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Dossier
L’eau naviguée

Le flottage sur l’Aude et le commerce du bois de la haute vallée (XVIIIe-XIXe siècle)

Floating on the Aude and the timber trade in the upper valley (18th-19th century)
Éric Fabre

Résumés

Longtemps l’économie ne peut fonctionner sans bois, autant pour le chauffage domestique et industriel que pour la construction et la fabrication de mille objets du quotidien. Dans le Midi, entre montagne et Méditerranée, la tension est forte : les contrées trop sèches ne peuvent fournir du bois en qualité et quantité, alors que la montagne est riche de forêts qui sont bien peu accessibles. La solution est partout la même en Europe : utiliser les cours d’eau pour mettre en relation les espaces producteurs et consommateurs. Les pièces de bois, grosses et petites, sont flottées, qu’elles restent isolées dans le flottage à bûches perdues ou qu’elles soient assemblées en radeau. Ce travail analyse les modalités du flottage sur le fleuve Aude dont la tête du bassin versant est riche de hêtre et de sapin, entre contraintes hydrologiques, obstacles que constituent les prises d’eau des établissements hydrauliques et exigences des marchands de bois qui commanditent le travail des radeliers.

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Index géographique :

Aude, Limoux, Quillan
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Texte intégral

Introduction

  • 1 ALIX et ÉPAUD, 2013.
  • 2 Le prix du bois augmente partout, puisqu’il double entre 1721 et 1779 (DEVÈZE, 1964), mais il peut (...)
  • 3 POUBLANC, 2015, p. 153. La présence du bois est privilégiée sur celle de la silice, comme le montre (...)
  • 4 L’énorme besoin de l’industrie textile carcassonnaise est assouvi par le bois du diocèse d’Alet, de (...)

1Le bois, brut ou transformé, est depuis longtemps une matière première essentielle de l’économie. On pense bien sûr aux bâtiments, surtout lorsqu’ils sont à pan de bois1, mais même lorsque domine la pierre, car huisseries, escaliers, planchers et charpentes en consomment de gros volumes. S’ajoute le chauffage, de confort et de cuisine, qui à la campagne mobilise des ressources locales dont le prix ne fait que croître à partir du milieu du XVIIIe siècle, c’est-à-dire quand la démographie en croissance participe d’une demande accrue2. La tension se perçoit encore mieux en ville où la masse des consommateurs est bien loin des espaces fournisseurs de ressources ligneuses. Le besoin industriel se distribue également entre campagnes et agglomérations. Les forges et verreries sont au cœur des massifs, ou du moins à proximité de la ressource justement pour consommer sur place les bois3, alors que les teintureries liées aux pôles textiles nécessitent de plus longs transports des bois4.

  • 5 CHEVRIER, 2007 ; BERTIER, 2007.
  • 6 DURAND-SENDRAIL, 2018, p. 173 ; FABRE, 2021.
  • 7 Par exemple : LAGARDÈRE, 2012, p. 11, 64 ; GARNIER, 2004, p. 414 (le bois des Vosges est voituré ju (...)

2Pour assurer ces transports pondéreux et volumineux, animaux de bât et voitures attelées ne peuvent suffire : il y faut la puissance de l’eau. Paris achète le bois du Morvan que lui apporte la Seine et, en amont, tout un réseau hydrographique aménagé dans ce but5 ; le Salat et la Garonne remplissent la même fonction à Toulouse, pour les bois pyrénéens6. Sur les côtes, les ateliers de construction de bateaux n’ont pas d’autre choix que de s’approvisionner en bois de forêts lointaines, qu’apportent les eaux fluviales de la Garonne, de la Seine et du Rhône7.

3Le fleuve Aude participe de cette fourniture de bois, et de la diversité des finalités de ces transports. L’Aude naît dans la montagne pyrénéenne, et se jette dans la Méditerranée au nord de Narbonne, après un double cours rectiligne infléchi à angle droit vers l’est à Carcassonne. L’eau franchit donc un ensemble de reliefs pré-pyrénéens disposés d’est en ouest, dans des gorges profondes. Au débouché dans le bassin de Quillan, les bois de hêtre et de sapin flottés sont assemblés en radeaux qui descendent le cours du fleuve jusqu’à des lieux de consommation plus ou moins lointains. À partir de la fin du XVIIe siècle, une partie est transvasée de l’Aude au canal à Trèbes, selon la destination recherchée car l’alimentation de Narbonne en bois peut alors s’effectuer par la Robine. Un double système hydraulique permet donc de transporter des bois bruts et travaillés de la montagne vers les zones de consommation.

4Ce travail s’attache à décrire les grandes lignes de ce système durant les XVIIIe et XIXe siècles. Il s’agit d’abord de décrire la rivière d’Aude, dont les eaux inégales de torrent montagnard devenant fleuve méditerranéen ne sont pas toujours propices à la descente de bois. Qu’on y ajoute les nombreux obstacles que constituent les prises d’eau des moulins, et on perçoit toute la difficulté de l’entreprise. L’administration s’est attachée, depuis longtemps, à favoriser le négoce des bois, car ils constituent la principale ressource économique des hautes terres en s’efforçant de faire respecter les règlements sur les barrages et en améliorant le cours de l’Aude. Le but est bien de permettre la descente à bûches perdues, depuis quelques lieux qualifiés de ports, jusqu’à Quillan, puis le flottage des radeaux. Les clauses des contrats de descente sont analysées, à partir d’un large échantillon d’actes des notaires de Quillan et des environs.

L’Aude n’est pas un long fleuve tranquille

5Descendant un millier de mètres en quelques dizaines de kilomètres seulement, le cours de l’Aude présente des configurations variées où le fleuve soumis aux pluies méditerranéennes de printemps et d’automne succède à la rivière de montagne aux eaux de printemps gonflées par la fonte des neiges. Ainsi, ce sont des eaux capricieuses qui portent des bois, mais des eaux aux multiples usages qui compliquent encore le travail des radeliers.

Des eaux capricieuses

  • 8 Archives nationales. F/14/1216. Rapport du 11 ventôse an 7.

6L’Aude présente des configurations tranchées (fig. 1). La partie située en amont d’Escouloubre « ne peut servir au flottage des bois, même à pièces perdues8 ». De là, les pièces de bois sont conduites à Belvianes « pour y être assemblées en radeaux ». Mais cela n’est que théorique car « dans ce moment on ne les construit qu’à Quillan parce que les pertuis des chaussées supérieures ne permettent point de les y faire passer ». En allant jusqu’à Limoux, « la rivière, qui n’est flottable pour les radeaux que pendant environ 8 à 9 mois de l’année, présente un lit assez encaissé, mais hérissé de grosses roches et bancs de pierre qui nuisent beaucoup au flottage par les retards qu’ils occasionnent, forçant même quelquefois les radeliers de démonter leurs radeaux pour pouvoir les dérocher ». Ce n’est que de Limoux à l’écluse de Moussoulens que « le lit de la rivière devient plus considérable, à raison des autres rivières et ruisseaux qu’elle reçoit dans son cours ». S’il y a beaucoup moins de roches, ce sont « assez souvent des bancs de gravier qui opposent autant, et peut-être même plus de difficultés, au flottage que ne le font les rochers de la partie supérieure sur lesquels les radeaux glissent plus aisément que sur le gravier ». Mais là encore, le sectionnement spatial qui met en exergue l’écluse de Moussoulens n’a pas vraiment de sens puisque « les radeaux ne sont souvent conduits que jusqu’à Trèbes […] où ils sont démontés pour les faire passer dans le canal du Midi qui n’est à cet endroit qu’à une très petite distance de la rivière ». Les bois sortis de l’Aude à Trèbes ont Sète pour destination, alors que ceux qui restent dans le fleuve parviennent à la mer soit en restant dans le fleuve soit en le quittant à l’écluse de Moussoulens pour emprunter le canal de la Robine.

Fig. 1

Fig. 1

Le cours de l’Aude (carte du XVIIIe siècle).

© Archives Voies navigables de France, 502-17

  • 9 PARDÉ, 1933
  • 10 Ces hautes eaux d’hiver expliquent qu’on retrouve à Saint-Martin, au niveau du moulin du Rébenty, l (...)
  • 11 LARGUIER, 2018.
  • 12 LARGUIER, 2020.

7Ainsi, s’échappant du lac d’Aude à près de 2 200 m d’altitude, les eaux se jettent dans la mer en à peine plus de 220 km. Écrits côte à côte, altitude et longueur dessinent une pente moyenne relativement forte. D’abord orienté plein nord, le fleuve traverse de puissants massifs calcaires au gré de gorges vertigineuses dont le paroxysme est atteint entre Gesse et Quillan, avec la succession des gorges de Saint-Georges puis celles de la Pierre-Lys de part et d’autre d’Axat. C’est d’ailleurs dans cette zone que s’infléchit le profil altitudinal de la rivière : en amont, la pente est très forte, avec 33 m/km, mais elle reste encore de 4 m/km entre Quillan et Limoux9. À cela s’ajoute la forte déclivité des bassins et des thalwegs adjacents, engendrant des crues rapides et puissantes. La largeur ordinaire du lit de l’Aude, qui n’est que de 40 à 60 m, « est tout à fait inadaptée aux débits de fréquentes grosses crues ». Qu’on ajoute à cela la combinaison des apports nivaux et orageux, et on comprendra la forte variation interannuelle du module, d’un facteur 1 à 3. En effet, la grande proximité des environnements montagnards et méditerranéens, qui s’articulent dans un espace où le cours d’eau est très resserré fait que le régime hydrologique de la rivière est complexe. On ne trouve presque nulle part le régime méditerranéen typique, qui présenterait un net maximum automnal. Au contraire, ce maximum de précipitations apparaît en janvier ; le régime des eaux en est impacté : il reste assez simple à l’amont mais se complique vers l’aval. L’amont présente un régime nivo-pluvial générant classiquement des crues principales de fusion au printemps, mais ces dernières ne sont que le renforcement des fortes eaux de l’hiver dues aux grosses chutes d’eau de janvier10. Finalement, l’Aude offre une montée continue de ses eaux d’octobre à février, avant les crues de printemps. La réalité est encore un peu plus complexe si on regarde l’ensemble du cours de la rivière, puisque se distinguent trois types de crues selon l’origine de la pluie. Les pluies océaniques affectant le haut du bassin se répercutent jusqu’en bas. Les pluies méditerranéennes typiques ne concernent guère l’amont de Carcassonne, mais existent aussi des pluies méditerranéennes généralisées qui remontent parfois jusqu’à Quillan. Ces dernières peuvent générer les crues qui provoquent le plus de dégâts à Limoux et à Carcassonne. Toutes ces crues sont « bien plus imposantes par leurs maxima que par leurs volumes totaux » avec « une rapidité des montées qui aboutissent à de tels déchaînements », au point que le fleuve a pu, en entrant dans les basses plaines, changer de cours, ce qui n’a pas été sans conséquence pour la vie économique de Narbonne dont le caractère portuaire chancelle avant de disparaître11. Paradoxalement, la grande crue de début octobre 1316 qui détruit 300 maisons dans la ville et provoque la mort d’une cinquantaine de personnes, ne serait pas celle qui détourne l’Aude de son lit. Elle n’aurait rien à voir avec le cours de l’Aude : « en l’état actuel des connaissances, on ne peut dire quand exactement l’Aude abandonna son lit et fila droit vers la mer en passant au nord du massif de la Clape ». La dynamique fluviale est remarquable, avec des crues sévères aux XIVe et XVIe siècles. Ainsi, la crue exceptionnelle de 1529 serait « probablement la plus destructrice depuis 131612 ».

Des eaux aux usages nombreux et variés

  • 13 Archives nationales, F/14/1216, visite de la rivière en vendémiaire an 7.

8Un rapport administratif de la toute fin du XVIIIe siècle dresse un état détaillé du cours de l’Aude13. L’implication de Français Sabatier, « marinier » d’Espéraza, montre la finalité même de cette enquête : favoriser le flottage du bois. Les trois experts vont à Belvianes, « mais désirant préalablement connaître une partie de ladite rivière en amont pour nous assurer s’il ne serait pas possible de faire commencer plus haut la flottaison des radeaux », ils remontent jusqu’au défilé de la Pierre-Lys (fig. 2). Là, face à « la quantité prodigieuse de rochers » que contient le lit de la rivière, mais aussi qui « menacent de s’y écrouler et dont il s’y est écroulé même assez souvent, surtout dans les temps d’orages », ils sont convaincus de l’impossibilité « de vouloir faire commencer la flottaison des radeaux plus haut que le pont de Belvianes ». En effet, les dépenses seraient gigantesques pour « débarrasser le lit de la rivière » de ses blocs, d’autant que le flottage des bois à bûches perdues est en lui-même déjà assez difficile au vu de « la peine [que prennent les] trop malheureux conducteurs desdites pièces ».

Fig. 2

Fig. 2

Les obstacles au flottage des bois sous la Révolution d’après la visite de l’an 7 (AN F/14/1216).

V. Marill © Inventaire général Région Occitanie

9Le moulin de Belvianes, propriété de Lhuillet, est équipé de deux meules à farine et d’une scie. La chaussée elle-même ne gène pas la flottaison : « le pertuis placé près de la rive droite est très bien placé relativement au cours des eaux pour le passage des radeaux ». En revanche, c’est une fois franchi le pertuis que les radeaux sont en grande difficulté. En effet, il manque la plateforme inférieure, ce qui « force les radeaux à une trop prompte chute qui les fait heurter contre des rochers et expose leurs conducteurs aux plus grands dangers ». Mais est-il raisonnable d’initier à Belvianes la descente des radeaux ? C’est pourtant ce qui se pratiquait jusqu’à ce que soit construite une nouvelle chaussée immédiatement en aval. Ainsi, « aujourd’hui les bois ne sont conduits qu’à pièces perdues jusqu’à Quillan et ceux qui sont sciés au susdit moulin ne peuvent être transportés par eau : on est obligé de les transporter à Quillan par charrette ». Cette nouvelle chaussée, c’est celle de la forge à la catalane de Vannier dont la direction en elle-même « ne nuit en rien » au flottage. Le pertuis est assez large, mais « étant placé trop près de la berge, sa direction donne à travers des rochers qui le rendent impraticable et par conséquent inutile. La sûreté du flottage exigerait qu’il fût placé du côté de la rive gauche ». En descendant le lit, les experts rencontrent ensuite la chaussée des moulins de Quillan dont « le pertuis placé sur la partie de la rive droite eût pu être un peu mieux dirigé pour faciliter le passage des radeaux, mais néanmoins, tel qu’il est, il peut être maintenu sans autre réparation ». La même chaussée, équipée d’un pertuis, alimente à la fois le moulin à scie de Rey en rive gauche, un moulin à huile et une autre scierie en rive droite appartenant à Henri Pinet de la Prade.

  • 14 Archives nationales, F/14/1216, visite de la rivière en vendémiaire an 7.

10À Quillan se rencontre le premier pont, bientôt suivi de celui de Campagne, les deux ayant des arches assez hautes et larges pour ne pas poser de problème au passage des bois. On en a profité, à Quillan, pour interroger Rey, commissaire du directoire exécutif du canton, qui confirme que les bois sont assemblés en radeaux à Quillan et qu’il serait bien difficile de le faire à Belvianes. Les « encarassements qui pourraient être faits au-dessus de Quillan ne pourraient avoir lieu que momentanément pour une partie des bois de la forêt de Belvianes et dans ce cas il faudrait transporter à Belvianes les fournitures nécessaires pour la construction des radeaux. Ce serait vouloir tenter l’impossible que de vouloir assujettir tout le commerce à mettre en radeaux les bois des adjudications plutôt à Belvianes que sur le port de Quillan, ce dernier lieu étant approprié pour cela, tandis que Belvianes ne présente pas même un terrain pour y déposer les bois, et le règlement de 1754 a bien prévu toutes les difficultés à cet égard en plaçant la maîtrise à Quillan et en ordonnant qu’aucun bois qui proviendrait des forêts aujourd’hui nationales ne puisse être expédié par toute autre voie que le port de Quillan14 ».

