1L’est du Tarn-et-Garonne est composé de paysages contrastés, des falaises taillées par la rivière Aveyron aux douces collines d’argile. Ce « pays » qui recèle maintes matières premières, offre aux bâtisseurs des matériaux de construction qui peuvent différer d’un village à l’autre. Cependant, si les styles et les arts de bâtir se lisent sur les façades, il est plus ardu d’appréhender les manières d’habiter et les ambiances intérieures. L’analyse des décors est ainsi un moyen d’apprendre à connaître ces vies domestiques, mais aussi parfois mondaines, qu’abritent les maisons à des époques différentes. C’est le thème choisi pour notre présentation, car c’est un sujet central dans notre travail d’inventaire du patrimoine : la maison, son architecture, son décor, et ses fonctions.
- 1 Caylus et Saint-Antonin-Noble-Val, 1993.
2Le PETR (Pôle d’Équilibre Territorial et Rural) du Pays Midi-Quercy est composé de 49 communes à l’est de Montauban, correspondant à la réunion des confins de l’Agenais (frange ouest), du Quercy (frange nord), du Rouergue (frange est) et de l’Albigeois (frange sud). Le service de l’inventaire du patrimoine y mène ses missions de recensement, d’étude et de médiation depuis 2004. Il s’appuie notamment sur un important inventaire topographique réalisé dans les années 1980 dans les cantons de Caylus et Saint-Antonin-Noble-Val1.
- 2 Nous remercions les propriétaires des édifices cités de nous avoir ouvert leurs portes et d’avoir s (...)
- 3 Nous remercions Pierre Garrigou Grandchamp et Emmanuel Moureau pour leur aide précieuse au cours de (...)
3Contrairement au service de l’Inventaire et de la Connaissance des Patrimoines de la Région Occitanie, le service du PETR du Pays Midi-Quercy n’a pas de thématique dédiée à l’inventaire des décors peints sur son territoire. Les études sont ainsi réalisées au gré des découvertes fortuites signalées par les propriétaires2 et des artisans, ou des demandes d’une commune, d’une association, etc. Cependant, ces études se font toujours en partenariat avec le service régional et des spécialistes3.
- 4 CZERNIAK, 2014a. LE DESCHAULT DE MONREDON, 2015, p. 116-117 et p. 181-184.
- 5 BOUSSOTROT, 2014, p. 168.
- 6 CZERNIAK, 2014b
- 7 CZERNIAK, 2014c.
4Les grands édifices de prestige ou religieux sont en général déjà connus et étudiés. Ce sont majoritairement des édifices publics qui sont surveillés et valorisés, par les communes ou les services de l’État. Localement, de beaux exemples sont conservés : de la petite chapelle rurale de Notre-Dame de Saux4 et ses scènes du XIVe siècle, aux grands ensembles réalisés par René Gaillard-Lala5 (1893-1974) au milieu du XXe siècle. Les édifices de prestige comme la Tour d’Arles6 à Caussade et le château de Bioule7 recèlent également des vastes salles au décor exaltant les valeurs de la chevalerie au sein de motifs polychromes chatoyants. Ces édifices et leurs décors nous permettent de voir qu’il y a un contexte de grandes commandes décoratives déjà bien installé localement depuis le Moyen Âge.
5Notre regard se porte donc vers les maisons, pour comprendre dans quelle mesure elles pourraient également être sources de connaissance des types d’ornements, des modes et des styles, et des sociétés qui les produisent. Nous sommes amenées à visiter des édifices en majorité inédits, où les décors sont souvent lacunaires ou en état de grande fragilité (voire menacés).
6Ce fut le cas par exemple à Caussade, dans une maison rue de la République8. Les travaux de rénovation ont mis au jour des décors ornementaux en 2016 : des faux appareils aux traits rouges et avec des fleurettes centrales sur un enduit blanc, ainsi que des frises de palmettes noir et rouge encadrées par des bandeaux rouge et jaune (fig. 1 et 2). Ces décors semblent caractéristiques des XIIIe-XIVe siècles, assez bien connus par ailleurs9. Ce qui faisait leur particularité était les grandes surfaces conservées, puisqu’ils se développaient sur plusieurs niveaux. Malheureusement, après une courte étude consentie par le propriétaire, les enduits ont intégralement été détruits.
Fig. 1
Caussade (Tarn-et-Garonne), maison rue de la République ; enduit peint de faux appareil médiéval.
Sandrine Ruefly © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 2
Caussade (Tarn-et-Garonne), maison rue de la République ; frise de palmettes.
Sandrine Ruefly © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
- 10 LONCAN, 1993, p. 213-245.
7À l’inverse, des cas plus heureux s’offrent parfois à nous. En 2021 un fragment de décor peint a été découvert lors de travaux dans la maison des Loups à Caylus10. Ce vestige, sur un pan de maçonnerie lié à la façade décorée de sculptures du XIVe siècle, représente, semble-t-il, deux arbres (fig. 3). L’un est très peu visible (seul le tronc apparaît), l’autre se distingue par ses feuilles lancéolées et ses fruits jaunes et ronds. On peut voir nettement apparaître des fleurs rouges, faites au pochoir qui se superposent au reste de la peinture. Elles ont donc très probablement été ajoutées dans un second temps. De plus, elles sont disposées aléatoirement, sur la surface peinte de l’arbre, sans être clairement rattachées aux branches, contrairement aux fruits.
Fig. 3
Caylus (Tarn-et-Garonne), maison des Loups ; enduit peint représentant des arbres (vestige).
Carole Stadnicki © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
- 11 CZERNIAK, 2020, p. 425.
- 12 Nous pouvons citer les exemples pas très éloignés d’une maison à La Roque-Bouillac en Aveyron (CZER (...)
