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Des bêtes pleines à Athéna ? Un sacrifice pas si étrange

Pregnant beasts to Athena? A not so strange sacrifice
Stella Georgoudi
p. 91-102

Résumés

Quelques réflexions sur les sacrifices de bêtes pleines à Athéna, et plus précisément à Athéna Skiras, dans son sanctuaire du Phalère (sacrifice accompli par le genos des Salaminiens), et à Athéna Polias à Cos (une divinité associée étroitement à Zeus Polieus). Ces rares immolations de bêtes gravides en l’honneur d’une déesse considérée généralement comme une puissance guerrière, très attachée à sa virginité, posent une série de questions relatives surtout à l’aspect « kourotrophique » d’Athéna, ainsi qu’à l’idée d’une maternité « métaphorique », comme pourrait le suggérer, entre autres, le culte d’une Athéna « Mère » (Mêtêr) en Élide.

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Texte intégral

  • 1 Ce qui n’est pas faux, mais qui semble plutôt insuffisant pour interpréter ces sacrifices.
  • 2 Cette notion du « chthonien » a besoin d’un travail d’approfondissement ; car elle est associée – e (...)
  • 3 Je reprends l’examen de ses interprétations dans un ouvrage en cours sur les sacrifices et purifica (...)

1Bien que le système polythéiste grec nous ait habitués à sa plasticité, à son maillage flexible, à ses multiples variations ou même, parfois, à des versions contradictoires, le fait de sacrifier des bêtes pleines à une divinité telle qu’Athéna, considérée, selon la vulgate des manuels, comme une puissance guerrière, farouchement attachée à sa virginité, pourrait paraître, à première vue, comme un acte incongru. D’autant plus, que les attestations de cet acte sacrificiel sont assez rares, comme on le verra. Certes, pour appréhender, dans toute sa dimension, ce type d’immolation, il faut le placer dans le cadre d’un chapitre assez complexe qui concerne le sacrifice des bêtes gravides en l’honneur d’une série de puissances divines (ou héroïques) dont Déméter revendique la première place. Cependant, nous n’allons pas, dans ce court texte, traiter aussi longtemps qu’il le faudrait, des bêtes pleines qu’on conduisait vers les autels pour les soumettre au couteau sacrificiel, un thème qui n’a pas tellement intéressé les spécialistes, si ce n’est pour l’enfermer dans les notions de « fécondité » et de « fertilité tellurique »1, du « chthonien »2 ou de rituels « anormaux », tout cela associé parfois à la figure « primordiale et universelle » d’une Grande Déesse-Terre-Mère3.

  • 4 Sur cette affirmation, souvent répétée, cf., plus récemment et à titre d’exemple, Scullion, 2007, p (...)
  • 5 Herzog, 1928, p. 20-25, n° 8 B, l. 37-44 ; LSCG, n° 154 B, l. 37-44 ; voir maintenant IG XII, 4, n° (...)
  • 6 Herzog, 1928, n° 8 B, l. 37-38 : … θεοῖς ἢ θεαῖς οἷσιν κυόεν|[τα θύεν ὅσιόν ἐστιν…]
  • 7 Herzog, 1928, n° 8 B, l. 38-39 : …τὰν τιμὰν μὴ ἀπολαμβ]άνεν τῶν θυομένων ἱερείων ἅ κα [μὴ κυόεντα ἐ (...)
  • 8 Cf. Sokolowski (LSCG, n° 154 B, l. 37-44), qui modifie légèrement, à la l. 38, la restitution de He (...)
  • 9 Prudence exprimée par Paul (2013, p. 336-337), qui suit le texte des IG.

2Qu’on me permette cependant une brève digression. On affirme généralement que le sacrifice des bêtes pleines ne concernent que les divinités féminines4, les dieux étant « naturellement » exclus d’une telle offrande double témoignant, entre autres, du lien indissoluble entre mère et enfant. Par ailleurs que viendraient faire ces « mâles » dans ce domaine « fertile » et « fécond » qui serait surtout l’apanage de certaines déesses ? N’aurait-on donc affaire qu’à un monde exclusivement féminin ? On pourrait le supposer, s’il n’y avait pas un passage troublant de la bien connue inscription de Cos sur les « puretés et les purifications » (ἁγνεῖαι καὶ… καθαρμοί), un passage d’autant plus difficile à interpréter, qu’il est très mutilé5. Or, si l’on se fie à la restitution complète proposée par Rudolph Herzog, on peut penser que le sacrifice de bêtes pleines offert « aux dieux ou aux déesses »6 n’était pas seulement permis (ὅσιον), mais aussi bien réglementé : on prescrit, en effet – toujours selon Herzog – que le vendeur qui aurait fourni, à la cité ou à un particulier, des victimes qui se seraient avérées n’être pas pleines, ne serait pas payé7. Certes, acceptées plus ou moins par certains hellénistes8, ces restitutions ne sont pas reprises dans l’édition des IG XII, 4, et il est vrai que la prudence s’impose devant un texte si incertain9.

  • 10 J’ai tenté d’explorer ce sacrifice « étrange » et de préciser le sens de l’épiclèse de Dionysos dan (...)
  • 11 Macrobe, Saturnales, III, 11, 10. Ce sacrifice et, plus généralement, l’immolation de bêtes pleines (...)

