à caissons sont conservés au palais de Jacques Cœur à Montpellier et dans la salle Vinas au château d’En-Bas à Poussan dont le décor est composé de motifs floraux et géométriques (fig. 13). Dans le Castet de Sainte-Christie d’Armagnac (Gers), des closoirs et les ais d’entrevous sont simplement décorés de cinq points blancs et certaines poutres ont reçu un décor de grands rinceaux stylisés. L’ornement végétal et géométrique demeure un élément décoratif omniprésent sur le fond des closoirs, les couvre-joints et les moulures et participe à la fonction et au dynamisme des décors15.
Fig. 13
Poussan, La salle Vinas au château d’En-Bas, Détail des caissons.
Lannie Rollins © RCPPM
- 16 SCHMITT et DITTMAR, 2009, p. 78.
16Le décor de ces plafonds partage son iconographie avec des images de type marginal telles les marges des manuscrits et les miséricordes des stalles. En revanche, si le plafond est considéré comme un espace périphérique par rapport aux peintures murales, il s’agit véritablement d’une « structure fractale16 » où s’opère une hiérarchie iconographique entre les motifs selon leur emplacement dans la salle et leur agencement.
- 17 MÉRINDOL, 2001, p. 70.
17L’héraldique participe à la hiérarchisation des espaces selon l’architecture de la salle. Au sein de multiples plafonds, un décor héraldique se déploie au-dessus ou face à la cheminée, considérée comme « une place d’honneur17 » où le commanditaire recevait des visiteurs. À Capestang, il s’agit d’une série de closoirs faisant face à la cheminée qui font alterner les armoiries du commanditaire, Jean d’Harcourt, et celles du chapitre cathédral de Narbonne. L’une des faces d’une poutre devant la cheminée est également peinte avec une répétition des armes d’Harcourt. À Montagnac et à Pont-Saint-Esprit, l’emplacement autour de la cheminée est réservé aux armoiries des personnages les plus puissants de l’époque tels le roi de France Charles VII, le dauphin Louis, le pape et les ducs.
18D’autres thèmes iconographiques sont stratégiquement placés en rapport avec l’architecture de la pièce au niveau des axes de circulation et des fenêtres. À Rayssac, la série de closoirs portant la dédicace du plafond se trouve directement à gauche en entrant dans la pièce ; elle est donc visible en arrivant et surtout en sortant de la pièce. À Capestang, une série de danseurs accompagnés de musiciens et de fous de cours surmonte la cloison que l’on traverse en sortant de la pièce. Dans la maison canoniale d’Albi, de petits lapins rouges, symboles de fécondité, courent au-dessus des scènes de la danse macabre indiquant ainsi le sens de lecture.
19En plus de participer à la hiérarchisation des espaces, l’héraldique structure également le décor au sein des plafonds en alternant avec d’autres motifs et scènes. À Montagnac, les armoiries sont encadrées par des animaux, des êtres hybrides et des scènes de couple. À Pont-Saint-Esprit (Gard), les armoiries alternent avec des animaux, des hybrides ainsi qu’avec des scènes de danse ou de jeux d’enfant. Ainsi les motifs du plafond et surtout l’héraldique servent à mettre en valeur des espaces hiérarchisés de la pièce tout en structurant des décors au sein du plafond.
- 18 BOURIN et DITTMAR, 2018, p. 19.
20Par ailleurs, nous constatons la tendance de certaines scènes à se prolonger sur deux ou plusieurs closoirs nécessitant ainsi que le spectateur déplace son regard pour comprendre le sens narratif de la série d’images. Au château de Capestang, des scènes de chasse se poursuivent sur plusieurs closoirs ainsi qu’une évocation de la fable du coq et du renard, seulement identifiable en tant que telle si les différents closoirs sont interprétés ensemble. Dans la maison de Jean Dymes à Narbonne dont le plafond date des alentours de 1500, une série de trois closoirs représente le monde à l’envers : un lapin poursuit un chien qu’il finit par rôtir (fig. 14). Ainsi, les images des plafonds révèlent une réflexion concernant l’emplacement des motifs les uns par rapport aux autres et en fonction de l’architecture de la salle18.
Fig. 14
Narbonne, Maison Jean Dymes, Trois closoirs illustrant le monde à l’envers.
Lannie Rollins © RCPPM
- 19 Des exceptions existent : le plafond peint au château des archevêques de Narbonne à Capestang (pout (...)