8Cet enduit peint nous donne ainsi à voir un décor végétal qui paraît luxuriant et qui a connu plusieurs phases d’embellissement, traduisant des changements de modes dans l’ornementation intérieure à la fin du Moyen Âge. Le Midi n’était pas connu pour ses décors muraux de végétaux au Moyen Âge, réputés plus répandus dans les régions septentrionales ou italiennes11. Pourtant, depuis plusieurs années, quelques décors de végétaux couvrants ont été découverts dans la région (XVe-XVIe siècles)12.
9Le décor de La Roque-Bouillac (Aveyron) en particulier, entretient des liens assez étroits avec celui de Caylus. En effet, on y retrouve des arbres dont le tronc comporte des branches coupées et qui, surtout, est peint d’une couleur et dont la silhouette est soulignée d’un cerne d’une couleur différente. On y retrouve en outre un arbre aux mêmes feuilles lancéolées et aux fruits arrondis, bien qu’un peu plus ovales. Ce dernier décor est daté avec incertitude du XVe siècle en raison, précisément, du manque de points de comparaisons. La présence d’un décor similaire à Caylus, dans une maison comportant des éléments sculptés du XIVe siècle, pourrait permettre de proposer une date dès la seconde moitié du XIVe siècle.
10Cela correspondrait au développement du goût pour les paysages végétalisés qui voit le jour dans les années 1340 avec des exemples prestigieux tels que le Palais des papes d’Avignon ou encore la chambre du comte Aymon du château de Chillon (Suisse), peinte par Johannod Grandson entre 1342 et 1344. Dans le cas de Caylus et de La Roque-Bouillac, le végétal est moins figé et rappelle des exemples italiens autour de 1400 (château de la Manta). Par ailleurs, les fleurs réalisées au pochoir, qui correspondent à l’adjonction la plus récente, rappellent fortement celles qui décorent un plafond messin, daté avec incertitude entre le XIVe et le XVe siècle13. Nous pourrions donc considérer que les deux décors de Caylus et de La Roque-Bouillac se situent, très approximativement, aux environs de 1400.
- 14 Le cas de Caussade est néanmoins particulier : seuls trois édifices avec des décors sont recensés ( (...)
11Cela illustre bien l’idée que la recherche est toujours enrichie et remise en question par les nouvelles découvertes, et que poursuivre les recensements dans tous les types d’édifices est nécessaire. Localement, le bilan des décors connus dans des maisons médiévales montre une répartition inégale (fig. 5). On peut voir que là où les enquêtes ont été les plus systématiques (avec des visites des intérieurs), les découvertes augmentent : ce sont les cas de Saint-Antonin-Noble-Val, Bruniquel ou Montricoux par exemple. À contrario, dans des villes comme Caylus ou Caussade14 nous connaissons peu d’édifices avec des décors peints par rapport à leur taille et leur importance au Moyen Âge. Il ne fait aucun doute, cependant, qu’au fil des années, les découvertes verront leur nombre augmenter grâce à la multiplication des opérations d’inventaire sur le territoire, et grâce au dialogue permanent avec les institutions de conservation, les communes et les habitants.
Fig. 4
Maisons médiévales conservant des décors peints dans le secteur du PETR du Pays Midi-Quercy (Tarn-et-Garonne).
Léa Gérardin-Macario © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
12Dans le but d’illustrer ce travail de recensement et d’étude, toujours aidé par des spécialistes du décor peint, nous proposons trois études de cas de décors dans des maisons, présentées chronologiquement du XIVe au XIXe siècle, et répartis entre les bourgs voisins de Bruniquel et Montricoux.
13En 2016, le décor peint de la maison du 22 rue Droite à Bruniquel est brièvement étudié par V. Czerniak, qui le fait connaître grâce à une publication dans le Bulletin Monumental15. Elle souligne à la fois son état de grande fragilité et la nécessité de poursuivre les recherches sur cet édifice. En 2021, l’étude est ainsi reprise par le service de l’inventaire du patrimoine du PETR du Pays Midi-Quercy.
Fig. 5
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; vue de la maison dans son contexte urbain actuel (en rouge).
David Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
14La maison étudiée se situe en plein centre du castrum médiéval fortifié (fig. 5). C’est une vaste parcelle polygonale traversante, entre la rue Droite et la ruelle Trottes-Garces (fig. 6). Une cour occupe le quart nord-est, les bâtiments se développent en L du nord-ouest au sud-est, de part et d’autre de l’enceinte du milieu du XIIIe siècle. Elle se trouve sur l’une des principales rues commerçantes et à proximité de pôles importants dans le bourg : la place centrale, la porte Méjane (ou du Mazel), et la maison commune qui abritait les bancs de boucheries.
Fig. 6
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; plan général de l’édifice.
Léa Gérardin-Macario © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
- 16 COMET, 2014.
- 17 Saint-Emilion, 2016.
15À la suite de notre étude des élévations, les éléments bâtis les plus anciens que l’on a pu identifier sont l’enceinte qui traverse la parcelle actuelle (1,30 m de large), et un petit bâtiment qui lui est accolé au nord appelé BAT 1 sur le plan (fig. 7). Sa limite sud-est est bien attestée et nous a permis de voir que c’était un bâtiment assez bas, sans doute couvert par un toit en appentis contre l’enceinte. Ce premier bâtiment, dont la fonction n’est pas déterminée, était probablement indépendant d’une possible circulation au sommet du mur d’enceinte de la ville, qui devait se trouver plus haut. De telles dispositions ont été observées à Larressingle16 (Gers) et à Saint-Émilion17 (Gironde), bien que ce soit dans des proportions bien supérieures.
Fig. 7
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; relevé de la façade sur cour (sud-est).
