Je ne vois qu’une issue à cette fuite en avant du patrimoine saisi par chaque citoyen, chaque collectivité [...] l’avenir démocratique est à un wiki-inventaire. Ce serait une excellente initiative car rien n’est plus utile au citoyen que de connaître sa maison. Aucun outil n’est plus pédagogique que l’inventaire de son patrimoine1.
1Michel Melot, directeur du service de l’Inventaire général de 1996 à 2003, évoque ainsi l’une des évolutions récentes des missions d’inventaire dans son essai Mirabilia, publié en 2012.
2À l’image de la Région Bretagne, cheffe de file des démarches participatives en matière d’inventaire du patrimoine, de nombreux territoires se sont depuis une quinzaine d’année initiés à cette pratique. Si les colloques, articles ou retours d’expérience évoquent fréquemment la question de l’action citoyenne dans le domaine du patrimoine, on constate l’absence d’une méthodologie commune d’inventaire participatif contrairement à celle éditée par le ministère de la Culture sur la monographie d’architecture ou l’inventaire topographique.
- 2 Le PETR et la chargée d’inventaire remercient l’ensemble des contributeurs pour leurs participation (...)
- 3 - Le Pôle d’Équilibre Territorial Rural Garrigues et Costières de Nîmes est situé au sud du départe (...)
3En septembre 2019, dans une perspective d’animation territoriale par l’inventaire du patrimoine et ce notamment grâce à la mise en place d’un recensement participatif2, un poste de chargé d’inventaire conventionné entre la Région Occitanie et le PETR Garrigues et Costières de Nîmes3 a été ouvert.
4Cet article est l’occasion de prendre du recul sur la méthodologie adoptée et de la partager avec d’autres territoires intéressés. Elle s’est inspirée de l’étude non exhaustive des opérations existantes (annexe 1 : état des lieux des initiatives participatives en France). Cette étude sera mobilisée au long du développement pour interroger leurs pratiques communes mais également plurielles, les enjeux qui les animent et les difficultés rencontrées. Le recensement participatif du patrimoine prend place, au PETR Garrigues et Costières de Nîmes, aux côtés d’une approche topographique et thématique de connaissance du territoire permettant d’interroger les liens pouvant exister entre participation et Inventaire général du patrimoine.
- 4 - Ces répertoires sont à distinguer des casiers archéologiques qui n’apparaissent qu’après la secon (...)
5Au début du XIXe siècle les premières volontés d’établir un catalogue des monuments français sont étroitement liées au développement du réseau d’érudits. L’institution par Guizot du comité des Arts et des monuments, le 18 décembre 1837, charge les sociétés savantes et les commissions archéologiques départementales de dresser ces statistiques des monuments en publiant des méthodes pour les enquêteurs. L’État se charge de centraliser les questionnaires et d’en publier certains dans des répertoires archéologiques4.
- 5 - Les casiers archéologiques sont regroupés en série D/1996/25 et consultables à la médiathèque de (...)
6À la veille de la Grande Guerre, les tentatives d’inventaire entreprises qui reposaient principalement sur l’implication des érudits locaux, n’ont cependant donné qu’un résultat très inégal. En 1944, la création du Service du recensement des monuments anciens de la France confie le travail à des délégués sous le contrôle des architectes en chef des monuments historiques. En Occitanie, Pierre-Roger Hyvert (1901-1988) ingénieur centralien et passionné d’histoire et d’archéologie, œuvre à établir les fiches qui constituent le casier archéologique5 entre 1945 et 1965.
7La création de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France en 1964 s’accompagne également d’une dimension bénévole en faveur du recensement du patrimoine. André Chastel prévoit ainsi que l’inventaire réhabilite les académies régionales et les sociétés savantes en effectuant un repérage en commun préalable à chaque étude. Cette volonté se traduit par l’organisation de pré-inventaires bénévoles qui ont pour objet de « préparer, par une première investigation, le travail de l’inventaire proprement dit6 ». Une commission nationale établit alors les normes et des commissions départementales organisent les enquêtes en encadrant les chercheurs volontaires. Associations, sociétés savantes, étudiants et érudits locaux renseignent dans cette perspective des fiches et photographient les œuvres repérées.