21Enfin, à partir du XVe siècle, les plafonds ne reçoivent presque plus de décor couvrant. La plupart des plafonds des XIIIe et XIVe siècles avaient reçu un décor peint sur presque tous les éléments de la charpente, comme en témoignent les plafonds de Narbonne, Montpellier, Béziers et Villeneuve-d’Aveyron entre autres. Puis, la majorité des plafonds du XVe siècle ont vu la surface peinte se réduire aux closoirs, aux couvre-joints et aux moulures avec parfois la présence d’engoulants peints à l’extrémité des poutres19. En revanche, au cours du XVIe siècle, le décor couvrant au niveau des plafonds revient à la mode comme au Castet de Sainte-Christie-d’Armagnac et au château de Flamarens, tous les deux situés dans le Gers. Enfin, les plafonds domestiques du XVIIe siècle témoignent encore de cette tendance à peindre la totalité des éléments même si l’iconographie a évolué : au château de Malves-en-Minervois (Aude), au château de Cazals (Lot), au château de Fiches à Verniolle (Ariège) et enfin au palais de la Berbie à Albi (Tarn).
- 20 CZERNIAK Journées d’étude, 2008, § 4 et 5.
22La majorité des peintures murales des espaces civils qui nous sont parvenues pour la période médiévale sont de nature ornementale, que ce soit en Occitanie ou ailleurs. Ces décors ornementaux couvrants peuvent prendre des formes très diverses. Par exemple, les faux appareils peuvent comporter un ou plusieurs traits, être de forme rectangulaire ou polygonale, et recevoir des motifs divers tels que des animaux ou des formes de puzzle et employer des couleurs variées. Le goût médiéval pour les imitations ne se limite pas à ces fausses pierres de taille mais se manifeste aussi dans les fausses tentures, des faux pavements et les motifs à pli de serviette qui s’inspirent des menuiseries20. Des motifs géométriques, souvent en trompe-l’œil, sont également très répandus.
- 21 Idem., § 14.
- 22 Idem., § 15-16.
- 23 JUHEL, 2008, § 13-18.
- 24 REGOND, 2008, § 17.
23Tout comme les plafonds peints, l’iconographie des peintures murales se diversifie à l’extrême fin du Moyen Âge en Occitanie et ailleurs. Sur les murs de l’escalier à vis au château de Vaillac, une peinture datant du dernier quart du XVe siècle illustre un château défendu par des chats et assiégé par des rats dont la référence pourrait être courtoise ou moralisatrice21. Les peintures murales fragmentaires à Capdenac-le-Haut illustrent une scène composée de rinceaux habités par des singes voleurs qui pourraient être une référence au fabliau moralisateur du mercier détroussé22. En outre, dans l’hôtel des Quatrans à Caen en Normandie, une scène de bergerie dans laquelle des hommes et des femmes dansent dans un cadre extérieur, accompagnés de moutons et de phylactères, daterait du début du XVIe siècle23. Dans une galerie couverte au rez-de-chaussée du château de Villeneuve-Lembron dans le Puy-de-Dôme, une série de peintures murales représente cinq dits : le dit de l’astrologue, le dit du maître d’hôtel, le dit de la Chiche-face (maigre car elle ne dévore que les femmes qui obéissent à leurs maris), le dit de la Bigorne (grosse, car elle ne dévore que les maris qui obéissent à leurs femmes) et un dernier dit sur les maris trompés (fig. 15). Ces peintures, dont certaines sont clairement de nature misogyne, datent des environs de 1510 et furent commanditées par le diplomate et maître d’hôtel du roi Rigault d’Aureille qui figure lui-même sur les murs de sa galerie24.
Fig. 15
Villeneuve-Lembron, Château de Villeneuve-Lembron, La Bigorne et son dit.
Lannie Rollins © RCPPM
- 25 LE DESCHAULT DE MONREDON, 2015, p. 35.
24Les peintures murales au XIIIe et au XIVe siècle sont le plus souvent organisées en deux ou trois registres dont le supérieur a reçu un décor figuré voire historié25. Aux XVe et XVIe siècles les sujets narratifs semblent se développer sur des surfaces plus vastes et les compositions s’organisent de plus en plus en plans superposés plutôt qu’en registres. Les Neuf Preux de Bioule illustrent ces deux types de composition. Ils sont représentés à cheval, de taille presque grandeur nature. Les décors s’organisent en trois plans superposés qui créent une illusion de profondeur : un premier plan où figurent les preux, un deuxième plan en fausse tenture, et un troisième plan, sur la partie supérieure des murs, où les cordes qui tiennent la fausse tenture sont peintes comme raccrochées aux murs sur des cartouches portant un décor à plis de serviette.
- 26 HANS-COLLAS, 2008, § 20-21.
- 27 JUHEL, 2008, § 14-15.