3On pourrait cependant admettre, le cas échéant, la présence de divinités mâles, en tant que destinatrices de ce type de sacrifice, en évoquant deux raisons probables. Tout d’abord, il ne faudrait pas exclure la possibilité d’une pratique propre à Cos, comme le montrent nombreuses modalités sacrificielles qui s’expliquent surtout par leur caractère local. Les faits grecs, d’ailleurs, ne cessent de nous surprendre par ce type d’attestations « isolées », par ces « hapax » qu’on peine à classer dans des cadres « normatifs », préalablement établis. Ensuite, même si l’on en reste à une interprétation minimale du sacrifice des bêtes pleines, en n’y voyant que le motif de la « prospérité de la terre », pourquoi devrait-on en exclure la présence de divinités mâles, associées, d’une façon ou d’une autre, à la notion de la fertilité du sol, comme c’est le cas de certains Zeus ou d’autres dieux ? Quoi qu’il en soit, il ne serait pas inopportun de rappeler, dans ce contexte, que le rapport entre un dieu et une bête pleine n’est pas absent des cultes grecs, comme le montre ce sacrifice particulier dont témoigne Élien : les habitants de l’île de Ténédos « nourrissent » (trephousi) une vache, pour immoler ensuite son veau nouveau-né à un Dionysos appelé Anthrôporrhaistês. Certes, dans ce cas, c’est le petit qu’on sacrifie, à peine sorti des entrailles de sa mère, et non pas la mère elle-même qui, après avoir mis bas, sera au contraire traitée comme une « accouchée » (lekhô)10. Néanmoins, ce rituel établit une association troublante entre, d’une part, le dieu, et de l’autre, la bête pleine et le fruit de son ventre, une association qui devrait sans doute être repensée en rapport avec le contexte sacrificiel des animaux gravides. De tels témoignages « inclassables » se rencontrent aussi à Rome. J’en veux pour preuve le sacrifice d’une truie pleine qu’on offre, le 12 des calendes de janvier, à Hercule et à Cérès, avec des pains et du vin miellé11.

1. Une brebis pleine : de l’Athéna Skiras au Phalère…

  • 12 Sur ce genos, je renvoie, à titre seulement indicatif, à l’étude de référence de Ferguson, 1938 ; à (...)
  • 13 GHI, n° 37, l. 93 (= LSS, n° 19, l. 92). Pausanias a vu un « temple » (ναός) d’Athéna Skiras au Pha (...)
  • 14 Cette prescription, dit Robert Parker (2005, p. 418), « runs scandalously, “For Athena Skiras a pre (...)
  • 15 GHI, n° 37, l. 8-10 (prêtrise), l. 50-52 (décrets).
  • 16 DELG, s. v. ὄσχη (ou ὤσχη ; ou encore, au masculin : ὦσχος ⁄ ὦσχοι). Cf. Bekker, Anecdota graeca, 1 (...)
  • 17 GHI, n° 37, l. 47-50.

4Après ces considérations rapides et partielles sur ce thème à la fois complexe et fascinant des sacrifices grecs, revenons à notre Athéna qui accepte volontiers sur son autel l’immolation d’une bête pleine. Certes, cet acte est pour le moment attesté seulement deux fois, en Attique et à Cos, mais cela ne le rend pas moins intéressant – il s’en faut de beaucoup. Tout d’abord, en Attique, c’est l’important genos des Salaminiens12 qui, chaque année au mois de Maimaktêriôn (novembre-décembre), sacrifie à Athéna Skiras une brebis pleine (οἶν ἐνκύμονα) de 12 drachmes13. Il est vrai que ce sacrifice pourrait paraître assez déconcertant14. Mais il faudrait, sans doute, prendre en compte une série de facteurs susceptibles de l’éclairer davantage. Tout d’abord, on voit mal pour quelles raisons les Salaminiens auraient honoré cette déesse par une offrande « anormale et mineure ». Athéna Skiras semble être, pour les Salaminiens, une divinité majeure, dotée d’une prêtrise et d’un sanctuaire au Phalère, un lieu de « publicité », où les décrets du genos, gravés sur des stèles, étaient exposés (ἐν τῶι ἱερῶι)15. Pendant la fête attique des Oschophories, c’était, d’ailleurs, dans ce sanctuaire qu’arrivait la procession des oschophoroi, des deux « jeunes gens » ou « éphèbes » qui, partant d’un sanctuaire athénien de Dionysos, portaient pour « offrir à Athéna Skiras » des oschai ou ôschai, à savoir des « branches de vigne avec leurs grappes »16. Mais les liens entre cette fête et les Salaminiens ne s’arrêtent pas là. C’est en effet un archonte du genos qui, avec la prêtresse et le héraut, désigne les ôschophoroi, ainsi que les deipnophoroi (des femmes « porteuses de repas »), parmi sans doute les membres du genos – un acte accompli « selon les coutumes des ancêtres » (κατὰ τὰ πάτρια)17.

  • 18 Cf., Mikalson, 1975, p. 68-69 ; Parker, 1996, p. 315-316 ;
  • 19 Deubner, 1932, p. 142-147 (toujours précieux pour ses références) ; Calame, 19962, passim, en parti (...)
  • 20 L’interprétation « initiatique » n’est pas si « récente », comme on le pense parfois : cf. surtout (...)
  • 21 Cf. Plutarque, Thésée, 23, 4, où les Oschophories sont associés à « la récolte des fruits » (συγκομ (...)
  • 22 Et, de ce point de vue, je suis d’accord avec Scullion, lorsqu’il met en rapport ce sacrifice avec (...)
  • 23 Que Columelle préférait à ceux de printemps, pour que les brebis mettent bas « après la récolte des (...)

5Certes, la fête des Oschophories, célébrée probablement au mois de Pyanepsiôn (octobre-novembre)18, ne se limite pas à cette procession qui met en avant, entre autres, la vigne et ses fruits. Fête complexe, associée au retour de Thésée à Athènes, elle embrasse plusieurs éléments et gestes rituels : il y est question de travestissements, de danses, de chants, de course à pied, mais aussi de repas, d’aliments carnés et des céréales, voire de cette coupe « quintuple » (πενταπλόα κύλιξ, πενταπλῆ φιάλη), contenant un mélange de cinq ingrédients (vin, miel, fromage, farine d’orge et un peu d’huile), qu’on offrait au vainqueur de la course ou auquel on le faisait goûter19. Pour interpréter cette fête polyvalente, on a mis l’accent ou bien sur son rapport au cycle agricole et à la saison des vendanges, ou encore sur son caractère initiatique qui la fait paraître comme un rite de passage20. Cependant, dans une fête où s’entremêlent tant de mythes (relatifs à Thésée) et de pratiques cultuelles, on n’est pas obligé de choisir entre deux options, de se ranger à l’une des explications au détriment de l’autre. N’entrant pas ici dans une discussion qui m’aurait menée trop loin, je dirais seulement que, de toute façon, on ne saurait éluder complètement l’aspect agricole dont témoigne, aussi, cette fête, dans sa relation avec Dionysos, bien évidemment, mais également avec Athéna Skiras et les rituels déroulés dans son sanctuaire, lieu central des Oschophories. Sans aller aussi loin que Ferguson, lorsqu’il qualifie cette Athéna de « goddess, possibly, not of generation but of fruition », je crois possible que des notions telles que la fertilité de la terre et la prospérité des fruits21 soient greffées sur les modes d’action de cette divinité. On pourrait ainsi mieux saisir le sens de ce sacrifice « déroutant » d’une brebis pleine à Athéna Skiras22, non pas au mois de Pyanepsiôn, mais à celui de Maimaktêriôn (voir supra), à la période des agnelages d’automne23. Cela dit, on verra que ces notions ne suffisent pas pour appréhender le mieux possible l’immolation – pourtant rare – de bêtes gravides à Athéna.