11La chaussée du moulin à farine de Campagne est équipée d’un pertuis « bien placé pour la direction des radeaux » sur la rive droite. On arrive très vite au complexe industriel d’Espéraza-Montazel-Couiza. Là, en quelques centaines de mètres, les radeliers doivent franchir plusieurs obstacles. Le premier est la chaussée de la dame Béon, alimentant un moulin à trois meules, dont le pertuis est « assez bien dirigé pour le passage des radeaux ». Les experts mentionnent le moulin à scie de Michel Sabatier, mais est-il alimenté par la même chaussée ou dispose-t-il d’une chaussée en propre ? Un peu en dessous, une autre chaussée est très en oblique dans la rivière, avec un pertuis situé tout en amont à gauche, « mais est très bien dirigé et n’a besoin d’aucune réparation ». Cette chaussée alimente deux meules à blé, deux meules à plâtre, et un moulin à scie à deux lames. Arrivé à Montazel, se rencontre la chaussée du moulin à deux meules (en rive gauche) du sieur Calmes, doté d’un pertuis « solidement construit et très commode pour le passage des radeaux ». Le pont reliant Montazel à Couiza « ne gêne en rien la navigation ». Ce n’est pas le cas de la chaussée du moulin de Couiza dont le pertuis est « mal dirigé de telle sorte qu’il expose les radeaux à passer par-dessus le bord gauche pour y remédier ». Cette chaussée alimente quatre moulins sur la rive droite, appartenant tous à Barrière : un moulin à blé à deux meules, un moulin à plâtre, et deux moulins à foulon.

12Le pont d’Alet ne pose pas plus de problème que les précédents. En revanche, le pertuis de la chaussée du moulin de Cournanel, placé sur la rive gauche à côté du moulin à farine, est « mal dirigé pour le passage des radeaux » ; il faudrait décaler ce pertuis vers le centre de la chaussée et « faire planter en avant dudit pertuis du côté de la rive deux pieux apparents […] afin de favoriser par leur direction le passage des radeaux ». Cette chaussée alimente ce moulin à blé et deux foulons. Encore une chaussée à Cournanel, celle dite de Ménard, alimentant deux moulins à farine et deux foulons avec un pertuis « très bien dirigé pour faciliter le passage des radeaux ».

13On arrive enfin aux portes de Limoux. La première chaussée alimente un moulin à blé et un foulon. Le pertuis en est étroit et surtout situé sous une voûte, situation dangereuse dont je reparlerai. Il faudrait donc déplacer le pertuis au niveau du déversoir, mais cela serait néfaste au moulin car des atterrissements se formeraient qui réduiraient le débit d’eau. À peine en aval se trouve la chaussée de Rouvayrolis Caudeval alimentant deux foulons et un moulin à blé à trois meules, le tout lui appartenant. Le pertuis en est mal placé, en rive droite, car à trop faible distance du pertuis précédent de telle sorte que le courant « emporte lesdits radeaux vers le tiers de la longueur de la chaussée et les y jette même assez souvent sans qu’il soit possible de les retenir ». Il faudrait déplacer le pertuis vers la gauche du barrage, pour le mettre dans le flux d’eau du précédent. Comme ils l’avaient fait à Quillan, les experts consultent les autorités locales. L’autorité municipale de Limoux a une solution simple concernant le franchissement de la voûte. Les mariniers « ayant la facilité d’enlever autant de poutrelles dudit pertuis au fur et à mesure que l’augmentation d’hauteur des eaux paraissait l’exiger », ceux-ci n’ont qu’à arrêter leurs radeaux et ainsi procéder en abaissant le seuil du pertuis. On peut douter du fait que la solution proposée soit acceptée avec entrain.

14Le pont vieux « ne présente aucun obstacle à la flottaison », pas plus que le pont neuf qui le suit de près. Piégeux en revanche est le banc de gravier subséquent, qui sépare le lit en deux. Si les radeliers préfèrent le bras droit plus en eau, les atterissements qui suivent bloquent les radeaux en sortie de courbe. Après Limoux, les radeliers ont quelque répit avant de franchir sans difficulté le barrage de Pomas et d’atteindre ceux de Carcassonne. Une difficulté nette apparaît bien plus en aval : après le pont de Trèbes, le rocher sur lequel était construit le moulin, maintenant en ruine, contraint la circulation des radeaux. Le pertuis du moulin de Floure est « bien dirigé » mais un peu étroit. Là encore, ce sont des vestiges qui gênent : « lors des basses eaux, les radeaux venant le long de la rive gauche sont obligés d’aller passer à l’extrémité de la chaussée […] et pour peu que les eaux soient hautes, ils sont exposés à être jetés sur les rochers sur lesquels était fondée la chaussée dans la partie où elle a été détruite ». Entre Floure et Puichéric, le « rocher dit roc de Resimes présente à la flottaison un écueil dangereux, vu qu’il est arrivé assez souvent que les radeaux vont s’y briser ». La chaussée de Puichéric, alimentant un moulin à deux meules, présente le même défaut de plateforme inférieure que celui de Belvianes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a là « une chute perpendiculaire très dangereuse pour le passage des radeaux » ; on trouve un problème identique à Castelnau. Mais avant d’y arriver, encore des vestiges au moulin de La Redorte abandonné depuis longtemps : une rangée de pieux d’ancrage de la digue.

15La disposition de la digue des moulins de Homps et Tourouselle est singulière, avec sa forme en épi alimentant un établissement sur une rive et l’autre sur l’autre. Ainsi, le pertuis est au centre : c’est une ouverture dans la pointe. Les experts insistent : « il présente par sa position un manoeuvrage des plus difficiles dès que les eaux sont un peu grandes », d’autant que le pertuis voisine avec un gros rocher. Il arrive qu’on soit obligé « de démonter les radeaux et faire passer les pièces une à une en les abandonnant au courant de l’eau », mais alors les pièces ainsi libérées s’entravent les unes les autres et forment un amoncellement difficile à défaire.

16Remis de leur peine, les radeliers franchissent alors sans difficulté le pont d’Homps, les digues des moulins de Canet et de Saint-Nazaire. À Moussan, « le lit de la rivière en amont [du moulin de Ferrioles] présente à la navigation la plus grande facilité pour toutes ses manœuvres ; il est spacieux et également profond ; il donne au cours de l’eau une marche tranquille ». Facilité de navigation qu’on retrouve à la digue de Moussoulens, bien qu’elle soit dépourvue de pertuis ce qui conduit les radeliers à agir « contre l’esprit des règlements [en passant] lesdits radeaux par-dessus cette chaussée, ce qui ne laisse pas d’y causer des dégradations par l’effet du frottement considérable que causent des masses de cette nature ». Mais comment faire autrement, sinon en démontant les radeaux pour « faire passer les pièces de bois une à une » ?

  • 15 S 339, rapport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, 21 octobre 1840.
  • 16 S 339, rapport de l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, 7 juillet 1840.
  • 17 S 339, rapport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, 21 octobre 1840.

17Il ne se passe rien ou presque rien durant un petit demi-siècle. En 1826, une plainte des radeliers conduit le 15 juin 1830 à un arrêté préfectoral imposant des réparations aux barrages de Campagne, Sourgnes et Homps « qui avaient été signalés comme les plus dangereux » mais cet arrêté n’est exécuté qu’à celui de Campagne, de façon d’ailleurs incomplète15. Conte-Granchamps, ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, ne masque pas cette situation, lors d’une nouvelle visite en début d’été 184016. Il voit les choses de près : son supérieur, dans un rapport adressé au préfet, en fait la louange en expliquant que Conte-Granchamps « descendit la rivière sur un radeau depuis Quillan jusqu’à l’écluse de Moussoulens, s’exposant aux mêmes dangers que les radeliers17 ». Il a donc fait preuve de « zèle » lors de ce « périlleux voyage ».

18Conte-Granchamps fait bien remarquer qu’il n’y eu que très peu d’améliorations depuis la visite de vendémaire an 7 alors que, tout au contraire, de nouvelles chaussées ont été construites. L’hydrologie a-t-elle changé ? On pourrait le croire, à lire combien les dépôts de graviers obstruent les passages, à Belvianes comme à Campagne. En ce lieu, des graviers accumulés sur la rive gauche précipitent les eaux sur la rive droite vers l’arche du pont, de telle sorte que « lorsque les radeaux arrivent, ils sont portés avec une violence extrême contre la culée du pont et sont généralement brisés par le choc ». Si le radelier est renversé, et cela arrive quelquefois, « le radeau est entraîné par-dessus la chaussée et le conducteur peut alors être tué ou grièvement blessé par les bois qui roulent sur lui ». En plus, la vanne de fond ne fonctionne pas, ce qui accumule des graviers devant le pertuis, pertuis qui en plus est trop étroit de 30 cm, « de sorte que les radeliers qui donnent généralement 4 m de largeur à leurs radeaux sont forcés pour traverser ce pertuis de mettre derrière une des pièces qu’ils transportent ». À Alet, un nouveau barrage a été créé sans autorisation, avec un pertuis dangereux qui dirige les radeaux sur de gros blocs rocheux. Le jour de sa visite, l’inspecteur a observé dix radeaux se fracasser contre ces rochers : « ce passage est donc actuellement un des plus dangereux de la rivière ». En plus, ce barrage est construit en pierre sans liant, de telle sorte qu’à chaque crue des morceaux sont emportés et le flux d’eau est irrégulier.

19Finalement, sur les 28 barrages qui existent de Belvianes à Moussoulens, douze sont dangereux dont ceux de « Campagne, de Sourgne et d’Homps qui ont été signalés de tout temps » donc « le flottage n’est pas plus difficile aujourd’hui qu’il ne l’était autrefois ». Mais qui va payer les nécessaires réparations, améliorations, voire mises aux normes ? Le lit des rivières navigables et flottables appartient à l’État, donc les travaux pour faciliter le flottage dans le lit lui-même, tels que ceux consistant à faire sauter des rochers, sont à sa charge. Mais les concessions pour construction d’usine ont été faites à titre gratuit et les travaux n’existeraient pas sans la concession. Trois cas doivent donc être envisagés. Pour les barrages construits après l’arrêté du 19 ventôse an 6, les travaux sont à la charge du propriétaire car la concession intègre explicitement la contrainte de laisser la circulation libre. Les usines dont les titres n’ont pas été produits peuvent se voir imposer une démolition, donc c’est un moindre mal pour les propriétaires indélicats avec la loi de n’avoir que des travaux de mise aux normes à réaliser. Se rattachent à ce deuxième cas les usines dont les titres ont été reconnus mais dont les propriétaires ont opéré des transformations sans aucune autorisation. On voit comment l’argumentation juridico-administrative rejette à coup sûr le coût des travaux sur les propriétaires : ces industriels qui entrent en conflit avec les flotteurs.

Au fil de l’eau, contraintes et solutions

  • 18 TAMBON, 2007, p. 46 ; BUFFAULT, 1904 [2007], p. 13.
  • 19 AC 129 / 1 D 20, délibération du 12 mai 1830.
  • 20 AC 129 / 1 D 21, délibération du 16 mai 1841. Outre ce mur, des travaux ont aussi dévié le ruisseau (...)
  • 21 AC 397 / 1 D 5, délibération du 25 mai 1856.
  • 22 S 339, règlement du 1er mai 1857.
  • 23 S 339, pétition des radeliers du 23 janvier 1872.

20On pourrait penser que descendre par flottage rend les radeliers indépendants des rives puisqu’ils sont portés par les flots à la descente, et disposent du réseau viaire normal lorsqu’ils remontent à pied en ne portant que quelques affaires. La question se pose dans les mêmes termes le long du Ger, que Louis de Froidour aménage en y créant un chemin de halage et sur le gave d’Aspe lorsque sont exploités les bois de mâture de la haute vallée18. Pourtant, une dépendance aux rives transparaît, ici et là dans les sources, bien rarement il est vrai, lorsqu’il est fait mention de chemin de halage. À Espéraza, on regrette en 1830 que le chemin de halage le long de l’Aude soit immergé lorsque la rivière grossit, justement quand le flot devient propice à l’embarquement. On chemine alors en traversant une propriété privée, puisqu’un autre chemin qui existait au-dessus a été clos de murs par le propriétaire du terrain voisin. Le conseil municipal demande que ce passage soit libéré, afin d’avoir une circulation lorsque l’Aude est grosse19. La demande est d’autant plus justifiée que la commune a été obligée de modifier plusieurs chemins à proximité de l’agglomération lorsqu’en 1824 elle a fait construire un mur le long de l’Aude, en conservant le chemin de halage qui doit être « droit, sans entrave et suffisant » en largeur20. À Trèbes, le chemin qui mesurait jusqu’à cinq mètres de large a été érodé par les crues, de telle sorte qu’en plusieurs endroits il n’atteint même pas deux mètres21, forçant les hommes à marcher dans les champs voisins. Cette largeur de deux mètres est la norme prévue par l’article 14 du règlement du flottage sur l’Aude de 1857, règlement sur lequel je vais revenir22. La rive apparaît aussi lorsqu’il faut faire une halte lors de la descente. Il n’est pas rare que des « propriétaires riverains de l’Aude s’opposent à ce que les radeliers amarrent leurs radeaux sur les bords de leurs propriétés ». Aussi, en 1872 « le sieur Bastou de Quillan a assigné les radeliers devant le juge de paix de Quillan pour un fait semblable23 ».

Industriels et radeliers, des relations conflictuelles

  • 24 Belvianes, sur l’Aude, 1909, Archives départementales de l’Aude, 3U3/303.
  • 25 Puivert, sur le Blau, 1832, Archives départementales de l’Aude, S442.
  • 26 Puivert, sur le Blau, 1832, Archives départementales de l’Aude, S442.
  • 27 Gesse, sur l’Aude, 1874, Archives départementales de l’Aude, 3U3/289.

21Mais les difficultés principales des radeliers sont-elles sur les berges de l’Aude ? C’est davantage dans le lit même de la rivière qu’elles apparaissent : le franchissement des barrages de prise d’eau des établissements hydrauliques constitue la difficulté majeure. Qu’il soit meunier, scieur, foulonnier, voire brasseur de bière, l’industriel pose souvent des problèmes au radelier (fig. 3). Le problème est de même nature que le barrage soit formé de pieux verticaux enfoncés dans le substrat, assez rapprochés les uns des autres afin de fonctionner comme une paroi (A)24, de caissons de bois remplis de blocs de pierre (B)25, de simples planches disposées entre deux rochers (C)26 ou d’un ensemble plus complexe de pieux verticaux enfoncés dans le substrat, tenant des pièces de bois ou des fascines disposées à l’horizontale, le tout renforcé par de grosses pierres (D)27.

Fig. 3

Fig. 3

Quelques types de barrages de prise d’eau.

© Archives départementales de l’Aude

  • 28 S 345, courrier du 15 janvier 1867.
  • 29 S 345, rapport de l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, 26 juillet 1867.
  • 30 3 U 3 / 298, 11 mai 1895.
  • 31 3 U 3 / 298, 18 janvier 1896.

22Si les plaintes s’élèvent essentiellement contre les meuniers, c’est bien parce que la plupart des barrages alimentent des moulins à farine. Le problème est bien le barrage de prise d’eau lui-même, pas la machinerie qu’il y a en aval, car les fonctions d’un atelier peuvent varier au cours du temps. Il est aisé de l’illustrer. Les enfants Augerau et leur mère Doumergue possèdent un moulin à farine à Belvianes en 1866, juste en face de la scierie d’Irénée Delmas : est-ce la réussite de ce dernier qui les incite à demander l’autorisation de transformer leur moulin en scierie ? Les deux meules laissent place à une lame verticale et à quatre lames circulaires, sans aucun changement de la prise d’eau28. Mais la scierie de Delmas, imitée, est elle-même le résultat de la « transformation de l’ancien atelier de fer29 ». Plus en aval, à Espéraza, l’usine du Pal cesse au contraire d’être une scierie pour devenir une usine à fabriquer les chapeaux30. Quant à la brasserie de Limoux installée dans la bien nommée usine de l’Envie sur la rive gauche de l’Aude au cœur de Limoux, on doute de l’ancienneté de cette production. Les eaux captées au barrage de Saint-Jean actionnaient des meules à farine lorsqu’en 1821 Jean-Baptiste de Caudeval donne l’usine à son frère pour le remplir de sa portion lui revenant de la succession de leurs parents31.

  • 32 AD Ariège. 7 S 431, 10 mars 1831.
  • 33 AD Ariège. 7 S 425, 20 septembre 1859.
  • 34 Archives nationales. F/14/6075, dossier Blau.
  • 35 Archives nationales. F/14/6075.
  • 36 S 345, courrier de Delmas père et fils au préfet, 28 septembre 1868.
  • 37 LAGARDA, 1999, p. 189. « Les barrages de prise d’eau d’alors n’étaient pas comme ceux d’aujourd’hui (...)
  • 38 Archives nationales, F/14/1216, 11 ventôse an 7.
  • 39 S 339, rapport de l’ingénieur ordinaire, Limoux, 22 avril 1869.
  • 40 CANTELAUBE, 2005, p. 110.

