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AccueilNuméros102L’anaphore et la deixisQuelques réflexions à propos de olim

L’anaphore et la deixis

Quelques réflexions à propos de olim

Some remarks about olim
Guillaume Gibert
p. 159-167

Résumés

Cet article propose une hypothèse relative au fonctionnement de l’adverbe olim. Il apparaît à partir de l’observation des emplois relevés dans les textes que cet adverbe, associé aux temps du passé, du présent et du futur, marque rupture et distance par rapport au nunc ou à un repère. Les particularités syntaxiques et énonciatives sont ensuite examinées.

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Texte intégral

1. Introduction

  • 1 Szemerényi, 1996, p. 172 sq.

1On relie traditionnellement l’adverbe latin olim au déictique ille : il serait en effet un dérivé de la forme pronominale olle remplacée par la suite par ille. Szemerenyi1 signale que si l’on rencontre des adverbes formés sur les thèmes déictiques, seul olim cependant possède un signifié strictement temporel. Ce dernier, selon Ernout-Meillet (s. v.), se définit comme marquant « l’éloignement par rapport au présent, qui s’emploie du passé comme de l’avenir, mais non actuel » :

(1)

Quos olim Fauni uatesque canebant. (Enn. Ann. 213)
« Que jadis les Faunes et les devins chantaient. »

(2)

Olim nescio quid sit otium. (Plin. Epist. 8, 9, 1)
« Depuis longtemps je ne sais pas ce que c’est que le loisir. »

(3)

Curate ut splendor meo sit clipeo clarior / quam solis radii esse olim quom sudumst solent. (Plaut. Mil. 1-2)
« Faites briller mon bouclier ; que son éclat soit plus resplendissant que les rayons du soleil dans un ciel pur. »

(4)

Non, si male nunc, et olim sic erit(Hor. Carm. 2, 10, 17-18)
« Si nous sommes malheureux aujourd’hui, il n’en sera pas toujours ainsi » (litt. « un jour, il n’en sera pas ainsi »). 

  • 2 Corpus principal : les comédies de Plaute et Térence ; Cicéron : les discours et la correspondance  (...)

2Dans la littérature consacrée à olim seul – ou presque – ce lien morphologique a retenu l’attention des linguistes, or, suffit-il à rendre compte des emplois2 de l’adverbe ? Est-il possible de retrouver sur le plan du signifié, du comportement syntaxique et du fonctionnement énonciatif de olim des points communs avec ille ?

2. Caractéristiques de olim

2. 1. Rupture

  • 3 Joffre, 2009, p. 26.

3Dans son étude de 2009, M.-D. Joffre montre que ille est avant tout l’indice d’une rupture et qu’il a « pour rôle fondamental de marquer un contraste avec le terme auquel il fait pendant3 ». Tout comme ille, olim peut être employé dans des contextes de rupture :

(5)

Illam amabam olim ; nunc iam alia cura impendet pectori. (Plaut. Epid. 135)
« À ce moment-là, je l’aimais. Maintenant c’est un autre amour qui pèse sur mon cœur. »

4Cet exemple présente une opposition nette et explicite, comme ille pourrait s’opposer à hic, entre l’adverbe olim et nunc. Cette relation s’inscrit dans un fonctionnement comparatif dans le sens où l’énoncé mobilise une relation à partir de laquelle s’établit une différenciation ou une identification abolissant la rupture :

(6)

At hercule uerbera et necem cunctis permitti. Tiberium olim nomine Augusti desideria legionum frustrari solitum : easdem artis Drusum rettulisse. (Tac. Ann. 1, 26, 2)
« Par Hercule, tous ont pleins pouvoirs pour frapper de verges ou pour tuer. Tibère jadis se couvrait du nom d’Auguste pour éluder les requêtes des soldats : Drusus renouvelle les mêmes pratiques. »

2. 2. Distance

  • 4 Dupraz, 2012b.
  • 5 Sur ce problème et celui, plus général, des démonstratifs, nous renvoyons à la bibliographie citée (...)

5E. Dupraz4 souligne l’importance du caractère distal5 des thèmes en *ollo-/olo- et de ille que l’on retrouve dans le cas de olim. Cette distance temporelle ne dépend pas seulement de facteurs objectifs quantifiables mais de la subjectivité du locuteur, comme le montrent les exemples suivants :

  • 6 Sur l’épisode auquel renvoie cet énoncé de Cicéron, voir McDermott,1972, p. 408-409. Olim renvoie i (...)