8Les opérations bénévoles disparaissent progressivement après l’instauration du pré-inventaire normalisé en 1970 qui s’accompagne dans la décennie suivante d’une professionnalisation du service et de l’expansion des commissions régionales estompant de ce fait les souhaits d’André Chastel de sensibilisation du public à l’inventaire du patrimoine.
- 7 - Article 12 de la convention de Faro adoptée le 27 octobre 2005.
9La dimension participative dans le domaine patrimonial se manifeste de nouveau à l’aube du XXIe siècle dans la politique européenne par la convention de Faro adoptée en 2005. Elle traduit cette volonté partagée par les États-membres « [d’]encourager chacun à participer au processus d’identification, d’étude, d’interprétation, de protection, de conservation et de présentation du patrimoine culturel7 ». Les termes de protection ou de conservation font majoritairement écho aux services de l’État et aux services déconcentrés par l’attribution de labels, de zones de sauvegarde, ou de protection au titre des monuments historiques. L’identification, l’étude et la présentation du patrimoine rejoignent en revanche davantage les missions de recensement, de recherche et de valorisation du patrimoine de l’Inventaire général.
10Depuis le transfert de compétences de l’Inventaire général aux Régions en 2004, les initiatives participatives se multiplient amplifiant ainsi l’héritage de participations citoyennes dans ce domaine.
- 8 - Services Régionaux d’Inventaire.
11On constate dans un premier temps que les expérimentations recensées entre 2007 et 2022 se répartissent aléatoirement sur le territoire (ex-Languedoc-Roussillon, Bretagne, Ile-de-France, Rhône-Alpes…) et sont à l’initiative de différents services (Parcs Naturels, SRI8, laboratoires de recherche universitaire, Pays d’Art et d’Histoire, Département…). Elles font, pour certaines, appel à des cabinets d’étude spécialisés pour leur réalisation ou au ministère de la Culture pour la centralisation des données comme pour l’inventaire des orgues. Le recensement des constructions en pisé illustre parfaitement ce portage collectif des opérations participatives en associant le laboratoires CRAterre et EVS, le musée des Confluences, le SRI-Rhône-Alpes et l’association du patrimoine Aurhalpin.
12La délimitation du patrimoine à inventorier ne fait pas consensus. Si certaines démarches arborent une vision élargie de la notion allant du bâti au mobilier en passant par l’immatériel ou les paysages, d’autres ont une entrée thématique comme l’inventaire participatif expérimental de Cergy-Pontoise qui ne concerne que le patrimoine urbain. Si ces opérations s’adressent généralement à un public associatif, à des habitants ou à des élus locaux ; l’identification de ces participants, contributeurs ou enquêteurs diffère entre une sélection sur dossiers de candidature suivie d’un choix par les services organisateurs, des propositions par les municipalités ou encore une inscription libre.
13On dénombre parmi les outils proposés pour collecter les données : des questionnaires à imprimer s’accompagnant de notices explicatives, des portails cartographiques, des comptes Instagram de collecte, des formations aux méthodes et à l’observation in-situ ou encore des ateliers. Certains sont mis à disposition des publics en autonomie à l’image de l’(en)quête de patrimoine développée par le département de la Seine-Saint-Denis qui invite les habitants à photographier et localiser les signatures de maîtres d’œuvre présentes sur les façades.
14Malgré des différences d’application, les opérations se rejoignent au niveau de leurs enjeux. Depuis la décentralisation, les services régionaux d’inventaire sont devenus le support d’une politique publique territoriale cherchant à la fois à apporter des connaissances aux secteurs voisins de l’aménagement du territoire et du tourisme mais aussi à impliquer les populations et à intéresser les publics.
15Les opérations bénévoles illustrent dans un premier temps cette volonté de liens plus étroits avec les acteurs locaux. La réalisation d’un inventaire participatif chercherait ainsi à regrouper les repérages préexistants tout en réalisant une animation territoriale dans le domaine du patrimoine. Les coordinateurs des opérations permettent aux acteurs de partager leurs connaissances en créant un cadre méthodologique et scientifique commun.
- 9 - HEINICH, 2009. Le processus de patrimonialisation correspond au passage d’un objet utilitaire à l (...)