23Ces mutations des fonctions productives ne changent rien à la prise d’eau elle-même. Il s’agit de faire converger tout ou partie des eaux, selon le débit de la rivière, vers le béal ou canal d’amenée. Pour cela, les équipements en place vont du plus précaire une levée de graviers au plus pérenne, une chaussée en pierre de taille. Ainsi, la reconstruction de la scierie partagée entre les communes de Quérigut, Carcanières et Le Puch est-elle autorisée avec dérivation des eaux « par simple saignée sans barrage »32. En tête du bassin versant, avec un lit étroit et rocheux, on peut avoir une prise d’eau simplement formée par « un barrage naturel formé par les gros blocs roulés par le ruisseau33 ». Il suffit parfois de quelques planches et madriers pour fermer l’espace entre les rochers. C’est le cas de la prise d’eau du moulin à scie des frères Mazières sur le Blau juste en aval de Puivert34. Mais que la largeur s’accroisse et des équipements moins élémentaires sont nécessaires pour orienter une partie du flux vers l’embouchure du canal. Le comte de La Rochefoucauld est autorisé à construire une scierie à bois sur la Boulzane à Puilaurens en 1871, à condition que le barrage ne dépasse pas 60 cm de haut et soit « en gravier et fascines si c’est nécessaire de manière à être facilement enlevé par les eaux ». Le but est explicite : ne pas générer une retenue d’eau qui pourrait provoquer des dégâts en cas de rupture35. Delmas père et fils, nouveaux propriétaires des usines du laminoir et de la fonderie converties en scieries ont dû établir un barrage provisoire sur l’Aude, en attendant que soit réparé le barrage en dur. Leur aménagement est « composé d’une petite pièce et de quelques fagots de branches, le tout retenu à l’extrémité par un pieu qui n’est même fixé à la pièce par aucune attache »36. Là encore, le niveau de l’eau n’est élevé que d’une vingtaine de centimètres, et les voisins n’ont pas gain de cause dans leur plainte contre les usiniers. Des pieux viennent en renfort, lorsque la largeur s’accroît, sur lequels sont fixées des planches. « Las paishèras alavetz èran pas coma vèi. Una dotzena de toròls de castanhièr un sus l’autre, manteguts per dòs muralhetas part e part » rapporte un témoignage37. Après une crue, ces pieux d’ancrage peuvent perdurer et constituer une gêne pour le passage des radeaux. On a vu que c’est la situation dont se plaignent les radeliers à propos du moulin de la Redorte38. Dans une version plus élaborée, ces pieux servent de fixation à des caissons remplis de gravier, au lieu de seulement ancrer des planches. Un conflit révèle tout le rôle de ce gravier : une crue d’eau a fragilisé le barrage de Pomas « en lui enlevant le gravier qui le charge, ce qui fait la solidité de tous les barrages »39. Cette construction en « encaissement » trouve son aboutissement lorsque la « série de caissons en bois de chêne remplis de gravier roulé pris dans la rivière » est couronnée de grosses pierres40.

  • 41 3 U 3 / 290, 15 février 1876.

24Cette histoire évolutive est celle du barrage dit des Religieuses à Limoux. Avant 1822, la chaussée était rectiligne, formée de trois files de pieux reliés entre eux dans le sens transversal et longitudinal. Puis, pour compléter la résistance du barrage, « des pieux ou estèpes, plantés dans le prolongement des files transversales, jusqu’à une grande distance en amont, étaient reliés à la chaussée par des pièces de bois longitudinales appelées chevêtres, et par des liernes obliques placées dans tous les sens. Les pieux seuls du corps de barrage étaient descendus jusqu’au rocher, les estèpes d’une longueur beaucoup moindre étaient simplement enfoncés dans le gravier ». Le chêne remplace le sapin, qui se décompose plus vite. Mais, finalement, « la cherté toujours plus grande du prix des bois » conduit à un changement de pratiques. C’est que les travaux d’entretien et de réfection après les crues ont injecté plus de 20 000 francs dans le barrage entre 1852 et 1869. Alors on coule du béton en 1869 sur une partie de l’installation puis, satisfait du résultat, on continue en 187541.

  • 42 S 339, pétition adressée au préfet, 14 octobre 1836.
  • 43 S 339, courrier du syndic des radeliers au préfet, 14 mars 1869.
  • 44 S 339.
  • 45 S 339, courrier du directeur général des Ponts et Chaussées au préfet, 16 décembre 1869.
  • 46 AC 63 / 1 D 2, délibération du 31 janvier 1845.
  • 47 S 339.

25Quoi qu’il en soit, à partir du moment où un équipement même sommaire est installé dans le lit de la rivière, il doit être conçu pour permettre le passage des radeliers. Le pertuis de navigation peut ne pas être assez large, ou être mal disposé par rapport au flux d’eau. Mais un pertuis est construit, donc fixe, alors que le chenal majeur change de position dans le lit de graviers et sédiments au gré des hautes eaux. Les aménagements des riverains d’amont, effectués en vue de protéger leur berge déplacent les eaux vers l’autre rive. Ils peuvent être le fait de particuliers, mais aussi des communes. Quillan demande l’autorisation de renforcer la rive gauche pour « arrêter la corrosion continuelle » qui a déjà détruit la maison d’Hipolyte Roillet et la scierie de Croux42. Que la géographie des lieux fasse voisiner un tel aménagement protecteur et une prise d’eau, voilà que s’ouvre le champ des conflits. La modification locale de l’hydrologie peut déposer des graviers ou du sable en vis-à-vis du pertuis, et donc entraver le passage des radeaux. Ce passage est compromis par un nouveau banc de graviers juste en aval du barrage de Pomas : « les radeaux ne peuvent franchir un espace de cent mètres sans employer une journée et 5 ou 6 hommes au moins »43. À Carcassonne, le maire lui-même doit s’entremettre pour apaiser le conflit entre quatre radeliers et le meunier du moulin de Maquens, les radeaux étant ensablés44. On engage en 1868, près des bains de Campagne, un travail d’enrochement afin de dévier le courant dans le but de faire disparaître « un îlot de gravier qui divise la rivière en deux bras », en laissant trop peu d’eau pour le flottage dans chacun des bras45. Sur cette commune de Campagne, l’association d’un pont et d’une chaussée complique encore la situation : on voudrait « empêcher les graviers d’obstruer le passage dans le canal d’amenée46 », graviers qui en plus précipitent les eaux sur la rive droite vers l’arche du pont. Alors, « lorsque les radeaux arrivent, ils sont portés avec une violence extrême contre la culée du pont et sont généralement brisés par le choc. Si le radelier est renversé, et cela arrive quelquefois, le radeau est entraîné par-dessus la chaussée et le conducteur peut alors être tué ou grièvement blessé par les bois qui roulent sur lui ; le danger est beaucoup plus grand lorsque plusieurs radeliers arrivent à la fois47 ».

  • 48 Archives nationales, F/14/6529, dossier n° 15, rapport du conducteur des Ponts et Chaussées, 12 mar (...)
  • 49 S 339, rapport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, 13 novembre 1832.
  • 50 S 339, courrier du 19 août 1863.
  • 51 S 339, courrier du syndic des radeliers de Quillan et Espéraza au préfet, novembre 1862.

26Le barrage de l’usine dite de Sournies, propriété de la comtesse de Baracé, n’a pas de pertuis et les radeliers doivent passer (cf. supra), sous « une voûte dont l’intrados se trouvait si peu élevé au-dessus du plan d’eau que la navigation, sur ce point, était très dangereuse et que des accidents sérieux étaient tous les jours à redouter »48. Les plaintes des radeliers et des marchands de bois de Quillan et d’Espéraza se répètent, et les rapports administratifs aussi (fig. 4). L’affaire est ancienne puisque les Ponts et Chaussées exhument un procès-verbal de visite du 30 décembre 1739 dans lequel « les radeliers et le commerce réclamaient la suppression, ou du moins l’amélioration de ce passage à cause des dangers qu’il présentait à la navigation ». On ne dit pas autre chose en 183249. Finalement, un arrêt ministériel impose le changement de la disposition des lieux. La comtesse de Baracé n’a pas d’autre choix que d’engager d’importants travaux pour déplacer le pertuis, dont elle demande un remboursement partiel de 1 000 francs. S’il a fallu tant de temps, ce n’est peut-être pas seulement à cause du montant des travaux à engager. L’administration doit être consultée chaque fois qu’une modification du dispositif hydraulique est envisagée ; c’est long, et en plus il faut qu’elle accepte les changements. Ne serait-il pas le moment idéal pour optimiser le pertuis du moulin de la Roque à Trèbes, après qu’il a été emporté par une inondation et qu’il faut donc le reconstruire ? Mais lorsque Sabatier, le syndic des radeliers de Quillan, demande que le pertuis de flottage soit reconstruit plutôt sur la rive gauche, on lui répond que l’ordonnance royale qui autorise cette chaussée prescrit que le pertuis soit à droite, pour que l’usinier puisse le manœuvrer : on ne peut donc rien changer, sinon à reprendre l’ordonnance50. On tente de passer là où le pertuis n’existe plus, donc là où l’eau n’est plus canalisée pour assurer la portance suffisante aux radeaux. Les radeliers descendent des radeaux et les rejoignent en aval car les chocs contre les rochers conduisent trop souvent à la dislocation des radeaux. C’est une bien « pénible opération de rejoindre un radeau à la nage, opération qui ne peut être faite que par des gens jeunes » d’autant que « la saison ne permet plus de se mettre à la nage pendant une demi-journée ou plus selon le nombre des radeaux51 ».

Fig. 4

Fig. 4

Le pertuis du moulin de Sournies, à Limoux, situé sous une voûte (1899).

© Archives départementales de l’Aude, 3 U 3 / 300

  • 52 S 339.

27Pourtant, il est quelques situations compliquées dues à des aménagements autres que les barrages. La traversée de Limoux présente « un puits » construit en saillie sur le cours de l’Aude52. Il s’agit en réalité, sur la rive gauche, d’une tourelle destinée à pomper l’eau pour alimenter la maison Bouichère (fig. 5). La construction fait saillie de quatre mètres sur les alignements fixés par l’ordonnance royale du 16 juillet 1823. Le 20 mai 1876, un radeau heurte le puits et deux radeliers sont précipités dans l’eau. Bouichère intente alors une action en justice, prétextant qu’on a abimé son mur, ce qui met en fureur les radeliers qui menacent de ne reprendre leur activité qu’une fois que l’administration aura imposé la démolition du puits. À la sortie du pertuis de la porte Saint-Jean, et par le passage du Pont Vieux « les eaux se précipitent avec une vitesse considérable vers le jardin Bouichère et il est très difficile aux radeliers d’éviter que leurs radeaux ne viennent heurter plus ou moins violemment les murs qui bordent la rivière et surtout le puits qui constitue ainsi, à raison de ces circonstances particulières, un véritable danger ».

Fig. 5

Fig. 5

Un puits en saillie sur l’Aude à Limoux (1876).

© Archives départementales de l’Aude, S 339

  • 53 S 339, courrier des marchands de bois et radeliers au préfet, Quillan, 22 mai 1868.

28L’industriel entre aussi en conflit avec les flotteurs lorsqu’il engage des réparations sur le barrage ou toute partie de son usine en interaction avec la rivière. Son intérêt est alors, pour faciliter la réalisation des travaux, d’abaisser le plus possible le niveau de l’eau, ce qui n’assure plus le flottage des bois. Les propriétaires peuvent alors demander la suspension administrative de la descente des radeaux. Ainsi, après que des crues ont emporté les barrages de Puicheric et de Pomas, les marchands de bois et radeliers craignent-ils que les propriétaires de ces usines demandent la suspension du flottage pour réparer « mieux à leur aise ». Les professionnels du bois écrivent alors au préfet, lui demandant de n’accorder aucune suspension de flottage aux usiniers53.

Assurer la flottabilité de l’Aude

  • 54 S 339, courrier des marchands de bois et radeliers au préfet, Quillan, 22 mai 1868.

29Marchands de bois et radeliers savent se lier pour mettre en avant l’intérêt économique de leur activité. C’est bien l’argument qui est avancé dans l’exemple du rétablissement des barrages de Puicheric et de Pomas déjà mentionnés. Marchands de bois et radeliers font remarquer que « le mauvais hiver ayant retardé l’extraction des bois dans les forêts, maintenant que le transport a lieu avec activité, il serait douloureux pour eux de ne pouvoir en faire l’écoulement lorsqu’il y a beaucoup de demande54 ». Justement, les hautes eaux actuelles favorisent les transports : toute cessation porterait atteinte « aux négociants des bois du bas Languedoc ayant faits leurs achats et ne pouvant recevoir ».

  • 55 S 339, courrier du conservateur des forêts au préfet, 5 novembre 1840.
  • 56 S 339, courrier du conservateur des forêts au préfet, 29 juin 1846.
  • 57 S 339, courrier du conservateur des forêts au préfet, 20 novembre 1846.

30Marchands de bois et radeliers sont des partenaires incontournables pour que l’État soit en mesure de tirer un revenu des forêts de la haute vallée. En effet, « les nombreuses et importantes coupes de bois dans les propriétés particulières et de l’État forment le principal produit de ces contrées et la rivière d’Aude est à peu près la seule voie de transport »55. De sorte, il faut bien faire avec des radeliers, » ouvriers assez récalcitrants », puisqu’ils sont indispensables à l’exploitation des forêts publiques et privées. L’administration des forêts a le plus grand intérêt au flottage : « la question du flottage de l’Aude et de son entière liberté intéresse au plus haut degré 19 000 ha de sapinières de ce département dont 11 000 appartiennent à l’État […] ce fleuve étant à proprement parler le grand chemin des produits forestiers56 ». Elle souhaite donc être tenue au courant de tout projet qui affecterait le cours de l’Aude et l’organisation du flottage. Elle rappelle même au préfet « l’intérêt capital que l’administration avait à la libre pratique du flottage de l’Aude pour l’écoulement de ses bois » en exhumant les règlements de 1739 et 1754 qui stipulent « que toutes les concessions d’usines faites aux riverains sont un droit subordonné au libre flottage de radeliers moyennant indemnité »57.

  • 58 S 339, courrier de Gabarrou, marchand de bois à Quillan, au préfet, 3 octobre 1842.

31L’enjeu est tel que certains marchands n’hésiteraient pas à entreprendre eux-mêmes des travaux d’amélioration du lit, pour autant que l’autorité publique l’autoriserait. En 1842, Gabarrou, marchand de bois à Quillan, fait savoir au préfet que 1 033 arbres vont être adjugés le 13 octobre, dans les forêts de Gesse-Clergé, Gesse-Domaine, Rebiscané, Villeneuve, Carcanet, En Malo, Bac-Estable et Lapinouse. Il y aura donc environ 4 000 pièces à faire flotter jusqu’à Quillan. Gabarrou compte bien obtenir tout ou partie de cette adjudication : il demande l’autorisation de procéder, à ses frais, dans les deux mois après l’obtention de l’autorisation, à des travaux d’amélioration du lit de l’Aude. Il assure qu’il obtiendra ensuite de propiétaires forestiers privés, tels que Debosque et La Rochefoucauld, une indemnité puisqu’ils sont intéressés à l’affaire. On ne sait ce qu’il advient de sa demande, mais son argument est financier : en améliorant la capacité d’évacuation des bois, l’État pourrait vendre plus cher les arbres. Mieux : le marché serait fluidifié puisqu’on « pourra même travailler en hiver parce qu’on n’aura pas besoin de se mettre dans l’eau pour dégager les amoncellements de bois du milieu des rochers, ni de reconstruire les radeaux brisés par la chute en sautant les chaussées »58.

  • 59 S 339, extrait d’une délibération du conseil général de l’Hérault, 16 germinal an 9.

32Il n’est donc guère étonnant que les pouvoirs publics s’attachent à assurer la flottabilité de l’Aude. Dans la partie basse du fleuve, cette considération se combine avec la volonté de protéger des crues les hommes, leurs maisons et leurs cultures. Les années 1710, 1712, 1714, 1717 et 1728 voient fleurir des projets d’amélioration du lit, sans aucune sorte de réalisation. En 1755, une « inondation extraordinaire a réveillé l’attention des États [du Languedoc] à cet égard », mais il faut attendre 1766 pour que des ouvrages soient réalisés. On commence par lever la carte de toute la zone entre Sallèles et l’étang de Vendres, et de l’étang salin jusqu’à Capestang. Puis on projette de couper divers coudes de l’Aude en associant atterrissement de l’étang de Capestang et alignement du cours. Ces travaux et le creusement du canal de Carbonne ont rendu la plaine de Nissan et le nord de celle de Lespignan non irrigables, de sorte qu’elles ne bénéficient plus des apports de limons. La production des grains a chuté, ce qui a fait s’élever une plainte des communautés concernées en 177259.

  • 60 Conseil général du département de l’Aude, 1874, p. 50.
  • 61 S 339, courrier du sous-préfet de Limoux au préfet, 29 décembre 1840.