- 28 CZERNIAK, Journées d’étude, 2008, § 14.
25Cette organisation en plans superposés et la tendance à agrandir le registre narratif se rencontrent dans d’autres édifices et dans d’autres régions aux XVe et XVIe siècles. Dans une maison strasbourgeoise située au 15 rue des Juifs dont les décors datent du milieu ou de la fin du XVe siècle, plusieurs figures sont représentées en pied sur fond de rinceaux et accompagnées de phylactères26. En particulier, une femme assise devant une fausse tenture occupe toute la partie centrale du mur. À Caen, la scène de bergerie figure en premier plan devant des arbres représentés au deuxième plan et la composition semble avoir couvert toute la hauteur de la cloison27. Enfin, la superposition des plans est particulièrement réussie dans la scène du château assiégé par des rats au château de Vaillac28.
- 29 TRÉTON, 2011.
- 30 AD Pyrénées-Orientales, 3E1/1266, fol. 15v-16, Manuale Arnaldi Stephani, 1440 ; AD Pyrénées-Orienta (...)
- 31 TRÉTON, 2011, p. 134-136.
- 32 Idem., p. 137-139.
- 33 Idem., p. 130-131.
26Ces ensembles soulèvent de multiples questions concernant l’exécution des décors des salles d’apparat. La conservation des contrats de commande pour les décors peints étant rare dans la région, la tribune de l’église Sainte-Eulalie à Millas29 (Pyrénées-Orientales) est une exception. Pour cet ensemble, deux contrats sont conservés aux archives départementales des Pyrénées-Orientales, l’un pour la charpenterie datant de 1440 et l’autre pour la réalisation des décors peints en 144230. De manière générale, ces contrats précisent l’identité du charpentier et du peintre, les conditions du paiement, les responsabilités assumées par les artisans et le délai accordé pour les travaux. Pour la charpenterie, le contrat insiste sur le fait que la tribune devrait ressembler ou être de meilleure qualité que celle dans l’église des Carmes témoignant ainsi de l’usage d’un modèle existant et prisé31. Concernant la campagne picturale, le contrat nous apprend que des membres de la paroisse ont personnellement financé la réalisation des décors pour certains poutres et corbeaux32. Peintes sur des poutres, les armoiries des familles nobles ayant participé au financement côtoient celles des prêtres de l’église et possiblement celles des commanditaires, c’est-à-dire la fabrique de l’église et la Confrérie des Innocents33. À l’exception de ces deux sources écrites remarquables, les renseignements sur l’exécution des décors et des techniques de montage dépendent avant tout de l’observation des plafonds eux-mêmes.
- 34 Quelques exceptions existent comme certains éléments du plafond datant du XIVe siècle à la Notairie (...)
- 35 Pour plus d’information concernant les pigments et techniques picturales utilisés voir : BOULARAND, (...)
27S’il est souvent difficile de repérer les techniques de montage et de l’exécution des décors sur les plafonds toujours en place, certains closoirs permettent de comprendre la chaîne opératoire. À Albi un closoir montre, dans sa partie droite, le début du décor d’une autre scène et par conséquent, indique que les scènes avaient été peintes sur une même planche avant que celle-ci ne soit sciée (fig. 16). Il s’agit d’un exemple parmi d’autres qui témoigne que les closoirs et les couvre-joints étaient peints avant leur montage34. Les figures principales des closoirs sont exécutées à main levée alors que les décors de fond tout comme ceux des couvre-joints peuvent être réalisés au pochoir (motifs floraux) ou à main levée (rinceaux)35.
Fig. 16
Albi, Série de closoirs démontés et conservés au Musée Toulouse-Lautrec, Closoir qui témoigne de la découpe faite sur de longues planches avec le fond bleu de la scène avoisinante à droite.
Lannie Rollins © RCPPM
- 36 L’ostal des Carcassonne, 2014, p. 41.
28Les ensembles de ce corpus permettent de poser la question de l’exécution des décors par les mêmes mains. Un cas suggère que les mêmes artistes ont peint les murs et le plafond alors qu’un deuxième cas montre clairement que deux peintres distincts ont exécuté les décors des plafonds. Au château de Bioule, un même style et une même palette chromatique se retrouvent à la fois sur les murs et sur le plafond. Les rinceaux stylisés des poutres sont quasiment identiques à ceux conservés de façon fragmentaire dans l’une des tours : des feuilles amples cernées d’un trait épais noir se dégagent d’un fond ponctué de petits points blancs (fig. 17 et 18). Les mêmes motifs au pochoir qui ornent les closoirs se retrouvent sur les murs de la salle des Neuf Preux ainsi que dans l’aile sud. Cet ensemble suggère ainsi que les mêmes artistes ou un même atelier ont réalisé les décors des murs et du plafond lors d’une vaste campagne décorative. Un autre témoignage que les mêmes artistes ont travaillé sur le plafond et les murs est donné par l’Hostal des Carcassonne à Montpellier, aujourd’hui détruit mais étudié par Jean-Louis Vayssettes et Bernard Sournia36. Par conséquent, nous pouvons imaginer que ces deux supports étaient souvent réfléchis ensemble et réalisés en même temps lors des campagnes de construction ou de rénovation.