  • 24 Ces sacrifices étaient payés par les Salaminiens avec l’argent de la location d’une terre près du s (...)
  • 25 GHI, n° 37, l. 93 : Σκίρωι οἶν. Cet ois n’est pas qualifié expressément de « male », mais son prix, (...)
  • 26 GHI, n° 37, l. 93 : ξύλα ἐπὶ τὸν βωμόν ; il s’agirait, dans ce cas, de l’autel de la déesse dans so (...)

6Dernier point, enfin, avant d’aller à la rencontre d’une autre Athéna. Le sacrifice de la brebis pleine à Athéna Skiras fait partie de tous les hiera que les Salaminiens « sacrifient » (θύωσι) en l’honneur « des dieux et des héros selon les coutumes ancestrales » (l. 80 : κατὰ τὰ πάτρια)24. Mais la déesse n’est pas seule pendant cet acte rituel. Car il semble bien que la déesse partage son autel avec le héros Skiros qui reçoit, le même mois et sans doute le même jour, un mouton (mâle) de 15 drachmes25. On a donc affaire à un sacrifice « double », destiné à ces deux puissances sumbômoi, ce que suggère d’ailleurs l’unique prix de 3 drachmes mentionné « pour le bois sur l’autel »26. Une brebis pleine, un mouton male : on dirait que c’est une sorte de « famille animale » qu’on décide d’immoler, chaque année, sur l’autel commun de ces deux figures, la déesse et le héros, en accomplissant ainsi un sacrifice sexué « complet », avec le mâle, la femelle et le fruit de leur union.

2. … à l’Athéna Polias de Cos

  • 27 LSCG, 151 A ; GHI, n° 62 A ; voir la nouvelle édition dans les IG XII 4, n° 278, traduite et commen (...)
  • 28 Paul, 2013, p. 57 avec la note 158.
  • 29 IG XII 4, n° 278, l. 48-49 : sacrifice à Zeus Polieus (ἰκάδι· βοῦς ὁ κριθεὶς θύεται) ; l. 57-59 : s (...)

7Quittons maintenant l’Attique, pour aller visiter une autre Athéna, bien installée, cette fois, au cœur même de la cité. Car il s’agit de l’Athéna Polias de Cos, de cette divinité importante « de la cité », associée étroitement à Zeus Polieus dans cette inscription exceptionnelle pour ses généreuses descriptions rituelles, que constitue le calendrier des cultes (milieu du ive av. notre ère)27. Desservie par le même prêtre que celui qui était chargé des cultes de Zeus Polieus et des Douze Dieux28, Athéna Polias reçoit une brebis pleine (οἶς κυέοσα), le 20 du mois de Batromios (février-mars), « le même jour » (τᾶι αὐτᾶι ἁμέραι) que celui où l’on sacrifie à Zeus Polieus un bœuf choisi à la suite d’une procédure complexe où la beauté joue un rôle essentiel29. C’est le prêtre commun qui sacrifie la brebis à la déesse, fournit les hiera, et reçoit, comme γέρη, la peau et une patte de l’animal, des « parts d’honneur » habituelles dans ce calendrier, ce qui montre que l’animal sacrifié est traité comme les autres.

  • 30 Comme le remarque justement Paul, 2013, p. 56, 338.
  • 31 Voir les analyses, dans ce sens, de Bremmer, 2005, surtout p. 161-163.
  • 32 Sur ces points, voir les réflexions justes de Paul, 2013, en particulier, p. 275, 338-339. Cf. auss (...)
  • 33 Cf. Paul, 2013, p. 338, note 56 ; 382, avec références bibliographiques.
  • 34 Cf. Chandezon, 2003, p. 113.
  • 35 Sur ce calendrier des cultes, l’ouvrage de Stéphanie Paul est indispensable (2013, passim).
  • 36 IG XII 4, n° 278, l. 61 : οἶς τέλεως καὶ τελέα κυέοσα.
  • 37 IG XII 4, n° 274, l. 3 : Ῥέαι οἶς κυεῦσα. Bien qu’on attribue donc au mois de Karneios les célébrat (...)