33En réalité, il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour qu’une véritable politique publique soit conduite relativement au flottage, et donc à la gestion dédiée de la rivière. Des règles existent pourtant bien antérieurement, qui imposent des pertuis dans les barrages, comme nous l’avons déjà vu. Au cours des années 1840, l’idée d’une gestion partagée émerge, qui ne se résumerait pas à l’imposition de dispositifs de franchissement des barrages. En effet, la législation ne peut rien contre les bancs de gravier qui, comme on l’a déjà mentionné, peuvent être un puissant obstacle à la descente des bois. Les principaux obstacles « consistent aussi dans les aspérités de rocher qui gênent le mouvement des radeaux à l’époque des basses mers, au milieu des maigres ou rapides »60. Il y aurait 485 m3 de roches à faire sauter dans la Pierre-Lys et 116 m3 dans les gorges de Saint-Georges61.

  • 62 S 339, courrier du conservateur des forêts au préfet, 10 août 1841.

34Conte-Granchamps, l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées de l’arrondissement de Limoux, propose en 1840 que soit instituée une commission chargée de l’Aude. Elle comprendrait un radelier, un agent des Ponts et Chaussées et un agent des Eaux-et-Forêts. La composition même de cette commission dit tout de l’importance du flottage pour le commerce des bois, même si on peut s’étonner de l’absence de grands propriétaires forestiers privés. Ils ne sont pas totalement oubliés, puisque l’État leur a demandé quelle somme chacun voulait donner pour abonnir l’Aude62. Faut-il s’étonner que Debosque ne propose que 500 francs, alors que La Rochefoucauld ne répond même pas ? Pourtant, on est très explicite : l’État n’a pas à investir dans l’Aiguette car il n’y a guère de forêt publique de qualité en amont. Les exploitations des forêts de Gesse et de Villeneuve-et-Rébiscané « ne comprennent en général que des arbres impropres convertis en charbon », de sorte qu’il n’y a pas plus de cent arbres à descendre par flottage chaque année. À côté de ce très faible effectif, La Rochefoucauld exploite 2 600 arbres par an dans ses forêts du canton de Roquefort, et Debosque en fait descendre 500 par l’Aude depuis les forêts de Navarre et de Dessus. Que l’on ajoute une centaine de la forêt de Fontenille par MM. Roumingoux et Vidalot, autant par le comte Fabre, et l’administration peut conclure que, contrairement aux grands propriétaires forestiers, l’État ne devrait pas beaucoup payer pour améliorer l’Aude et l’Aiguette.

  • 63 S 339, courrier du sous-préfet de Limoux au préfet, 29 décembre 1840.
  • 64 S 339, courrier du sous-préfet de Limoux au préfet, 22 novembre 1845.
  • 65 S 339, extrait de délibération de la commune d’Alet, 11 mai 1845.

35Les radeliers, de leur côté, se mobilisent. Le 26 septembre 1840, Pierre Dufin « chef de conduite à Espéraza » se porte volontaire au titre des radeliers, « étant chargé d’un travail considérable pour la conduite des radeaux » et étant « intéressé que les réparations soient bien faites ». Dans le même temps, le sous-préfet de Limoux désigne Étienne Sabatier au préfet sur recommandation du maire de Quillan63. L’administration nomme Melliès « commissaire enquêteur pour l’amélioration du flottage », le 16 septembre 184564. Les conseils municipaux des communautés riveraines qui ont partie liée au flottage délibèrent pour souligner l’intérêt qu’il y aurait à établir un règlement. Certains précisent les travaux qu’il y aurait à conduire dans leur commune : à Alet, il faudrait enlever les blocs de pierre qui encombrent le lit en amont du pont de Granes en face de l’ancien évêché65.

  • 66 S 339, courriers de l’ingénieur en chef du département au préfet, automne 1856.
  • 67 AC 129 / 1 D 21, délibération du conseil municipal d’Espéraza, 30 mars 1845.

36Réaliser de tels travaux impose de toute évidence de disposer de quelque argent. En 1856, ce sont 4 000 fr qui ont été attribués. Mais il faut aussi simplifier les procédures administratives car dans l’état actuel du fonctionnement de l’administration des Ponts et Chaussées dans l’arrondissement de Limoux, aucun agent n’est en droit de mobiliser cet argent pour impulser des travaux66 ! On voit que la gestion de la flottabilité de l’Aude se construit par petites touches. Un plan d’ensemble ne tarde pas à voir le jour, avec des propositions issues des Ponts et Chaussées qui sont discutées par les conseils municipaux des communes qui se sentent concernées. C’est certainement Espéraza qui y met le plus de cœur, analysant et commentant longuement chacun des articles du futur règlement établi à partir du procès-verbal d’enquête faite à Limoux, clos le 10 septembre 184467. Il faut pourtant attendre plus d’une décennie pour que ce règlement du flottage soit publié, le 6 avril 1857, prenant très rapidement effet au 1er mai suivant (fig. 6). Il est la version aboutie d’un premier règlement instauré par la « commission spéciale créée par l’arrêté préfectoral du 8 décembre 1840 », avec une multitude de brouillons intermédiaires, signes d’autant d’évolutions des rapports de force entre les partenaires impliqués.

Fig. 6

Fig. 6

Le règlement du flottage de 1857.

© Archives départementales de l’Aude, S 339

37Finalement, ce règlement de 1857 rappelle en préambule que l’ordonnance d’août 1669 de la réformation des forêts fixe la police de la navigation, et que l’article 138 du code civil range les fleuves et rivières navigables et flottables parmi les dépendances du domaine public. Le premier chapitre concerne les « agents employés à la police du flottage » avec la création de quatre gardes-rivières assermentés placés sous la direction de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et sous les ordres immédiats des ingénieurs ordinaires. L’un d’eux, avec le titre particulier de « garde du flottage » doit habiter à Quillan et se déplacer partout où le besoin se fera sentir (art. 3). Chacun des trois autres est affecté « à la surveillance des trois sections » de l’Aude (art. 4) : 1- du point où commence le flottage à bûches perdues jusqu’au pont de Pomas ; 2- de ce pont au confluent de l’Argent-Double ; 3- de là jusqu’à l’embouchure (art. 5). Le chapitre II du règlement porte sur le « Flottage à pièces perdues » qui ne peut avoir lieu qu’au-dessus d’un point qui sera déterminé par l’administration, mais qui est pour le moment fixé au port de Quillan (art. 6). Ce flottage doit commencer dès que les bois sont amenés dans le lit où il est interdit de les laisser séjourner (art. 7). La descente se fait en « convois ou menades » qui ne peuvent dépasser 600 pièces, avec un homme pour 50 pièces, et doit arriver au lieu de mise en radeau en un mois maximum (art. 8). Le chapitre III concerne le « Flottage en trains ou radeaux ». Il « commence où finit le flottage à pièces perdues et s’étend jusqu’à l’embouchure » (art. 9) avec des radeaux de 4 m de large au maximum (art. 10). Les entrepreneurs doivent déclarer au garde de flottage le nombre de radeaux, leur cubage, les forêts d’où provient le bois, la date d’adjudication ou de vente de ce bois et le lieu de destination (art. 11), déclaration à partir de laquelle le garde remet au chef de train ou flotteur un permis reprenant l’essentiel de ces informations, plus le délai autorisé calculé sur la base de 20 km/jour (art. 12). Les radeaux ne peuvent stationner ou être amarrés hors des zones qui seront définies par l’administration, sauf cas de force majeure ou accord des propriétaires riverains (art. 13). Un chemin de halage de 2 m de large doit suivre le bord de l’Aude sur toute la longueur où s’opère la descente en train, avec « un marchepied » de 1,3 m de large sur la rive opposée (art. 14). Si les eaux passent par-dessus un barrage, en dépit de l’ouverture des vannes de prise et des pertuis de navigation, l’usinier doit laisser le pertuis ouvert (art. 15). Au contraire, s’il y a moins de 60 cm de hauteur d’eau sur les pertuis ou les maigres en amont des barrages, les gardes-rivières doivent fermer les vannes de fond (art. 16), et même les vannes de prise d’eau si besoin à la demande d’un radelier, jusqu’à nouvel avis du garde-rivière (art. 17). Mais cette fermeture des vannes limitant le fonctionnement des usines, le flottage doit se faire en convoi en temps de basses eaux pour limiter leur chômage (art. 18), chaque radeau devant être monté par un homme au passage d’un pertuis (art. 19). Si les eaux sont trop basses, les gardes-rivière peuvent suspendre le flottage, le garde ne délivrant alors plus de permis (art. 21), le retour à la normale étant constaté à l’échelle de Quillan (art. 22). Une autre cause de suspension momentanée du flottage peut être la nécessité de réaliser des travaux urgents (art. 23). Le chapitre IV concerne la répression des contraventions et contient des dispositions diverses, contraventions qui peuvent être constatées par n’importe quel agent des Ponts et Chaussées, et bien sûr par ceux spécialement dédiés au flottage (art. 24).

  • 68 S 339, courrier de l’ingénieur en chef au préfet, 26 avril 1858.
  • 69 S 339, courrier du directeur général des Ponts et Chaussées et des chemins de fer, au préfet, 19 av (...)
  • 70 S 339, courrier du directeur général des Ponts et Chaussées au préfet, 16 décembre 1869.

38Un garde du flottage est nommé par décision préfectorale du 30 mars 1858. Il ne peut faire son service et surveiller l’expédition des bois qui partent de Quillan « s’il n’a pas un petit bureau à proximité du port pour délivrer le permis exigé par l’article 12 du règlement sur le flottage de l’Aude en date du 6 avril 1857 ». Or, l’administration possède déjà, au port, un petit magasin renfermant « le matériel servant aux travaux d’amélioration du cours de l’Aude », pièce qu’il faudrait donc vider et transformer en bureau, ce qui imposerait de ranger le matériel ailleurs. Plutôt que de procéder à tous ces changements, l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées trouve un petit local dont la propriétaire, une veuve, ne demande que 65 francs par an. Il faudrait donc que le sous-préfet de Limoux passe avec cette veuve un bail à loyer pour trois ans68. Rien ne peut se faire sans argent, ce qui impose l’ouverture d’un crédit, ce qui est fait dès le printemps 1858 avec la somme de 2 340 francs « pour le service de surveillance du flottage de l’Aude »69. Ainsi, des travaux peuvent être conduits, dont les radeliers et marchands de bois contestent parfois le bien-fondé. La route impériale n° 118 longeant l’Aude, est-ce vraiment le flottage qui est amélioré ou plutôt la protection de la route ? C’est un point qui inquiète Sabatier, le syndic des radeliers, et il n’hésite pas à poser la question à la direction des Ponts et Chaussées à Paris, ce qui lui vaut un retour assez vif des services de la préfecture70. On lui retorque que les fonds alloués à l’entretien de l’Aude sont dépensés « sous la surveillance immédiate du garde-rivière et que les radeliers sont consultés chaque année sur les points défectueux ». Depuis que les travaux ont commencé, « toutes les sommes ont été consacrées à l’enlèvement des rochers et au désengravement des hauts-fonds ». De 1863 à 1865 « une forte excavation » au pied de la route n° 12, près du pont d’Antugnac « a été comblée au moyen d’un enrochement » ; entre 1866 et 1867, la direction du chenal a été redressée entre les points kilométriques 56,3 et 56,4 km de la route impériale n° 118. « Sur la rive droite, on a fait disparaître une pointe de 10 m de longueur et les matériaux ont servi à construire une jetée dans une excavation formée sur la rive opposée. Enfin, un travail d’enrochement s’exécute depuis 1868 près des bains de Campagne, afin de dévier le courant dans le but de faire disparaître un îlot de gravier qui divise la rivière en deux bras ». Ces travaux viennent « après la désobstruction complète des passes, effectuée sur l’indication des radeliers eux-mêmes et par leurs soins ». Il semble que Sabatier, pourtant leur syndic, soit désavoué par ses pairs radeliers : « tous les radeliers, au nombre de onze, ont déclaré, de la manière la plus formelle, ne pas partager l’opinion émise par leur syndic ».

  • 71 S 339 pétition des radeliers, Quillan, 23 janvier 1872.
  • 72 S 339, courrier de l’ingénieur en chef au préfet, 25 juin 1873.
  • 73 Conseil général du département de l’Aude, 1881, p. 182.
  • 74 Conseil général du département de l’Aude, 1889, p. 174.

39Las, ce budget n’est pas pérenne, alors que la dynamique fluviale est continue. Le début des années 1870 signe la disparition des financements de sorte qu’il n’y a plus d’entretien et que » le flottage devient de jour en jour plus difficile et plus pénible » selon les radeliers71. Ils demandent donc que le crédit d’entretien de l’Aude soit renouvelé, au risque que la voie d’eau ne soit plus utilisable. La situation devient critique, ce que confirme le personnel technique des Ponts et Chaussées : l’allocation de 3 000 francs destinée à « ouvrir les passes nécessaires au flottage » a été supprimée en 1871 et réduite à seulement 562 francs en 1872, alors que, cette année-là, des crues violentes remodèlent le lit de l’Aude72. Mais l’affaire est entendue car la voie de chemin de fer prend le pas sur le flottage. La décennie suivante en sonne le glas. En 1880, « aucun projet d’amélioration ayant trait au flottage ne paraît utile, attendu que le transport de bois par radeaux diminue tous les ans d’une manière très sensible depuis la construction du chemin de fer de Carcassonne à Quillan, et qu’il tend à disparaître complètement de jour en jour73 ». Cette année-là, seulement 26 radeaux ont descendu l’Aude, transportant moins de 250 m3 de bois, alors qu’ils étaient encore 82 l’année précédente, pour 823 m3. Paradoxalement, les trois gardes du flottage de la rivière d’Aude existent toujours, puisqu’ils continuent à participer à la surveillance de la pêche. Quelques voyages peuvent pourtant être réalisés. En 1887, six radeaux descendent ensemble 25 tonnes de bois74. L’année suivante, deux voyages de cinq radeaux chacun : l’un en mai de 21 tonnes, l’autre en juin de seulement 17 tonnes. De telles expériences sont vouées à l’échec « car il est impossible de faire les transports à meilleur compte que les chemins de fer ». Le flottage est donc destiné à disparaître complètement et aucun projet d’amélioration de la rivière d’Aude n’est réalisé.

Mettre à l’eau et faire flotter

40Les contraintes à la circulation des radeaux sont donc nombreuses, et réparties sur tout le cours de l’Aude, entre eaux capricieuses et prises d’eau pour les établissements hydrauliques. Quoi qu’il en soit, les radeliers doivent se mettre en action, en prenant le relai des bouviers. Ces derniers ont tiré le bois au bord de l’eau, dans quelques ports : les radeliers le mettent à l’eau en respectant les clauses de travail retenues devant notaire.

Les ports : on y apporte et emporte les bois

  • 75 Les quartiers de la ville médiévale de Castelnaudary sont qualifiés de port, chacun commandé par un (...)

41Les bouviers débardent le bois jusqu’aux rives de l’Aude, d’où les radeliers se chargent de le descendre par flottage. À chaque grand massif forestier correspond un ou quelques lieux privilégiés où le bois est déposé : ce lieu est qualifié de « port » qu’il soit ou non en bordure de l’eau. La chose pourrait étonner, à n’avoir en tête que l’acception actuelle du mot. Quoique : ne parle-t-on pas d’un port USB, par exemple, sur un ordinateur ? En réalité, c’est le sens général de lieu où on porte (le bois) et même plus largement de lieu de passage qu’il faut retenir75.

  • 76 Par exemple : 3 E 13311, acte p. 791 du 13 juin 1773 ; des bois sont à transporter jusqu’au « port (...)
  • 77 3 E 13307, acte f°57v du 30 avril 1747.
  • 78 3 E 13297, acte p. 165 du 1 juin 1749.
  • 79 3 E 13308, acte f°415r du 20 juillet 1749.
  • 80 Par exemple : 3 E 13307, acte f°304v du 29 septembre 1748.
  • 81 Par exemple : 3 E 13305, acte f°313r du 9 juin 1743.
  • 82 3 E 13298, acte du 4 février 1752.
  • 83 3 E 13298, acte du 4 février 1752.

42En effet, certains de ces ports de bois ne sont pas directement en rapport avec la mise à l’eau. À Nébias, la documentation permet de repérer le port de l’Alba et le port de Lespinas, deux dénominations désignant peut-être le même espace76. Là, on dépose les bois dans des champs ou des prés appartenant à des particuliers : « dans un champ qui appartient à Antoine Cuxac77 », « al prat de Mestre Antony78 », « dans le champ de Pelous79 ». Entre Campsaure, hameau de Puivert, et le col de la Babourade, donc au pied des sapinières, se trouve le port de la Peyrière, souvent simplement nommé port de Campsaure80. De la même façon, l’exploitation de certaines forêts du pays de Sault se fait en déposant les bois au « port de l’ostal nau81 ». La forêt des Fanges connaît aussi le « port de l’Artigue del Bayle82 ». Tous ces lieux semblent bien connus des personnes concernées, c’est-à-dire des bouviers qui y conduisent le bois depuis la souche, et qui le reprennent pour le mener en bordure de rivière, dans un autre port, réellement riverain celui-là. En effet, les contrats qui lient ces bouviers aux marchands de bois mentionnent les noms des lieux impliqués, mais ajoutent souvent « port ordinaire et accoutumé83 ».