(7)

Scripsi equidem olim iratus quod ille prior scripserat… (Cic. Att. 3, 12, 2)6
« Oui, j’ai écrit cela autrefois, je lui en voulais de ce qu’il avait commencé lui-même par écrire…»

(8)

Patior hoc olim iugum, / annis decem captiua. (Sen. Tro. 910-911)
« Mais voici longtemps que j’en supporte le joug, captive depuis dix années. »

(9)

Sic enim, si uis, arbitrare, ut olim Vlixi socii thesaurum repperisse arbitrati sunt, cum utrem uentosissimum manticularentur. (Apul. Apol. 55)
« Crois-le si bon te semble : tels jadis les compagnons d’Ulysse crurent avoir trouvé un trésor, lorsqu’ils dérobèrent une outre gonflée de vent. »

6Ici, entre les trois années écoulées entre le discours et la lettre, les dix années de la captivité et le passé mythique de l’Odyssée, la distance n’est pas la même. Il faut cependant souligner que c’est précisément le caractère distal qui est marqué par l’énonciateur dans ces exemples.

7Ainsi, rupture et distance semblent être deux caractéristiques partagées par ille et olim si bien que l’on ne s’étonnera pas de les trouver associés, comme dans cet exemple :

(10)

Egomet quoque id spectare coepi, et quia consimilem luserat / iam olim ille ludum, inpendio magis animus gaudebat mihi… (Ter. Eun. 586-587)
« Je me mis moi aussi à le regarder, et comme jadis celui-là (Jupiter) déjà avait joué semblable jeu, je m’amusais tant et plus…. »

3. Vers une hypothèse de fonctionnement de olim : « tout autre que T0 »

  • 7 Sur la définition de « tout autre », voir Franckel, 1989, p. 338.
  • 8 Voir Culioli, 1990.

8Aussi, afin de rendre compte des différents phénomènes observés nous proposons de considérer que olim, dans ses emplois déictiques (dont le repère est nunc), marque une localisation temporelle et une situation définies comme « tout autre que T0 »7, s’inscrivant dans un « domaine notionnel »8.

  • 9 Sur le concept de « frontière », voir Culioli, 1990.

9Nunc et olim définissent chacun une zone. La zone intermédiaire constitue la frontière9 et correspond à « autre que nunc », modo. On peut ainsi considérer que heri « hier » se définit comme « autre que T0 », « autre qu’aujourd’hui ». Olim dans cette perspective vient précisément marquer l’impossibilité d’établir une spécification car il « coupe les ponts » avec T0.

4. Étude des valeurs de olim

4. 1. Révolu

  • 10 Sur les temps en latin, nous renvoyons à Mellet et al., 1994.

10Associé aux formes du passé10, olim inscrit la localisation d’un évènement dans un passé lointain auquel un évènement appartenant à la sphère du nunc peut être identifié ou au contraire opposé (11=5):

(11)

Illam amabam olim ; nunc iam alia cura impendet pectori. (Plaut. Epid. 135)
« À ce moment-là, je l’aimais. Maintenant c’est un autre amour qui pèse sur mon cœur. »

11Dans ces exemples, olim et nunc marquent deux zones distinctes reliées néanmoins par une relation commune : l’amour. Olim et nunc entrent ici dans un jeu de discontinuité.

  • 11 Olim dans la configuration énonciative de la prose historique ne va plus seulement marquer une rupt (...)

12Marquant une rupture avec une zone temporelle première11, olim va exprimer l’antériorité, comme dans la prose historique, où il se trouve souvent associé à mox chez Tacite :

(12)

Eodem anno Iulia supremum diem obiit, ob impudicitiam olim a patre Augusto Pandateria insula, mox oppido Reginorum, qui Siculum fretum accolunt, clausa. (Tac. Ann. 1, 53, 1)
« La même année vit les derniers moments de Julie que ses débordements avaient jadis fait enfermer par son père Auguste dans l’île Pandataria, puis dans la ville de Regium, sur le détroit de Sicile. »

13Enfin, l’antériorité et la rupture peuvent être utilisées pour introduire des fables, des contes ou des histoires :

(13)

