1Situé dans le nord-ouest du Tarn, le bourg castral de Cordes (fig. 1) fascine le visiteur depuis le XIXe siècle par la superbe enfilade de demeures gothiques aux façades en pierre de taille de grès sculptées de motifs variés : ornements végétaux, scènes et éléments figurés, bestiaire animal et fantastique (fig. 2). Il ne s’agit pourtant pas du seul trésor de ces belles demeures car les intérieurs ont également bénéficié d’un soin tout particulier, visible dans un équipement domestique sophistiqué mais aussi, et surtout, dans un décor peint réalisé dans les salles des étages réservés à la résidence. Ainsi, neuf maisons renferment des peintures murales dans des états de conservation variables.
2La plus remarquable représente une cavalcade à la maison du Grand fauconnier mais la plus grande part sont des décors ornementaux à motifs répétitifs, certains avec une valeur héraldique. À cet ensemble, il faut ajouter les vestiges relevés dans le chevet de l’église paroissiale Saint-Michel lors de la dépose du retable en 19921 (fig. 3).
- 2 L’enquête d’inventaire thématique « Habitat et production » est menée en partenariat avec le Servic (...)
- 3 PORTAL, 1902.
- 4 PRADALIER-SCHLUMBERGER, 1983, p. 235-246. Les motifs du premier et deuxième étage de la maison du G (...)
- 5 SÉRAPHIN, 1999, p. 53-72. Gilles Séraphin a également réalisé un recensement du patrimoine médiéval (...)
- 6 CASSAN, 2013, p. 103-176.
- 7 Cinq projets de mise en valeur de l’enceinte et des maisons, École de Chaillot, sous la direction d (...)
- 8 Rapports des études de dendrochronologie menées par le laboratoire CEDRE sur les maisons 16-18, 31, (...)
3L’étude, qui résulte d’une campagne d’inventaire du patrimoine2 menée sur la ville de Cordes à l’échelle de la Communauté de communes du Cordais et du Causse, s’est nourrie de toutes celles entreprises sur la ville de Cordes depuis le début du XXe siècle, qu’elles soient historiques, archéologiques, d’historiens de l’art ou d’architectes du patrimoine. Ainsi, l’ouvrage fondateur de Charles Portal est-il indispensable à la connaissance historique de la ville3. À partir de 1982, les travaux de Michèle Pradalier-Schlumberger ont révélé l’intérêt des maisons gothiques et les décors peints de quelques maisons ont été signalés4. Les investigations menées par Gilles Séraphin sur les enceintes de Cordes5 ont renouvelé la compréhension de la ville et, en dernier lieu, les recherches d’Élodie Cassan, publiées dans Archéologie du Midi Médiéval, ont privilégié l’analyse urbaine de Cordes6. À ces publications il faut ajouter les études de l’atelier de Chaillot qui ont été menées en 2012 sur quatre maisons et l’enceinte7 ainsi que les résultats des campagnes de dendrochronologie pilotées par Maurice Scellès sur cinq maisons de Cordes entre 2004-2005 et 2012-12148.
- 9 BÉA, 2022, p. 75-96.
- 10 Je voudrais remercier ici tout spécialement Sylvie Decottignies, Chercheur du Patrimoine et spécial (...)
4Les dates proposées par la dendrochronologie ont vieilli de trente ou quarante ans celles avancées jusqu’alors par les études stylistiques. Quelques campagnes de construction se révèlent même contemporaines pour certaines maisons ou établies dans un laps de temps très réduit9. À la lumière de ces données, il convient d’examiner les décors peints des principales maisons de Cordes à l’échelle du bourg, puis de les replacer dans le contexte plus large des productions du Midi de la France10.
Fig. 1
Cordes-sur-Ciel (Tarn), vue générale du bourg castral.
Philippe Poitou © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 2
Cordes-sur-Ciel (Tarn), Grand-rue Raymond VII ; perspective des façades des demeures sur la rue.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 3
Cordes-sur-Ciel (Tarn), plan de situation des principaux édifices du 3e tiers du XIIIe siècle (cités dans le texte). 1 : emplacement du château royal ; 2 : mazel ; 3 : maison commune ; 4 : maison Carrié-Boyer ; 5 : maison Prunet ; 6 : maison du Grand fauconnier ; 7 : maison Fonpeyrouse ; 8 : maison du Grand veneur ; 9 : maison Ladevèze ; 10 : maison Gaugiran ; 11 : maison Laurent ; 12 : maison du Grand écuyer ; 13 : maison 25 Grand-rue Raymond VII ; 14 : maison Baron.
DAO Adeline Béa © 2022, Conseil départemental du Tarn ; Inventaire général Région Occitanie, sur fond de plan : DGI, service du cadastre, 2017
5Si les sources permettent de connaître assez précisément la fondation de Cordes et le début de son urbanisation grâce à la charte de franchise promulguée par Raymond VII en 1222, l’élévation des belles demeures patriciennes dans la Grand-rue Raymond VII, en revanche, relèvent d’une autre période de construction.
- 11 CASSAN, 2013, p. 103-104.
- 12 CASSAN, 2013, p. 143. La première mention des travaux de la halle sont relevés dans un acte de 1273 (...)
- 13 C’est le cas des maisons Carrié-Boyer et celle du 25 Grand-rue Raymond VII (6,60 et 6,29 m).
6La fondation de Cordes est à replacer dans un échiquier politique inscrit dans un mouvement de reprise en main du territoire par le comte de Toulouse après la prise et la destruction du castrum de Saint-Marcel par Simon de Montfort en 121111. Raymond VII a créé à Cordes un véritable chef-lieu militaire, une châtellenie, qui était destiné à abriter un centre marchand d’envergure. À la suite d’un essor économique remarquable, une campagne de monumentalisation peut être repérée dans le bourg à partir du dernier tiers du XIIIe siècle avec, notamment, la construction de l’église paroissiale Saint-Michel à l’intérieur du castrum en 1269, de la halle marchande peu avant 127312, et d’un certain nombre de maisons dont la période de construction a pu être affinée grâce aux résultats de la dendrochronologie (1268-1269 pour la maison Gaugiran ; 1270, pour la maison Prunet ; 1280, pour la maison Carrié-Boyer ; 1290-1291, pour la maison du 16-18 Grand-rue Raymond VII ; et une période plus large, comprise entre 1290 et 1300 pour la maison du Grand écuyer, qui correspond à la constitution de l’approvisionnement en bois pour une mise en œuvre ensuite rapide). En effet, la planification de la première agglomération s’était établie à partir d’un module parcellaire oscillant entre 5 m et 6,50 m. Ainsi, il apparaît que la deuxième phase de construction correspond à la monumentalisation du bourg et se caractérise par une politique de rachat du foncier par les riches familles désirant investir dans l’immobilier. Lorsque le module parcellaire d’origine a été préservé13, les propriétés bâties se développent en arrière, dans la profondeur de l’îlot. D’autres familles, en revanche, font élever le corps de logis sur rue sur deux modules parcellaires, par exemple la 16-18 Grand-rue Raymond VII, ou trois, pour la série des maisons du Grand veneur, du Grand écuyer et du Grand fauconnier (19,19 m). À la maison Fonpeyrouse, l’emprise a même été quadruplée (23,60 m).
