1La chapelle de Centeilles est une petite église rurale, bâtie sur une colline ventée entourée de vignes et de champs d’oliviers1 (fig. 1). Elle se trouve dans le nord de l’Hérault, à 30 km à l’est de Carcassonne et à 35 km à l’ouest de Béziers, à l’extérieur du village de Siran.
2Elle est construite à la fin du XIIIe siècle, sur un plan simple à nef unique à trois travées et un chœur polygonal. Au XVe siècle, deux chapelles sont ajoutées au nord et au sud, formant le transept. Elle mesure 20 mètres de long sur 17 de large avec les deux bras du transept. La chapelle est dédiée à Marie, tous les 15 août une messe y est célébrée.
Fig. 1
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; vue extérieure.
© Anne Rigaud
3Aujourd’hui, ce lieu à vocation musicale, d’une excellente acoustique, attire les formations de musique baroque et classique pour des enregistrements de qualité et des concerts durant l’été.
4Que nous cachent la douceur et le pâlissement des couleurs autrefois vives ? Ce lieu, objet de soins réguliers par ses propriétaires privés néanmoins vigilants, est cependant l’objet d’interventions d’urgence de dernière minute. Que révèlent les enduits peints partiellement tombés ? Sont-ils à consolider ici ou là ? Où doivent se situer nos interventions ? Quand on nous demande d’intervenir dans l’urgence, on ne soigne que le bout de la chaîne, sans prendre en compte la cause fondamentale. Un diagnostic s’impose pour mesurer l’urgence de nos interventions et ce sur quoi il faut intervenir en priorité. C’est le cas typique de la chapelle de Centeilles.
5L’église est une étape et un lieu de pèlerinage dès l’origine et jusqu’au XIXe siècle. Son porche était entièrement peint. Au-dessus de la porte figuraient trois personnages dont on n’a plus que la trace fantôme aujourd’hui. En revanche, sur les claveaux et la clef d’arc, apparaissent des éléments géométriques (fig. 2) très abîmés comme un cercle, ou même les ondulations d’une chevelure.
Fig. 2
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; motif géométrique.
© Anne Rigaud
6En entrant dans la chapelle, on se laisse séduire par l’ambiance colorée des motifs géométriques revêtant les parois de la nef, comme d’immenses tapisseries tendues. Elle est une des rares églises à conserver son décor d’origine auquel viennent se superposer des peintures du XVe siècle. Son décor est exceptionnel. Non pour la représentation des thèmes couramment rencontrés, mais parce que le parti-pris décoratif nous est restitué dans son ensemble. Cette chapelle témoigne de l’ambiance chromatique et de la chaude et lumineuse expression colorée du gothique.
7Le décor de la première travée reproduit des pierres de taille alternativement jaunes, rouges et blanches (fig. 3). Les pierres blanches portent en leur centre une fleur rouge à cinq pétales, d’où partent trois branches curvilignes. Les double-joints sont rouges sur fond blanc. Ce décor est surligné par une frise sommitale composée de palmettes roses et noires.
Fig.3
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; faux-appareil.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
8Un semis de cercles blancs, avec en leur centre un losange alternativement rouge et jaune, revêt la seconde travée (fig. 4). En observant de près la stratigraphie, six étapes d’élaboration sont nécessaires pour réaliser ce décor. L’aquarelle suivante reproduit pas à pas cette progression (fig. 5).
Fig. 4
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; décor géométrique de cercles, détail.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
9Légende de la figure 5. Quadrature du cercle
-
Un tracé au cordeau imprégné d’ocre rouge liquide (éclaboussures présentes) imprime des lignes verticales et horizontales, formant un maillage de carrés d’environ 18 à 20 cm.
-
Le peintre repasse au pinceau chargé de noir les carrés obtenus par l’impact du cordeau.
-
À l’intérieur d’un carré, une case sur deux est peinte avec un losange curviligne ocre jaune.
-
Dans les cases vides un carré ocre rouge est peint.
-
Sur les carrés jaunes, une croix oblique est tracée à l’ocre rouge.
-
En noir, le peintre délimite toutes les bordures incurvées des carrés jaunes et rouges.
Fig. 5
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; Décomposition des étapes d’élaboration d’un décor géométrique de cercles.
© Anne Rigaud
10Des cercles blancs, issus d’un carré initial, nous donnent l’illusion optique de venir en avant, (bien qu’ils soient le fond non peint) et forment un ensemble régulier et tendu comme une tapisserie.
11À l’origine, la troisième travée était aussi peinte de losanges alternés rouges et jaunes, avant d’être ouverte pour la construction des deux chapelles latérales.
12La voûte du chœur, très claire, est, elle aussi, revêtue d’un décor de pierres taillées à double joints et d’une fleur à cinq pétales. La clef de voûte est sculptée d’une rose, symbole marial récurrent dans toute la chapelle, avec le Tau des Antonins.
13Sous chaque voûtain du chœur, des scènes figurées de la vie du Christ sont peintes : l’Annonciation (fig. 6), la Passion, la Flagellation, la Jérusalem céleste et la représentation en pied de deux saints, Bruno et Michel.