  • 84 3 E 13297, acte p. 450 du 11 novembre 1750.
  • 85 3 E 7749, acte f°57r du 30 mai 1699.
  • 86 3 E 13297, acte p. 44 du 6 octobre 1748.

43La localisation de certains de ces ports riverains est aisée à établir, au moins approximativement, car ils correspondent à une agglomération. Sont ainsi mentionnés les ports d’Espéraza, Quillan, Belvianes, Saint-Martin et Axat sur l’Aude, le port de Cailla « à portée de la rivière de Rébenty », le port de Sainte-Colombe sur l’Aiguette, celui de Lavagnac sur la Boulzane. Le port d’Aliès correspond à la zone où le ruisseau de La Crémade se jette dans l’Aude, juste au nord d’Axat là où aujourd’hui le pont du même nom enjambe le fleuve pour ouvrir la route du Fenouillèdes. Le bois qui arrive là ne vient pas des forêts de la haute vallée, mais a été voituré depuis celle de la Boulzane, à partir de Puilaurens84. Plus délicat est le positionnement du port de la Pierre-Lys, quelque part dans les gorges du même nom : on y a descendu du bois de la forêt de Quirbajou85. Peut-être s’agit-il simplement de celui de Saint-Martin parfois appelé « port de Saint-Martin la Pierre-Lys86 ».

  • 87 3 E 13312, acte p. 389 du 8 avril 1776.
  • 88 3 E 13308, acte f°40v du 13 juin 1751.
  • 89 3 E 7749, acte f°131r du 8 juillet 1701.

44D’autres ports sont mentionnés, dont le positionnement nécessite réflexion en recoupant les informations apportées par les contrats de descente de bois. Il s’agit d’un véritable puzzle par lequel les ports sont indirectement situés les uns relativement aux autres. Le cas de celui de Rouseilles en donne un bon exemple. Un contrat indique explicitement qu’il se situe sur l’Aiguette puisqu’il concerne 300 rouls de sapin à prendre au « port de Rousilhas sur l’Aiguette » et à mener jusqu’au port de Quillan87. On déduit aussi qu’il se situe en aval de celui de Sainte-Colombe, puisque des radeliers seront payés 150 livres lorsque le bois de Sainte-Colombe y sera rendu88. Le port de Roquefort, mentionné une seule fois dans notre collection de plus d’un demi-millier d’actes de notaires de Quillan au XVIIIe siècle, est-il sur l’Aiguette ou sur un de ses affluents de rive gauche, justement du côté de la communauté de Roquefort ? Je ne sais, mais ce sont bien deux habitants de Counozouls, en rive droite, qui s’engagent à y tirer 120 sapins89.

  • 90 3 E 7395, acte p. 221 du 13 janvier 1774.
  • 91 3 E 13316, acte f°21v du 25 avril 1785.
  • 92 3 E 13306, acte f°237r du 15 juin 1746.

45Le port de Grivière est sur l’Aude : François Lajou, de Roquefort, s’engage à voiturer des sapins « à la rivière d’Aude au port dit den Grivière » pour de là « être lancé à l’eau90 ». Ce port est en amont de la confluence avec l’Aiguette, comme le prouve ce contrat très détaillé par lequel dix radeliers d’Axat doivent descendre des centaines de pièces de bois jusqu’à Quillan. Parmi elles, 290 sont à prendre au port de Sainte-Colombe sur l’Aiguette. Une fois rendues à la confluence avec l’Aude, « ils laisseront lesdites pièces dans l’Aiguette pour aller prendre celles du port de Grivière et les réunir à celles venant de Sainte-Colombe91 ». Je ne peux situer plus précisément Grivière, si ce n’est en précisant que ce port doit être voisin de Gesse puisque les bois issus de ces deux ports sont payés au même prix, par exemple 17 sols par pièce dans ce contrat liant un radelier d’Espéraza et cinq de Belvianes à Étienne Bertrand, marchand de bois de Quillan92. Le même contrat permet de positionner un peu en aval le port de Sabarat, le tarif étant seulement de 14 sols, conclusion renforcée par la clause fixant le nombre d’hommes : au moins dix à Grivière, alors que quinze sont requis à partir de Sabarat.

  • 93 3 E 13313, acte p. 644 du 13 juin 1779.
  • 94 3 E 13312, acte p. 210 du 30 avril 1775.
  • 95 3 E 13311, acte p. 635 du 17 mai 1772.
  • 96 3 E 13316, acte f°21v du 25 avril 1785.
  • 97 3 E 13312, acte p. 210 du 30 avril 1775.

46Le puzzle n’est pas toujours facile à assembler. Ainsi de la pièce qu’est le port de Sabrac. Il semblerait que la chose soit simple, à lire ce contrat précisant que dix hommes sont nécessaires pour mener le bois en bord d’eau, mais seize quand il sera dans l’Aiguette. Après un premier paiement de 300 livres à la mise à l’eau du bois, un quart de la somme restante est payé lors de son passage à Rouseilles, puis encore un quart à Sabrac93. On est donc en aval de Rouseilles, mais rien ne dit, en toute rigueur, que la confluence avec l’Aude n’est pas atteinte. Même ambiguïté lorqu’il s’agit de descendre 500 rouls de sapin qui sont au port de Sainte-Colombe à partir du 20 mai et de continuer sans s’interrompre, en prenant en passant la centaine qui attend au port de Sabrac94. Cet autre contrat qui prévoit un paiement par cinquième laisse le lecteur avec le même doute : à la mise à l’eau, au passage à Rouseilles, à Sabrac, à la Pierre-Lys et enfin lorsque tout le bois est rangé à Quillan95. La solution vient de la découverte d’un autre contrat, très complexe, le bois provenant à la fois de plusieurs ports sur l’Aude et sur l’Aiguette96. Les modalités de paiement sont différentes selon l’origine des bois : il y a 740 pièces au port de Grivière, qui seront payées d’un quart du prix lorsqu’elles rejoindront celles de l’Aude et atteindront Sabrac. Ce port est donc situé en aval de la confluence entre Aude et Aiguette. Mais rien ne dit pour autant qu’il est en amont d’Axat ! Continuons donc ce petit jeu dont on atteint vite les limites. Ce port est bien en amont de la Pierre-Lys, puisqu’on vient de voir que le paiement pour le passage à la Pierre-Lys intervient après celui de Sabrac. Mais aucun contrat ne met en relation Axat et Sabrac. Mobiliser les montants unitaires permet-il de sortir de l’impasse ? À 8 sols par roul entre Sainte-Colombe et Quillan, les 6 sols offerts depuis Sabrac ramènent bien aux trois-quarts du chemin, donc quelque part un peu au-dessus d’Axat, pour autant que cette péréquation ait du sens97.

47En réalité, il semble bien que ce mystérieux port de Sabrac, également orthographié Sabras, Sabran et même Subras, soit celui de Sabarat, effectivement situé entre la confluence Aude-Aiguette et Axat, au débouché du vallon de Resclause par lequel est descendu le bois de la forêt du même nom.

  • 98 3 E 7749, acte f°34v du 21 mai 1700
  • 99 3 E 13300, acte du 18 novembre 1758 ; 3 E 13291, acte f°231v du 3 juillet 1712.
  • 100 3 E 13301, acte du 18 octobre 1761 ; on y tire du bois de la forêt d’En Malo.
  • 101 3 E 13312, acte p. 521 du 10 décembre 1776
  • 102 3 E 13295, acte du 6 mai 1735.
  • 103 3 E 13303, acte du 4 août 1771.
  • 104 3 E 13295, acte du 8 septembre 1735.

48À ces ports régulièrement mentionnés, s’ajoutent quelques autres pour lequels les informations manquent. Le « port de Quinier » n’apparaît qu’une fois, lorsque Jean Pierre Bousquet doit y tirer du bois de la forêt de Navarre98. Où est-ce ? Peut-être même pas en bord d’Aude. La question et l’hypothèse sont les mêmes pour le port « dupy de la raou » ou « pi de laraou », qui n’a que ces deux occurrences, où arrivent des bois des forêts de Navarre et de Lescarrassou99. Quant au « port du marquis d’Axat en bord d’Aude100 » et au « port de Rébenty101 », où faudrait-il les situer le long de ces cours d’eau, si ce n’est au « lieu accoutumé » que les radeliers du XVIIIe siècle connaissaient ? Pour finir, signalons que certains lieux, faisant manifestement fonction de port, n’en ont pas le qualificatif. À Sainte-Colombe, des radeliers doivent prendre des bois à « la Font del martes vis-à-vis du moulin à farine102 », alors que du bois de la forêt de Gesse est à lancer dans l’Aude « commodément aux endroits appelés La coume d’en forest, le grand canal103 » et même plus simplement « aux canals de Gesse104 ».

  • 105 3 E 13311, acte p. 635 du 17 mai 1772.
  • 106 3 E 13306, acte f°237r du 15 juin 1746.

49Chaque port riverain est le débouché d’une voie de descente du bois en bord d’Aude. Mais il n’est donc pas toujours aisé de savoir quel est le débouché de chaque forêt ou, réciproquement, l’espace fournissant le bois arrivant à chaque port. Un premier facteur de confusion est l’usage par le notaire, certainement sous la dictée du marchand, du nom du propriétaire de la forêt plutôt que celui de la forêt elle-même. Ainsi, lorsqu’une dizaine de radeliers s’associent pour descendre le bois que leur confie deux marchands de Quillan, ce bois a été abattu dans les forêts de Mme de Poulpry et dans celles de M. de Roquefort et doit être pris aux ports de Sainte-Colombe, de Grivière et du Sabran105. Et que penser des bois « provenant des forêts du roi106 » ?

50Dans de tels cas, il faudrait maîtriser la géographie de la propriété pour tenter de relier forêts et ports. Parfois, heureusement, la coupe provient d’une forêt clairement identifiée… mais alors le port ne l’est pas forcément car il s’agit là du « port accoutumé », l’expression révélant toute la force du lien. La situation idéale est représentée, par exemple, par ce contrat portant sur « 918 pièces de sapin des forêts de Roquefort et des Gravas à prendre au port de Grivière ». On peut alors renseigner le tableau des liens entre forêts et ports, sans espoir qu’il soit complet (fig. 7).

Fig. 7

Fig. 7

Les ports sur l’Aude et ses affluents, en haute vallée.

© é. Fabre

  • 107 Ainsi se comprend la disposition des chemins forestiers qui, depuis la forêt de Bélesta, débouchent (...)
  • 108 AD Ariège, 2 B 30, f°577r-577v.
  • 109 AD Ariège, 2 B 30, f°598v.

51Tous ces bois arrivent au port de Quillan, où ils se joignent à ceux qui, par traînage, arrivent de l’est : forêts du pays de Sault occidental (forêt de Callong, du Camelier, etc.), Puivert, Rivel et même pour partie de Bélesta107. Selon la théorie posée en 1669 lors de la réformation des forêts, la zone d’approvisionnement du port de Quillan irait jusqu’au très lointain col de Pailhères. Avant même d’y arriver, depuis les forêts de Montaillou et Prades « la traîne est longue y ayant toute la plaine de Sault qui est de trois lieux à passer pour venir au port de Quillan sur la rivière d’Aude qui est le seul endroit par où ce bois se peut débiter108 ». Alors que l’on est dans le bassin versant de l’Ariège, dans les vallons remontant vers les cols de la Chioula, du Pradel et de Pailhères, les triages de « Coste Nègre autrement Serre Nègre, et Étang Rébenty » relèvent de la maîtrise de Quillan, « dans le ressort de laquelle lesdites forêts demeureront enclavées à cause que le bois lesdites forêts ne peut être débité que par le pays de Sault et port de Quillan », les autres triages et forêts du consulat d’Ax dépendent de celle de Pamiers109.

52Le port de Quillan a donc une importance majeure, car il concentre les bois issus d’une vaste zone s’étendant des hauteurs d’Ax-les-Thermes jusqu’à la haute vallée de l’Aude, et même un peu au-delà vers l’orient puisque nous avons vu que certaines pièces sont sorties de la Boulzane pour être mise dans l’Aude au pont d’Aliès juste en aval d’Axat. À ce rôle fonctionnel se superpose un rôle administratif. Ce n’est pas le but de cet article que de faire un historique de l’administration du port de Quillan, organiquement lié à celui de la Maîtrise. Signalons quand même quelques faits qui réfèrent directement à la question du transport du bois.

  • 110 FRUHAUF, 1986.
  • 111 DESCADEILLAS, 1964, p. 4.
  • 112 DEVÈZE, 1962.
  • 113 WAQUET, 1978, p. 206. Bien que certaines parties du royaume échappent à l’administration des maîtri (...)
  • 114 BARTOLI, 2011, p. 39 ; POUBLANC, 2015, p. 412.
  • 115 FRUHAUF, 1990.
  • 116 SAILLY (de), 1897.
  • 117 SAILLY (de), 1897.
  • 118 FOURIÉ, 2002.
  • 119 AC 304 / 1 D 3, 17 juin 1839.
  • 120 3 E 13306, acte f°223r du 2 mai 1746.

53S’il existe en Quillanais un règlement d’exploitation forestière depuis 1561, avec paiement de droits au passage du port110, cela n’est pas pour autant le gage d’une gestion en bon père de famille. Deux siècles plus tard, en effet, Basville ne se plaignait-il pas que « le Languedoc ne refermât plus guère de bois propre à la marine et que la maîtrise de Quillan en particulier eût été épuisée »111 ? Froidour arrive à Quillan à l’automne 1669 où « siégeait depuis fort longtemps - plusieurs siècle- un bureau forestier qui prélevait un droit de passe sur les arbres descendant de l’Aude : c’est sans doute à Quillan que les bois flottés étaient mis en radeau ou débités », sans pour autant empêcher ou limiter les abus112. En cohérence avec ce qui se fait ailleurs dans le royaume113, Froidour réorganise le bureau de Quillan et en fait la maîtrise de Quillan inaugurée le 4 novembre 1671. En récompense de tous ses services, il obtient l’office de grand maître des Eaux-et-Forêts du Languedoc, recréé pour lui en 1673. Froidour institue une lettre de voiture pour la circulation des radeaux, lettre indiquant la provenance du bois, et rend obligatoire le passage par le port de Quillan114. C’est là que les officiers devaient vérifier tous les bois qui descendaient par l’Aude115. Ces officiers ont, en théorie, beaucoup de pouvoir, disposant même d’une prison116. En théorie seulement, car en pratique la collusion avec les marchands de bois est bien trop forte pour que la gestion à long terme de la forêt n’en pâtisse pas, quand ils ne sont pas eux-même marchands de bois ! Il est bien difficile de parcourir la montagne mais « la visite des bois déposés au port de Quillan n’est ni pénible ni impossible […] on peut la faire en bonnet de nuit, robe de chambre et pantoufles117 ». D’un point de vue topographique le port se situait à l’entrée de la ville, sur la rive droite face à l’île Courtade avant d’être transféré sur la grande plage, toujours rive droite, après le pont de la route de Limoux, pour bénéficier de plus vastes espaces118. Le ruisseau de Thury délimite la partie aval du port dans les années 1830, puisqu’une délibération du Conseil municipal nous apprend qu’il se jette dans l’Aude « vers la partie inférieure du port119 ». Il ne faudrait toutefois pas penser que cet espace aux fonctions administratives de contrôle constitue l’ensemble de ce qu’on peut appeler le port de Quillan. En effet, les marchands peuvent disposer en propre d’espaces voisins de l’Aude. Ainsi, Pierre Pinet, marchand de Quillan vend-il à Hugues Goiran Parizot, avocat au parlement, « un sol servant de port120 ». Avec seulement 6 coups de surface, cet espace est de petite taille. Les confronts permettent de le situer sur la rive gauche de l’Aude, puisqu’il est limité à l’ouest par le chemin de Brenac. On est donc juste en face du port officiel, où s’effectuent les contrôles. Et d’autres marchands disposent d’emplacements dans le voisinage, puisque le port vendu par Pinet confronte le « magasin » d’Espesel.