Léa Gérardin-Macario © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
16Entre la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle, la pression urbaine devient tout de même assez forte pour que des constructions soient entreprises hors les murs. En 1309, le fossé qui bordait l’enceinte est ainsi encore cité, mais comme confront à ces nouvelles constructions18. Les modules appelés BAT 2, BAT 3 et BAT 4 sur le plan sont des unités d’habitations édifiées hors les murs à cette époque, réunis ensuite à l’époque moderne (voir fig. 6).
17C’est au début du XIVe siècle que le module nord (BAT 1) est agrandi : deux niveaux sont élevés en petits moellons de calcaire au-dessus du modeste bâtiment en appentis. La haute silhouette de cette maison devait alors se dresser au-dessus de l’enceinte. Elle était ouverte par deux niveaux de baies, dont le plus bas conserve au moins une baie géminée au sud-ouest (fig. 8). C’est dans cet exhaussement que se trouve, notamment, une grande salle au décor peint soigné, démontrant sans doute le statut social de ses occupants.
Fig. 8
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; baie géminée dans l’élévation sud-ouest.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
18Le décor se trouve dans une salle haute, aujourd’hui sous combles, mais qui devait correspondre au premier étage de la maison du XIVe siècle et au-dessus duquel se développait un autre étage (fig. 9). Son niveau de circulation était bien plus bas qu’actuellement et nous permet de restituer une salle qui présentait entre 3,5 m et 4 m de hauteur sous plafond. Un grand placard, une petite porte à coussinets vers une venelle et une baie géminée constituent les équipements qui nous sont parvenus dans cette salle. Ni sa circulation verticale, ni sa limite nord-ouest ne sont attestées.
Fig. 9
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; vue générale du niveau conservant le décor peint du XIVe siècle.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 10
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; écu dans un quadrilobe du mur sud-ouest.
Amélie Boyer © Inventaire Général, Région Occitanie
19Le décor qui se trouve dans la salle haute conservée dans le module nord (BAT 1) est composé d’un registre haut présentant une frise d’écus armoriés dans des quadrilobes à redans, eux-mêmes ceints par de grands octogones noirs (fig. 10). Entre chaque octogone se développent des rinceaux à quintefleurs rouges (fig. 11). Deux larges bandes jaune et rouge encadrent ce registre. En dessous se développent des assises de faux blocs colorés (rouge, jaune, noir) délimités par un épais trait noir et séparés par des joints blancs. De rares indices de rinceaux et fleurettes sont conservés dans les blocs. De même, deux quadrilobes présentent des fonds couverts de fins rinceaux noirs à petites feuilles (fig. 12).
Fig. 11
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; détail des rinceaux à quintefleurs.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 12
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; détail des rinceaux noirs dans un des quadrilobes.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
20Ce décor est conservé sur trois murs contigus. Il est conditionné par les éléments architecturaux de la pièce : sur le mur sud-est, l’un des octogones encadrant un quadrilobe épouse harmonieusement l’arc du haut placard (fig. 13). Sur le mur suivant au sud-ouest, en revanche, le niveau de la frise est légèrement plus haut, probablement pour s’accorder avec l’imposte de la baie géminée qui s’y trouve. De la même façon, les octogones s’interrompent régulièrement avant l’angle de la pièce, laissant un registre de rinceaux rouges se développer de part et d’autre, créant un lien entre les deux pans de mur.
Fig. 13
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; écu ceint d’un octogone sur l’arc du placard du mur sud-est.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
21Un premier enduit de préparation, assez lisse et clair, a pu être observé sous la couche de mortier peint, en plusieurs endroits (voir fig. 10). Les lacunes importantes dans l’enduit révèlent aussi une pièce de bois posée horizontalement dans l’appareil de moellons (système de mur armé ?) dans laquelle ont été régulièrement fichées des petites pointes métalliques pour servir d’accroche à l’enduit.
22Les couleurs observées sont majoritairement le rouge et le jaune (ocres), le noir et un gris bleuté (charbon ?), et le blanc (chaux). Les tracés sont fins et délicats, et bien que les motifs soient répétitifs chaque élément est différent des autres. Les écus, les quadrilobes et les faux blocs sont soulignés par des traits noirs. Les becs de quadrilobes sont très fins et pointus (fig. 14).
Fig. 14
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; détail du bec d’un quadrilobe du mur nord-est.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
23L’alternance des couleurs des fonds des quadrilobes et de leurs octogones est respectée pour les éléments conservés. Elle s’interrompt, en revanche, si l’on essaie de resituer une frise sur toute la longueur du mur sud-est. Peut-on en déduire que se trouvait là un élément architectural suffisamment important pour rompre le rythme, ou qu’un blason avait été isolé et mis en valeur par un traitement particulier ? Bien que l’un n’exclue pas l’autre, il faudrait analyser la zone d’enduit couverte par la suie pour en apprendre davantage (voir fig. 9).
- 19 La livrée cardinacile Ceccano à Avignon (Notice Architecture-Mérimée PA00081915).
24Notons que si la présence d’écus armoriés dans des quadrilobes n’est pas rare (voir l’exemple de Larnagol dans le même volume), cette manière de faire ressortir le quadrilobe sur un fond octogonal plus sombre est moins fréquente et accentue la mise en valeur des éléments héraldiques. À titre de comparaison, on peut citer le décor réalisé entre 1333 et 1350 dans la livrée avignonnaise d’Annibal de Ceccano19, dans lequel les armoiries du cardinal sont placées au sein de cercles, eux-mêmes au centre de quadrilobes à redents peints dans des carrés, le tout rythmé par une alternance de couleur entre le fond des quadrilobes et des carrés.