8Ce sacrifice à Athéna Polias, qu’on ne saurait donc dissocier « des célébrations en l’honneur de Zeus Polieus », prend un sens particulier grâce à la position distinguée qu’occupe cette Athéna dans le panthéon de la cité, à côté de son père avec lequel elle « forme presque toujours un couple », partageant avec lui quatre autres épiclèses30. Loin d’être placé sous le signe de « l’anormal » et de la « nature négative » qui aurait caractérisé, en général, « la victime pleine »31, le sacrifice de la brebis gravide pourrait s’éclairer par la fonction même qu’assume Athéna Polias, en tant que divinité poliade, soucieuse de la cité et de ses composantes, veillant à la continuité et l’épanouissement de la communauté, dans le cadre aussi du rôle « kourotrophique » qu’elle peut jouer dans certains contextes32. Ceci dit, on pourrait ne pas s’arrêter là. Car une divinité d’une telle importance au sein de la cité peut aussi annexer diverses fonctions, étendre son mode d’action dans différents domaines, intervenir dans des champs qui lui sont plus ou moins inhabituels. Et je ne veux pas parler seulement de l’idée générale de la « fertilité », à laquelle Athéna peut adhérer dans certains cas. Je pense qu’on peut, sans doute, aller un peu plus loin et mettre aussi cette immolation en rapport avec la fécondité des animaux, qui contribue également, parallèlement à la croissance des plantes et aux bonnes récoltes, à la prospérité d’une communauté. Car ce sacrifice est fixé au mois de Batromios qui correspondrait à février-mars33, une période qui est associée non seulement à la croissance de la végétation, en général, mais aussi aux agnelages de printemps, dont le début se situe en janvier-février34. Certes, je ne veux pas réduire l’importance que revêt ce mois, dans le calendrier des cultes à Cos, à une simple dimension « pastorale », un mois si chargé de célébrations et de sacrifices35. Mais il ne serait pas inintéressant de remarquer que le 23 du même mois Batromios, Déméter, la déesse si accoutumées aux femelles gravides, reçoit non seulement un « mouton adulte », mais aussi une « (brebis) adulte, pleine »36. Ainsi, deux des trois sacrifices de bêtes pleines mentionnés dans les calendriers sacrificiels de Cos – ceux à Athéna Polias et à Déméter – sont accomplis durant ce mois printanier, tandis que le troisième sacrifice, d’une brebis pleine aussi, était destiné à Rhéa, probablement au mois automnal de Karneios (octobre-novembre)37. Ce fait n’a sans doute pas une signification majeure dans la conception globale de ces festivités ; néanmoins, on ne saurait exclure que des préoccupations concernant la fécondité animale puissent avoir joué un rôle dans l’organisation temporelle de ces sacrifices.

3. Une Athéna surnommée Mêtêr

  • 38 Cf. Loraux, 1981, p. 58-59. Nonnos (Dionysiaques, XIII, 174-175) qualifie de παιδοκόμος (« qui pren (...)
  • 39 Sur la définition de ce mot, voir les analyses pertinentes de Pirenne-Delforge, 2004.

9Complétons, cependant, nos remarques sur cette Athéna qui ne refuse pas la mise à mort d’une bête pleine sur ses autels, par quelques brèves réflexions sur la personnalité de la déesse qui pourraient, indirectement, faire mieux comprendre son implication dans ce type de sacrifices. On a rapidement fait référence à la fonction « kourotrophique » de cette divinité. Mais entendons-nous : si Athéna peut exercer cette fonction, en prenant par exemple en charge le petit Érichthonios38, si elle se comporte parfois comme une vrai « kourotrophe »39, elle n’est pas honorée en tant que Kourotrophos, elle ne porte pas cette épiclèse (du moins selon la documentation disponible), ce qui veut dire qu’on ne connaît pas, jusqu’à aujourd’hui, un culte adressé à une telle divinité.

  • 40 Même la Terre, cette « mère » par excellence, n’avait pas un culte en tant que Mêtêr (cf. Georgoudi (...)
  • 41 Βαδύς = Ƒᾱδύς = ἡδύς, « qui plaît » (DELG, s. v. ἥδομαι).
  • 42 Pausanias, V, 3, 2 (CUF, trad. de J. Pouilloux, un peu modifiée). Je note qu’au début, les femmes s (...)

10En revanche, on trouve, en Élide, le culte unique d’une Athéna Mêtêr, donc d’une Athéna « Mère », ce qui constitue un fait étrange et insolite, non seulement parce qu’il concerne une Parthenos qui ne connaît ni mari, ni enfants, mais parce qu’il va à l’encontre du peu d’intérêt que manifestaient les Grecs pour l’épiclèse Mêtêr40. Selon le récit de Pausanias (V, 1, 9-3, 2), Augias, le roi d’Élis, persuada jadis Héraclès, « de lui débarrasser sa terre du fumier » accumulé par ses troupeaux de bœufs et de chèvres. Mais comme Augias refusait de lui donner le salaire promis, Héraclès « s’empara d’Élis et la ravagea ». Finalement, à la suite d’un oracle, Héraclès arrêta son agression, laissa Augias impuni et remit le pays d’Élide à Phyleus, fils du roi. Il semble cependant que cette guerre ait provoqué ce que les Grecs appelaient, dans pareilles circonstances, une spanis andrôn, un « manque d’hommes ». Devant cette situation catastrophique pour la survie de la communauté, les femmes d’Élide prennent les choses en main : « comme le pays était privé d’adultes, elles adressèrent, dit-on, des prières à Athéna pour être enceintes dès qu’elles seraient unies (μιχθῶσι) aux hommes ; leur prière fut exaucée et elles fondèrent un sanctuaire d’Athéna avec l’épiclèse de Mère (καὶ ᾽Αθηνᾶς ἱερὸν ἐπίκλησιν Μητρὸς ἱδρύσαντο). Et comme aussi bien les femmes que les hommes avaient éprouvé un plaisir extrême à cette union (τῇ μίξει), là où ils s’étaient unis pour la première fois, ils appellent cet endroit « Délicieux » (Βαδύ41) et le fleuve qui coule là « Eau délicieuse » dans la langue du pays »42.

  • 43 Cf. Pirenne-Delforge, 2005, p. 134. Sur le « bouillonnement du désir », cf. Pironti, 2007, p. 164-1 (...)

11Comment comprendre cette intervention bénéfique d’une déesse qui fuit énergiquement tout contact avec le mâle, comme le montre, par exemple, le mythe athénien sur la naissance d’Érichthonios ? Mais c’est elle qu’implorent les femmes d’Élide, cette divinité qui refuse l’union sexuelle et, par conséquent, pourrait-on dire, la maternité, alors qu’elles auraient pu s’adresser à d’autres puissances divines, donc le culte est bien présent dans le pays : à Artémis, par exemple, protectrice des femmes en couches et de leurs enfants ; ou à Aphrodite, la mère d’Éros, une déesse qui fait surgir le désir bouillonnant au cœur des dieux et des hommes43 ; ou encore, pourrait-on ajouter, à Héra qui règne à Olympie et qui est une déesse si liée au mariage.