Si quis nam laudat Arelli / sollicitas ignarus opes, sic incipit : ‘Olim / rusticus urbanum murem mus paupere fertur / accepisse cauo…’ (Hor. Sat. 2, 6, 78-81)
« Si quelqu’un, dans son ignorance, vante l’inquiète richesse d’Arellius, il prend la parole en ces termes : ‘Jadis, un rat des champs reçut, dit-on, un rat de ville dans son pauvre trou…’ »

4. 2. Accompli distant

  • 12 Nous emprunterons à François, 2003, p. 127, la notion d’« accompli distant » qu’il propose pour ren (...)
  • 13 Ernout-Meillet, s. v., signalent que olim prend le sens de iamdiu à partir de l’époque impériale. S (...)

14L’emploi de l’adverbe latin marquant un accompli distant12 est en général traduit par « depuis longtemps, il y a longtemps que, cela fait longtemps que, voici longtemps que, etc. »13 :

(14)

Ilium uobis modo, / mihi cecidit olim. (Sen. Tro. 412-413)
« Pour vous, Ilion vient seulement de succomber ; pour moi, il y a longtemps qu’elle est tombée. »

15Dans ce type d’emploi, le locuteur construit une durée particulièrement longue entre le point d’accomplissement d’un évènement et la propriété qui en résulte. En utilisant olim, il relaie cet accomplissement dans un passé lointain et conteste ainsi l’idée que l’accomplissement de l’évènement ait eu lieu dans un passé tout récent, comme le montre l’exemple (14) : dans un cas, la chute de Troie est située dans la frontière du nunc (modo) et dans le second elle en est maximalement éloignée.

16Enfin, il nous semble que le jugement de la grande distance constitue le rhème de l’énoncé : l’énonciateur place cette distance au centre même de l’attention. On constate d’ailleurs que olim constitue souvent l’élément nouveau de l’énoncé, le reste étant repris du contexte antérieur (15=8):

(15)

Dirum et inuisum et graue est / seruitia ferre ? Patior hoc olim iugum / annis decem captiua. (Sen. Tro. 910-911) 
« Il est dur, odieux, pénible de supporter l’esclavage. Mais voici longtemps que j’en supporte le joug, captive depuis dix années. »

4. 3. Gnomique, générique : présent aoristique

  • 14 Sur le concept d’aoristique, voir Culioli, 1999, p. 127-143.

17Souvent associé au présent, au verbe soleo et aux comparatives, olim, dans ce type d’emploi14, englobe toute l’échelle du temps.

(16)

Quid faceret ? Color oris erat qui frondibus olim / esse solet seris, quas noua laesit hiems. (Ov. Fast. 6, 149-150)
« Que devait-elle faire ? Son visage avait le teint que prennent d’ordinaire les feuilles à la saison tardive, quand elles sont blessées par les premiers frimas. »

18Dans de tels énoncés, s’effectue une identification entre deux zones : l’une située dans la sphère d’énonciation et l’autre, fonctionnant comme le repère, en rupture avec la première, c’est-à-dire, dans un autre espace-temps : celui du connu, du générique, valant pour n’importe quelle zone temporelle.

4. 4. Futur lointain (de rupture)

19L’exemple (17=4) tiré de l’œuvre de Horace permet de donner une première caractérisation du fonctionnement de olim prospectif :

  • 15 Cet énoncé peut être rapproché des constructions prospectives étudiées par Charolles, 2006, p. 58-6 (...)

(17)

Non, si male nunc, et olim sic erit. (Hor. Carm. 2, 10, 17-18) 
« Si nous sommes malheureux aujourd’hui, il n’en sera pas toujours ainsi » (litt. « un jour15, il n’en sera pas ainsi »).

  • 16 Ce que l’on relève dans le cas, par exemple, du futur « épistémique », voir Mellet et al., 1994, p. (...)

20La structure de l’énoncé peut être glosée en nunc p, olim p’. Olim vient marquer ici un désancrage situationnel avec nunc, une « contestation » de la validation de l’événement dans un futur proche16.

5. Olim : anaphore, cataphore et corrélation ?

  • 17 La subordonnée en cum apparaît, dans les exemples que nous avons analysés, en apposition par rappor (...)

