P. Pisani (dir.), La domus de Cieutat à Eauze. Histoire d’un quartier de l’antique Elusa
P. Pisani (dir.), La domus de Cieutat à Eauze. Histoire d’un quartier de l’antique Elusa, Municipalité d’Eauze (Gers), 2015.
Texte intégral
1Voici plus de trente ans, le 18 octobre 1985, était mis au jour le trésor d’Eauze, enfoui en 261 : 28 000 monnaies romaines, des bijoux et objets fastueux, découverts dans une cache creusée dans le sol. Ce jour marqua, grâce à l’action pour une fois conjointe et tenace des archéologues et des élus, le point de départ de la constitution d’un musée archéologique inauguré dix ans plus tard, en 1995, dans la même ville, musée où le trésor est exposé, au milieu d’un abondant matériel archéologique. Ce n’est donc pas un hasard si, vingt ans plus tard encore, cet ouvrage s’ouvre (p. 9) sur une image des monnaies conservées au musée ; elle fait face à celle du « Centre d’interprétation » archéologique installé dans l’ancienne gare ferroviaire d’Eauze, près de laquelle les premières découvertes de vestiges antiques avaient été faites au xixe siècle.
2On dispose aujourd’hui, avec ce livre, d’un nouveau trésor et comme d’un nouveau musée visant à faire mieux connaître Elusa. A simplement feuilleter ces pages, il apparaît que la ville romaine n’a pas fait mentir son nom hérité du gaulois Elusa, un héritage digne de remarque en terre aquitaine. Il signifie « la prospère », ou mieux « l’abondante », comme l’indique la racine du mot : *elu- valant « beaucoup » (cf. grec polu- avec disparition normale du p- initial indo-européen en celtique et alternance vocalique o/e). De ce signe de richesse en hommes et en biens, on trouve par exemple un parallèle dans le nom des Helvètes (< Elu-et-, avec u- semi-consonne, à lire ou- ou w-). Publié à la fin 2015 sous la direction de Pierre Pisani, ce volume collectif de 120 pages, maniable et très richement illustré (pas moins de 147 figures en couleurs), est consacré à « la domus de Cieutat » et à son quartier. Ici encore la préservation de la toponymie frappe, avec ce nom de Cieutat : l’occitan garde trace, non du gaulois cette fois, mais du latin civitas (esp. ciudad), désignant la « cité » gallo-romaine dont Elusa était le chef-lieu. L’ouvrage, qui couvre les cinq premiers siècles de notre ère, fait le bilan de onze campagnes de fouille programmée – chose devenue trop rare aujourd’hui – qui ont été menées de 2001 à 2012 dans un quartier résidentiel de la ville antique. Cette dernière, ainsi que la ville médiévale, est désormais couverte pas un « zonage archéologique » de protection, propice aux diagnostics et parfois à la fouille, qui s’étend sur 50 hectares. Sur cet espace, ce ne sont pas moins de 60 sites qui ont été répertoriés à ce jour (carte, fig. 3).
3L’originalité de cette publication tient à trois aspects majeurs : l’étude sur la longue durée d’une demeure aristocratique d’époque impériale ; l’élargissement de l’enquête aux vestiges de voirie, d’adduction d’eau et d’habitat découverts à proximité ; la volonté de mettre en valeur ce patrimoine, aujourd’hui présenté et géré comme complémentaire de la grande villa rurale de Séviac et du musée d’Eauze, avec son trésor. A Eauze même, la maquette de la domus de Cieutat est présentée, sous abri, au milieu des vestiges d’époque romaine (fig. 5).
4Le premier chapitre, après avoir situé le « peuple aquitain », puis la civitas des Elusates (cartes, fig. 6 et 8), et brièvement fourni les principales références littéraires sur l’Aquitaine préromaine et romaine (César, Strabon, Pline), donne à comprendre, par le recours à l’épigraphie, leurs institutions et les grandes lignes de leur histoire. Les deux belles inscriptions reproduites aux figures 9 et 10 auraient mérité un commentaire plus étoffé, que ce soit l’autel funéraire de Rome dédié par les Elusates à Caius Postumius Silvanus, fils de Caius, de la tribu Voltinia (indice de « latinité » précoce, mais peut-on aller plus loin concernant le statut d’Elusa comme colonie ?), ou la plaque mutilée de Sos (Lot-et-Garonne, ville des Sotiates, non loin d’Eauze), où l’ordo Elusati(um) semble rendre hommage à un duumvir, sans doute d’Elusa, qui a été « prêtre de Rome et d’Auguste » à Lyon. Quant au vestiarius (commerçant en tissu) trévire Sextus Vervicius Eutyches (fig. 116, p. 97), il est peut-être plutôt descendant d’affranchi que « d’origine grecque », et son titre de pater le situe précisément dans la hiérarchie des prêtres de Mithra, à qui l’inscription est offerte.
5La naissance et l’évolution de la ville antique sont éclairées au moyen de plans et de coupes, puis vient l’étude du quartier : l’insula L1, la domus des Lauriers et ses mosaïques, le réseau de rues progressivement grignotées par les riverains en vue de leur aisance résidentielle ou de leur activité artisanale. L’exposé de la genèse et du devenir d’une domus (p. 57-59) est une vraie réussite, à la fois scientifique et pédagogique. A ce progrès et à cette accessibilité de nos connaissances contribue fortement l’évocation aquarellée, par Ch. Darles, des phases successives de cette demeure, du ier au ive siècle (p. 63, 65, 75 : fig. 64, 66, 80). L’ouvrage s’achève sur une riche présentation du mobilier découvert. On retiendra d’abondantes poteries locales à diffusion sans doute plus large, au iiie et au ive siècle (p. 82-85, avec un bon cliché et une restitution de four de potier, fig. 93), ainsi que de nombreux produits de l’artisanat de l’os (tabletterie, p. 92-95 et fig. 110 à 114 : épingles à cheveux, aiguilles à coudre, manche de couteau en forme de lyre, dés et jetons, éléments de charnière…) et des objets métalliques dont le nombre dépasse le millier : fer, bronze et même bronze étamé, fabrication assez rare pour être mise en valeur, dans le cas d’un moule à gâteau portant, notamment, un décor de tétines de truie (fig. 117).
6La dernière page tournée, une conclusion s’impose (avec le souhait d’une deuxième édition purgée de fautes par trop nombreuses) : à côté par exemple de Montans (Tarn), Eauze, « complété » par Séviac ou « complément » de Séviac, n’est plus seulement une halte sur le chemin de Compostelle, ni même la dépositaire d’un trésor hérité des hasards de l’histoire. La ville est devenue un des hauts lieux archéologiques de Midi-Pyrénées, et maintenant de la nouvelle grande Région. Ce livre, qui appelle des prolongements scientifiques dans plusieurs domaines, est à la fois, pour la recherche, un témoin des réalisations récentes et un guide pour l’avenir.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Marie Pailler, « P. Pisani (dir.), La domus de Cieutat à Eauze. Histoire d’un quartier de l’antique Elusa », Pallas, 102 | 2016, 311-313.
Référence électronique
Jean-Marie Pailler, « P. Pisani (dir.), La domus de Cieutat à Eauze. Histoire d’un quartier de l’antique Elusa », Pallas [En ligne], 102 | 2016, mis en ligne le 20 décembre 2016, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/3782 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.3782
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