25Dans cette salle, seuls deux écus de la frise héraldique sont partiellement lisibles, mais ils font allusion à des familles nobles du Quercy. Le premier, de gueules à bande d’argent, a pu être rapproché d’un écu similaire au château de Larnagol (46) représentant probablement la famille de Cajarc20 « seigneurs de Gaillac21 » (fig. 15). Cette famille n’apparaît dans les actes notariés du chartrier de Bruniquel qu’au tout début du XVe siècle, suite à un mariage avec une importante famille bruniquelaise, les Rayguasse22. Ils apparaissent ensuite régulièrement comme témoins d’actes passés par les vicomtes de Bruniquel (1421, 1433, 1462, 1485)23. Mais cela n’empêche pas que ces importants seigneurs locaux aient été évoqués à Bruniquel avant qu’ils ne s’y implantent durablement.
Fig. 15
Bruniquel (Tarn-et-Garonne), maison rue Droite ; deux écus identifiables dans la frise héraldique au nord (à gauche « de Cajarc » ? à droite « de Felzins » ?).
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 24 Le minium, un pigment à base de plomb, s’obscurcit en s’oxydant, tout comme le blanc de plomb.
- 25 ESQUIEU, 1907, p. 108.
26Dans un second écu, de très petits éléments d’un pigment rouge soutenu ont été observés dans les bandes qui ont majoritairement une couleur gris foncé. Ce sont peut-être les indices d’un pigment différent de l’ocre rouge, tel que le minium, plus précieux, et dont la couleur ne s’est pas bien maintenue dans le temps24. De même, le fond gris clair pourrait correspondre à un blanc différent du blanc de chaux, qui n’a pas conservé son éclat. Ce sont en tout cas ces indices qui ont permis de proposer une description héraldique de l’écu (voir fig. 15). Ce second lignage pourrait ainsi être la famille de Felzins : « Marquis de Felzins (Quercy) et de Montmurat (Auvergne) », qui porte en 1450 d’argent à trois jumelles de gueules en bandes25.
- 26 Un écu : d’argent ? au chef de gueules ? Et un autre : D’or au chef parti : au premier de… à la bor (...)
27Les deux autres écus sont trop peu lisibles pour proposer un blasonnement. Seuls un nettoyage et des analyses des pigments par un conservateur-restaurateur pourraient mettre en valeur des couleurs qui nous échappent actuellement26.
- 27 JOUGLA DE MORENAS, 1934, p. 18.
28La forme des écus, en revanche, est bien attestée au XIVe siècle27, ainsi que la forme des quadrilobes et le motif de frise qu’ils dessinent. La simplicité de l’héraldique (armoiries peu divisées) et le tracé fin des becs des quadrilobes semblent conduire vers une datation dans la première moitié du XIVe siècle.
- 28 GARRIGOU GRANDCHAMP, 2014, p. 182.
29Ce type de décor héraldique connaît un certain succès dans les demeures nobles et patriciennes médiévales, dont la maison dite « de la Taverne » à Caussade28 nous donne un autre exemple local.
- 29 LE DESCHAULT DE MONREDON, 2015, p. 35.
30Le décor de Bruniquel obéit à une composition assez classique, dans la mesure où l’on y retrouve la frise d’écus armoriés au sommet des murs, tandis qu’un décor géométrique couvrant se développe dans la partie médiane du mur, occupant la majeure partie de la surface peinte. On peut supposer qu’une fausse tenture complétait l’ensemble en partie basse29. Dans l’état actuel du dégagement de ce décor, la partie couvrante du registre médian ne semble pas avoir contenu de scènes historiées. Les éléments significatifs du décor se trouvaient donc concentrés dans les écus armoriés. Si l’on ajoute à cela la mise en valeur des écus par le jeu des formes et des couleurs, décrite plus haut, on se rend compte qu’il s’agissait d’une pièce dans laquelle l’accent était mis sur les alliances du propriétaire des lieux ou, en tout cas, sur le caractère noble du commanditaire qui s’affichait parmi les emblèmes héraldiques des puissantes familles de la région.
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31C’est ainsi qu’un texte de 1398 a attiré notre attention dans le chartrier des châteaux de Bruniquel : l’accord sur les bancs de boucheries qui se trouvaient au rez-de-chaussée de la maison commune30. Il mentionne la façade de l’hostal31 du vicomte Arnaud-Roger de Bruniquel32 à proximité des bancs de boucheries faisant l’angle de la ruelle Trottes-Garces.
32Ce n’est évidemment pas un indice suffisant pour en déduire que la maison étudiée a été détenue par un vicomte de Bruniquel. Cependant, cela nous renseigne sur le contexte immédiat de cette maison, qui se trouvait dans une partie du castrum qui concentre des édifices d’importances (porte de ville, mazel, maison commune, maison d’un vicomte). Cet emplacement de choix a sans doute motivé la création de la demeure ornée que nous avons pu restituer.
33L’analyse de la grande maison du 22 rue Droite nous a permis de voir les importantes transformations urbaines qui ont lieu dans le bourg de Bruniquel au Moyen Âge.
- 33 ROUSSET, 1997.
- 34 VIERS, 2012.
34En écho à ce qui a pu être observé lors des études d’autres maisons de Bruniquel (maisons « Payrol »33 et rue du Château34), on a pu voir que la partie du bourg installée dans la première enceinte conserve les vestiges d’un parcellaire du XIIIe siècle, attestant d’une occupation déjà bien assise.
35Mais notre étude abonde également dans le sens d’un nouvel élan de construction probablement à l’aube du XIVe siècle. Alors que la grande maison de marchands et notables locaux, les Payrol, connaît l’importante étape de réunion de parcelles du XIIIe siècle pour l’érection d’une grande demeure portant décor ; le module nord du 22 rue Droite connaît aussi une surélévation d’un bâtiment plus ancien, aboutissant au décor d’une « salle aux écus ». Cette maison atteste certainement d’une demeure noble occupant une position de choix, bien que ses proportions soient plus modestes que la « maison Payrol ».