21À partir des cas relativement nombreux où une subordonnée en cum17 est associée à olim et des liens morphologiques postulés entre olim et ille :

(18)

Quia uidere inde esse ; nam olim quom abiit, argento haec dies / praestitutast, quoad referret nobis, neque dum rettulit. (Plaut. Pseud. 623-624)
« J’ai deviné à ta mine que tu venais de sa part ; car autrefois, au moment de son départ, c’est ce jour-ci qui a été fixé comme dernier terme du paiement, et il n’a pas encore payé. »

  • 18 Nous reprenons pour cette partie le titre choisi par Bodelot, 2004, pour les actes du colloque tenu (...)
  • 19 Sur cum, nous renvoyons à l’étude de Lavency, 1975-1976. Il conviendrait d’approfondir l’examen du (...)

22On peut se demander si l’on se trouve devant un olim corrélatif18 du cum19 de la subordonnée.

5. 1. La subordonnée en cum

23La subordonnée en cum apparaît comme une spécification de la zone temporelle marquée par olim :

(19)

Ianua, quam Balbo dicunt seruisse benigne / olim, cum sedes ipse senex tenuit… (Catull. 67, 3-4) 
« Ô porte, qui, dit-on, as servi Balbus de si bon cœur au temps jadis, quand le vieillard en personne habitait la maison. »

  • 20 Nous renvoyons sur ce problème complexe à deux thèses récentes consacrées à « quand » qui invitent (...)

24La relation sémantique paraît être celle de l’inclusion comme en (19) où, cum p renvoie à un moment ponctuel situé dans la zone marquée par olim : ici, le recouvrement temporel n’est pas total. Le lien syntaxique entre olim et cum évoque celui d’une relative apposée20. Ce qui nous paraît intéressant à observer, c’est que si cum p explicite olim, ce dernier n’appelle pas cum p.

5. 2. Anaphore, cataphore : olim / illo tempore

25Afin d’évaluer l’éventuel statut diaphorique de olim, nous avons examiné le fonctionnement du syntagme illo tempore, morphologiquement relié à ce dernier par le démonstratif ille et paraissant sémantiquement proche.

26Ce syntagme connaît un emploi anaphorique massif :

(20)

Hoc bibit ; ex illo tempore nupta fuit. (Ov. Fast. 4, 151)
« Elle but, et aussitôt elle connut les plaisirs de l’hymen. »

(21)

Itaque illo tempore annona pro luto erat. (Petron. 44, 11)
« C’est pourquoi, dans ce temps, la nourriture était à vil prix. »

27Illo tempore trouve son référent dans le contexte antérieur et assure, à la manière d’un tum, une continuité cadrative du repère temporel.

28Il ressort assez clairement de ces exemples qu’on ne saurait assimiler le fonctionnement et le signifié de olim à celui de illo tempore. Olim ne nécessite pas de médiation référentielle située dans le contexte pour acquérir une valeur référentielle : olim crée lui-même une période de référence et un cadre discursif. Ainsi, dans cet exemple :

  • 21 Nous modifions la traduction de la CUF.

(22)

Pol mihi / eo pretio empti fuerant olim. (Plaut. Most. 820-821)
« Parbleu, je les avais payés autrefois un beau prix21. »

olim ne renvoie à aucune indication temporelle contextuelle située en amont ou en aval du discours et sa valeur référentielle est cependant stable. Il ne fonctionne pas comme tum qui reprend le repère temporel actif dans le contexte gauche. Nous n’emploierons donc pas le terme de corrélatif ou de corrélation, dont nous n’avons pas relevé de schème dans notre corpus. Olim peut être précisé par cum p mais cette dernière n’est pas nécessaire à la construction de la valeur référentielle de l’adverbe.

6. Étude énonciative et modale

6. 1. Portée et cadrage discursif

29La portée de l’adverbe peut varier notablement. Olim peut porter sur un nom, un adjectif, un syntagme, une proposition ou sur une phrase, mais sa portée peut dépasser le cadre phrastique :

(23)

Atticus quidam olim naui fracta apud Andrum eiectus est / et istaec una parua uirgo. Tum ille egens forte adplicat / primum ad Chrysidis patrem se. (Ter. Andr. 923-925)
« Certain citoyen d’Attique fut un jour dans un naufrage jeté à la côte à Andros, et avec lui, une petite fille, la personne en question. Là, dans son dénuement, le hasard veut qu’il cherche refuge d’abord chez le père de Chrysis. »

  • 22 Sur la notion de « cadre discursif », voir Charolles, 1997.