7La plus grande part des demeures de Cordes se caractérisent par une organisation à plusieurs corps de bâtiments, deux, trois ou quatre, qui s’établissent autour d’une cour intérieure. Les rez-de-chaussée des corps de logis sur la rue principale, essentiellement sur la Grand-rue Raymond VII, sont percés de plusieurs arcades brisées, accueillant des boutiques ou des ateliers, dont l’une ouvre sur un passage couvert menant à la cour intérieure. Elles relèvent de la typologie de la maison polyvalente qui caractérise la maison de marchand, visible dans toutes les agglomérations de Catalogne et du Sud-ouest. À Cordes, les demeures présentent la spécificité d’avoir les deux étages affectés à la résidence. L’organisation des baies géminées participe alors à des compositions symétriques qui sont adoptées dans les deux niveaux pour le plus grand nombre mais dans quelques cas, la disposition est différente au deuxième étage. La qualité du décor sculpté sur les façades des maisons est ostentatoire et permet de reconnaître des demeures patriciennes, celles des élites de la ville, riches bourgeois, marchands ou artisans, et petite noblesse héritée des milites ou chevaliers. Dans certaines, l’emprise d’une tour leur confère un statut particulier.
- 14 CASSAN, 2013, p. 107.
- 15 IDEM. Les tanneries sont attestées dès 1272.
8Nous n’avons pas d’informations sur les propriétaires des demeures du XIIIe siècle (fig. 3) mais la première foire établie à Cordes se tient le jour de la saint Barthélémy14, patron des cordonniers, et les reconnaissances féodales de 1260 témoignent de la présence de nombreux bourgeois et marchands et de la vitalité de l’artisanat du cuir15 et du textile. Les marchands sont réunis en confrérie en 1361 et ils sont également changeurs, ce qui leur confère un rôle important dans le commerce régional des draps.
9De plus, la noblesse locale et les chevaliers ou milites figurent dans les premières listes des consuls. Ainsi, la famille de Labistour de Saint-Marcel de Campes est-elle représentée en 1272 avec Adémar de Lavistour (ou Labistour) ; en 1277, il est également question de Raymond de Vindrac, damoiseau, de Huc de Loubers et de Bertrand de Salles en 128816.
- 17 CASSAN, 2013, p. 117-118.
10L’analyse du compoix de 1545 a révélé que sur les 163 biens recensés dans le castrum, 146 sont bâtis et parmi ces derniers, 135 sont des maisons avec boutiques et celliers et 11, des dépendances agricoles (pigeonnier, grenier)17. Dans le castrum se trouvent les maisons les plus vastes et les plus riches dont l’allivrement est supérieur à 60 livres. Plus encore, il ressort que seules quelques familles détiennent une grande part du fort. Il s’agit des Clari, Deynies, La Prune, Salinié, Salvy et Viencens. Il apparaît alors que le centre urbain est le lieu d’expression de la puissance économique et sociale des marchands de Cordes par un grand nombre d’habitations, ce qui sous-entend la généralisation de la location et des immeubles de rapport.
11La famille La Prune est particulièrement bien représentée dans la Grand-rue Raymond VII avec de nombreuses possessions. Arnaut possède pour demeure principale la maison Carrié-Boyer et la maison Saint-Grégoire, Bertrand et Jean, celle du Grand fauconnier (fig. 4), qui est également leur maison principale ; Jean détient aussi celle du Grand écuyer et la tour dite « Colen » ; Louis, la grande maison marchande située contre celle formant le côté oriental de la place de la Bride. Leur ascension est remarquable : ils figurent dans la liste des consuls au XVe siècle, en 1460, puis en 1572, François est mentionné noble et seigneur de Roquereine18.
Fig. 4
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand fauconnier.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
12La maison Ladevèze (fig. 5) est la propriété de Johann Deynies alors qu’Estene Deynies, marchand, est propriétaire de celle sise 15 Grand-rue et de deux autres situées rue Saint-Grégoire. Cette famille est régulièrement représentée dans la liste des consuls depuis la deuxième moitié du XIIIe siècle. Ermengaus Deniers est consul en 1272, probablement le plus ancien représentant connu19.
Fig. 5
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Ladevèze.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
13Guilhem Salvy possède la maison Laurent (fig. 6) en 1545 alors que Folc Salvy a la maison de la Porte des Ormeaux et les maisons nord de la Grand-rue Raymond VII. Bertrand Salvy figure déjà en tant que consul en 128720. Arnaut Clari dispose de la maison Gaugiran (fig. 7) et Johan Clari, la maison sise au 16-18 Grand-rue Raymond VII ainsi que la maison Gorsse.
Fig. 6
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Laurent.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie.
Fig. 7
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Gaugiran.
Adeline Béa © Conseil départemental du Tarn ; Inventaire général Région Occitanie
- 21 DIÉVAL, 2022, p. 59.
- 22 DIÉVAL, 2022, p. 43.
14D’autres familles nobles habitent quelques demeures remarquables. Ainsi, Paul de Cajarc réside à la maison Prunet (fig. 8) et Bonet de Salas, à la maison dite par la suite de « Clari ». Pour les deux familles, des membres figuraient dans la liste des consuls de Cordes aux XIIIe et XIVe siècles : Bernard de Cajarc en 134421 et Bertrand de Salles en 128822.
Fig. 8
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Prunet.
Philippe Poitou © Inventaire général Région Occitanie
- 23 MARION, 2022, p. 52 et 54.