  • 44 Pirenne-Delforge, 2005, p. 134-136. Dans une bonne étude sur l’aspect maternel d’Athéna, surtout da (...)
  • 45 Sur cette Aphrodite et la localisation de son enceinte, de son peribolos, dont parle Pausanias (I, (...)

12Pour expliquer donc cette Athéna exceptionnelle, dont l’épiclèse Mêtêr n’apparaît pas moins paradoxale, Vinciane Pirenne-Delforge a formulé une hypothèse très intéressante, en proposant une comparaison avec l’Athéna d’Athènes44. En effet, il y aurait des « analogies… frappantes » entre l’Athéna des Athéniens et l’Athéna des Éléens : toutes les deux règnent sur l’Acropole de leurs cités respectives ; toutes les deux sont associées à des souverains guerriers ou à des rois du lieu ; toutes les deux jouent un rôle important dans la survie et la pérennité d’une communauté ; par ailleurs, ajoute l’auteure, « la puissance génératrice liée au fleuve « délicieux » est associée à la pulsion sexuelle et au plaisir érotique », ce qui rappellerait la relation établie, à travers les « arrhéphories athéniennes », entre l’Athéna de l’Acropole d’Athènes et l’Aphrodite dite « aux Jardins » (en Kêpois)45.

  • 46 Apollodore (III, 14, 6) dira qu’Héphaïstos : εἰς ἐπιθυμίαν ὤλισθε τῆς Ἀθηνᾶς, littéralement « il a (...)

13Tout en gardant à l’esprit la valeur certaine d’une telle hypothèse, je me demande si l’on ne pourrait pas essayer de trouver une explication à ce fait cultuel, en prenant en compte aussi certains éléments locaux, bref en se plaçant plus dans le contexte éléen, tout en faisant également appel à certaines fonctions assumées généralement par Athéna, sur un plan panhellénique. Alors, posons à nouveau la question : pourquoi Athéna ? Tout d’abord, malgré la présence en Élide d’autres déesses importantes, Athéna y occupe une place particulière, puisque, outre les autres sanctuaires ou autels qu’elle possède dans le pays des Éléens, elle règne aussi, comme il a été dit, sur l’Acropole d’Élis (Pausanias, VI, 26, 3). Ensuite, qu’elle soit à Athènes, à Élis ou ailleurs, Athéna, comme on l’a souvent répété, a une fonction kourotrophique reconnue, elle veille au développement des jeunes gens et au renouvellement des générations. Les femmes éléennes s’adressent donc à la déesse pour que le pays soit repeuplé d’enfants, grâce à ce pouvoir divin. Par ailleurs, bien qu’Athéna rejette tout contact sexuel avec un mâle, elle n’en est pas moins capable d’inspirer la passion érotique, comme le montre le comportement d’Héphaïstos, qui tombe amoureux de la déesse46 et désire ardemment de s’unir à elle. S’il en est ainsi, on pourrait supposer qu’Athéna a la capacité d’insuffler, aussi bien aux hommes qu’aux femmes, une pulsion réciproque, un plaisir érotique mutuel, ressenti fortement par les hommes et les femmes pendant leur union, que les Grecs appellent mixis : littéralement « mélange ».

  • 47 Pausanias, VI, 19, 12 ; 25, 2.
  • 48 « Ce qui est appelé βαδὺ ὕδωρ par les gens du pays (ὑπὸ τῶν ἐγχωρίων) ».

14Mais il y a encore une autre présence qui entre en ligne de compte et qui joue sans doute un certain rôle, à savoir Héraclès. Héraclès en effet non seulement renonça à continuer la guerre contre l’Élide, mais est devenu une figure importante en Élide, puisque, selon une tradition, il est présenté comme fondateur des Jeux Olympiques. Or, Athéna est la grande protectrice d’Héraclès, son « alliée » fidèle (summachos), sa « collaboratrice » (sunergos)47, et elle se trouve souvent, en Élide, aux côtés du héros. Dans ce contexte donc, il est intéressant de signaler qu’Héraclès est aussi associé à ce fleuve à côté duquel s’étaient unis hommes et femmes. En effet, d’après une scholie au Phèdre de Platon (89c), ce fleuve devait son nom d’« Eau Délicieuse » (ἡδὺ ὕδωρ)48, à Héraclès qui, poursuivi par les Molionides, deux frères jumeaux, neveux du roi Augias, arriva à cet endroit et se désaltéra dans son courant. Certes, dans les deux cas, il ne s’agit pas du même type de plaisir, mais l’implication d’Héraclès dans l’histoire d’Élide, et dans le dénomination du fleuve, ainsi que ses relations étroites avec Athéna étoffent, d’une certaine façon, la caractère local de ces évènements légendaires.

  • 49 Athénée, XIII, 565f-566a et 609f-610a ; l’auteur se réfère à Théophraste, à Dionysios de Leuctres e (...)
  • 50 Sur le sens de ce mot : DELG, s. v. θύω (2, A 3).

15Enfin, on pourrait ajouter au dossier un dernier élément qui plaide aussi, me semble-t-il, en faveur d’une interprétation plutôt locale de ce culte insolite d’Athéna Mêtêr. L’association entre Athéna et les jeunes gens en Élide se donne à voir, en effet, dans un concours de beauté et de perfection virile, appelé en grec agôn kallous ou euandria, une compétition qui se déroulait en l’honneur d’Athéna d’Élis, très probablement celle qui régnait sur l’Acropole de la cité. La comparaison entre deux passages d’Athénée49 montre que les vainqueurs de ce concours, couronnés de myrte, recevaient, comme prix, des armes (ὅπλα) qu’ils consacraient à Athéna. De plus, le premier vainqueur avait l’honneur de porter des ustensiles (τεύχη) de la déesse, le deuxième avait le privilège de conduire l’animal du sacrifice, en l’occurrence un bœuf, tandis que le troisième avait le droit de placer (sur l’autel) les θυηλαί, à savoir les « offrandes sacrifiées dans le feu »50. On pourrait dire ainsi que, dans une situation de crise, où la guerre décime la population des mâles, Athéna œuvre pour que la naissance de nouveaux citoyens soit assurée. Mais la déesse veille aussi, par la suite, à la croissance et au développement de cette jeunesse, en mettant en avant les qualités de beauté, de vigueur, de vaillance des jeunes gens.