16La seconde ambition consiste à favoriser le processus de patrimonialisation. Nathalie Heinich évoque dans La fabrique du patrimoine le rôle des chercheurs de l’inventaire dans la mise en patrimoine9. La participation des acteurs dès les phases d’identification et de documentation entame ce dialogue autour de la reconnaissance des édifices, des objets ou des pratiques comme patrimoine. Même si la définition de l’objet du recensement est majoritairement descendante dans les diverses expérimentations observées, l’initiative du PNR Loire-Anjou se distingue en laissant la liberté aux acteurs de proposer « une thématique porteuse de sens pour le territoire concerné ».
17Les services expérimentateurs évoquent enfin fréquemment la réappropriation du patrimoine par les usagers dans l’espoir d’éveiller les consciences aux enjeux de sauvegarde et de transmission de cet héritage collectif. Dans cette perspective, certaines démarches participatives s’inscrivent dans les révisions des documents d’urbanisme pour associer les habitants aux réflexions sur la conservation et la restauration.
18Devant l’existence de plusieurs recensements aux formats variés (mémoires orales, notes manuscrites, livrets imprimés, cartographies…), le PETR s’est orienté vers une opération participative pour regrouper les données dans un modèle commun et les compléter ensuite par des travaux de recherche. Le lien étroit avec les acteurs locaux, avait également pour ambition d’orienter les études d’inventaire vers des thématiques porteuses de sens pour le territoire. D’un point de vue pratique, la mise en place de l’opération s’est inspirée des démarches similaires.
19La première étape pour initier le recensement a été d’identifier le public concerné. Nous avons pour cela pris contact avec les associations du patrimoine et les mairies : membres d’associations du patrimoine, habitants passionnés ou élus délégués à la culture sont les profils les plus courants. Une réunion publique de lancement de l’opération a été organisée à l’automne 2019 pour annoncer la volonté de co-construire l’inventaire.
20Parallèlement à la constitution du réseau d’acteurs, une attention particulière a été portée sur la définition de l’objet du recensement. Le PETR a adopté une terminologie élargie du patrimoine (bâti, mobilier, immatériel, naturel, archéologique) pour répondre à la commande institutionnelle locale.
21La création d’outils accessibles au grand public a été l’étape la plus longue, entre octobre et décembre 2019. Après avoir envisagé un format papier, le PETR a opté pour un outil libre associant une cartographie (fig. 1) à un formulaire de saisie, outil personnalisé aux fins de ses objectifs.
Fig. 1
Capture d’écran du portail de saisie du recensement participatif du patrimoine
A. Bourges © PETR Garrigues et Costière de Nîmes
22Deux outils complémentaires ont été créés à destination des enquêteurs pour faciliter le repérage in situ : fiche de recensement (annexe 2 : fiche de recensement) et mémo-méthode (annexe 3 : mémo-méthode).
23Outre l’aspect technique, ce développement a nécessité une adaptation des systèmes descriptifs de l’inventaire de façon à les rendre plus accessibles. La dénomination « presbytère » a été par exemple déplacée de « l’architecture domestique » à « l’architecture religieuse ». Les noms des grandes catégories d’œuvres ont été remplacés par des groupes verbaux, « l’architecture agricole » devenant « exploiter la terre » ; et certaines ont été créées à partir d’un regroupement d’éléments comme « domestiquer le vent et l’eau ».
- 10 - Ces fiches complétées sont celles comprenant le nom du patrimoine, sa description, sa photographi (...)
24La cartographie a été ouverte aux contributions en janvier 2020. Les acteurs de trois communes se sont saisis de manière autonome des outils après avoir assisté aux deux temps de formation proposés en janvier et février 2020 (fig. 2). Des visites sur place (fig. 3) permettent d’accompagner les enquêteurs dans le partage de leurs connaissances. Leur implication est valorisée au travers du portail de valorisation qui présente les fiches complétées10 (fig. 4).
Fig. 2
Nîmes (Gard), formations aux outils d’inventaire participatif
S. Magnan © PETR Garrigues et Costière de Nîmes
Fig. 3
Redessan (Gard), église, visite de la commune avec les bénévoles
J. Neveux © Correspondant Midi Libre
Fig. 4
Capture d’écran, fiche de la noria de Manduel
A. Bourges © PETR Garrigues et Costière de Nîmes
- 11 - Les trois villes principales du territoire (Nîmes, Beaucaire et Saint-Gilles) disposant déjà de s (...)