15C’est auprès de la famille de Rabastens que l’enquête est la plus productive. Nous savons que Béatrix de Rabastens, dénommée aussi dame de Lexos, possède la maison du Grand veneur (fig. 9) en 1545, date de son décès. Elle l’avait reçue de son père, en tant qu’héritière universelle. La généalogie peut être remontée jusqu’au début du XIVe siècle, époque à laquelle est mentionné Pierre Raymond III de Rabastens (1310-1378)23, consul de Cordes entre 1352 et 1377, qualifié alors de donzel. Ce personnage à la destinée remarquable a été chevalier du roi de France, sénéchal du Poitou, gouverneur de Navarre, conseiller au roi de France, sénéchal en Agenais et seigneur de Campagnac, Massuguiès, Mézens et vicomte de Paulin. Il eut pour charge également le commandement des troupes du Languedoc, prit le titre de capitaine général député d’autorité royale et intervint auprès des consuls de Cordes pour la défense et l’organisation de la lutte contre les Routiers.
Fig. 9
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand veneur.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
16Les plus belles demeures sont la propriété de riches marchands et peut-être même, dans certains cas, de nobles. Ainsi, en dehors de la superbe maison du Grand écuyer, qui reste une exception car aucune trace de peinture n’a été identifiée, les demeures les plus remarquables étaient ornées d’un décor peint et les vestiges repérés dans les autres (fig. 3) suggèrent une plus grande étendue de ce décor intérieur dans les maisons du dernier tiers du XIIIe siècle et du tout début du XIVe siècle. Neuf ont été recensées mais des décors peints ont disparu et d’autres restent probablement à découvrir. Ainsi, la relative concentration de décors conservés à Cordes reste rare et traduit probablement une activité significative des ateliers de peinture sur une période de 20-30 ans, qui ont également travaillé en parallèle dans l’église Saint-Michel.
- 24 BÉA, 81, Cordes-sur-Ciel, maison, 25 Grand-rue Raymond VII, 8 rue des Mitons, 2022, dossier d’inven (...)
17À la lumière des vestiges conservés, le décor a souvent été privilégié au premier et/ou au second étage du corps de logis sur rue. La seule exception connue se trouve au 25 Grand-rue Raymond VII24 (fig. 10) où les vestiges d’un décor peint médiéval se situent au second étage du corps de logis oriental. L’équipement de qualité de cette pièce, composé d’un placard mural et d’une baie géminée à coussièges, et d’une seconde en enfilade, laisse penser que ce corps de bâtiment ait pu être la résidence du propriétaire alors que celui sur rue, un logement. De plus, le bâtiment oriental présentait la particularité d’être accessible depuis la Grand-rue par une impasse et une grande arcade brisée au rez-de-chaussée, mitoyenne d’une seconde ouvrant directement sur la cour dans le mur de clôture est. De surcroît, il n’est pas exclu qu’il y ait pu avoir également des décors peints médiévaux dans le corps de logis sur rue, dans la salle du premier étage, maintenant recouverts par un décor peint du XIXe siècle.
Fig. 10
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du 25 Grand-rue Raymond VII ; façade sur l’impasse.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 25 LONCAN, DECOTTIGNIES, 82, Saint-Antonin-Noble-Val, maison Muratet, place de la Halle, 1980-1991, pe (...)
- 26 SCELLÈS, CASSAN, BÉA, 81, Cordes-sur-Ciel, maison Gaugiran, 38, 40, 42 Grand-rue Raymond VII, 2009- (...)
18L’organisation des salles des premier et second étages nous donne un certain nombre d’indications. Une fois que l’étage a été terminé avec l’ensemble de ses équipements, baies géminées à coussièges, niches, placards muraux, quelquefois une cheminée, des latrines établies au-dessus de l’androne – le plus souvent dans l’épaisseur des murs ou simplement à l’extrémité – une cloison murale est installée pour séparer les pièces en deux. Les espaces de circulation sont établis depuis la cour intérieure par une galerie extérieure en bois. De part et d’autre, une porte ouvre sur chaque salle qui a ainsi un accès individualisé. La symétrie des équipements est établie à partir d’un axe central, ce qui indique que les salles des étages sont prévues dès le départ pour être divisées en deux. Le décor peint intervient après la mise en place de la cloison légère, dont la trace en négatif de 10-15 cm de large environ après son arrachement est encore visible à tous les étages. Il est probable qu’elle ait été en pan-de-bois, comme à la maison Muratet de Saint-Antonin-Noble-Val25, ou en planches de bois, comme celle toujours en place au rez-de-chaussée de la maison Gaugiran26.
- 27 La trace de la cloison est visible en négatif.
19Une exception néanmoins demeure. À la maison Laurent, la grande salle du second étage qui comprenait probablement une cheminée à l’origine, est organisée de manière symétrique (fig. 11). Les deux baies géminées jumelées sont réparties de chaque côté et sont associées à une niche. Pour autant, la séparation de la pièce n’est pas dans l’axe central mais la cloison27 a été reportée aux trois-quarts de cette dernière, entre les deux baies géminées de la partie orientale. La partie la plus importante de la pièce est ornée d’un décor couvrant de moyen appareil jaune, rose ou rouge à joint blanc cerné de deux traits noirs et motifs de puzzle sur le revers de la façade sur rue. La seconde pièce forme un espace très étroit. Desservie dans un premier temps par une porte depuis la galerie extérieure sur cour, elle est recouverte d’un décor de moyen appareil ocre à doubles joints rouges (fig. 12) couronné d’une frise ornementale à motifs feuillagés proches de ceux conservés dans la salle orientale de la maison Gaugiran (fig. 13).
Fig. 11
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Laurent ; salle du second étage.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 12
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Laurent ; peinture murale à l’angle sud-est du second étage.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 13
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Gaugiran ; premier étage, peintures de la salle orientale.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
20Les peintures sont réalisées sur un enduit sec. Sur les élévations maçonnées composées de moellons montés au mortier, les enduits de préparation à base de sable, de chaux et de fins graviers sont épais, entre 1,5 et 2,5 cm selon les maisons, avec une granulométrie assez grossière. Les enduits de finition à la chaux servent de support aux décors. Sur le revers des façades sur rue montées en pierre de taille, les enduits de préparation sont très fins, et même parfois absents sous l’enduit de finition. Bien qu’il n’y ait pas eu d’analyses permettant d’avoir de plus amples précisions, il semblerait qu’en grande majorité la couleur noire soit réalisée à partir du charbon de bois, que la blanche soit du lait de chaux, et les rouges, marrons, oranges et jaunes soient obtenus grâce à des terres d’ocres.