  • 51 Pirenne-Delforge, 2005, p. 135-136.
  • 52 Diodore de Sicile, IV, 79, 7-80, 2.

16Dans un tel contexte, l’Athéna Mêtêr d’Élide est une « mère », non pas en un sens biologique, mais dans une acception symbolique, « métaphorique »51, en tant que divinité qui prend soin, comme le ferait une « mère », de la cité et de ses enfants, en leur témoignant une sollicitude affectueuse, en assurant, telle une « nourrice » attentive, la continuité et la pérennité de la communauté. De ce point de vue, la déesse est qualifiée de « mère » au même titre que les déesses, les θεαί, qui avaient nourri (θρέψαι), en Crète, l’enfant Zeus et qui étaient honorées, dans leur sanctuaire, sous l’épiclèse de Μητέραι « Mères »52.

Post-scriptum : Une truie pleine pour l’Athéna acropolitaine d’Athènes ?

  • 53 van Straten, 1995, p. 77, fig. 79 (Athènes, Musée de l’Acropole) ; Palagia, 1995, pl. 114.
  • 54 Cf., cependant, Kontoleon (1970, p. 16-17, pl. IV), qui parle bizarrement d’un « porcelet » ! Quant (...)
  • 55 Cf., par exemple, le décret des Salaminiens, GHI, n° 37, l. 88-89 : « En Hekatombaiôn, aux Panathén (...)
  • 56 Cf., entre autres, van Straten (p. 77 et 289 R 58), qui reconnaît aussi une autre truie gravide sur (...)

17Pour clore cette première approche des sacrifices de bêtes pleines à Athéna, qui semblent avoir tant brouillé l’image de cette vierge irréductible, j’aimerais revenir, à mon tour (mais très rapidement et sans reconsidérer la question) à ce beau document iconographique, que constitue un relief bien connu de l’Acropole d’Athènes (c. 500-480 av. notre ère)53. On y voit Athéna, haute figure filiforme, gracieuse comme une jeune fille, en train de recevoir l’hommage d’une famille de fidèles : le père, la mère et leurs trois enfants, deux garçons et une fille. La victime qu’ils amènent à la déesse est sûrement une truie, et sur ce point tout le monde est d’accord ou presque54. Le choix de cette victime n’étonne pas d’ailleurs. Athéna ne dédaigne pas les porcins55, bien qu’elle n’en raffole pas, comme sa tante Déméter. Or, selon certains, il s’agirait d’une truie pleine56 – bien qu’une grande cassure cache une bonne partie du corps de l’animal, surtout au niveau du ventre. Il est vrai, qu’elle a les mamelles et les mamelons assez gonflés, mais cela pourrait suggérer aussi bien une grossesse, qu’une récente mise bas. Quoi qu’il en soit, comme pour les brebis gravides au Phalère ou à Cos, une truie pleine, offerte par une famille à Athéna, ne saurait être indigne d’une divinité qui, bien que « sans enfants », peut être invoquée, implorée, honorée comme une « vraie mère ».

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Bibliographie

Abréviations

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Notes

1 Ce qui n’est pas faux, mais qui semble plutôt insuffisant pour interpréter ces sacrifices.

2 Cette notion du « chthonien » a besoin d’un travail d’approfondissement ; car elle est associée – et parfois par le même spécialiste, sans trop d’explications – tantôt à la terre et aux travaux agricoles, tantôt au monde d’en bas et aux morts.

3 Je reprends l’examen de ses interprétations dans un ouvrage en cours sur les sacrifices et purifications dans le monde grec, dont un des chapitres est consacré aux sacrifices des bêtes gravides. Il y a quelques années, j’ai essayé d’entamer la réflexion dans un article provisoire (Georgoudi, 1994). Cependant, aujourd’hui je ne formulerais pas de la même façon certaines idées générales sur les sacrifices grecs (concernant, par exemple, le sacrifice du cheval et du chien [p. 173] ou la soi-disant « déviation de la norme » [p. 175]). Par ailleurs, la « rareté » de ce type de sacrifices, soulignée souvent par les modernes, devrait sans doute être reconsidérée, à la lumière des restes archéozoologiques trouvés dans certains sanctuaires grecs : cf. provisoirement, Ekroth, 2014, p. 334.

4 Sur cette affirmation, souvent répétée, cf., plus récemment et à titre d’exemple, Scullion, 2007, p. 199 ; Paul, 2013, p. 56, 337.

5 Herzog, 1928, p. 20-25, n° 8 B, l. 37-44 ; LSCG, n° 154 B, l. 37-44 ; voir maintenant IG XII, 4, n° 72 B, l. 84-91 (ca. 240 av. notre ère).

6 Herzog, 1928, n° 8 B, l. 37-38 : … θεοῖς ἢ θεαῖς οἷσιν κυόεν|[τα θύεν ὅσιόν ἐστιν…]

7 Herzog, 1928, n° 8 B, l. 38-39 : …τὰν τιμὰν μὴ ἀπολαμβ]άνεν τῶν θυομένων ἱερείων ἅ κα [μὴ κυόεντα ἐφευρεθῆι]. Je n’entre pas ici dans d’autres détails et incertitudes de ce passage, concernant, par exemple, l’autorisation éventuelle d’emporter des parts sacrificielles ; cf. Paul, 2013, p. 337.

8 Cf. Sokolowski (LSCG, n° 154 B, l. 37-44), qui modifie légèrement, à la l. 38, la restitution de Herzog : [τα θύεν ὅσιον καὶ ἔθιμον…] ; Goldstein (1978, p. 330-331), qui donne aussi une traduction des lignes 37-44 ; Scullion (1994, p. 86, note 26), qui considère ce passage comme « the only text even to allow the possibility of pregnant victims for gods », et il ajoute que l’expression « gods or goddesses to whom » (θεοῖς ἢ θεαῖς οἷσιν) peut être « merely a stereotyped legal phrase » – comme si l’on voulait vider de son contenu cette expression ; Bremmer (2005, p. 156, note 5), qui suit Scullion.