36Ce foisonnement de chantiers de construction dépasse bien sûr l’aire du premier bourg fortifié. Entre la fin du XIIIe et la première moitié du XIVe siècle les édifices se multiplient hors les murs. Une nouvelle enceinte est finalement édifiée au milieu du XIVe siècle, n’empêchant pas les faubourgs de continuer à se développer vers le sud et l’axe marchand principal qu’est la route entre Albi et Montauban.
- 35 Outre l’hostal du vicomte Arnaud-Roger en 1398, un testament de la vicomtesse Bertrande en 1360 men (...)
37Bruniquel est ainsi un centre marchand important, lié aux grandes villes voisines. Le pôle castral des vicomtes de Bruniquel, comme la société de grands marchands locaux, créent un contexte propice à la commande de demeures de qualité et richement décorées, dont la maison étudiée est sans conteste un excellent témoin. La division de l’autorité sur le castrum de Bruniquel au XIVe siècle a aussi probablement motivé les vicomtes(esses) co-seigneurs, à installer des maisons dans le bourg35.
38En 2018, lors de travaux de réhabilitation, un décor peint d’une grande qualité a été mis au jour dans la maison sise au 30 rue des Templiers, dans le faubourg de Montricoux (fig. 16).
39Depuis, ce décor est étudié, en association avec des spécialistes. La découverte a également permis de poursuivre et d’approfondir l’analyse de l’édifice. Ces recherches ont récemment livré de nouveaux éléments levant ainsi certaines interrogations.
Fig. 16
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maisons 30 rue Templiers (flèche blanche) et 15 Grande Rue (flèche noire) ; localisation des maisons étudiées dans le barry (en rouge)
David Maugendre © Inventaire général Région Occitanie
- 36 MATTALIA, 2010, p. 264
40L’agglomération de Montricoux s’est développée autour d’une maison templière installée entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle36. Le bourg s’agrandit, au-delà de l’hypothétique première enceinte, avec la création d’un barry (ou faubourg) aux alentours des XIVe-XVe siècles.
- 37 GOURVENNEC, 2010, p. 37
41Ce quartier neuf répond au besoin de loger une population croissante attirée par l’attractivité du bourg. Montricoux jouit en effet d’une place à part entière dans les échanges économiques, par sa situation centrale sur l’axe commercial Bioule / Caussade / Saint-Antonin-Noble-Val. Sa richesse est principalement liée à la commercialisation de la draperie, du textile et à la tannerie, notamment lors des marchés hebdomadaires et de la foire annuelle37.
42L’analyse des sources fiscales, des compoix de 1463 et 1478 par Michaël Gourvennec montre une accélération des constructions dans le barry durant la seconde moitié du XVe siècle : 45 maisons sont édifiées en 15 ans. L’économie de la construction bénéficie de la croissance consécutive à la guerre de Cent Ans qui a marqué le Sud-Ouest de la France. Il est nécessaire de reconstruire en grand nombre, rapidement et si possible en limitant les frais. La proximité des matériaux de construction (le bois, le calcaire et la terre), la rationalisation de l’espace et les contraintes de place des chantiers en milieu urbain ont favorisé l’architecture en pan de bois. Un peu moins de la moitié des maisons en pan de bois conservées datent de la deuxième moitié du XVe siècle et du XVIe siècle38.
43C’est dans ce contexte qu’est édifiée la maison étudiée : la reprise de son étude complétée par les analyses dendrochronologiques effectuées en 2021 a permis de dater avec une grande homogénéité l’abattage des bois ayant servi à la construction de cette maison, entre 1471 et 147439.
44Cette maison en pan de bois est implantée sur une des petites parcelles dans la partie nord du barry, un parcellaire régulier vraisemblablement issu d’opérations programmées de type « lotissements » avec la construction de maisons en pan de bois mitoyennes.
- 40 Un mur d’enceinte, déjà mentionné dans le compoix de 1463 est en cours de construction. Il est bord (...)
45Le mur nord de la maison est le mur d’enceinte, constitué de moellons de calcaire et large de 1,10 m40.
46De taille modeste (40 m² par niveau) comparativement aux grandes maisons en pan de bois qui bordent l’artère principale, la Grande Rue, elle a une façade de 6 m de largeur et s’élève sur deux étages en pan de bois. Ces petites maisons appartenaient vraisemblablement à des propriétaires distincts, et étaient leur lieu de résidence.
47La structure à poteaux composée de pièces de chêne de forte section (entre 17,5 et 28,5 cm) est contreventée d’écharpes et de tournisses au premier étage et uniquement d’écharpes au deuxième étage. À l’origine, le premier étage, niveau le plus haut, était percé d’une croisée unique dont on perçoit encore les départs de la traverse. Ce niveau d’habitation était porté en encorbellement sur solives ; autant d’éléments qui rattachent cette construction à la fin du XVe siècle (fig. 17).
Fig. 17
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 30 rue des Templiers ; façade sud.
Sandrine Ruefly © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
48Le rez-de-chaussée a été modifié, repris en sous-œuvre au XIXe ou au XXe siècle. Toutefois l’emplacement de l’escalier est entre autres attesté grâce à une planche datée par dendrochronologie. Le système distributif est simple : dans l’axe de la porte du rez-de-chaussée, remanié, prend place un escalier droit accolé au mur mitoyen oriental, en pan de bois.
49Nombre d’indices identifiés sur des maisons similaires de cette rue mais aussi au sud du barry indiquent que les rez-de-chaussée de ces demeures avaient une vocation artisanale ou commerciale. Cette maison polyvalente aurait donc pu appartenir à un artisan.
50Le décor conservé (environ 2 m2), d’une belle qualité d’exécution, se trouve au débouché de cet escalier qui mène à l’étage, sur le palier. La partie inférieure du décor est manquante (fig. 18). D’après nos observations lors de la découverte, il n’est pas exclu que le mur de la cage d’escalier ait également été orné d’un décor. Il représente une femme en pied, presque grandeur nature, surmontée d’un phylactère dont la partie enroulée, sur la gauche, est détruite.