21Le dessin préparatoire des motifs géométriques est souvent tracé au cordeau. Il est encore visible dans les frises géométriques où sont associés motifs de grecques, croix de Saint-André insérées dans un losange et écus armoriés, à la maison Gaugiran (fig. 14), à la maison Prunet (fig. 15) ou à celle du Grand veneur (fig. 16). Les tracés au cordeau constituent également le dessin préparatoire nécessaire à la mise en place du décor couvrant lorsqu’il est géométrique. Ainsi, il sert à la trame des losanges, que ce soit dans la maison Prunet, Baron ou du Grand veneur. En revanche, les rosaces sont tracées au compas et les autres motifs comme les vairs sont peints à main levée.
Fig. 14
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Gaugiran ; premier étage, peintures de la salle occidentale.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 15
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Prunet ; peinture murale du premier étage.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 16
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand veneur ; peintures murales au premier étage.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 28 LE DESCHAULT DE MONREDON, 2015, p. 35-37.
22Le schéma habituellement proposé28 pour l’organisation des peintures murales est celui à trois registres. Un motif de tenture occupe la partie basse, à une hauteur de 1 m ou 1 m 50, puis suit un décor couvrant répétitif qui occupe la part la plus importante du mur et enfin le registre figuratif se trouve dans la partie supérieure formant frise.
23À Cordes, une composition à trois registres d’un autre type peut être restituée dans la salle du deuxième étage de la maison du Grand fauconnier. Sur le mur de revers de l’élévation sur rue est peint un moyen appareil jaune et marron avec des motifs de puzzle dépassant du cadre (fig. 17). Au-dessus, un registre de tenture est réalisé dans l’alignement de l’imposte des baies géminées, ce qui sous-entend qu’il y avait aussi un registre supérieur mais rien ne subsiste du décor.
Fig. 17
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand fauconnier ; second étage, vestiges du décor peint du mur nord-ouest.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
24Les parties basses des peintures murales de Cordes n’ont pas été conservées dans la majorité des cas. Or, au deuxième étage de la maison du Grand veneur (fig. 18), le décor peint de moyen appareil blanc à double joint rouge descend presque jusqu’au sol, l’enduit est manquant seulement au niveau de la première assise. Au premier étage de la maison du Grand fauconnier, à la maison Laurent, le moyen appareil à motifs de puzzle est visible dans les encadrements des baies géminées jusqu’au niveau des coussièges. Ainsi, en l’absence de vestiges d’un registre inférieur, il peut être proposé comme hypothèse que les peintures murales à décor ornemental adoptent une composition à deux registres : les motifs répétitifs qui couvrent presque toute la hauteur du mur et un registre de frise situé sous les poutres du plafond.
25Néanmoins, une réserve peut être proposée pour le mur sud de la salle du deuxième étage de la maison du Grand fauconnier (fig. 19). Le décor couvrant se trouve actuellement au-dessus de la porte et des niches. Il est composé d’un grand appareil bleu, rouge et jaune sur lequel sont tracés des motifs de puzzle. Formant socle pour mettre en valeur la scène figurée29, il se trouve sous une scène de cavalcade en frise, tronquée dans sa partie supérieure à la suite d’un incendie et du rabaissement du plafond et de la toiture. L’hypothèse la plus probante est que le décor couvrant se poursuive jusqu’au bas du mur mais il n’est pas exclu qu’un autre décor ait pu occuper le registre inférieur.
Fig. 18
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand veneur ; deuxième étage, peintures du mur sud-ouest.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 19
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand fauconnier ; deuxième étage, la cavalcade.
Jean-François Peiré © Inventaire général Région Occitanie
26La délimitation entre deux registres est marquée soit par un bandeau rouge, à la salle du deuxième étage de la maison du Grand fauconnier, soit par deux liserés de couleur, un rouge et un de couleur blanche ou jaune (maison Gaugiran, fig. 14, maison du 25 Grand-rue Raymond VII, fig. 21, …) qui délimitent l’encadrement de la frise.
27La frise peut être de deux grands types : feuillagée ou de motifs alternés d’écus armoriés, de grecques et de croix de Saint-André. Lorsqu’elle est à motifs feuillagés, le bandeau est peu épais et correspond approximativement à une hauteur d’assises, 20 cm, comme dans la pièce orientale de la maison Gaugiran (fig. 14), celle du premier étage du Grand fauconnier (fig. 2) ou à la maison Laurent (fig. 12). En revanche, lorsqu’il s’agit d’une frise de motifs alternés, la bande est plus épaisse, de 40 cm de hauteur (fig. 13).
28Les sources concernant la présence des peintures murales dans les maisons sont très ténues mais Charles Portal30 avait relevé dans les archives de Cordes qu’une maison appartenant en 1435 à noble Jean de Salles avait une chambre peinte « camera vocata la cambra pencha ». Or, la demeure urbaine se résume bien souvent aux deux pièces principales que sont l’aula et la chambre, qui se trouvent presque toujours à Cordes dans le corps de logis sur rue. Ceci est également corroboré par le décor ostentatoire de la façade sur rue de ce dernier. Dans la maison du Grand fauconnier et du Grand veneur, le thème de la chasse à courre et au vol est même affiché sur la rue, mettant en scène une activité de l’aristocratie. Dans les salles des étages des deux maisons, les équipements sont de qualité, représentés par deux grands placards muraux en arc brisé autrefois fermés par des pentures en bois mais aussi par un certain nombre de niches aménagées dans les murs.
- 31 LE DESCHAULT DE MONREDON, 2015, p. 30-34.
29Pourtant à l’intérieur du corps de logis, il n’est pas aisé de distinguer les deux fonctions car l’équipement des deux pièces par étage est en général identique. Il n’en demeure pas moins que la différence de répertoire des décors peints dans les deux pièces du même niveau traduit probablement une destination distincte et dans le cas de la maison Laurent, s’y ajoute également un net différentiel de l’espace dévolu. Néanmoins, l’attribution de la fonction des pièces est un exercice périlleux puisque de nombreuses études ont démontré que le thème du décor ne permettait pas d’attribuer la place de l’aula31.