9 Prudence exprimée par Paul (2013, p. 336-337), qui suit le texte des IG.

10 J’ai tenté d’explorer ce sacrifice « étrange » et de préciser le sens de l’épiclèse de Dionysos dans Georgoudi, 2011.

11 Macrobe, Saturnales, III, 11, 10. Ce sacrifice et, plus généralement, l’immolation de bêtes pleines à Cérès ou à Tellus, seront examinés dans l’ouvrage cité (supra, note 3).

12 Sur ce genos, je renvoie, à titre seulement indicatif, à l’étude de référence de Ferguson, 1938 ; à la synthèse substantielle de Parker, 1996, p. 308-316 ; à l’article suggestif de Leduc, 1998. Cf. aussi les références citées dans GHI, n° 37, p. 182.

13 GHI, n° 37, l. 93 (= LSS, n° 19, l. 92). Pausanias a vu un « temple » (ναός) d’Athéna Skiras au Phalère (I, 1, 4), et il précise plus loin (I, 36, 4), que c’était un devin du nom de Skiros qui « arriva de Dodone » et « fonda l’antique sanctuaire (τὸ ἀρχαῖον ἱερόν) d’Athéna Skiras au Phalère ». On a beaucoup disserté sur l’existence d’un « second sanctuaire d’Athéna Skiras » au « lieu dit Skiron », au bord de la Voie Sacrée qui conduisait d’Athènes à Éleusis (cf., à titre d’exemple, Calame, 19962, p. 339-344). Dans l’impossibilité de reprendre ici ce dossier, je me range à l’avis de Robert Parker (2005, p. 175 et note 82 ; cf. p. 214 et note 98), qui pense avec justesse qu’il s’agit, « in all probability », d’un « paper sanctuary », produit de multiples confusions.

14 Cette prescription, dit Robert Parker (2005, p. 418), « runs scandalously, “For Athena Skiras a pregnant sheep” ». Car – s’interroge-t-il – « What has Athena, most virginal virgin of Attica as she has been called, to do with a pregnant sheep ? ». Et il ajoute qu’on ne saurait non plus faire attribuer à Athéna des fonctions agricoles sur la base « of this anomalous minor offering in the calendar of a subgroup ».

15 GHI, n° 37, l. 8-10 (prêtrise), l. 50-52 (décrets).

16 DELG, s. v. ὄσχη (ou ὤσχη ; ou encore, au masculin : ὦσχος ⁄ ὦσχοι). Cf. Bekker, Anecdota graeca, 1, 318, 23 : ὠσχοφόροι· οἱ ταῦτα (sc. les branches de vigne) τῇ Σκιράδι ᾽Αθηνᾷ προσφέροντες.

17 GHI, n° 37, l. 47-50.

18 Cf., Mikalson, 1975, p. 68-69 ; Parker, 1996, p. 315-316 ;

19 Deubner, 1932, p. 142-147 (toujours précieux pour ses références) ; Calame, 19962, passim, en particulier, p. 143-148, 324-327.

20 L’interprétation « initiatique » n’est pas si « récente », comme on le pense parfois : cf. surtout Jeanmaire, 1939, p. 344-363 (sur les « rites de passage clôturant un cycle de rites d’adolescence ») ; Séchan et Lévêque, 1966, p. 333, où les auteurs parlent de « travestissement » et de « rite de passage », tout en considérant « qu’à l’origine, on a affaire avec les Oschophories à une liturgie agraire ». Sur la fête et ces deux tendances interprétatives, cf. Parker, 2005, p. 211-217.

21 Cf. Plutarque, Thésée, 23, 4, où les Oschophories sont associés à « la récolte des fruits » (συγκομιζομένης ὀπώρας).

22 Et, de ce point de vue, je suis d’accord avec Scullion, lorsqu’il met en rapport ce sacrifice avec le concept de fertilité (2007, p. 199) : « It seems possible that Athena Skiras, as special goddess of Salamis or of the clan, might be associated with the prosperity of the fruits of the earth ». Mais je pense que Ferguson (1938, p. 40), va trop loin quand il attribue à cette Athéna un rôle, je dirais, d’« accoucheuse » : « she helped the flocks to safe and abundant deliverance in the critical time when their young were born ».

23 Que Columelle préférait à ceux de printemps, pour que les brebis mettent bas « après la récolte des vignes » (VII, 3, 11) ; cf. Chandezon, 2003, p. 113. Voir aussi Ferguson, 1938, p. 28 : « in the lambing season ».

24 Ces sacrifices étaient payés par les Salaminiens avec l’argent de la location d’une terre près du sanctuaire d’Héraclès (l. 83-84, 94-95) ; cf. Ferguson, 1938, p. 45, 68.

25 GHI, n° 37, l. 93 : Σκίρωι οἶν. Cet ois n’est pas qualifié expressément de « male », mais son prix, plus élevé que celui des femelles sacrifiées d’habitude aux déesses, est un indice de son sexe. Certes, il pourrait s’agir d’un male castré (cf. van Straten 1995, p. 181-184), mais cela veut dire aussi qu’il était auparavant un reproducteur.

26 GHI, n° 37, l. 93 : ξύλα ἐπὶ τὸν βωμόν ; il s’agirait, dans ce cas, de l’autel de la déesse dans son sanctuaire du Phalère (cf. Ferguson, 1938, p. 18, 28). Voir aussi, sur ce point, Rosivach (1994, p. 41, note 83), qui élève cependant Skiros au rang divin, sans raison valable.

27 LSCG, 151 A ; GHI, n° 62 A ; voir la nouvelle édition dans les IG XII 4, n° 278, traduite et commentée avec compétence par Stéphanie Paul (2013, passim).