Des bûches perdues aux radeaux

54C’est sur le port de Quillan que les pièces de bois flottées à bûches perdues sont assemblées en radeau. Ces radeaux sont singulièrement rares dans la documentation élémentaire consultée, celle que les historiens qualifient d’actes de la pratique. Autant les registres des notaires de Quillan sont riches de contrats de descente de bois jusqu’au port du lieu depuis les divers ports, autant il est difficile de trouver dans ces folios d’accord concernant la descente en radeau en aval de Quillan. Et pourtant, c’est bien de radeau dont parlent la plupart des historiens et érudits qui ont écrit sur le flottage sur l’Aude, certains donnant même force détail sur leur constitution.

Les clauses des contrats de flottage à bûches perdues

  • 121 AD Ariège, 2 B 30, f°136v-137r.
  • 122 AD Ariège, 2 B 30, f°466v-467v.
  • 123 3 E 3404, acte f°173r du 7 juillet 1733.
  • 124 S 339, règlement du 1 mai 1857.

55Un lot de pièces de bois descendues ensemble par flottage constitue une menade, mot dérivant du verbe occitan « menar » signifiant « conduire », « mener ». Ainsi, les actes utilisent-ils à la fois le verbe « conduire », et son substantif « conduite », et le nom « menade ». À Quirbajou, le baron de Pibrac, seigneur du lieu fait exploiter vers 1670 les 700 arpents de bon sapin du bois de La Serre par des « coupes continuelles […] tant de bois à bâtir que de bois de chauffage qu’il débite par menade par le moyen de la rivière d’Aude qui est au-dessous121 ». Dans le même temps, la forêt des Fanges produit surtout du « bois de menade qui se débite par la rivière d’Aude qui se trouve commodément au pied de ladite forêt122 ». Une menade est donc un lot de pièces de bois conduites ensemble, indépendamment de leur nombre. Bernard Pelofy, garde des forêts du roi à la maîtrise de Quillan basé à Camurac, déclare que, passant à Gesse en revenant de Roquefort, « il vit une menade de rouls de sapin » près du moulin à scie de Gesse, environ 150 pièces non martelées ni du marteau du roi, ni de celui du fermier du moulin123. Le règlement du flottage de 1857 explicite la synonymie entre « convois ou menades » dans son article 8, en en limitant la taille à 600 pièces et en imposant un homme pour 50 pièces ; il précise aussi que ces menades doivent arriver au lieu de mise en radeau en un mois maximum124.

56À chaque menade un contrat. Les clauses des contrats de flottage à bûches perdues sont essentiellement de deux natures : les modalités du travail à effectuer et celles du paiement, correspondant bien logiquement aux engagements respectifs des deux parties en présence. Le travail des flotteurs ne peut débuter avant que les bouviers n’aient conduits les bois à pied d’œuvre : ainsi, les contrats présentent-ils aussi des clauses chronologiques.

  • 125 3 E 7395, acte p. 449 du 22 février 1775.
  • 126 3 E 7393, acte p. 61 du 7 septembre 1763.
  • 127 3 E 7391, acte p. 404 du 21 janvier 1754.

57La fin juillet est le terme que s’engage à respecter un bouvier de Quirbajou vis-à-vis de Jean-Baptiste Siau, négociant en bois d’Espéraza. Les bois doivent être prélevés « là où les bûcherons les auront façonnés » dans les forêts de Gesse tant du roi que du chapitre de Saint-Paul, et conduits au bord de l’Aude « au port des radeliers125 ». Un peu plus à l’est, un marchand impose une date bien plus précoce pour le débardage du bois de la forêt de Camps jusqu’aux rives de l’Agly, puisque tout doit être terminé au premier jour d’avril126. On peut imaginer qu’il s’agit de s’adapter aux conditions du milieu : le bassin versant est bien plus petit que celui de l’Aude, et plus méditerranéen, ce qui limite grandement le flux d’eau estival. Nul autre choix que de bénéficier des pluies de printemps typiques du climat méditerranéen. Le terme moyen est illustré par le cas du bûcheron Marc Marcerou, de Saint-Martin, qui s’engage pour Michel Rouan à façonner et conduire 15 piles de hêtre à faire dans la forêt des Fanges jusqu’en bord d’Aude, piles qui doivent être « prêtes à être jetées à l’eau » à la saint Jean-Baptiste127.

  • 128 3 E 13307, acte f°275v du 21 juin 1748.
  • 129 3 E 7386, acte p. 371 du 16 août 1740.

58Une fois sur la rive, le bois peut être pris en main par les flotteurs qui en assurent la descente à bûches perdues bien que, parfois, il est explicitement demandé de ne pas attendre la fin de ce premier déplacement. Par exemple : « si tout le bois n’est pas au port ledit jour, [les flotteurs] le mettront à l’eau au fur et à mesure qu’il arrivera128 ». En effet, pourquoi attendre qu’une étape soit entièrement achevée pour débuter la suivante, surtout lorsqu’il y a beaucoup de pièces à manipuler ? D’autant que l’exemple de Marc Marcerou montre que la distinction n’est pas absolue entre bouvier et flotteur car il devra lui-même mettre les bois à l’eau lorsqu’il en sera requis. Elle l’est d’autant moins que l’axatois Charles Quenel, pourtant qualifié de bouvier, doit lui-même conduire 200 pièces de hêtre « depuis le port du lieu de Cailla » jusqu’au moulin de Caderonne à Espéraza, soit un trajet d’une vingtaine de kilomètres. Aurait-on des doutes sur les moyens de transport mis en œuvre que le détail de l’acte les lèverait. En effet, ce « bouvier » touchera une partie de l’argent lorsque les bois seront mis à l’eau, cette mise à l’eau devant s’effectuer immédiatement, le marchand possédant « le long de l’Aude » d’autres bois que Charles Quenel doit prendre en charge129.

  • 130 3 E 13306, acte f°237r du 15 juin 1746.
  • 131 3 E 13307, acte f°273v du 16 juin 1748.
  • 132 3 E 13305, acte f°325r du 3 août 1743.

59Le marchand de bois impose une date de mise à l’eau, mais ne peut toujours exiger que le port de Quillan soit atteint à une date précise, car la vitesse de progression dépend du niveau des eaux. Le travail ne doit pas être interrompu sauf en cas de « crue d’eau » mais il faut alors recommencer dès que « l’inondation aura passée130 ». Bien sûr, un délai maximal est souvent fixé, ce même Charles Quenel devant avoir terminé « dans un mois ». Mais la vitesse dépend aussi du nombre d’hommes qui travaillent, et les marchands de bois prennent la précaution d’imposer un nombre minimal d’ouvriers. Cette clause permet de voir que certains des radeliers ne sont pas directement partie prenante du contrat les liant au donneur d’ordre. Je ne sais pas comment ces travailleurs supplémentaires sont alors recrutés, ni quel est leur statut vis-à-vis du marchand de bois puisqu’ils ne lui sont pas directement liés. Ils sont par exemple six, d’Espéraza et d’Axat, à s’engager collectivement auprès de Guillaume Pinet, mais celui-ci impose « au moins dix hommes » au départ de Sainte-Colombe131. Ce nombre d’homme minimal peut ensuite s’accroître vers l’aval, au fur et à mesure que du bois est collecté sur les rives et mis à l’eau. Ainsi, le contrat précédent prévoit-il cinq hommes supplémentaires lorsque le bois descendu par l’Aiguette rejoindra celui arrivant par l’Aude. Autre exemple : les huit hommes de Belvianes, Campagne, Quillan, Axat et Espéraza signataires de la convention avec deux chanoines du chapître de la collégiale de Saint-Paul-de-Fenouillet pour descendre 1 240 pièces de bois des forêts de Campagna et de Gesse devront rapidement trouver quatre personnes de plus « pour commencer », et encore six supplémentaires entre Gesse et Quillan132.

  • 133 Comme je l’ai déjà expliqué, ce sont ces mentions de lieux de paiements successifs qui permettent d (...)
  • 134 3 E 13305, acte f°325r du 3 août 1743

60Au prix d’un travail continu avec le nombre d’hommes demandé, les bois descendent et les flotteurs sont payés lorsqu’ils atteignent ou franchissent certains lieux repères qui, pour la plupart, sont des ports133. Pour la plupart seulement, car d’autres sont des marqueurs géographiques, telles que les gorges de Pierre-Lys ou Cap de Bouc, un rocher dont la forme rappelerait la tête de cet animal. Un acompte est le plus souvent payé à la signature. Le reste est échelonné et l’on reconnaît, de contrat en contrat, les divers ports rythmant les berges de l’Aiguette et de l’Aude. Le dernier paiement correspond le plus souvent à la sortie de l’eau et au rangement des pièces de bois sur le port de Quillan. Parfois, il suffit que le bois soit seulement prêt à être rangé. Illustrons cela avec le dernier contrat mentionné : il en coûtera 1 750 livres au chapitre de Saint-Paul-de-Fenouillet pour conduire les 1 240 pièces de bois à Quillan, somme payée en cinq termes égaux de 250 livres (à la mise à l’eau, puis le long du parcours : lorsque tout le bois sera arrivé à la Sauviguiere ; lorsque le dernier bout sera passé à Cap de Bouc ; lorsque tout sera à Axat ; lorsque tout sera dans la Pierre-Lys), les 500 livres restantes correspondant au dernier paiement lorsque tout le travail sera fini134. Ici, aucun acompte : les religieux ne sont guère généreux ! D’autant moins que, en cas de retard, le chapitre menace de faire travailler par d’autres ouvriers aux dépens des huit personnes initialement engagées.

  • 135 3 E 13307, acte f°273v du 16 juin 1748.
  • 136 3 E 13307, acte f°275v du 21 juin 1748.
  • 137 3 E 13308, acte f°514v du 6 avril 1750.

61Pourtant, certains retards ne sont pas imputables aux ouvriers. Outre les conditions météorologiques qui facilitent ou compliquent le flottage, il faut compter sur l’encombrement des routes, ou plutôt de la route unique que constitue la voie d’eau ! En effet, plusieurs marchands peuvent engager des hommes, avec des calendriers très voisins voire identiques, car la période à l’hydrologie propice est bien courte. Les contrats ne mentionnent jamais explicitement ces situations, un marchand ne faisant pas référence aux descentes opérées par ses collègues. En revanche, il n’est pas rare que les flotteurs doivent gérer plusieurs menades d’un même marchand, et celui-ci indique alors qu’il ne faut pas les mélanger. Pourquoi donc ? Aucun argument n’est jamais présenté, mais on peut imaginer plusieurs hypothèses. Il peut s’agir de bois de natures différentes, par exemple de hêtre et de sapin, aux usages différents et qu’il serait donc ridicule de mélanger pour devoir les séparer ensuite. Le but du marchand étant de revendre le bois qu’il fait descendre à Quillan, les menades correspondent peut-être à des commandes ou du moins à des lots de commandes du même type. Ainsi, nature et devenir des bois doivent-ils expliquer les clauses particulières imposées aux flotteurs. Dans un certain contrat, Guillaume Pinet indique que le bois descendant par l’Aiguette « pourra être joint à la menade ou conduit séparément » de celui flottant sur l’Aude135. La diversité des situations est parfaitement illustrée dans ce contrat par lequel Étienne Bertrand demande à sept radeliers de descendre 918 pièces de sapin et 50 de hêtre avec interdiction d’y mêler du bois étranger, à moins que ce ne soit celui appartenant « au sieur son frère136 ». Ces affaires doivent se traiter en famille chez le marchand de bois… Autre exemple : Guillaume Pinet, qui a acheté du bois sur pied à Castanier d’Auriac, embauche Pierre Goize pour le voiturer par eau sur l’Aude. Il lui est interdit de mêler à ce bois d’autres bois sauf des « débris provenant de ses forêts quoique vendus à un adjudicataire137 ». Ici encore les bois peuvent se mélanger à condition qu’ils appartiennent au même propriétaire, même si la formulation empêche de comprendre qui est ce propriétaire, le seigneur Castanier d’Auriac qui possède la forêt ou Pinet marchand de bois.

  • 138 Mais s’ajoutent parfois des rames de hêtre dont le prix modique du transport montre la petite taill (...)
  • 139 Les majouriers sont « majeurs » en taille, alors que les bâtardes, par leur taille intermédiaire, r (...)
  • 140 3 E 13313, acte p. 470 du 25 juillet 1779.
  • 141 Par dérivation du verbe latin « recipere » (recevoir), on obtient aussi bien un bois de recette qu’ (...)
  • 142 Par exemple : 28 s pour les majouriers et bâtardes, 12 s pour les cimades (3 E 13312, acte p. 58 du (...)

62Le prix total dépend de la distance à parcourir et du type de pièces à faire flotter, donc de la difficulté de l’opération. Les pièces peuvent être séparées en deux grands ensembles : les « pièces longues » et les « rouls138 ». Ces derniers, ou rouleaux, sont des billes de bois d’environ deux à trois mètres de long alors que les premières, comme leur nom l’indique se caractérisent par leur longueur. Longueur certes, mais aussi diamètre car les deux dimensions sont liées dans la géométrie du tronc. Les notaires distinguent les majouriers, les bâtardes et les cimades, des plus longues et grosses aux plus petites139. Les prix sont parfois identiques pour les deux premières catégories, parfois différents, alors que les bois sont pris en charge au même endroit, sans que je puisse en affirmer la raison. On trouve par exemple, dans un même contrat, deux majouriers de sept cannes à 6 L/pièce, six bâtardes de six cannes à 3 L/pièce, alors que les 223 « bâtardes ou majouriers ordinaires » sont au même prix de 3 L/pièce140. Les deux premiers types ne sont donc pas ordinaires : en quoi diffèrent-ils ? La longueur de toute évidence, puisque l’acte la mentionne explicitement. Ce caractère singulier apparaît aussi dans les effectifs, puisqu’il n’y a que quelques grandes pièces à comparer aux pièces ordinaires. Des nuances concernant la longueur des pièces peuvent être introduites dans le contrat qui qualifie alors les pièces de « longue » ou de « recette ». Les premières sont plus longues que les secondes qui sont la norme, la qualité attendue : elles peuvent donc être acceptées, reçues141. Les cimades, correspondant aux extrémités exploitables des fûts, donc de plus petit diamètre, semblent être payées entre un tiers et la moitié des autres pièces142. Les bois longs sont toujours de sapin alors que les rouls sont aussi de hêtre. Il ne semble pas qu’il y ait de différence de prix entre les rouls des deux essences ; ils sont payés comme les cimades.

Assembler à Quillan

  • 143 Par exemple : 3 E 13305, acte f°325r du 3 août 1743.
  • 144 3 E 7749, acte f°57r du 30 mai 1699.
  • 145 3 E 7748, acte f°35r du 21 avril 1697. Mais aussi : 3 E 7748, acte f°43v du 5 mai 1698.
  • 146 3 E 13314, acte f°789r du 6 décembre 1784.

63Les bois longs sont assemblés à Quillan pour former des radeaux. Est-ce pour préparer la mise en radeau que certains contrats, rares il est vrai, imposent aux flotteurs d’écorcer les pièces de bois et de les trouer à leur extrémité143 ? Le mot radeau est porteur d’ambiguïté. S’il désigne en aval de Quillan une embarcation flottant sur l’Aude formée par assemblage de bois longs, il peut aussi être utilisé au sens de volume de bois avant même d’atteindre ce port. Lorsque Guilhaume Baux s’engage auprès du marchand Jean Pierre Pinet à conduire « 20 radeaux et demi bastardes bois sapin » qu’il a dans la forêt de Quirbajou au port de la Pierre-Lys avant la Notre Dame d’août, il ne peut s’agir que de pièces disjointes puisque les bois sont tirés du cœur de la forêt jusque sur la rive de l’Aude144. D’ailleurs, Baux s’oblige « à tirer » deux radeaux par semaine. Le radeau est ici unité de volume. La situation est exactement la même lorsque le même marchand paie trois personnes du Clat pour conduire 13 radeaux de bastardes de sapin, de la forêt du lieu au port d’Axat145. En effet, une équivalence entre contenu et contenant est établie, équivalence que tente de formaliser l’ordonnance du Grand maître des Eaux-et-Forêts du 27 août 1763. Cette dernière fixe le prix de la conduite et détermine aussi la quantité de bois longs et planches qui doivent composer chaque radeau. Exécutée durant quelques années seulement, les radeliers et les marchands s’entendent ensuite pour augmenter les prix, mais décident aussi que « les radeaux seraient composés toutes les fois que les eaux le permettraient d’une plus forte quantité de bois ». Soit deux majouriers ou bâtardes de plus par radeau avec vingt charges de planches146.

  • 147 ABBÉ, 2009, p. 68-69.
  • 148 JALABERT, 2009, p. 266, note 19 p. 267.
  • 149 On retiendra en particulier : FOURIÉ, 1977, 2002. Dans ce second article, la confusion est récurren (...)
  • 150 Les droits de gruerie perçus par le roi sur les radeaux sont affermés : en 1769, c’est un perruquie (...)