Fig. 18
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 30 rue des Templiers ; Fileuse peinte sur le mur mitoyen est, sur le palier, à l’étage.
Sandrine Ruefly © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
51La peinture est réalisée sur un enduit de finition à la chaux qui recouvre un enduit à la terre sur un remplissage en torchis. L’enduit, appliqué une fois la terre du torchis séchée et rétractée, vient buter au nu des bois de la structure. Ainsi, les poteaux forment le cadre de la scène peinte, située en son centre.
52Le dessin délicat est d’une belle facture. Il emploie des couleurs courantes : le rouge, le blanc, et le bleu (ou le gris-vert ?) qui se juxtaposent à des traits noirs, cernant le personnage et le phylactère à enroulement.
- 41 CORROCHER, 2016, p. 34
53Cette scène figure une jeune femme debout, de face, filant avec une quenouille. Elle est simplement vêtue d’une robe rouge protégée par un tablier blanc et porte sur la tête un voile plissé qui ramasse ses cheveux et dégage son visage. Semblable à un turban en boule, cette coiffe figure, vers le milieu du XVe siècle, sur le plafond d’une maison d’Aigueperse (Puy-de-Dôme)41. Le personnage modestement vêtu évoque une femme du peuple.
- 42 GOURVENNEC, 2010, p. 40
54Le fond de cette scène figurée est enrichi d’un décor végétal composé de fins rinceaux rouges qui se prolongent soit par des fleurs à cinq pétales, réalisées au pochoir, soit par de grandes feuilles sombres bleu ou gris-vert (fig. 19). Ces dernières s’apparentent à des feuilles de chêne, mais en plus découpées. Bien que ce motif soit fréquent, il pourrait aussi être une évocation de feuilles de chanvre, lequel se file comme la laine, à l’aide d’une quenouille, d’autant que la matière dont est chargée cette dernière ressemble plutôt à une fibre végétale. Le nombre de parcelles cultivées de canabal (chènevières) présentes dans le compoix de 1478, laisse penser que les débouchés d’une telle culture sont trouvés à Montricoux42.
Fig. 19
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 30 rue des Templiers ; vue de détail du décor végétal.
Sandrine Ruefly © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
- 43 DECOTTIGNIES, RUEFLY, STADNICKI, 2019, p. 195-201
55Parmi les premières hypothèses proposées en 2019 concernant l’identification de ce personnage (l’une des trois Parques, la représentation populaire véhiculée grâce aux Évangiles des quenouilles, l’allégorie du travail), la représentation d’un métier a été retenue comme la plus plausible43.
56Filer est une activité coutumière des femmes au Moyen Âge. Elle consiste à transformer des fibres en fil. C’est une activité économique essentielle à Montricoux où prédomine le travail lié à l’artisanat textile. La draperie est l’un des principaux éléments du paysage économique et social de cette société de la fin de l’époque médiévale.
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57Le personnage est surmonté d’un phylactère au texte incomplet, en français44 , comportant deux abréviations à la seconde ligne (fig. 20). Bien que la lecture n’en soit pas aisée, la transcription la plus convaincante serait45 :
[J]e file bien selon ma corde
[C]o[mmen]t vo[us] aide angarder la porte
Fig. 20
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 30 rue des Templiers ; détail du phylactère.
Sandrine Ruefly (phot. retouchée) © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
58Il s’agirait donc d’un distique en décasyllabes. En effet, dans le premier vers, « Je file bien » compte pour cinq pieds (grâce à la diérèse du mot « bien ») et la seconde partie du vers peut se lire « selon ma corde », c’est-à-dire « en suivant mon fil », bien que cela forme une rime pauvre avec le mot « porte » à la fin du deuxième vers.
59Le second vers commence par un mot comportant une abréviation dont la forme correspond à une nasalisation. Cette abréviation est entourée d’un « o » et d’un « t », et la première lettre est manquante. Le plus probable est donc qu’il s’agisse du mot « comment » qui signifie « ainsi, de cette manière ».
60Le verbe du second vers se lit « angarder ». Selon le dictionnaire Godefroy, le verbe « engarder », avec un « e » a le double sens de garder et de regarder. Le même dictionnaire ne mentionne pas de variante avec un « a », donnant au verbe « angarder » le sens distinct de guider, conduire. Pourtant le Dictionnaire du Moyen Français abrité par l’ATILF (Analyse et traitement informatique de la langue française) atteste cette variante orthographique46. En outre, il existe également le verbe « agarder », qui a le sens de regarder, surveiller, tandis qu’une « angarde » est une sentinelle. Nous sommes donc, selon toute vraisemblance, en présence d’une forme d’un des deux verbes « engarder » ou « agarder » qui aurait ici le sens de surveiller. On pourrait donc traduire ce distique de la manière suivante : « Je file bien en suivant ma corde (mon fil) / ainsi vous aide à veiller sur la porte ».
61On peut cependant se demander si le vers ne joue pas sur la polysémie du verbe « angarder ». En effet, non seulement le personnage garde la porte tout en filant, mais il permet également d’attirer l’attention sur cet espace, de le « regarder ». Il peut, en outre, tenir compagnie à une personne qui garderait le palier.
62L’occupation même du filage à la quenouille requiert une station immobile longue, c’est pourquoi elle est souvent attribuée aux bergères gardant les troupeaux. De la même façon, cette jeune femme semble s’être installée sur le palier avec sa quenouille pour surveiller l’identité des personnes allant et venant dans la maison. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un trompe-l’œil, la dimension du personnage proche de la taille naturelle procure la sensation d’une présence humaine et, ce faisant, élargit visuellement l’espace étroit du palier.