30Malgré toutes ces réserves, dans plusieurs maisons de Cordes, l’aula peut être identifiée par le répertoire ornemental accordé. Dans la maison du Grand fauconnier, la scène de cavalcade permet vraisemblablement de retrouver l’aula dans la salle occidentale du deuxième étage (fig. 19). Le second décor employé est la frise d’écus armoriés mais un autre présente aussi une forte valeur héraldique, le motif de vair. La peinture est utilisée ici pour évoquer les tentures qui ornaient les salles d’apparat ainsi que les écus qui les couronnaient. Ainsi, la place de l’aula peut être reconnue dans la salle occidentale du premier étage de la maison Gaugiran, celle du premier étage de la maison Prunet, du second étage du logis occidental de la maison 25 Grand-rue Raymond VII ou dans la salle occidentale du premier étage de la maison du Grand veneur. Dans cette dernière, le décor couvrant de losanges blancs et rouges timbrés d’une fleur de lys se développe sous une frise alternant écus armoriés et décor de grecques (fig. 16). Il apparaît alors que la référence à l’héraldique désigne probablement la fonction publique de l’aula.
31Les ensembles peints dans les pièces principales des demeures contribuent à afficher la position du propriétaire au sein de la société médiévale.
32Dans la maison du Grand fauconnier, propriété et demeure principale de Jean et Bertrand La Prune en 1545, la salle ouest du second étage accueille sur le revers du mur sur cour une cavalcade mettant en scène cinq chevaliers. Indispensables à l’identification de la lignée noble, les armoiries sont détaillées sur l’écu pointu et reprises sur le caparaçon du cheval. L’état de conservation de la scène ne permet d’identifier que trois armoiries. À partir de la droite, le premier chevalier porte un écu « fuselé d’argent et d’azur (?) », le troisième, un « fuselé d’argent et de gueules » (fig. 20) et le quatrième, un « d’argent semé d’écussons d’azur » (fig. 21), qui n’ont pu, en l’état actuel des recherches, être rattachés à des familles.
Fig. 20
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand fauconnier ; second étage, la cavalcade, troisième chevalier.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 21
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand fauconnier ; second étage, la cavalcade, quatrième chevalier.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
- 32 LE DESCHAULT DE MONREDON, 2015, p. 105-157.
- 33 IDEM.
33La représentation de la course des chevaux suit les codes usuels32 avec les pattes avant et arrière relevées. Tous les détails sont indiqués avec précision, la selle à troussequin, l’attache, la protection en métal des têtes des chevaux, enfin le drapé aux plis délicatement soulignés de la tunique du chevalier. Pourtant, le thème de la cavalcade n’est pas habituellement représenté dans les demeures ou châteaux33. Ici, il met en scène le monde de la chevalerie et est probablement une représentation emblématique destinée à manifester l’appartenance du commanditaire à l’élite nobiliaire et, peut-être, à rappeler les prérogatives de l’aristocratie guerrière. C’est en ce sens que la salle présente tous les attributs d’une salle d’apparat. Il ne s’agit ni d’une scène de combat, ni de cavaliers affrontés, ni de tournoi, thèmes habituellement représentés, mais une mise en images de l’idéal chevaleresque ou du modèle de chevalerie universelle.
- 34 NAPOLÉONE, 2002. CZERNIAK, 2005, p. 62.
- 35 LE DESCHAULT DE MONREDON, 2015, p. 238-239.
- 36 CZERNIAK, 2005, p. 64.
34Quelques décors connus procèdent de cette même volonté. À la tour Palmata de Gaillac, peu après le milieu du XIIIe siècle, la représentation du cavalier en arme dans un médaillon identifiable par ses armoiries est plutôt un éloge à la puissance du personnage ou de la famille34. Dans le cas de la frise de cavaliers de la maison Muratet à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne) (fig. 22), datée par dendrochronologie des années 1264, les personnages de haut rang représentés, comte de Toulouse, roi de France, puis roi d’Angleterre, devaient probablement délivrer un autre message politique35. Enfin la cavalcade de Cordes n’a pas la même portée ni le même impact visuel que la frise de la maison Muratet, de format réduit et peinte sur une cloison en pan-de-bois, mais cette dernière met en scène un répertoire nobiliaire pour des commanditaires en quête de prestige et de reconnaissance sociale36.
Fig. 22
Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne), maison Muratet ; frise de cavaliers, détail du roi de France.
Bernard Loncan © Inventaire général Région Occitanie
35Bien que ces représentations fassent référence aux activités réservées à la classe nobiliaire elles peuvent avoir été commandées par des patriciens désireux de se rattacher à la noblesse militaire urbaine, toujours considérée comme plus prestigieuse.
36Une ébauche dans la maison du Grand veneur et des vestiges d’une scène figurée dans la la maison Laurent laissent penser qu’il y a pu avoir, ou être prévu, d’autres décors figurés d’envergure dans ces demeures patriciennes, elles-aussi au deuxième étage et sur le revers du mur sur cour.
- 37 L’identification et les attributions des couleurs et de l’aigle héraldique sont redevables à la lec (...)
37À la maison Gaugiran, la pièce ouest du premier étage (fig. 14) accueille un motif de tenture de fourrure de vair couronnée par une frise de 40 cm de haut, délimitée par deux liserés de couleur, un rouge et un blanc. Cette dernière est ornée de motifs de grecques ou de croix de Saint-André logés dans des losanges qui alternent avec des écus armoriés, matérialisant non seulement la lignée de la famille mais aussi les alliances. Les armes des six écus ne peuvent être restituées totalement mais il est possible de détailler de la droite vers la gauche : « d’argent à l’aigle éployée de…37 » ; « d’or ou d’argent à la bande de gueules » ; « d’azur à trois poissons d’argent », qui sont des armoiries sculptées à la clef de la chapelle nord du chevet de Saint-Michel ; « d’or à une fasce » ; « d’or à la croix d’argent ». La peinture est ici un décor d’imitation des tentures et écus qui ornaient les salles d’apparat.
38Sur le même principe, la maison du 25 grand-rue Raymond VII conserve un décor représentant une tenture de fourrure de vair, sur fond rouge sur le mur oriental (fig. 23) et sur fond noir (fig. 24), comme à Gaugiran, sur le revers de la façade principale. Les vestiges des frises, en revanche, sont trop partiels pour qu’elles soient restituées.