64À ce stade de l’analyse, je dois en souligner une importante lacune : alors que l’intégralité de la documentation notariale de Quillan, Espéraza et Couiza a été entièrement dépouillée entre la fin du XVIIe siècle et 1789, aucun acte de construction et de flottage de radeau n’a été découvert. Cette situation contraste fortement avec la grande abondance des contrats de descente de bois à bûches perdues depuis les hautes vallées de l’Aiguette et de l’Aude jusqu’à Quillan. Il faut donc en déduire que c’est quelque part en aval que les contrats de radelage prennent le relai des contrats de flottage à bûches perdues. Bien sûr, je pense à Limoux mais, dans l’état actuel des recherches, l’abondant notariat de cette grande ville n’a pas été dépouillé, ni même seulement échantillonné. Et qu’en est-il d’Alet ? Nulle réponse n’est possible pour l’instant à cette question. Jean-Loup Abbé souligne l’importance de la place marchande de Limoux aux XIIIe-XVe siècles pour divers objets dont le bois, importance marquée dans la toponymie urbaine montrant une « place de la fuste » et une « rue de la Carrasserie près de l’église Saint-Martin, avec perception d’un droit de péage qui fait l’objet d’accords entre les carrassiers et les marchands de bois des villes voisines »147. Dans le même temps, l’archevêque de Narbonne possède un droit de leude sur les troncs descendant l’Aude en radeau à partir de Quillan et ceux qui atteignent Canet (Aude) paient un denier148. Quant aux nombreux détails que fournit Jean Fourié, auteur le plus prolifique sur le sujet, on remarquera qu’on ne sait d’où ils proviennent, les sources n’étant que trop rarement citées149. Cette question est donc laissée de côté, en attendant l’analyse de la documentation limouxine et alétienne, ainsi que celle des droits afférents, aussi bien ceux du roi dans l’Ancien Régime que ceux que voudrait prélever la communauté de Quillan150.

  • 151 Par exemple : dans un contrat de descente de rouls de hêtre à prendre entre Couiza et Limoux et à c (...)
  • 152 S 339, courrier du bureau de navigation et des ports du ministère des travaux publics au préfet, 10 (...)
  • 153 S 345, courrier de Marie Bals au préfet, 20 octobre 1862.
  • 154 S 345, courrier de Monneret et Delmas au préfet, 9 octobre 1872.

65Quoi qu’il en soit, les radeaux formés par l’assemblage de bois longs portent des planches, c’est-à-dire le produit du sciage de rouls. Le flottage à bûches perdues est interdit en aval de Quillan, interdiction renouvelée et formalisée par le règlement du 1er mai 1857 qui a été exposé supra. Pourtant, tout le bois n’est pas destiné à être transformé en planche et ne peut donc trouver à se loger sur les radeaux. C’est en particulier le cas du bois de chauffage, surtout des bûches de hêtre151. Ainsi, si « le flottage à bûches perdues ne se fait qu’exceptionnellement en aval de Quillan » au milieu du XIXe siècle152, il est censé disparaître totalement sous l’effet du règlement de 1857. En amont, en revanche, il perdure encore quelques années. L’attestent les dommages causés à un jardin de Belvianes en 1862 « par des pièces de bois d’une menade » conduite par un nombre insuffisant d’hommes153. Mais la pratique se raréfie très rapidement puisque Monneret et Delmas, « seuls propriétaires aujourd’hui [en 1852] de toutes les usines de Belvianes », affirment ne pouvoir se permettre de reconstruire le pertuis pour le mettre à la dimension requise par ordonnance de 1828. En effet, « l’agrandissement du pertuis n’a pu être ordonné qu’en vue de faciliter la navigation » alors que « le flottage à bûches perdues, fort en usage autrefois, a été abandonné ; la voie de terre étant de beaucoup préférée pour les transports154 ».

Passer le bois de l’Aude au Canal

  • 155 Archives nationales, F/14/1216, rapport du 11 ventôse an 7. Sans mentionner aucune source, Claude M (...)
  • 156 Archives Voies navigables de France, liasse 147, pièce 31, décembre 1787.
  • 157 3 E 13300, acte du 4 décembre 1757.
  • 158 3 E 13305, acte f°75r du 29 août 1741.

66Ce sont donc des bois longs assemblés en radeaux, éventuellement chargés de planches, qui descendent le cours de l’Aude à partir de Quillan. Pourtant, la partie la plus en aval du fleuve est partiellement délestée de ce trafic : des radeaux sont basculés dans le Canal royal au niveau de Trèbes ou dans celui de la Robine de Narbonne à l’écluse de Moussoulens155. Le manque d’étude fine empêche de cerner précisément ces transferts car la grande affaire commerciale du canal est bien dans les grains. Un « Mémoire sur le commerce de la ville d’Agde », de la fin de l’Ancien Régime rappelle bien que la ville est le débouché du canal sur la mer et que les grains sont « l’objet principal et le plus habituel de l’exportation qui se fait par le port d’Agde », grains provenant des environs de Toulouse et de Castelnaudary156. Le bois n’est jamais mentionné : le commerce est d’abord celui des grains, puis celui des vins et eaux-de-vie. Pourtant, les relations commerciales sont bien attestées, concernant le bois de la haute vallée de l’Aude. Au milieu du XVIIIe siècle, trois négociants en bois de Quillan et Espéraza donnent procuration pour traiter avec les héritiers de feu Pradines pour le capital qu’il leur devait et les frais du procès qu’ils ont gagné contre lui : ce Pradines était marchand à Agde157. Un bouvier de Montmija promet devant notaire « la façon de 100 arbres » pour Jean Julian également négociant d’Agde158.

  • 159 3 E 7387, acte p. 530 du 2 octobre 1742.
  • 160 En réalité une partie des bois peut être chargée sur des bateaux, puisque le tarif arrêté en Consei (...)
  • 161 3 E 13308, acte f°447r du 7 octobre 1749.
  • 162 3 E 7386, acte p. 139 du 9 septembre 1739.

67Trèbes est donc le lieu d’une manutention qui doit être malaisée. Pourquoi Trèbes ? Certainement car c’est là que canal et Aude sont les plus proches. En plus, la pente de la rivière s’atténue en même temps que le lit s’élargit, réduisant d’autant la tranche d’eau : la capacité de portage des flots fluviaux en est diminuée. Aussi ne faut-il pas s’étonner que le transbordement donne lieu à contractualisation. Lorsque Bertrand Belloc s’engage pour six années auprès de 20 marchands de bois d’Espéraza « de verser, conduire et traîner depuis la rivière d’Aude au-dessus ou au-dessous de l’écluse basse de Villedubert dans le canal royal audit lieu tous et chacun les radeaux que lesdits sieurs marchands de bois conduiront audit port de la rivière pour verser dans ledit canal », la constitution des radeaux est précisée pour éviter toute contestation. Il doit aussi transférer « la cargaison […] de chacun desdits radeaux sur le terrier dudit canal et au bord d’icelui à l’endroit le plus commode pour le charger sur les radeaux qui seront construits de nouveau dans ledit canal159 ». Donc on démonte les radeaux, on tire les pièces de bois long et on transporte les chargements, avant de reconstruire les radeaux et de les recharger160. Les rames utilisées pour guider les radeaux pendant la descente sur l’Aude sont réutilisées, et sont donc remontées vers la haute vallée. Un particulier de Trèbes doit ainsi recevoir les rames des radeliers travaillant pour un certain marchand, en tenir la comptabilité (« les coucher par ordre sur un registre qu’il tiendra pour cet effet »). Ce travail est à faire « à mesure qu’il y aura de quoi charger une charrette » puis d’en assurer la voiture jusqu’à Limoux où réside ce marchand161. Cette récupération des rames est également attestée par un autre contrat de transbordement des radeaux de l’Aude au canal, les deux adjudicataires devant aussi ramener gratuitement les rames du bord des eaux jusqu’au village de Trèbes162.

  • 163 3 E 7386, acte p. 293 du 21 février 1740.

68Aussi proches que soient l’Aude et le canal, il y a bien un espace de terre à traverser, espace qui suscite des convoitises. Non pas tant le terrain en lui-même, mais l’opportunité de prélever un droit sur une activité économique qui s’y déroule. Ainsi, un ensemble de radeliers représentant leurs collègues et autres marchands de bois d’Espéraza sont en contestation avec les héritiers de Jacques d’Alquier « au sujet d’un droit de 5 sols ou une planche (…) prétendu par lesdits héritiers sur tous les radeaux qui sont versés » de l’Aude dans le canal163.

  • 164 Archives Voies navigables de France, liasse 475, pièce 40, 1 juillet 1698.

69Il faudrait donc mettre en communication directe, par une écluse, les deux voies d’eau. L’idée est ancienne, puisqu’un tel projet est présenté à Riquet dès la fin du XVIIe siècle bien que, on l’a vu, rien ne s’est encore passé un demi-siècle plus tard… pas plus qu’il ne se passera quoi que ce soit ultérieurement (fig. 8). Un certain Gauthier, de Carcassonne propose la construction d’une écluse de communication, juste en aval de celle de Villedubert « à l’usage des mâts et autres bois que le roi peut faire descendre par la rivière d’Aude et de ceux des marchands pour les faire entrer dans le Canal royal, où ils doivent être voiturés, pour aller d’un côté et d’autre des deux mers164 ». Pour passer les bois, l’écluse n’a pas besoin d’une grande largeur (seulement 2 toises) alors que 16 à 18 toises sont nécessaires en longueur. L’auteur analyse les niveaux relatifs du Canal et de l’Aude et conclut que la chose est possible, les eaux de l’Aude se déversant dans celles du Canal par le jeu de l’écluse. Qu’il y ait une période de basses eaux dans l’Aude n’est pas un inconvénient car alors la descente des radeaux s’interrompt. Le système permettrait en outre d’apporter de l’eau au Canal ce qui n’est pas un mince avantage pour un système hydraulique essentiellement alimenté par la Rigole descendant du réservoir des Cammazes. Comme souvent dans l’Ancien Régime, celui qui avance le projet se propose de le réaliser à ses frais et de se rembourser en prélevant un droit.

Fig. 8

Fig. 8

Projet d’écluse entre l’Aude et le canal royal, 1698.

© Archives Voies navigables de France, 475-41

  • 165 AC 397 / 1 D 5, délibération du 25 mai 1856.

70Pourquoi cette communication n’a-t-elle jamais été créée ? Je ne le sais et ne peux proposer d’hypothèse valable. Quoi qu’il en soit, au milieu du XIXe siècle, alors que le flottage sur l’Aude vit ses dernières années, l’administration du Canal fait construire un « embarcadaire pour recevoir les bois qui arrivent de Quillan » par l’Aude. L’emplacement choisi, aux Baux, « est l’endroit où la rivière d’Aude se rapproche le plus dudit canal ». Pour y accéder, il faudrait que le chemin soit vicinal afin que son entretien soit assuré par la commune de Trèbes, ce que refuse le conseil municipal165. À cette occasion, ressurgit l’idée que l’on puisse basculer directement les bois de l’Aude au Canal en créant une prise d’eau dans le fleuve, ce qui permettrait de « supprimer l’embarcadaire du Baux et d’introduire les bois de Quillan dans le canal par la rigole prise d’eau ».

Conclusion

71Ce travail n’a pas la prétention de traiter entièrement du sujet proposé. Certains aspects sont imparfaitement traités, d’autres totalement laissés de côté. Le dessin de la géographie de l’approvisionnement des ports n’est que sommaire ; on ne sait pas toujours quel port reçoit le bois de quelle forêt. On est là bien en amont de la voie d’eau. Un travail de localisation reste à conduire, peut-être par le jeu de la toponymie. Mais l’expérience conduite en haute vallée, à Sainte-Colombe, ne rend pas optimiste le chercheur : aucune des personnes ressources contactées par le jeu de la mairie n’a pu me renseigner sur la localisation du port situé entre le village et la confluence Aiguette-Aude. On constate, là comme ailleurs, une disparition de la mémoire des noms et des lieux dans un appauvrissement généralisé de la micro-toponymie vivante ou survivante. Ce sont donc des sources historiques telles que cadastres et compoix qu’il faut envisager de mobiliser. Quoi qu’il en soit, les aménagements riverains sont rien ou peu de chose, et plus d’un siècle de crues remaniant les berges rend illusoire toute recherche de quelconques vestiges matériels.

72Il y a tant d’autres aspects qui sont restés totalement dans l’ombre avec, en premier lieu, la nature exacte et la destination de ces bois. Ces hommes qui descendent les bois sont aux ordres de marchands qui les embauchent : on imagine aisément que les relations ne sont pas toujours cordiales et que des tensions peuvent exister, en particulier pour les tarifs pratiqués. Il s’en suit que les radeliers s’organisent en syndicat dont les notaires livrent la trace. Organisation et conflits restent à étudier. Je viens d’utiliser le mot de radelier, sans en être satisfait car on a vu que la documentation mobilisée n’en montre jamais, ces « radeliers » étant en réalité des flotteurs de bois à bûches perdues. Mais peut-être s’agit-il des mêmes hommes ? Un flotteur assure-t-il le montage des radeaux dont il a assumé la descente du bois à bûches perdues jusqu’à Quillan avant de prendre les commandes du radeau pour aller à Limoux et plus bas encore ? La question est entièrement ouverte. Tout aussi ouverte est celle de leur position sociale : qui sont-ils dans la cité ? Des pauvres parmi les pauvres contraints à une pratique dangereuse ? Leur espérance de vie est-elle diminuée ? Les registres de catholicité permettraient peut-être de rechercher quelques accidents mortels. On ne sait rien, non plus, de leur éventuelle formation et de leur entrée dans le métier, pour autant qu’on puisse qualifier de métier une activité saisonnière dans un monde de pluriactivité généralisée. Autre chose : l’activité des radeliers, liée à l’eau, leur donne un statut particulier de marin lors de l’appel sous les armes, singularité qui mériterait quelques développements que l’état actuel de la recherche ne permet de fournir.

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Notes

1 ALIX et ÉPAUD, 2013.

2 Le prix du bois augmente partout, puisqu’il double entre 1721 et 1779 (DEVÈZE, 1964), mais il peut localement rester faible si la ressource est abondante et ne peut être exportée par défaut de viabilité (TISSERAND, 2018, p. 101). En Béarn, le prix du bois augmente durant le XVIIIe siècle, mais ce prix est fonction des réserves de bois, de la facilité des transports et de la présence d’une ville consommatrice, de telle sorte que « la hausse globale s’accompagnait d’une très grande diversité régionale » (DESPLAT, 1992, p. 219).

Sans parler des surcoûts liés au stockage qui génère un commerce en flux tendu (BERNARD, ÉPAUD et LE DIGOL, 2007) et au transport, parfois à très longue distance ; par exemple, pour la marine espagnole, entre la forêt des Asturies et l’arsenal, le prix est multiplié par 60 (TORRENTE, 1999).

3 POUBLANC, 2015, p. 153. La présence du bois est privilégiée sur celle de la silice, comme le montre le cas de l’installation d’ateliers sur le causse de L’Hortus dans l’arrière-pays de Montpellier alors qu’on y remonte des galets de silex (RIOLS, 1992). La concession d’ateliers métallurgiques s’accompagne de la concession de bois (CANTELAUBE, 2005 ; BAILLY-MAÎTRE et GARDEL (dir.), 2007, p. 121).

4 L’énorme besoin de l’industrie textile carcassonnaise est assouvi par le bois du diocèse d’Alet, descendu sur l’Aude (CAZALS et BLANC, 2001 ; MARQUIÉ, 2019).

5 CHEVRIER, 2007 ; BERTIER, 2007.

6 DURAND-SENDRAIL, 2018, p. 173 ; FABRE, 2021.

7 Par exemple : LAGARDÈRE, 2012, p. 11, 64 ; GARNIER, 2004, p. 414 (le bois des Vosges est voituré jusqu’à la Seine qui le conduit à Rouen) ; ORTOLANI, 2006 ; PICHARD, 1999, p. 276.

8 Archives nationales. F/14/1216. Rapport du 11 ventôse an 7.

9 PARDÉ, 1933

10 Ces hautes eaux d’hiver expliquent qu’on retrouve à Saint-Martin, au niveau du moulin du Rébenty, le corps d’un enfant de 8 ans qui s’était noyé plusieurs jours auparavant au Clat (AD Aude. AC 358 / 1 D 1. Le Clat, délibération du 24 février 1811). La majorité des sources primaires provenant des Archives départementales de l’Aude, le dépôt d’archives n’est dorénavant précisé que s’il est différent.