Fig. 17
Bioule, Château, Salle des Preux, Rinceaux stylisés des poutres.
Lannie Rollins © RCPPM
Fig. 18
Bioule, Château, Tour sud-ouest, Fragment de peinture murale avec feuilles stylisés.
Lannie Rollins © RCPPM
29En revanche, les deux plafonds peints superposés de la Maison des Chevaliers à Pont-Saint-Esprit témoignent visiblement de l’exécution des décors par des mains différentes. Alors que les programmes iconographiques sont presque identiques, le plafond au rez-de-chaussée est d’un style nettement plus frustre, moins détaillé et avec une moindre maitrise de la perspective que celui du premier étage (fig. 19 et 20). Cette disparité de qualité peut résulter d’une différence de prix payé pour les décors et suggère que Guillaume de Piolenc a souhaité un décor de meilleure qualité pour la salle au premier étage. Il semble ainsi probable que les deux salles recevaient des publics différents : celle au premier étage aurait pu être réservée à la famille, à l’entourage du commanditaire et aux invités d’honneur alors que celle au rez-de-chaussée aurait accueilli un public plus élargi venu s’entretenir avec les seigneurs de la ville.
Fig. 19
Pont-Saint-Esprit, La Maison des Chevaliers (Musée de l’art sacré du Gard), Tête masculine au rez-de-chaussée.
Lannie Rollins © Musée de l’art sacré du Gard
Fig. 20
Pont-Saint-Esprit, La Maison des Chevaliers (Musée de l’art sacré du Gard), Tête masculine au premier étage.
Lannie Rollins © Musée de l’art sacré du Gard
- 37 BOURIN et DITTMAR, 2018, p. 28.
30Au Moyen Âge, la maison comprend toutes les personnes qui y vivent et abrite souvent une famille élargie sur plusieurs générations ainsi que leurs domestiques37. Ajoutons à ces personnes les invités occasionnels du propriétaire tels ses vassaux ou clients. Ainsi, les images domestiques sont vues par de nombreuses personnes qui composent la maisonnée et leurs cercles sociaux et économiques.
31Les salles d’apparat sont des espaces mi-publics mi-privés qui peuvent servir plusieurs fonctions. Nous avons vu avec l’Hôtel de Brignac que les salles d’apparat peuvent aussi servir ponctuellement de salle de justice, voire être cloisonnées pour former plusieurs pièces. C’est le cas notamment de la salle d’apparat du château de Capestang mais aussi pour celle de la maison du marchand Jean Dymes à Narbonne. Environ un quart de cette salle était cloisonnée à l’origine comme en témoigne l’usage de deux couleurs différentes au niveau des ais d’entrevous. Par conséquent, les espaces cloisonnés et donc séparés des salles d’apparat auraient pu servir de chambres.
32Comme nous l’avons vu, l’héraldique participe à la célébration du commanditaire et aux réseaux sociaux, familiaux et politiques auxquels il appartient. De façon générale, les armoiries représentent également la personne ou la collectivité in absentia et servent comme signe de pouvoir qui polarise l’espace. Pour la famille Brignac à Montagnac, la répétition de leurs armoiries qui côtoient celles des seigneurs laïques et ecclésiastiques de la vallée de l’Hérault honore ses alliances et illustre leur promotion sociale. Cette mise en scène héraldique et la présence des scènes de chasse rappellent aussi aux visiteurs leur autorité quand la justice est rendue dans cet espace. Comme en témoignent les plafonds de Rayssac et Capestang dont les commanditaires sont des ecclésiastiques, les armoiries servent également à manifester une identité collective.
- 38 VICTOIR, 2008, § 19.
- 39 CZERNIAK, 2003, p. 23.