Fig. 23
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du 25 Grand-rue Raymond VII ; second étage, restitution des peintures, mur oriental. La présence de l’enduit de finition est matérialisée par le fond en gris foncé alors que l’enduit de préparation l’est par un fond ocre-sable.
DAO Véronique Marill © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 24
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du 25 Grand-rue Raymond VII ; second étage, restitution des peintures, mur nord. La présence de l’enduit de finition est matérialisée par le fond en gris foncé alors que l’enduit de préparation l’est par un fond ocre-sable.
DAO Véronique Marill © Inventaire général Région Occitanie
- 38 RICARRÈRE, 2007, p. 7 et note 36.
- 39 RICARRÈRE, 2007, p. 7, note 39. REGOND, 2007, p. 9. PHALIP, 2003, p. 331.
- 40 COURTILLÉ, 1983.
- 41 LANÇON, 2005, p. 154-155. N. Lançon le qualifie à Najac de semis de pannes. Le motif avait déjà été (...)
- 42 LANÇON, 2005, p. 155.
- 43 RICARRÈRE, 2007, p. 7.
- 44 GARRIGOU-GRANDCHAMP et SALVÊQUE, 1996, p. 76-77.
- 45 Références données par Térence Le Deschault de Monredon. LE DESCHAULT DE MONREDON, 2015, p. 167.
39Le décor de tenture de fourrure de vair est rare dans les maisons du Midi. À ce jour, il n’a été repéré qu’à Périgueux (Dordogne), sur un fond rouge dans une maison au 3-5, rue Limogeanne38. Il est plus fréquent dans les châteaux, comme dans le registre inférieur de la salle des États de celui de Ravel39 (Puy-de-Dôme), situé sous le registre des écus et peint en 129940, ou dans l’oratoire ou chapelle du donjon de Najac, dans l’Aveyron41, sur un fond bleu, à la fin du XIIIe siècle. Il était également visible dans la crypte de la cathédrale de Verdun42 (Meuse). Le motif couvrant de vair blanc sur fond noir se retrouve aussi dans une maison de Provins, rue de la Table-ronde43 (Seine-et-Marne) ou au premier étage de la maison du 21 rue de l’Hôpital à Tournus44 (Saône-et-Loire), au château de Theys (Isère) ou à celui de Bassano del Grappa, en Italie45.
- 46 PROST, 2022, p. 32.
- 47 VILLA, 1994, p. 54-55. Voir aussi l’article d’Hortense Rolland.
40La frise composée de grecques, de croix de Saint-André dans un losange et d’écus armoriés est adoptée dans deux autres maisons de Cordes mais associée à d’autres décors couvrants. Ainsi, à la maison Prunet (fig. 15), la frise reprend la même composition qu’à Gaugiran et l’écu encore visible présente les mêmes armes parlantes, soit « d’… à une fasce ». Il en était de même pour la salle ouest du premier étage de la maison du Grand veneur où la frise présente une alternance d’écus armoriés avec des grecques, mais l’état de conservation actuel ne permet pas d’aller plus loin dans la restitution. Les motifs de grecques et de croix de Saint-André inscrits dans un losange ont souvent été peints, comme à la maison du 41 rue Nationale à Lectoure (fig. 22)46, associés à des métopes sur lesquelles figurent des animaux, à l’ancien réfectoire de Laramière, dans le Lot, ou sur le pourtour de l’arc de la chapelle Sainte-Marie dans l’église des Jacobins de Toulouse (Haute-Garonne) pour les premiers et sur le mur occidental de la chapelle Saint-André, pour le second motif47.
Fig. 25
Lectoure (Gers), maison 41 rue Nationale ; peintures murales de la voûte.
Jean-François Peiré © Inventaire général Région Occitanie
- 48 D’un point de vue purement géométrique, il s’agit plutôt de carrés sur la pointe.
- 49 MANUEL, 2009, p. 11.
41Le décor couvrant de losanges varie entre la maison du Grand veneur et la maison Prunet. Dans celle du Grand veneur, des traits noirs délimitent des losanges48 blancs alternant avec d’autres rouges timbrés d’une fleur de lys blanche qui occupe toute l’emprise du motif (fig. 26). Dans la maison Prunet, c’est un ruban blanc cerné de deux traits noirs qui dessine des losanges d’un format plus important, alignés verticalement en fonction de leur couleur, bleu, rouge ou jaune (fig. 15). Le motif central dessiné au trait noir, en revanche, est de petite taille et inséré dans un losange en partie centrale. Le décor couvrant de losanges rouges et blancs séparés par un ruban blanc cerné de noir, est réalisé selon un format plus réduit à la maison Baron49, décor découvert dans la décennie 1980 au cours de travaux mais actuellement non visible (fig. 27).
Fig. 26
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand veneur ; premier étage, peintures, détail.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 27
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Baron ; peintures.
© Robert Manuel
42Ils sont les motifs les plus courants du décor ornemental. Les vestiges d’un moyen appareil sont identifiables par les tracés rouges encore visibles dans la pièce occidentale au premier étage de la maison du Grand fauconnier et au deuxième étage de la maison du Grand veneur, le moyen appareil blanc est à doubles joints rouges (fig. 18). À la maison Laurent, dans la petite pièce orientale du deuxième étage, ils sont établis sur le même principe mais le fond est ocre. Ils sont couronnés par une frise composée de feuilles à cinq lobes noirs sur fond blanc, insérées dans des triangles rouges (fig. 12).
- 50 LAZARRO, 1998, p. 105.
43À la maison Ladevèze, les vestiges sont réduits à un fragment (fig. 28) mais deux moyens appareil avaient été relevés en 1998 avant leur disparition derrière le plâtre50. Le parpaing est dessiné par un double trait rouge à bords arrondis et gouttes séparé par un joint de couleur ocre jaune. La seconde pierre peinte était timbrée d’une quintefeuille et une tige végétale était visible.
- 51 Par exemple au 33 rue de la République.
- 52 Au 52 rue Lastié, par exemple.
- 53 NAPOLÉONE, 2015.
- 54 CHARRIER, 2018, p. 14-15.
- 55 Voir l’article de F. Mazeran.