11 LARGUIER, 2018.

12 LARGUIER, 2020.

13 Archives nationales, F/14/1216, visite de la rivière en vendémiaire an 7.

14 Archives nationales, F/14/1216, visite de la rivière en vendémiaire an 7.

15 S 339, rapport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, 21 octobre 1840.

16 S 339, rapport de l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, 7 juillet 1840.

17 S 339, rapport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, 21 octobre 1840.

18 TAMBON, 2007, p. 46 ; BUFFAULT, 1904 [2007], p. 13.

19 AC 129 / 1 D 20, délibération du 12 mai 1830.

20 AC 129 / 1 D 21, délibération du 16 mai 1841. Outre ce mur, des travaux ont aussi dévié le ruisseau de Ravanel, et son débouché dans l’Aude a été déplacé, perturbant là encore la continuité du cheminement le long du fleuve (AC 129 / 1 D 20, délibération du 19 mai 1839).

21 AC 397 / 1 D 5, délibération du 25 mai 1856.

22 S 339, règlement du 1er mai 1857.

23 S 339, pétition des radeliers du 23 janvier 1872.

24 Belvianes, sur l’Aude, 1909, Archives départementales de l’Aude, 3U3/303.

25 Puivert, sur le Blau, 1832, Archives départementales de l’Aude, S442.

26 Puivert, sur le Blau, 1832, Archives départementales de l’Aude, S442.

27 Gesse, sur l’Aude, 1874, Archives départementales de l’Aude, 3U3/289.

28 S 345, courrier du 15 janvier 1867.

29 S 345, rapport de l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, 26 juillet 1867.

30 3 U 3 / 298, 11 mai 1895.

31 3 U 3 / 298, 18 janvier 1896.

32 AD Ariège. 7 S 431, 10 mars 1831.

33 AD Ariège. 7 S 425, 20 septembre 1859.

34 Archives nationales. F/14/6075, dossier Blau.

35 Archives nationales. F/14/6075.

36 S 345, courrier de Delmas père et fils au préfet, 28 septembre 1868.

37 LAGARDA, 1999, p. 189. « Les barrages de prise d’eau d’alors n’étaient pas comme ceux d’aujourd’hui. Une douzaine de pièces de châtaigniers une sur l’autre, maintenues par deux petites murailles de part et d’autre ».

38 Archives nationales, F/14/1216, 11 ventôse an 7.

39 S 339, rapport de l’ingénieur ordinaire, Limoux, 22 avril 1869.

40 CANTELAUBE, 2005, p. 110.

41 3 U 3 / 290, 15 février 1876.

42 S 339, pétition adressée au préfet, 14 octobre 1836.

43 S 339, courrier du syndic des radeliers au préfet, 14 mars 1869.

44 S 339.

45 S 339, courrier du directeur général des Ponts et Chaussées au préfet, 16 décembre 1869.

46 AC 63 / 1 D 2, délibération du 31 janvier 1845.

47 S 339.

48 Archives nationales, F/14/6529, dossier n° 15, rapport du conducteur des Ponts et Chaussées, 12 mars 1857.

49 S 339, rapport de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, 13 novembre 1832.

50 S 339, courrier du 19 août 1863.

51 S 339, courrier du syndic des radeliers de Quillan et Espéraza au préfet, novembre 1862.

52 S 339.

53 S 339, courrier des marchands de bois et radeliers au préfet, Quillan, 22 mai 1868.

54 S 339, courrier des marchands de bois et radeliers au préfet, Quillan, 22 mai 1868.

55 S 339, courrier du conservateur des forêts au préfet, 5 novembre 1840.

56 S 339, courrier du conservateur des forêts au préfet, 29 juin 1846.

57 S 339, courrier du conservateur des forêts au préfet, 20 novembre 1846.

58 S 339, courrier de Gabarrou, marchand de bois à Quillan, au préfet, 3 octobre 1842.

59 S 339, extrait d’une délibération du conseil général de l’Hérault, 16 germinal an 9.

60 Conseil général du département de l’Aude, 1874, p. 50.

61 S 339, courrier du sous-préfet de Limoux au préfet, 29 décembre 1840.

62 S 339, courrier du conservateur des forêts au préfet, 10 août 1841.

63 S 339, courrier du sous-préfet de Limoux au préfet, 29 décembre 1840.

64 S 339, courrier du sous-préfet de Limoux au préfet, 22 novembre 1845.

65 S 339, extrait de délibération de la commune d’Alet, 11 mai 1845.

66 S 339, courriers de l’ingénieur en chef du département au préfet, automne 1856.

67 AC 129 / 1 D 21, délibération du conseil municipal d’Espéraza, 30 mars 1845.

68 S 339, courrier de l’ingénieur en chef au préfet, 26 avril 1858.

69 S 339, courrier du directeur général des Ponts et Chaussées et des chemins de fer, au préfet, 19 avril 1858.

70 S 339, courrier du directeur général des Ponts et Chaussées au préfet, 16 décembre 1869.

71 S 339 pétition des radeliers, Quillan, 23 janvier 1872.

72 S 339, courrier de l’ingénieur en chef au préfet, 25 juin 1873.

73 Conseil général du département de l’Aude, 1881, p. 182.

74 Conseil général du département de l’Aude, 1889, p. 174.

75 Les quartiers de la ville médiévale de Castelnaudary sont qualifiés de port, chacun commandé par une porte (LOPPE, 2010, p. 28 ; MARANDET, 2021, p. 118) ; on sait aussi que de nombreux cols pyrénéens sont des ports, tels que le Port du Rat, le Port de Bouet, le Port de Venasque, etc. (EYGUN, 2013, p. 90).

76 Par exemple : 3 E 13311, acte p. 791 du 13 juin 1773 ; des bois sont à transporter jusqu’au « port de l’espinas ou l’alba à Nébias » (3 E 13307, acte f°65v du 11 mai 1747).

77 3 E 13307, acte f°57v du 30 avril 1747.

78 3 E 13297, acte p. 165 du 1 juin 1749.

79 3 E 13308, acte f°415r du 20 juillet 1749.

80 Par exemple : 3 E 13307, acte f°304v du 29 septembre 1748.

81 Par exemple : 3 E 13305, acte f°313r du 9 juin 1743.

82 3 E 13298, acte du 4 février 1752.

83 3 E 13298, acte du 4 février 1752.

84 3 E 13297, acte p. 450 du 11 novembre 1750.

85 3 E 7749, acte f°57r du 30 mai 1699.

86 3 E 13297, acte p. 44 du 6 octobre 1748.

87 3 E 13312, acte p. 389 du 8 avril 1776.

88 3 E 13308, acte f°40v du 13 juin 1751.

89 3 E 7749, acte f°131r du 8 juillet 1701.

90 3 E 7395, acte p. 221 du 13 janvier 1774.

91 3 E 13316, acte f°21v du 25 avril 1785.

92 3 E 13306, acte f°237r du 15 juin 1746.

93 3 E 13313, acte p. 644 du 13 juin 1779.

94 3 E 13312, acte p. 210 du 30 avril 1775.

95 3 E 13311, acte p. 635 du 17 mai 1772.

96 3 E 13316, acte f°21v du 25 avril 1785.

97 3 E 13312, acte p. 210 du 30 avril 1775.

98 3 E 7749, acte f°34v du 21 mai 1700

99 3 E 13300, acte du 18 novembre 1758 ; 3 E 13291, acte f°231v du 3 juillet 1712.

100 3 E 13301, acte du 18 octobre 1761 ; on y tire du bois de la forêt d’En Malo.

101 3 E 13312, acte p. 521 du 10 décembre 1776

102 3 E 13295, acte du 6 mai 1735.

103 3 E 13303, acte du 4 août 1771.

104 3 E 13295, acte du 8 septembre 1735.

105 3 E 13311, acte p. 635 du 17 mai 1772.

106 3 E 13306, acte f°237r du 15 juin 1746.

107 Ainsi se comprend la disposition des chemins forestiers qui, depuis la forêt de Bélesta, débouchent vers le col de la Babourade, entre Rivel et Puivert. Encore au début du XIXe siècle, le duc de La Rochefoucauld, qui en est propriétaire, doit s’accorder avec Monsieur de Puivert dont il dépend pour l’évacuation de son bois, devant traverser ses forêts.

108 AD Ariège, 2 B 30, f°577r-577v.

109 AD Ariège, 2 B 30, f°598v.

110 FRUHAUF, 1986.

111 DESCADEILLAS, 1964, p. 4.

112 DEVÈZE, 1962.

113 WAQUET, 1978, p. 206. Bien que certaines parties du royaume échappent à l’administration des maîtrises et grandes maîtrises : le Roussillon ne dépendait que de l’intendant (comme la Corse), alors que, après 1773, l’administration des Eaux-et-Forêts de Provence dépendait des États de la province (p. 215).

114 BARTOLI, 2011, p. 39 ; POUBLANC, 2015, p. 412.

115 FRUHAUF, 1990.

116 SAILLY (de), 1897.

117 SAILLY (de), 1897.

118 FOURIÉ, 2002.

119 AC 304 / 1 D 3, 17 juin 1839.

120 3 E 13306, acte f°223r du 2 mai 1746.

121 AD Ariège, 2 B 30, f°136v-137r.

122 AD Ariège, 2 B 30, f°466v-467v.

123 3 E 3404, acte f°173r du 7 juillet 1733.

124 S 339, règlement du 1 mai 1857.

125 3 E 7395, acte p. 449 du 22 février 1775.

126 3 E 7393, acte p. 61 du 7 septembre 1763.

127 3 E 7391, acte p. 404 du 21 janvier 1754.

128 3 E 13307, acte f°275v du 21 juin 1748.

129 3 E 7386, acte p. 371 du 16 août 1740.

130 3 E 13306, acte f°237r du 15 juin 1746.

131 3 E 13307, acte f°273v du 16 juin 1748.

132 3 E 13305, acte f°325r du 3 août 1743.

133 Comme je l’ai déjà expliqué, ce sont ces mentions de lieux de paiements successifs qui permettent de repérer les ports en recoupant au maximum les informations, en particulier pour en connaître les positions relatives.

134 3 E 13305, acte f°325r du 3 août 1743

135 3 E 13307, acte f°273v du 16 juin 1748.

136 3 E 13307, acte f°275v du 21 juin 1748.

137 3 E 13308, acte f°514v du 6 avril 1750.

138 Mais s’ajoutent parfois des rames de hêtre dont le prix modique du transport montre la petite taille (par exemple : 3 E 7387, acte p. 102 du 28 mai 1741), rames à ne pas confondre avec les avirons de sapin servant à manœuvrer les radeaux (AD Ariège, 2 B 30, f°50v-51r).

139 Les majouriers sont « majeurs » en taille, alors que les bâtardes, par leur taille intermédiaire, répondent à la définition d’une « chose concrète ou abstraite qui est intermédiaire entre deux genres différents » (REY (dir.), 1992, article « Bâtard, arde »).

140 3 E 13313, acte p. 470 du 25 juillet 1779.

141 Par dérivation du verbe latin « recipere » (recevoir), on obtient aussi bien un bois de recette qu’une recette de cuisine dans laquelle on suit les indications reçues (REY (dir.), 1992, article « Recette »).

142 Par exemple : 28 s pour les majouriers et bâtardes, 12 s pour les cimades (3 E 13312, acte p. 58 du 6 août 1774) ; 40 s pour les majouriers et bâtardes, mais seulement 14 s pour les cimades (3 E 13311, acte p. 316 du 14 janvier 1770).

143 Par exemple : 3 E 13305, acte f°325r du 3 août 1743.

144 3 E 7749, acte f°57r du 30 mai 1699.

145 3 E 7748, acte f°35r du 21 avril 1697. Mais aussi : 3 E 7748, acte f°43v du 5 mai 1698.

146 3 E 13314, acte f°789r du 6 décembre 1784.

147 ABBÉ, 2009, p. 68-69.

148 JALABERT, 2009, p. 266, note 19 p. 267.

149 On retiendra en particulier : FOURIÉ, 1977, 2002. Dans ce second article, la confusion est récurrente entre le flottage à bûches perdues et par radeau, l’auteur utilisant le même mot de radelier pour désigner les conducteurs de ces convois. En outre, le texte est sans aucune note de bas de page, alors que d’autres articles de cette revue en comportent.

150 Les droits de gruerie perçus par le roi sur les radeaux sont affermés : en 1769, c’est un perruquier du lieu qui les prélève (3 E 13303, acte du 31 octobre 1769). En 1844, le conseil municipal voudrait établir une taxe sur les radeaux qui se construisent dans le port (S 339, courrier du sous-préfet de Limoux au préfet, 26 décembre 1844).

151 Par exemple : dans un contrat de descente de rouls de hêtre à prendre entre Couiza et Limoux et à conduire jusqu’à Carcassonne où ils doivent être tirés sur le gravier au-dessous du pont, les preneurs du contrat doivent prévenir les commanditaires dès la fin du travail « pour que ceux-ci puissent les faire retirer de suite pour en empêcher la perte » en cas de montée des eaux (3 E 13312, acte p. 245 du 20 juin 1775).

152 S 339, courrier du bureau de navigation et des ports du ministère des travaux publics au préfet, 10 août 1852.

153 S 345, courrier de Marie Bals au préfet, 20 octobre 1862.

154 S 345, courrier de Monneret et Delmas au préfet, 9 octobre 1872.

155 Archives nationales, F/14/1216, rapport du 11 ventôse an 7. Sans mentionner aucune source, Claude Marquié affirme que, sur le millier de radeaux qui partent annuellement de Quillan vers 1830, la moitié est débitée entre Quillan et Trèbes, le quart entre Trèbes et Fleury et le quart restant passe par le canal du Midi (MARQUIÉ, 2009, p. 173). Cette documentation provient en réalité de S 339.

156 Archives Voies navigables de France, liasse 147, pièce 31, décembre 1787.

157 3 E 13300, acte du 4 décembre 1757.

158 3 E 13305, acte f°75r du 29 août 1741.

159 3 E 7387, acte p. 530 du 2 octobre 1742.

160 En réalité une partie des bois peut être chargée sur des bateaux, puisque le tarif arrêté en Conseil du roi le 27 septembre 1684, et rappelé dans les années 1720, prévoit que les bois de construction soient taxés de deux façons différentes « par rapport aux deux différentes façons dont on peut les voiturer sur le Canal ». Toute marchandise paie 6 d/quintal/lieue en barque, alors que « le tarif est fait en détail suivant [les] qualités et dimensions » des pièces de bois conduites en radeau (Archives Voies navigables de France, liasse 160, pièce 44). Par exemple, de Trèbes aux étangs, c’est-à-dire à Agde ou Sète : 14 s pour un majourier et 2 L 9 s pour un gros mât de galère (Archives Voies navigables de France, liasse 160, pièce 46).

161 3 E 13308, acte f°447r du 7 octobre 1749.

162 3 E 7386, acte p. 139 du 9 septembre 1739.

163 3 E 7386, acte p. 293 du 21 février 1740.

164 Archives Voies navigables de France, liasse 475, pièce 40, 1 juillet 1698.

165 AC 397 / 1 D 5, délibération du 25 mai 1856.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1
Légende Le cours de l’Aude (carte du XVIIIe siècle).
Crédits © Archives Voies navigables de France, 502-17
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Titre Fig. 2
Légende Les obstacles au flottage des bois sous la Révolution d’après la visite de l’an 7 (AN F/14/1216).
Crédits V. Marill © Inventaire général Région Occitanie
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Fichier image/jpeg, 572k
Titre Fig. 3
Légende Quelques types de barrages de prise d’eau.
Crédits © Archives départementales de l’Aude
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/11504/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 270k
Titre Fig. 4
Légende Le pertuis du moulin de Sournies, à Limoux, situé sous une voûte (1899).
Crédits © Archives départementales de l’Aude, 3 U 3 / 300
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Fichier image/jpeg, 488k
Titre Fig. 5
Légende Un puits en saillie sur l’Aude à Limoux (1876).
Crédits © Archives départementales de l’Aude, S 339
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/11504/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 491k
Titre Fig. 6
Légende Le règlement du flottage de 1857.
Crédits © Archives départementales de l’Aude, S 339
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/11504/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 871k
Titre Fig. 7
Légende Les ports sur l’Aude et ses affluents, en haute vallée.
Crédits © é. Fabre
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/11504/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 128k
Titre Fig. 8
Légende Projet d’écluse entre l’Aude et le canal royal, 1698.
Crédits © Archives Voies navigables de France, 475-41
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/docannexe/image/11504/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 723k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Éric Fabre, « Le flottage sur l’Aude et le commerce du bois de la haute vallée (XVIIIe-XIXe siècle) »Patrimoines du Sud [En ligne], 17 | 2023, mis en ligne le 01 mars 2023, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pds/11504 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pds.11504

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Auteur

Éric Fabre

Maître de Conférences Habilité à Diriger des Recherches, Aix-Marseille Université
eric.fabre[at]univ-amu.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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