25Malgré le contexte sanitaire qui a compliqué le lancement de l’opération, un point d’étape au printemps 2022 montre des premiers résultats concluants. Sur quarante-et-une communes11, 101 enquêteurs font partie du réseau de partenaires. Vingt-deux communes ont des contributeurs qui participent activement et huit d’entre elles ont achevé le recensement du patrimoine reconnu.
26Les thématiques les plus renseignées (fig. 5) suivent à la fois des logiques d’évidence (les édifices religieux, les demeures bourgeoises et châteaux, les aménagements militaires…) et de préférence des acteurs du territoire (adductions d’eau, moulins…).
Fig. 5
Diagramme circulaire : thématiques des points d’intérêts patrimoniaux renseignés dans l’outil participatif
A. Bourges © PETR Garrigues et Costière de Nîmes
27Les plus significatives rejoignent la liste d’études potentielles à approfondir par le chargé d’inventaire. On constate toutefois la rareté des patrimoines immatériels renseignés malgré l’évocation courante pendant les visites sur place. 193 points d’intérêts patrimoniaux ont été géolocalisés, photographiés et décrits par ce réseau d’enquêteurs bénévoles.
28Le PETR a pour volonté de tisser des liens entre les acteurs locaux par la coordination de cette démarche. Ce travail commun à l’échelle du territoire permet de faire davantage de rapport entre les différents contributeurs et les invite à regarder au-delà de l’échelle communale pour connaître et valoriser le patrimoine.
29La collecte des mémoires locales, le regroupement des recensements individuels et la valorisation des initiatives associatives semblent en bonne voie. De solides échanges se nouent entre la chargée d’inventaire du PETR et le réseau d’acteurs. Afin de valoriser ces repérages, il a été proposé de réaliser un dépliant de découverte du patrimoine (fig. 6) par commune mettant en avant une sélection des éléments les plus remarquables, à découvrir à l’occasion d’une balade.
Fig. 6
Vue intérieure du dépliant de découverte de la commune de Bezouce
A. Bourges © PETR Garrigues et Costière de Nîmes
30Certaines difficultés rencontrées ont permis de faire évoluer la méthodologie adoptée. En premier lieu, si le choix d’un portail libre répondait aux différents besoins et à la volonté expérimentale de la démarche en 2019, le manque de réactivité des développeurs de l’outil le dessert. Certaines fonctionnalités sont manquantes comme l’aide en ligne, les dessins de ligne et de surface ou la sauvegarde automatisée des données saisies. Un partenariat se noue avec l’Union de Sauvegarde du Rouergue, qui souhaite mettre en place un inventaire participatif sur le même modèle, ce qui engage une réflexion sur le développement d’un nouvel outil. Outre cette base de données cartographique, la pratique montre qu’un espace collaboratif de travail serait bénéfique pour permettre des échanges de fichiers entre la chargée d’inventaire et les contributeurs.
- 12 - MASSARY, 2007, p. 213.
31L’archéologue Ernest Grille de Beuzelin dépeint, en 1837, les compétences nécessaires aux inspecteurs des monuments qui doivent « lever les plans en architecte, dessiner les fragments en peintre, lire les anciennes chartes en archiviste, et courir à cheval ou à pied en chasseur »12. La coordination d’une opération participative ajoute à des compétences variées une approche humaine, soit des échanges, de l’adaptation et de la pédagogie. Il serait aussi intéressant de développer des compétences en ethnologie chez les chargés d’inventaire pour parfaire la collecte de témoignages.
32Il peut être par exemple délicat de persuader certains acteurs de participer et parfois seule l’implication du plus grand nombre convainc les plus indécis. Les profils des contributeurs varient, du citoyen concerné et curieux d’en apprendre davantage à l’expert dans son domaine parfois plus difficile à accompagner. Les différences d’approche du patrimoine, de méthode d’inventaire ou même de vocables peuvent entraîner des discordances. Certains contributeurs peuvent ainsi considérer que l’inventaire du patrimoine est déjà effectué ou ne pas appliquer les méthodologies rigoureuses de recherche du service de l’inventaire.