44Les motifs d’appareil à doubles traits sont les plus courants mais ceux ornés d’une quintefeuille rouge sont assez nombreux : on en trouve par exemple à Caussade51, Cahors52, Figeac53. Les appareils ornés d’une tige végétale sont moins fréquents mais un très bel exemple est visible au 63 rue Delpech à Cahors54 ou à la salle du donjon de Boussagues, dans l’Hérault55.
Fig. 28
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Ladevèze ; premier étage, fragment d’un appareil peint.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
45Dans la typologie des motifs d’appareil, ceux dits en navettes, ou polygonaux, appelés aussi appareils imbriqués à fleurettes, peuvent également être distingués56. Ils couvrent le revers du mur sur cour de la salle orientale à la maison Gaugiran (fig. 13). Délimités par un simple trait noir, ils accueillent une quintefeuille rouge centrale exécutée à la brosse.
- 57 GABORIT, 2002, p. 139-143.
- 58 CZERNIAK, 2008, p. 319.
46L’appareil imbriqué à fleurette est un motif qui est représenté tant dans les édifices religieux, visible par exemple dans les élévations nord des deux travées de la nef des Jacobins de Toulouse, où le motif est plus ramassé et délimité par un faux joint à ruban blanc cerné de deux traits noirs, dans l’église de Boulaur dans le Gers, ou celle de Saint-Avit Sénieur57 en Dordogne, que dans l’architecture civile, dans le Lot, à la maison de Cahors située 48, rue du Cheval Blanc, à celle du 48 bis rue Émile Zola à Figeac ou au château des évêques de Vabre à Saint-Yzaire dans l’Aveyron58. Dans la nef de l’église de Moissac (Tarn-et-Garonne) et à la maison sise 21 rue de l’Hôpital à Tournus, le motif évolue et se rapproche de celui de l’entrelac au cours du XIVe siècle.
- 59 Voir l’article de F. Puicout.
47Le décor est couronné par une frise végétale de 20 cm de haut environ composée de feuilles à cinq lobes détachés par des redents dans des triangles alternant les couleurs blanches et ocres rouges. Ce motif de frise, proche de celle de la maison Laurent, trouve un pendant dans l’église Saint-Christophe de Lasbordes59 (Aude). Le décor couvrant se poursuit sur le mur oriental mais la frise plus épaisse adopte les losanges accueillant une croix de Saint-André ainsi que probablement des grecques.
- 60 MESURET, 1987, p. 96.
- 61 DECOTTIGNIES, 1999, p. 57. S. Decottignies avait dressé une première liste en 1999 à laquelle il fa (...)
- 62 CZERNIAK, 2005, p. 65.
- 63 GABORIT, 2002, p. 143.
- 64 DECOTTIGNIES, BÉA, Cordes-sur-Ciel, maison du Grand fauconnier, 35 à 41 Grand-rue Raymond VII, 2015 (...)
- 65 DECOTTIGNIES, BÉA, Cordes-sur-Ciel, maison (ancien presbytère), 73 Grand-rue Raymond VII, 2015-2022 (...)
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48Les décors de « faux marbres », dits aussi « appareil concret », « brèche de marbre » ou « pierre en coupe », que nous nommerons ici plus simplement à motifs de puzzle ont, depuis R. Mesuret60 intrigué les historiens de l’art pour leur qualité d’imitation. Ils ont été identifiés dans un large Sud-ouest, dans des édifices civils ou religieux, aussi bien en Aquitaine qu’en Occitanie : en Ariège, dans l’abbaye de Saint-Lizier61 ; en Haute-Garonne, dans la chapelle de l’hôtel Saint-Jean-de-Jérusalem de Toulouse62 ; en Tarn-et-Garonne, à Saint-Antonin-Noble-Val, dans plusieurs maisons (Muratet, 6 rue Cayssac, Le Maréchal, 14 rue Guilhem Peyre), à Moissac, à Caussade, dans la chapelle castrale de Bioule ou dans la salle capitulaire de l’abbaye de Beaulieu ; dans le Gers, dans la maison 41 rue Nationale à Lectoure (fig. 22), ou dans la sacristie de la collégiale de la Romieu ; dans le Lot, dans la salle capitulaire du prieuré de Laramière, dans l’église de Saint-Avit-Sénieur en Dordogne63, et à Cordes, dans les maisons du Grand fauconnier64, la maison Laurent65 et la maison Ladevèze66.
49Au sein de cette typologie, deux grands ensembles néanmoins se détachent dans le Midi.
- 67 33 rue de la République.
50Un premier ensemble est représenté par les décors de la salle orientale au premier étage de la maison du Grand fauconnier (fig. 29). Le décor se compose de deux éléments. Des parpaings colorés, qui adoptent très souvent la hauteur d’assise de l’appareil de construction sous-jacent mais moins fréquemment la largeur, alternativement ocre, rouge ou noir, sont délimités par un liseré noir alors que les tracés des puzzles sont dessinés par un double liseré blanc et noir. Le décor couvrant est couronné par une frise de palmettes nervurées et recourbées sur elles-mêmes, proches de la frise d’une maison de Caussade67. À la maison Laurent, les parpaings alternativement ocre et rouge à joint blanc cerné de filets noirs adoptent le calibrage du moyen appareil (fig. 30). Comme au Grand fauconnier, les tracés de pierre en coupe sont dessinés par un double liseré blanc et noir. Le décor d’imitation va même plus loin dans cette demeure car un oculus quadrilobé blanc sur fond noir est peint dans le tympan d’une baie géminée afin de simuler l’oculus parfois présent dans ce type de baies à Cordes à la maison Prunet par exemple, et qui a conservé de surcroît un vitrail peint d’origine. Les vestiges des parpaings colorés ocre et rouge délimités par un liseré blanc cerné de traits noirs de la maison Ladevèze révèlent l’adoption d’une composition similaire (fig. 31). La taille de l’appareil est à peu près conforme au moyen appareil et les motifs de pierres en coupe sont tracés par un double liseré blanc et noir.