33En outre, la présence d’autres thèmes peut aussi être un marqueur de statut social noble des commanditaires. À Capestang, les visiteurs de l’archevêque qui sortent de la pièce sont confrontés à une série d’images représentant une scène de bal encadrée par des musiciens et des fous de cour. Malgré l’interdiction faite aux clercs de participer à la danse, la présence de cette activité parmi les décors sert à rappeler les origines familiales de Jean d’Harcourt. Cette préférence pour les activités profanes de l’aristocratie est également illustrée dans la maison du prieur à Villers-Saint-Sépulcre (Oise) où les peintures murales évoquent des scènes de joute, activité également interdite par l’Église38. À Bioule, si les scènes des Neuf Preux font écho aux scènes chevaleresques privilégiées par la noblesse aux XIIIe et XIVe siècles, Antoine II de Cardaillac choisit peut-être ce sujet iconographique pour souligner son statut social de chevalier dont la position sociétale est de plus en plus précaire39.
- 40 BULTÉ et PUCHAL, 2021, p. 41.
- 41 GRENET et PÉREZ-SIMON, à paraitre.
34Certains thèmes participent à des discours moralisateurs comme des proverbes, des fables, des images de la mort et des scènes de genre. Les représentations de la mort rappellent la précarité de la vie et s’insèrent dans un discours eschatologique présent dans les Ars moriendi, ouvrages qui apparaissent au XVe siècle destinés à conduire à une bonne mort. La danse macabre est ainsi un thème particulièrement résonnant pour les chanoines d’Albi qui accompagnent leurs fidèles dans la vie et dans la mort. Les diverses représentations de prostituées à Rayssac, à Montagnac ou dans l’ancien presbytère de Lagrasse s’inscrivent parmi des images de plaisirs corporels qui corrompent l’âme40. À Montagnac les images de couple ont pu avoir plusieurs fonctions : un rôle éducatif pour les filles en montrant des comportements à adopter ou à éviter ou un rôle apotropaïque en tant qu’image repoussoir protégeant l’espace domestique41.
- 42 Sur les jeux d’enfants voir BULTÉ et PÉREZ-SIMON, à paraitre.
- 43 GIRARD, 2000, p. 99.
35Les images des salles d’apparat peuvent ainsi avoir une fonction de protection et de bénédiction et agir sur l’espace et la famille. Dans la salle d’apparat au premier étage de la Maison des Chevaliers à Pont-Saint-Esprit, l’inscription bonne fortune et les jeux d’enfants nus sont liés à la fertilité du couple et à l’éducation des jeunes nobles et peuvent jouer un rôle apotropaïque42. Selon Alain Girard, il est possible que toute la campagne de construction et de décoration de cette aile soit motivée par la volonté de Guillaume de Piolenc de célébrer la continuité familiale qui sera assuré par son neveu, Guillaume Cordier, car le commanditaire et sa femme n’ont pas eu d’enfants43. Dans cette salle l’iconographie du plafond et l’inscription murale célèbrent la famille Piolenc.
36Le décor des salles d’apparat à la fin du Moyen Âge témoigne avant tout de la volonté des commanditaires, laïcs aussi bien que religieux, d’orner leurs maisons du sol au plafond afin d’embellir et dignifier l’espace. Les salles d’apparat sont des espaces mi-publics mi-privés, parfois utilisées comme salles de justice, qui sont l’extension du commanditaire et de sa famille ou de sa communauté religieuse. Les images choisies servent plusieurs fonctions : embellir et hiérarchiser l’espace, rythmer les décors ainsi que représenter et honorer le commanditaire, sa famille ou sa communauté, ses alliances et ses valeurs. Certaines images peuvent aussi protéger l’espace et ainsi la maisonnée. Les images conservées dans les salles d’apparat témoignent en outre d’une culture visuelle et matérielle partagée durant une période assez longue et sur un grand territoire en Europe occidentale.
37Au cours du XVe siècle et au début du XVIe siècle, les répertoires iconographiques se diversifient, que ce soit au niveau des plafonds ou des murs et nous assistons à une évolution dans l’organisation des décors. Les ensembles de ce corpus témoignent également des différentes façons que les commanditaires et les artistes conçoivent et gèrent les chantiers.
38Les plafonds peints de la région Occitanie sont de loin les mieux repérés et étudiés de France. S’agit-il d’un phénomène lié à l’intérêt d’un groupe de chercheurs ? S’agit-il d’un phénomène décoratif surtout présent dans l’arc méditerranéen et par conséquent moins répandu au nord de la Loire ? Dans tous les cas, il est sûr que le travail collectif de la RCPPM a permis l’étude et la conservation des plafonds peints de la région sur une échelle sans pareille en France. Enfin, la découverte de plus en plus fréquente des plafonds peints permet d’élargir cet incroyable corpus d’images pour mieux comprendre l’organisation et la fonction des décors au sein de la maison à la fin du Moyen Âge.