33Enfin, la coordination de la démarche peut prendre autant de temps que la recherche en archives : développement et modération des outils, croissance du réseau, accompagnement, échanges... Cela engendre des difficultés de répartition du temps de travail entre le recensement participatif et les travaux de recherche pour un seul chargé d’inventaire.
34C’est par la pédagogie et la transmission des méthodes que le recensement bénévole contribue à l’inventaire en y apportant un cadre commun.
- 13 - MASSARY, 2007, p. 1.
35Qu’elles soient ou non reliées à l’Inventaire général et à ses méthodes, les expérimentations participatives se multiplient depuis la décentralisation. L’absence d’une méthodologie commune peut se comprendre dans la pluralité des pratiques existantes et dans les particularismes locaux. Elle interroge toutefois l’homogénéité et l’interopérabilité future des données récoltées ainsi que la diffusion des Documents & Méthodes de l’inventaire qui s’adressent « à tous ceux qui s’intéressent à la connaissance du patrimoine13 ».
- 14 - Projet développé par le Labex les passés dans le présent et l’université Paris Lumières.
36Le projet WikiPatrimoine14 soutenu par le ministère de la Culture visant à étudier et encourager les nouvelles formes de gestion collaborative du patrimoine culturel initiera sans doute des pistes méthodologiques. Entamer une réflexion à l’échelle nationale sur les démarches existantes permettrait de regrouper les bonnes pratiques dans la perspective que ces actions œuvrent à l’inventaire du patrimoine.
- 15 - Charte de participation, méthodologie de collecte, outil informatique de saisie, fiches de repéra (...)
37Après observation des différentes initiatives et une expérimentation pratique, plusieurs pistes d’évolution peuvent être évoquées : la coordination d’un recensement participatif peut être abordée dans une perspective d’animation territoriale comme une première étape avant étude approfondie ou en tant que repérage avant diagnostic patrimonial. Différents temps d’animation du réseau d’acteurs peuvent être réalisés (réunion d’information, formation aux outils, repérage in situ, ateliers thématiques, travail collaboratif autour d’un dispositif de valorisation…). Des outils communs répondant à la fois à la problématique d’accessibilité au public et au cadre méthodologique de l’inventaire sont à développer15. Il semble qu’une explication ou qu’une adaptation des thésaurus soit nécessaire impliquant dans le premier temps l’animation du réseau avec pédagogie et dans le second la création d’un tableau de concordance des dénominations afin de garantir la pérennité des données.
- 16 - La validation scientifique du recensement participatif de Redessan a nécessité deux jours de docu (...)
38Une fois les données collectées, les chargés d’inventaire poursuivent ces travaux de pré-inventaire bénévole en apportant leurs connaissances et leurs compétences (documentation, recherche en histoire et en histoire de l’art...) pour l’approfondissement des études. La validation scientifique permet aux informations de rejoindre la base régionale. On constate qu’une incursion dans les fonds communaux des Archives départementales confirme et complète la majeure partie des données renseignées. La commune de Redessan en a fait l’objet en janvier 2022 avec l’aide de Diane Hayeck, stagiaire de la licence Histoire et Patrimoine de l’université de Nîmes16.
39Différents liens sont possibles entre la dimension participative et l’inventaire du patrimoine (collecte de témoignages, documentation).
40L’observation du patrimoine par les chercheurs les rapproche tout d’abord naturellement des usagers. Il arrive ainsi régulièrement qu’un habitant curieux vienne échanger avec le chargé d’étude lors des repérages de terrain. Coordonner un recensement participatif c’est offrir un cadre à la collecte de ces témoignages afin de les sauvegarder et de pouvoir les utiliser dans les études d’inventaire. Chaque rencontre organisée devient l’objet d’échanges, de transmission de photos anciennes ou d’archives sur le patrimoine ou l’histoire des familles, sur les aménagements successifs de l’espace public ou encore les savoir-faire disparus ; informations qu’une enquête de terrain par un chargé d’inventaire ne pourrait pas nécessairement mettre en avant sans recherches préalables.
