Cruz Andreotti, Gonzalo, (dir.), Roman Turdetania. Romanization, Identity and Socio-Cultural Interaction in the South of the Iberian Peninsula between the 4th and 1st centuries BCE
Cruz Andreotti, Gonzalo, (dir.), Roman Turdetania. Romanization, Identity and Socio-Cultural Interaction in the South of the Iberian Peninsula between the 4th and 1st centuries BCE, Leiden/Boston, Brill éditions, 256 p. - ISBN 9789004373402
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif rassemble une dizaine de contributions, rédigées en anglais, consacrées à l’étude des transformations politiques, sociales et économiques qui ont touché la Turdétanie – un territoire à associer avec les espaces actuels de la vallée du Guadalquivir et du littoral andalou – entre l’expansion carthaginoise et la conquête romaine (ive-ier siècle av. J.-C.). Cette publication marque l’aboutissement de plusieurs années de recherche, et chacune des contributions qui le composent se fonde sur une documentation riche et variée (données archéologiques, analyses numismatiques, études philologiques et historiques). La principale problématique explorée concerne l’incidence de la « romanisation » dans l’histoire du sud de l’Ibérie, en rupture avec les idées essentialistes et positivistes associées traditionnellement à cette notion. Cette thématique n’est pas nouvelle et les auteurs auraient pu tomber dans le piège de la simple contestation. Néanmoins, les réflexions proposées en offrent une lecture intéressante, en considérant que cette « romanisation » a été l’aboutissement d’un processus en action depuis l’époque de la mythique Tartessos (p. VIII). Le champ chronologique envisagé ne se limite donc pas à la seule période tardo-républicaine, tout comme il ne considère pas uniquement l’influence de l’Urbs en Ibérie, mais s’inscrit dans une vision diachronique et interculturelle (associant les influences grecques, phéniciennes, puniques et romaines) qui fait toute l’originalité de cette publication.
2Les divers questionnements explorés sont présentés dans une préface où Gonzalo Cruz Andreotti met l’accent sur l’intérêt représenté par les continuités indigènes, ou plutôt sur celui induit par le maintien des configurations préromaines. Il s’agirait de ne plus les voir comme des atavismes culturels ou des formes de résistance, mais plutôt comme les composantes de nouvelles formes d’organisation associées à la domination romaine (p. IX). La « romanisation » de la Turdétanie a toutefois nécessairement causé des accommodements et des tensions entre les différents groupes en présence. C’est face à ces tensions que l’étude des identités est envisagée comme un axe central pour la compréhension des dynamiques initiées par la conquête romaine. Malgré la diversité des perspectives et la pluralité des approches, les différentes contributions peuvent être regroupées en trois ensembles thématiques.
3Le premier ensemble concerne la critique philologique et historique des textes anciens relatifs à la Turdétanie. Il est constitué par les trois premières contributions : celle de Gonzalo Cruz Andreotti (ayant pour titre Strabo and the Invention of Turdetania, p. 1 à 12), celle de Pierre Moret (Historians vs. Geographers : Divergent Uses of the ethnic Name Turdetania in the Greek and Roman Tradition, p. 13 à 33) et celle d’Encarnación Castro-Páez (The City as a Structural Element in Turdetanian Identity in the work of Strabo, p. 34 à 45). Ces trois auteurs reviennent tour à tour sur les conditions de l’élaboration du choronyme « Turdétanie », au travers des textes des géographes et historiens antiques : Strabon, Posidonius, Artémidore, Polybe, Appien, Ptolémée, Caton et Tite-Live, entre autres.