28 Paul, 2013, p. 57 avec la note 158.

29 IG XII 4, n° 278, l. 48-49 : sacrifice à Zeus Polieus (ἰκάδι· βοῦς ὁ κριθεὶς θύεται) ; l. 57-59 : sacrifice à Athéna Polias. Pour le nom du mois Batromios, en relation avec le choix du bœuf de Zeus, voir IG XII 4, n° 274 (LSCG, 151 B = GHI, n° 62 B), l. 12.

30 Comme le remarque justement Paul, 2013, p. 56, 338.

31 Voir les analyses, dans ce sens, de Bremmer, 2005, surtout p. 161-163.

32 Sur ces points, voir les réflexions justes de Paul, 2013, en particulier, p. 275, 338-339. Cf. aussi Brulé, 1987, p. 71.

33 Cf. Paul, 2013, p. 338, note 56 ; 382, avec références bibliographiques.

34 Cf. Chandezon, 2003, p. 113.

35 Sur ce calendrier des cultes, l’ouvrage de Stéphanie Paul est indispensable (2013, passim).

36 IG XII 4, n° 278, l. 61 : οἶς τέλεως καὶ τελέα κυέοσα.

37 IG XII 4, n° 274, l. 3 : Ῥέαι οἶς κυεῦσα. Bien qu’on attribue donc au mois de Karneios les célébrations mentionnées dans cette inscription – qui constitue l’une des quatre stèles portant sur le calendrier des cultes de la cité (cf. Paul, 2013, p. 328-329) –, le nom de Batromios qu’on arrive à déchiffrer au tout début de ce fragment (l. 1) laisse perplexe.

38 Cf. Loraux, 1981, p. 58-59. Nonnos (Dionysiaques, XIII, 174-175) qualifie de παιδοκόμος (« qui prend soin des enfants »), cette « vierge », cette παρθένος, qui « a nourri de son sein viril » Érechthée (appelé plus souvent Érichthonios).

39 Sur la définition de ce mot, voir les analyses pertinentes de Pirenne-Delforge, 2004.

40 Même la Terre, cette « mère » par excellence, n’avait pas un culte en tant que Mêtêr (cf. Georgoudi, 2002).

41 Βαδύς = Ƒᾱδύς = ἡδύς, « qui plaît » (DELG, s. v. ἥδομαι).

42 Pausanias, V, 3, 2 (CUF, trad. de J. Pouilloux, un peu modifiée). Je note qu’au début, les femmes s’adressent à la déesse Athéna tout court, une Athéna non qualifiée par une épiclèse.

43 Cf. Pirenne-Delforge, 2005, p. 134. Sur le « bouillonnement du désir », cf. Pironti, 2007, p. 164-168.

44 Pirenne-Delforge, 2005, p. 134-136. Dans une bonne étude sur l’aspect maternel d’Athéna, surtout dans la littérature, Vincent Cuche (2015), propose aussi une comparaison entre l’Athéna des Éléens, l’Athéna d’Athènes, et l’Athéna poliade de la Chronique de Lindos. Par rapport à Athéna Mêtêr, je note seulement qu’aucun indice ne nous permet de situer le sanctuaire fondé par les femmes « au lieu dit Badu… probablement dans la campagne élidienne » (Cuche, 2015, p. 15). Le texte de Pausanias ne laisse pas entendre un tel emplacement.

45 Sur cette Aphrodite et la localisation de son enceinte, de son peribolos, dont parle Pausanias (I, 27, 3), voir Pirenne-Delforge, 1994, en particulier, p. 48-66.

46 Apollodore (III, 14, 6) dira qu’Héphaïstos : εἰς ἐπιθυμίαν ὤλισθε τῆς Ἀθηνᾶς, littéralement « il a glissé dans le désir pour Athéna » ; cf. aussi Rudhardt, 1990, p. 383.

47 Pausanias, VI, 19, 12 ; 25, 2.

48 « Ce qui est appelé βαδὺ ὕδωρ par les gens du pays (ὑπὸ τῶν ἐγχωρίων) ».

49 Athénée, XIII, 565f-566a et 609f-610a ; l’auteur se réfère à Théophraste, à Dionysios de Leuctres et à Myrsilos.

50 Sur le sens de ce mot : DELG, s. v. θύω (2, A 3).

51 Pirenne-Delforge, 2005, p. 135-136.

52 Diodore de Sicile, IV, 79, 7-80, 2.

53 van Straten, 1995, p. 77, fig. 79 (Athènes, Musée de l’Acropole) ; Palagia, 1995, pl. 114.

54 Cf., cependant, Kontoleon (1970, p. 16-17, pl. IV), qui parle bizarrement d’un « porcelet » ! Quant à Maria Brouskari (1974, p. 53, n° 581, fig. 94), auteur du Guide du Musée de l’Acropole, elle ne se compromet pas : elle écrit χοῖρος qui, en grec moderne, désigne, en général, le porc.

55 Cf., par exemple, le décret des Salaminiens, GHI, n° 37, l. 88-89 : « En Hekatombaiôn, aux Panathénées, une truie, 40 drachmes » ; l. 89-90 : « En Metageitniôn… à Athéna Agelaa, un porcelet, 3 drachmes, 3 oboles » ; Tetrapolis de Marathon, IGII2 1358, A col. 1, l. 55 : « à Athéna Hellôtis, un porcelet, 3 drachmes » (avec la révision du texte et le commentaire de Lambert, 2000, p. 57).

56 Cf., entre autres, van Straten (p. 77 et 289 R 58), qui reconnaît aussi une autre truie gravide sur une loutrophore attique à figures rouges (525-500 av. notre ère), un animal que la famille (?) représentée aurait destiné aussi à Athéna, sur l’Acropole (p. 26 et 205 V 67, fig. 20).

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Pour citer cet article

Référence papier

Stella Georgoudi, « Des bêtes pleines à Athéna ? Un sacrifice pas si étrange »Pallas, 100 | 2016, 91-102.

Référence électronique

Stella Georgoudi, « Des bêtes pleines à Athéna ? Un sacrifice pas si étrange »Pallas [En ligne], 100 | 2016, mis en ligne le 15 avril 2016, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/2840 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.2840

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Stella Georgoudi

Directrice d’études émérite EPHE
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