Fig. 6
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; Annonciation.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
14D’autres scènes figuratives relatives à la Passion du Christ se trouvent en haut de la seconde travée de la nef. Ces images sont les premières pour le visiteur qui entre dans la chapelle.
15Les trois Marie se tiennent debout face au crucifié (fig. 7), cependant aucun sentiment n’est discernable. Le dessin est schématique, les formes synthétiques, car nous sommes au niveau du dessin préparatoire et de mise en place ; la peinture proprement dite qui vient recouvrir les visages et les drapés a disparu.
Fig. 7
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; les trois Marie.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
16Une autre particularité de cette chapelle, outre l’abondance des décors gothiques, réside dans une superposition de décors dont la lecture n’est pas aisée de prime abord.
17La sensation d’image brouillée ou ambigüe est due à la fois au palimpseste (deux images s’interfèrent l’une l’autre) et au fait que la restauration des années 1960 a mal vieilli. Au XIIIe siècle, sur le cycle de la vie de Jésus illustrée ici par la Passion, se succède un thème très en vogue au XVe siècle, en relation directe avec le culte marial, l’arbre de Jessé. L’Arbre de Jessé (transcription grecque du prénom Isaïe) correspond à la représentation généalogique du Christ, selon sa prophétie que d’un rameau sortira le Messie (fig. 8). Le plus souvent, ce thème est représenté ainsi : de la bouche ou des entrailles d’Isaïe sortent des branches portant les ancêtres charnels de Jésus, rois ou prophètes (fig. 9 et 10).
Fig. 8
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; arbre de Jessé, vue d’ensemble.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
Fig. 9
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; localisation des styles.
© Anne Rigaud
Fig. 10
Siran (Hérault) Chapelle de Centeilles ; le roi David.
Amélie Boyer © Inventaire général Région Occitanie
18La scène de la sortie des limbes est en grande partie effacée et l’on peut remarquer une ribambelle d’angelots noirs qui suivent l’arc ogival. Il s’agit d’une altération chromatique connue du blanc de plomb, instable, qui réagit en présence d’une forte humidité.
19La chapelle a longtemps été utilisée comme bergerie. Les peintures furent protégées par des badigeons et n’ont été découvertes que dans les années 1950. Des cartes postales, illustrées de photographies datant du début du XXe siècle, montrent la chapelle en mauvais état.
20La chapelle a toujours été l’objet de soins réguliers, notamment sur la toiture en 1965, en 1989, en 2013. L’entreprise de restauration de peintures souhaitait entreprendre la dépose de l’Annonciation en 1999. Heureusement cette initiative invoquant « l’urgence » n’a pas été suivie d’effet, et la consolidation in situ de la scène en 2008 a préservé l’œuvre d’un traumatisme certain.
21Quel est le sens de l’urgence et comment y répondre ? À trois reprises, j’ai été sollicitée « en urgence » pour des enduits qui tombent. La troisième fois, cela a donné l’alerte à Nicolas Bru (conservateur des monuments historiques à la DRAC Occitanie), quant à la cause profonde de ces pertes et l’apparition d’un voile blanc sur les peintures. De là est née la demande d’un diagnostic sur l’ensemble du bâti réalisé en 2020 par Marilyn Gobin, architecte du Patrimoine et sur les décors peints par moi-même.
22À quel type d’urgence doit-on répondre ?
23En 1999, l’entreprise de restauration souhaitait déposer la scène de l’Annonciation en invoquant la raison d’enduits sans aucune cohésion, pour la reposer sur des mortiers neufs. On ne peut qu’être soulagé que cet « impératif » arbitraire n’ait pas été retenu. Car aujourd’hui, la scène est consolidée sans avoir subi le traumatisme d’un détachement/arrachement de la couche picturale.
24À partir d’une alerte, celle d’un enduit peint qui se soulève et chute, symptôme d’un phénomène autrement plus important, comment répondre à cet avertissement et apporter la bonne réponse ?
25Étudier le contexte, les pathologies du bâti, conjuguées à celles des peintures, a permis de nous rendre compte de l’envergure des altérations et surtout de la nécessité paradoxale de prendre notre temps pour réévaluer et mettre en place de bonnes conditions de conservation de l’édifice dans son ensemble. À chaque époque, nous trouvons des manières différentes de remédier aux pathologies en commettant parfois des erreurs, comme l’emploi du ciment sur la toiture ou de films imperméables sur les peintures. Aujourd’hui, en apprenant de nos erreurs, nous ne sommes pas exempts d’en commettre d’autres.
26Les opérations de sauvetage, comme la consolidation d’enduits peints décollés, sont l’indice d’une exigence plus profonde à interpréter. Cela implique la prise en compte des causes fondamentales de dégradation de l’édifice et l’interprétation du contexte et de l’environnement. L’exigence se situe alors dans le diagnostic ou l’étude préalable. Celui-ci permet de repérer les urgences à traiter et prioriser les phases successives d’intervention.
27Dans le cas de Notre-Dame de Centeilles, la nécessité de rendre l’édifice étanche par la réfection de la toiture avec des matériaux respirants, le retrait de la végétation et des films imperméables devient alors une nouvelle exigence. Celle-ci est hélas bien plus difficile à mettre en œuvre, ne serait-ce que financièrement, pour une petite association de sauvegarde privée...