Fig. 29
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison du Grand fauconnier ; premier étage, peintures de la salle orientale.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 30
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Laurent ; deuxième étage, faux appareil à motifs de puzzle.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 31
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Ladevèze, premier étage ; restes de faux appareil à motifs de puzzle.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
51Ainsi, la taille des appareils colorés en adéquation avec les blocs taillés des maçonneries, le ruban blanc cerné de noir simulant le joint blanc et le double liseré blanc et noir découpant les motifs de puzzle semblent bien caractériser une génération de ce décor ornemental qui peut être daté par recoupement de l’ensemble des édifices du dernier quart ou de la fin du XIIIe siècle. Ainsi en est-il à la salle capitulaire de l’abbaye de Beaulieu (fig. 32), au prieuré de Laramière ou dans la chapelle de l’hôtel Saint-Jean de Jérusalem à Toulouse.
52En revanche, les plus gros motifs de puzzle sur des parpaings colorés ocre, bleu et rouge de taille également importante dans le registre inférieur de la cavalcade du deuxième étage de la maison du Grand fauconnier pose la question de la contemporanéité des deux décors, d’autant que ce dernier se superpose à un premier appareil peint. Il ne semble pourtant pas que le hiatus ait été très long entre les deux.
- 68 Le dernier rapport de restauration de la maison Le Maréchal propose cette datation. Cf. AUSSILLOUX- (...)
53Le deuxième grand ensemble englobe un nombre important de peintures murales qui se caractérisent par des parpaings colorés de grand appareil, qui peuvent aussi avoir un effet de marbre par des lignes brisées, des cercles ou des points, et des motifs de puzzle très développés aux découpes recourbées et même alambiquées. Les appareils peints ne sont plus en adéquation avec les blocs de pierre de taille des maçonneries. Ils sont habituellement datés du XIVe siècle, et même pour certains du milieu du XIVe siècle68. Ils sont visibles dans les maisons Muratet, 6 rue Cayssac, Le Maréchal, du 14 rue Guilhem Peyre, de Caussade, dans la chapelle castrale de Bioule, dans le couloir de la sacristie de la collégiale de La Romieu, dans la maison 41 rue Nationale à Lectoure, dans la galerie haute du cloître de Saint-Lizier et dans l’église de Saint-Avit-Sénieur.
- 69 MESURET, 1987, p. 95-96.
54En s’appuyant sur la construction précisément datée entre 1311 et 1319 de la sacristie de l’église collégiale de La Romieu69, la datation de la première moitié du XIVe siècle est proposée pour les motifs de puzzle. Mais, à la lumière d’une étude plus approfondie, il apparaît rapidement qu’il s’agit plutôt de plusieurs typologies d’appareils à motifs de puzzle qui ont été réalisées pendant une période allant du dernier tiers du XIIIe siècle au milieu du XIVe siècle et qui doivent être déclinées en fonction de leurs caractéristiques.
Fig. 32
Beaulieu (Tarn-et-Garonne), abbaye ; salle capitulaire, faux appareil à motifs de puzzle.
Léa Gérardin-Macario © Pays Midi-Quercy ; Inventaire général Région Occitanie
- 70 DECOTTIGNIES, 2004, p. 28-33.
55Le dernier décor ornemental d’ordre géométrique relevé à Cordes est celui des rosaces bicolores tracées au compas, repérées dans la maison Baron (fig. 33). Elles sont ici couronnées d’un décor de chevrons au trait noir sur l’intrados de la baie. Ce motif, qui est peu courant, a été adopté à la fin du XIIIe siècle à la retombée de l’arc triomphal de l’église abbatiale de Saint-Lizier sous l’abbatiat d’Auger de Montfaucon70 (fig. 34).
Fig. 33
Cordes-sur-Ciel (Tarn), maison Baron ; rosaces.
© Robert Manuel
Fig. 34
Saint-Lizier (Ariège), abbaye ; retombée sud de l’arc triomphal, rosaces.
Jean-François Peiré © Inventaire général Région Occitanie
56Ainsi, l’étude de la peinture murale des demeures patriciennes de Cordes à l’échelle du bourg castral prend ici tout son sens puisqu’elle rend compte d’un certain nombre de permanences et de diversités. Si nous n’avons pas toutes les informations pour connaître les propriétaires des belles demeures, nous avons néanmoins suffisamment d’éléments pour retrouver une classe sociale représentée majoritairement par des marchands ou des bourgeois enrichis en quête de reconnaissance sociale et désireux d’adopter les thèmes privilégiés de la noblesse dans leurs maisons. Certaines demeures étaient aussi la propriété urbaine de la noblesse, ornées de sujets conformes à leur classe sociale.
57Si la cavalcade est un des plus éclatants exemples, elle ne doit cependant pas masquer tout un ensemble de décors à forte symbolique héraldique qui sont incarnés par les représentations de tentures de vair, dans deux maisons, ainsi que les frises à écus armoriés qui rendent hommage dans trois maisons différentes à la famille et à ses alliances. Les décors peints reproduisent dans les salles les apparats de l’aula incarnés par les fourrures et écus suspendus. Plus encore, la variété des décors d’appareil, à motifs de puzzles, imbriqués, les losanges timbrés de fleurs de lys, l’oculus, souvent très colorés, et les tentures peintes participent aussi de cette mise en espace des matériaux et des textiles les plus précieux dans les salles et rendent bien compte de la réussite et de la position sociale du propriétaire.
- 71 Seuls deux ensembles, ceux de la maison Gaugiran et de la maison du Grand fauconnier ont pu bénéfic (...)
- 72 Le Service de la conservation régionale des monuments historiques travaille avec ceux de la mairie (...)
58Il apparaît alors qu’un véritable effet de mode est à l’origine de la diffusion de certains décors qui se retrouvent à l’identique dans plusieurs maisons. Ainsi, au même titre que les ateliers de sculpteurs, ceux des peintres ont été à pied d’œuvre dans la ville pendant les dernières décennies du XIIIe siècle. Au-delà d’une meilleure appréciation de la production artistique dans une période florissante, les datations par dendrochronologie d’un certain nombre de maisons et une datation resserrée grâce à l’étude architecturale de l’ensemble des maisons permettent de proposer de nouvelles dates pour ces peintures murales et d’élargir le champ chronologique à une période resserrée aux décennies 1270-1290, et peut-être 1300 au plus tard. Ainsi, les décors peints des demeures patriciennes de Cordes deviennent-ils de nouveaux jalons dans la production artistique de la peinture monumentale du Midi. Si actuellement, aucun ne bénéficie d’une protection au titre des monuments historiques71, ils devraient, nous l’espérons, pouvoir l’être rapidement pour une nécessaire préservation sur le long terme72.