63Tout concourt à penser que l’inscription a été créée pour l’occasion et spécialement en lien avec ce décor particulier, à cet emplacement précis. Si tel est le cas, il s’agirait d’un exemple exceptionnel qui démontrerait le caractère savant du peintre et il y aurait dès lors peu de chance de retrouver l’origine de ce distique dans un de ces recueils d’exemples destinés aux artistes qui se sont multipliés à la fin du Moyen Âge.
64Le thème de la fileuse est présent dans les arts visuels médiévaux, toutefois l’image d’une femme filant à la quenouille dans une maison modeste est rarissime à la fin de l’époque médiévale. À ce jour, le seul autre exemple de peinture murale d’une femme filant dans un espace domestique est conservé en Normandie, à Caen dans un hôtel rue de la Monnaie. Cette peinture de la fin du XVe siècle, découverte en 2006 représente une scène allégorique avec deux pèlerins et deux fileuses accompagnés de phylactères47. Cependant, la figure de la fileuse apparaît au XVe siècle sur des plafonds peints, comme à Aigueperse ou Pézenas, et témoigne peut-être du goût de la période pour les pastorales, ces récits mettant en scène des bergers et des bergères dans des situations courtoises48.
65La découverte exceptionnelle à Montricoux atteste de la présence de décors de qualité dans des maisons médiévales « modestes ». Elle témoigne du cadre de vie des habitants de Montricoux. Puis par une forme d’extrapolation, elle nous ouvre la porte de la connaissance d’artistes-artisans de cette époque. Elle permet de corroborer l’idée selon laquelle plus un artiste est techniquement doué, plus il se révèle cultivé et plus il est apte à l’invention de nouvelles compositions adaptées aux circonstances de la commande.
Fig. 21
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 30 rue des Templiers ; jeux de miroirs pittoresques et touchante ressemblance entre « la fileuse » de la fin du XVe siècle et la fileuse réalisée quatre siècles plus tard par le peintre Louis Cazottes (Montricoux 1846-1934).
Sandrine Ruefly © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie. Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
66Lors de travaux de rénovation en 2018-2019, des décors sont mis au jour. Les temps de visites, courts, ont néanmoins permis au service de l’Inventaire et au Conservateur des Antiquités et Objet d’Art de collecter les premières observations de terrain. Une analyse plus fine (études archéologique et dendrochronologique) reste à mener pour une meilleure compréhension de ce grand édifice qui occupe une des plus vastes parcelles du bourg. Elle permettra d’élucider plusieurs interrogations concernant notamment la distribution et de préciser la chronologie des différentes campagnes de travaux.
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67La maison occupe une grande parcelle en « L » dans l’ancien barry49 (voir fig. 16). Bien qu’elle soit située sur l’axe principal du bourg, la maison sise au 15 Grande-Rue n’attire pas immédiatement le regard. Des remaniements survenus durant les années 1960 ont, en effet, radicalement modifié la façade, ne laissant en rien présager la qualité des aménagements intérieurs et des décors.
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68Les solives coupées et la sablière dissimulées sous l’enduit au ciment ou encore les corbeaux à triple ressaut trahissent toutefois la présence d’étages en pan de bois. De précieuses photographies de la 1ère moitié du XXe siècle50 montrent une maison à encorbellements supportant une structure à triple registres de croix de Saint-André au premier étage (fig. 22).
Fig. 22
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; vue de la façade durant la 1ère moitié du XXe siècle (coll. D. Lara) et en 2019.
Sandrine Ruefly © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
69Cette maison qui se développe sur 12 m de façade adopte les caractéristiques des « grandes maisons » en pan de bois que compte ce bourg à la fin XVe et au début du XVIe siècle51.
- 52 Montricoux. Extrait du compoix de 1478, fol. 159-160 (AD Tarn-et-Garonne. 3 E 132 CC 1) : non es po (...)
70Une mention importante apporte des précisions quant à la construction de l’édifice. En marge du compoix de 1478 est précisé que l’hostal (maison), bien de Peire Antinhac, fabre (forgeron) « n’est point achevé de bâtir52 ».
71La distribution intérieure s’organise principalement autour d’un escalier en vis en pierre de taille, organe de distribution essentiel mais également lieu de prestige. Il dessert les deux étages et permet également de rejoindre le corps de bâtiment au sud ouvrant grâce à une galerie sur la cour intérieure.
72Les éléments de la première campagne de construction se retrouvent essentiellement dans les pièces côté nord : les cloisons en pan de bois, le mur de refend, une vaste cheminée en calcaire aux piédroits à bases prismatiques à l’étage (fig. 23) ou encore un placard dans le mur oriental en rez-de-chaussée. Les décors peints de cette époque ont disparu ou sont encore dissimulés sous les différentes strates de peinture.
Fig. 23
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; vue en 2019 de la cheminée à base prismatique (premier étage) et du décor peint imitant des carreaux de faïence, XIXe siècle ?
Sandrine Ruefly © Pays Midi-Quercy ; © Département de Tarn-et-Garonne ; © Inventaire général Région Occitanie
73L’édifice connaît une importante campagne de travaux à l’époque moderne, vraisemblablement au XVIIe siècle comme en témoignent encore les aménagements : portes en chêne à panneaux, cheminées ou encore les vestiges de décors peints. Ces derniers se caractérisent par des motifs de rinceaux feuillagés identifiables sous les différentes strates de peintures qui recouvrent la cheminée aux bases prismatiques au premier étage (voir fig. 23). D’autres rinceaux semblables, très altérés, sont visibles sur les poutres de cette pièce (fig. 24). Il est fort probable que la remise au goût du jour de cet espace soit globale et qu’un plafond à la française (peint ?) soit conservé sous le plafond en lattis de plâtre du XIXe siècle.