30Olim sert de repère pour tout le récit dont il constitue le cadre discursif22. Un tum ou un anaphorique peut trouver en olim son point d’appui référentiel :

(24)

Non istis olim uariabant tecta figuris ; / tum paries nullo crimine pictus erat. (Prop. 2, 6, 33-34)
« Autrefois on ne décorait point les maisons de pareilles figures ; sur ces murs il n’y avait que d’honnêtes peintures. »

  • 23 Moeschler, 1991, p. 116.

31Dans cette fonction, olim fixe un repère et ouvre un cadre susceptible d’indexer d’autres phrases que celle où il figure, jusqu’à la fermeture explicite du cadre, selon un principe pragmatique proposé par Moeschler23 pour l’organisation informative de la référence temporelle (25=13) :

(25)

Si quis nam laudat Arelli / sollicitas ignarus opes, sic incipit : ‘Olim / rusticus urbanum murem mus paupere fertur accepisse cauo.’ […] Quid multa ? Neque ille / sepositi ciceris nec longae inuidit auenae […] Tum rusticus : ‘Haud mihi uita / est opus hac’, ait, et ‘Valeas ! me silua cauusque / tutus ab insidiis tenui solabitur eruo.’ (Hor. Sat. 2, 6, 78-117)
« Si quelqu’un, dans son ignorance, vante l’inquiète richesse d’Arellius, il prend la parole en ces termes : ‘Jadis, un rat des champs reçut, dit-on, un rat de ville dans son pauvre trou.’ […] Bref, tel qu’il était, il ne se montra point avare de sa réserve de pois chiches et d’avoine au long grain […]. Et le rustique de dire alors : ‘Ce n’est point cette vie qu’il me faut’ ; puis ‘Adieu ! ma forêt et l’abri sûr de mon trou me consoleront de mes humbles gesses.’ »

6. 2. Olim – valeur modale

  • 24 À ce propos, voir Dupraz, 2012a.

32Olim peut se trouver dans des contextes où le référent est construit comme appartenant à la mémoire stable, à l’aide de ille anamnestique24 :

(26)

Est etiam ex similitudine, quae aut conlationem habet aut tamquam imaginem. Conlationis <est> ut ille Gallus olim testis in Pisonem… (Cic. De orat. 2, 265)
« Les similitudes en fournissent également : elles comprennent les comparaisons et les analogies d’images. Exemple de comparaison : Gallus, déposant un jour contre Pison… »

  • 25 Mushin, 2001.

33On peut évoquer l’hypothèse d’une valeur modale de olim qui, marquant une rupture par rapport à la situation, engendre un énoncé qui n’est plus soumis aux fluctuations subjectives. C’est ce que signale I. Mushin pour le marqueur « once upon a time », « il était une fois »25 dont olim connaît des emplois parallèles.

(27)

A : Once upon a time there was a princess… B : ?? No, there wasn’t.

  • 26 Tracy, 1976.
  • 27 De Vogüé, 1985 ; à propos de ce concept et de son fonctionnement linguistique, voir également Paill (...)

34On pourrait ainsi expliquer les observations de Tracy26 et rendre compte de son hypothèse selon laquelle olim aurait acquis le statut d’une particule conférant à l’énoncé une dimension de familiarité. En repoussant le site de référence de l’énoncé à l’extérieur de la sphère énonciative, l’énonciateur lui confère comme garant ce que S. de Vogüé appelle le « valideur fictif »27, Sx : Le valideur devient autre que l’énonciateur ou le co-énonciateur, il devient la collectivité, l’expérience, le destin ou la mémoire, etc.

7. Conclusion

35Dans la construction linguistique de la représentation du temps en latin, olim marque une rupture et crée une distance par rapport à un temps repère, le plus souvent T0. Il participe ainsi à la création de plusieurs valeurs temporelles, aspectuelles et modales dans les trois zones temporelles du passé, du présent et du futur. Cet effet de rupture et de distance rapproche ainsi olim de ille. L’analyse selon laquelle ille fonctionne dans des structures corrélatives ne semble cependant pas s’appliquer à olim. L’étude de olim montre avant tout que le temps est certes une donnée à partir de laquelle se construit le discours mais que le temps et sa représentation sont eux-mêmes construits dans et par le discours.