41La couverture rapide des éléments les plus évidents par leur géolocalisation et leurs prises de vue donne une vision d’ensemble du patrimoine sur un territoire. Les contributeurs apportent régulièrement des propositions de mise à jour des études d’inventaire réalisées en cas de désaffectation d’édifice par exemple.
42La documentation de première main mise à disposition de chercheurs plus expérimentés est un avantage. Ainsi, à l’occasion d’une étude monographique sur l’église de Bernis et son mobilier, les armoiries d’une dalle funéraire ont été identifiées grâce à l’association du patrimoine qui avait entrepris des recherches généalogiques sur les seigneurs de cette localité. Il arrive aussi régulièrement que les contributeurs disposent de cartes postales ou de photographies anciennes permettant de connaître l’état antérieur d’un édifice comme l’association Mémoires de Saint-Mamert dans le cadre de l’étude sur l’église paroissiale (fig. 7).
Fig. 7
Saint-Mamert-du-Gard (Gard), église paroissiale, détail des décors peints XIXe siècle
B. Matéos © Association Mémoires de Saint-Mamert
43Ces relations privilégiées permettent d’accéder à des fonds d’archives privées complétant grandement la documentation disponible (fig. 8). Pour l’étude thématique sur le patrimoine ferroviaire de la ligne de Beaucaire à La Grand-Combe, des collections privées ont été mises à disposition par l’association du musée du chemin de fer de Nîmes et son président Jean-Paul Pignède.
Fig. 8
Nîmes (Gard), musée du chemin de fer, fonds d’archives
A. Bourges © PETR Garrigues et Costière de Nîmes
44Au-delà de la collecte de témoignages et de connaissances, le participatif œuvre à intégrer les missions d’inventaire dans la chaîne patrimoniale à l’échelle d’un territoire.
45Les échanges avec les acteurs locaux entraînent tout d’abord la désignation et la classification17 des points d’intérêt. Le recensement participatif n’a pas d’incidence sur la protection du patrimoine, il permet d’impliquer les habitants, de leur faire verbaliser ce qui fait patrimoine à l’échelle locale et par conséquent de les associer aux procédures de patrimonialisation conduites par les professionnels du secteur.
46Aux œuvres couramment évoquées, s’ajoute alors un processus d’ouverture vers d’autres patrimoines non identifiés. On observe en effet que les enquêteurs renseignent le patrimoine faisant consensus mais font régulièrement abstraction de certains patrimoines pourtant remarquables comme l’architecture contemporaine ou industrielle, les monuments aux morts, les châteaux d’eau, les voies de communication… La présence des chargés d’inventaire lors des repérages favorise cette sensibilisation à l’élargissement de la notion patrimoniale.
47Ce dialogue peut également participer à la conservation et à la restauration du patrimoine. En ce sens, l’état des édifices, les besoins de restauration, les projets d’aménagement ou de démantèlement sont souvent portés à connaissance des chercheurs de l’inventaire en raison de leur présence constante sur le terrain. Ces derniers font alors le relais entre les acteurs locaux et les différents services concernés par ces demandes et réalisent des études ponctuelles.
48Certains territoires mettent à disposition des communes, en complément de ces missions participatives, des aides à la restauration ou leurs compétences en ingénierie financière pour accompagner les projets de réhabilitation du patrimoine.
49La coordination de cet inventaire participatif ancre la mission d’inventaire du PETR dans son territoire et promeut la plus-value de la documentation scientifique du patrimoine. Les acteurs des vingt-six communes visitées ont ainsi été sensibilisés à l’inventaire, à ses missions et à ses méthodes de documentation. Le développement d’un réseau d’échanges et de confiance facilite les prises de contact en cas de besoin d’accès aux édifices ou aux archives communales et ouvrira certainement les portes de demeures privées dans le cadre d’études topographiques à venir.
50Si l’ensemble des chargés d’inventaire ne sont pas convaincus par ces pratiques invoquant principalement l’aspect scientifique des données, il semblerait que les avantages qu’elles procurent l’emportent sur les difficultés de mise en place.
51Par ces opérations, l’inventaire partage la plus-value de ses méthodes scientifiques de documentation et d’étude. Cette entreprise de la connaissance parfois aussi méconnue qu’indispensable est ainsi signifiée aux acteurs locaux en réaffirmant son rôle pédagogique de sensibilisation au patrimoine.