Fig. 24
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; vestiges d’un décor peint de rinceaux feuillagés au premier étage.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 53 MOUREAU, 2006
- 54 GERBER, 2015, p. 50
74Au premier et au deuxième étage, deux cheminées remarquables et richement décorées, appartiennent également à cette campagne de travaux. Elles sont en gypserie ornées de frises végétalisées et flanquées de putti ou de têtes d’angelots et de grappes de fruits (fig. 25). La qualité des sculptures de la cheminée du premier étage (fig. 26) est à rapprocher des ouvrages réalisés à la même époque par des sculpteurs de retables religieux, tel Jean Dussaut (1625-1628 ?-1688), spécialisé dans les retables qui a beaucoup produit dans les limites de l’actuel Tarn-et-Garonne53. Il œuvrait également pour des laïcs comme pour la réalisation de la cheminée du grand salon de l’hôtel de Solinhac à Montauban en 167454.
- 55 Notice Mobilier-Palissy IM82113232 : retable, tableau et son autel dans l’église Saint-Pierre de Mo (...)
75Toutefois, le traitement des putti de la cheminée est à rapprocher de ceux du retable de l’église Saint-Pierre de Montricoux exécuté en 1685 et attribué au maître-menuisier Montricounais Jean Courdié55. Ce dernier a également réalisé entre 1671 et 1673 le grand retable de l’église Saint-Corneille de Puycelsi (81), sur lequel se retrouve, comme à Montricoux de grandes figures d’anges allongées ou semi-assises, assez caractéristiques de sa production.
76La multiplication et la qualité d’exécution de ces décors sont significatifs de l’aisance financière, de la culture et du savoir du commanditaire de l’époque.
Fig. 25
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; cheminée en gypserie, pièce nord au deuxième étage.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 26
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; cheminée au premier étage.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
77S’il est aisé de concevoir ces espaces de réception à l’époque moderne, le décor peint réalisé au XIXe siècle dans la pièce nord au deuxième étage interroge sur sa destination.
78Le décor est conservé sur trois murs de la salle. Le plus lisible se développe sur le mur ouest (fig. 27). Il figure les grandes armes de Napoléon III composées d’un écu avec l’aigle impériale dorée sur un champ d’azur posé sur un manteau rouge à bordure dorée, posé sur le sceptre et la main de justice entrecroisés. Il est surmonté d’un heaume ouvert avec une couronne impériale et est entouré du grand collier de la Légion d’honneur (fig. 28). L’écu s’inscrit en pendant entre deux colonnes bleues à chapiteaux dorés. Un cartouche, situé en dessous, porte l’inscription « PAIX ET UNION » (fig. 29).
Fig. 27
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; mur ouest au deuxième étage.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 28
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; décor représentant les grandes armes impériales de Napoléon III, mur ouest.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 29
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; détail du cartouche « PAIX ET UNION », mur ouest.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
79Le décor, lacunaire, se poursuivait sur l’ensemble du mur sud où subsistent les traces d’une colonne vermiculée bleu à chapiteaux et de panneaux moulurés (fig. 30). En partie basse est représentée une couronne d’acacia (ou de laurier ?) noire. Le mur oriental, conserve les vestiges d’un chapiteau jaune doré (voir fig. 25) semblable à ceux visibles sur le mur ouest, situé en face.
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80Exceptée la cheminée du XVIIe siècle, la pièce a été entièrement redécorée. Le répertoire ornemental est empreint de symboles maçonniques vraisemblablement réalisé entre 1852 et 187056. Cet ensemble a pu être commandité par Hippolyte Higon57, notaire, propriétaire de la maison au milieu du siècle.
Fig. 30
Montricoux (Tarn-et-Garonne), maison 15 Grande Rue ; vue du décor peint altéré, mur sud.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
81Même si elle est à ce jour une exception, cette demeure est la preuve que la richesse de la ville et de ses habitants aux XVIIe et XIXe siècles a sans nul doute permis des commandes somptueuses.
82Cette étude est un premier jalon et demeure lacunaire : les contextes des commandes restent à préciser. Enfin, l’attribution des peintures et la comparaison avec des décors similaires doivent encore être approfondies. Elle peut néanmoins constituer un premier élément de connaissance en attendant des études plus fouillées.
83Face à la (re)découverte de décors de qualité, en majorité non protégés au titre des Monuments Historiques (hormis la maison des Loups à Caylus), nous avons souhaité, afin de tenter de mieux les valoriser, d’aller au-delà de la première étape de collecte des données en collaborant avec des spécialistes. La principale priorité est d’étudier ces décors dont les conditions pérennes de conservation ne sont pas garanties.
- 58 Pour certains de ces édifices, des démarches de protection vont être entreprises.
84Les études gagneraient à être approfondies par l’intervention de conservateurs-restaurateurs. Cependant, tant que les édifices ne sont pas protégés, mettre en œuvre de telles analyses est ardu, leur coût étant un frein important pour des propriétaires privés58.
85À l’échelle locale, la perspective de mise en œuvre des périmètres des SPR (Site Patrimonial Remarquable, accompagné des Plans de Sauvegarde et Mise en Valeur) pour les villes de Bruniquel, Caylus, Montricoux et Saint-Antonin-Noble-Val, apportera peut-être des modes de protection des intérieurs plus systématiques.
86Les édifices présentés nous ont permis d’entre-apercevoir des espaces privés (domestiques) aux ambiances et aux fonctions très variées. Le contraste, parfois saisissant, entre l’enveloppe bâtie visible aujourd’hui et la qualité du décor offert à l’intérieur, incite le chercheur à toujours rester vigilant dans sa démarche de prospection.
87Les projets d’inventaires systématiques se justifient également dans ces contextes où un territoire qui a connu des périodes de baisse de population, a parfois des chances de conserver des éléments architecturaux ou ornementaux anciens, du fait d’un moindre renouvellement du bâti. Les perspectives de découvertes au sein de notre aire d’étude à l’est du Tarn-et-Garonne, sont ainsi, encore pleines de promesses.