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Notes

1 Szemerényi, 1996, p. 172 sq.

2 Corpus principal : les comédies de Plaute et Térence ; Cicéron : les discours et la correspondance ; Catulle, Properce : poésies ; Sénèque : Les Troyennes, Les Phéniciennes, Médée, Phèdre ; Tacite : Vie d’Agricola, Germanie, Histoires 1, Annales 1-3 ; Apulée : Apologie. Nous avons complété les observations issues de ce corpus par celles effectuées dans le TLL.

3 Joffre, 2009, p. 26.

4 Dupraz, 2012b.

5 Sur ce problème et celui, plus général, des démonstratifs, nous renvoyons à la bibliographie citée dans son travail et en particulier à Diessel, 1999.

6 Sur l’épisode auquel renvoie cet énoncé de Cicéron, voir McDermott,1972, p. 408-409. Olim renvoie ici à une durée de 3 ans.

7 Sur la définition de « tout autre », voir Franckel, 1989, p. 338.

8 Voir Culioli, 1990.

9 Sur le concept de « frontière », voir Culioli, 1990.

10 Sur les temps en latin, nous renvoyons à Mellet et al., 1994.

11 Olim dans la configuration énonciative de la prose historique ne va plus seulement marquer une rupture par rapport à T0 mais par rapport à un temps repère.

12 Nous emprunterons à François, 2003, p. 127, la notion d’« accompli distant » qu’il propose pour rendre compte d’une valeur aspectuelle observée en Mwotlap (Vanuatu).

13 Ernout-Meillet, s. v., signalent que olim prend le sens de iamdiu à partir de l’époque impériale. Sur diu, nous renvoyons à Orlandini, 2005. Voir également : Leemann-Vaguer, 2011, pour la construction « cela fait un moment que ».

14 Sur le concept d’aoristique, voir Culioli, 1999, p. 127-143.

15 Cet énoncé peut être rapproché des constructions prospectives étudiées par Charolles, 2006, p. 58-63, où, en français, le syntagme « un jour » est employé : « Un jour, tu ne seras plus célèbre. »

16 Ce que l’on relève dans le cas, par exemple, du futur « épistémique », voir Mellet et al., 1994, p. 128.

17 La subordonnée en cum apparaît, dans les exemples que nous avons analysés, en apposition par rapport à olim et l’ordre des constituants le plus fréquent dans la grande majorité des exemples de notre corpus est olim - cum p. Sur l’ordre des constituants, voir Spevak, 2010 ; sur la constitution d’un topic complexe fonctionnant sur le principe de l’emboîtement, voir Virtanen, 1992, entre autres.

18 Nous reprenons pour cette partie le titre choisi par Bodelot, 2004, pour les actes du colloque tenu à Clermont-Ferrand le 7 janvier 2003 et consacré à ce thème. Nous renvoyons à la bibliographie citée dans l’ouvrage.

19 Sur cum, nous renvoyons à l’étude de Lavency, 1975-1976. Il conviendrait d’approfondir l’examen du lien sémantique et syntaxique qui unit olim et cum sur un corpus plus vaste. Nous renvoyons également à Touratier, 1994, p. 621.

20 Nous renvoyons sur ce problème complexe à deux thèses récentes consacrées à « quand » qui invitent à poursuivre les recherches relatives à ce problème : Benzitoun, 2006 ; Saez, 2011.

21 Nous modifions la traduction de la CUF.

22 Sur la notion de « cadre discursif », voir Charolles, 1997.

23 Moeschler, 1991, p. 116.

24 À ce propos, voir Dupraz, 2012a.

25 Mushin, 2001.

26 Tracy, 1976.

27 De Vogüé, 1985 ; à propos de ce concept et de son fonctionnement linguistique, voir également Paillard, 1986 ; Duvallon, 2014.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guillaume Gibert, « Quelques réflexions à propos de olim »Pallas, 102 | 2016, 159-167.

Référence électronique

Guillaume Gibert, « Quelques réflexions à propos de olim »Pallas [En ligne], 102 | 2016, mis en ligne le 20 décembre 2016, consulté le 30 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/3653 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.3653

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Auteur

Guillaume Gibert

Université Clermont-Auvergne / Université Blaise-Pascal
Membre associé EA 999, LRL
guillaume.gibert@wanadoo.fr

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