4Dès les premières lignes de l’étude de Gonzalo Cruz Andreotti, le lecteur est confronté à toute l’ambiguïté induite par le récit de Strabon sur la Turdétanie. Le lien entre les termes « Turdétanie » et « Turdétan », d’une part, et l’espace de la vallée Guadalquivir actuelle, d’autre part, apparaît uniquement chez Strabon et Ptolémée, à partir du moment de l’occupation romaine de l’Ibérie. À l’inverse, on constate que ces désignations sont absentes des textes antérieurs, notamment de ceux de Posidonius et d’Artémidore (p. 3). D’ailleurs, lorsque l’on considère l’histoire du choronyme Turdétanie, on s’aperçoit que les références de Strabon font figure d’exception (p. 29-32). La Turdétanie, en tant que territoire associé à la mythique Tartessos, devrait alors être examinée comme un récit élaboré en fonction de visées politiques et idéologiques, un constat qui conduit à s’interroger sur la congruence de cette appellation.
5Pierre Moret apporte des arguments en ce sens, dans le cadre d’un examen des « déplacements » dont le choronyme Turdétanie et l’ethnonyme Turdétan ont été l’objet : ces désignations furent d’abord localisées dans le nord et le centre de l’Ibérie (Caton, Tite-Live et Polybe), avant d’être situées dans le sud de la péninsule par Strabon et Ptolémée (p. 13-22). Pour comprendre cette instabilité, Pierre Moret insiste sur l’étymologie latine de ces appellations, et sur leur valeur politique dans les récits de Strabon et de Ptolémée. Par ailleurs, il rappelle que l’on ne retrouve pas de références Turdetanus/Turdetana dans la documentation épigraphique de la région du Guadalquivir, les inscriptions mentionnant plutôt celles de Baeticus/Baetica et Turdulus/Turdula (p. 28-29). Le fait que les Turdétans soient présentés par Tite-Live comme une population ayant été annihilée par Rome, au cours de la seconde Guerre Punique (p. 16), conduit à interroger la validité des localisations ultérieures.
6L’étude d’Encarnación Castro-Páez examine également la portée politique du récit de Strabon, en étudiant le rôle central attribué à la configuration civique de la Turdétanie. Ce dernier insiste en effet sur le nombre de cité présentes dans la région, ainsi que sur leur richesse culturelle et économique. Encarnación Castro-Páez propose plusieurs niveaux de lecture pour analyser ce propos chez Strabon. Elle le considère tout d’abord comme une marque de la volonté de cet auteur à se placer dans la continuité de la tradition des géographes préromains. Encarnación Castro-Páez explique aussi cette insistance de Strabon en raison de la visée première de son texte : informer l’élite romaine sur la situation dans le sud de l’Ibérie (p. 34-35). Toutefois, c’est d’abord dans un dessein politique que Strabon aurait évoqué la situation civique de la Turdétanie, en raison de la division qu’il établit entre le nord de la péninsule, sauvage et barbare, et le sud civilisé et romanisé. La Turdétanie serait alors à voir comme une construction qui aurait rassemblé les communautés considérées comme des modèles d’intégration (p. 38), le lien effectué par Strabon entre le développement civique de la région et le monde hellénistique contribuant à légitimer la domination romaine (p. 45).
7Malgré ses ambiguïtés, la tradition académique a adopté sans réserve la définition de Strabon sur la Turdétanie. Ce succès doit être envisagé en raison de son utilité pour l’historiographie du xixe siècle, laquelle était empreinte d’une vision positiviste et normativiste. Mais savoir quelle source serait la plus proche de la réalité antique est une entreprise vouée à l’échec, puisque les Anciens ne mobilisaient pas les mêmes critères « ethnologiques » qu’aujourd’hui (p. 14). Le défi pour l’ethnohistoire actuelle tient davantage dans le fait de parvenir à mettre en évidence la présence effective des groupes évoqués par les Anciens. Le schéma des transformations choronymiques proposé par Pierre Moret représente un outil intéressant de ce point de vue (p. 31). La Turdétanie de Strabon fut bien plus qu’un simple discours politique ou qu’une synthèse des sources antérieures. Il s’agissait d’un récit au service de la « romanité » de l’époque républicaine, élaboré en fonction d’un processus historique : l’adaptation réciproque des élites de l’Ibérie et de l’Urbs à une nouvelle configuration politique et sociale.
8Le second ensemble thématique propose des réflexions méthodologiques autour de l’analyse de la « romanisation ». Les études de Francisco José García Fernández (intitulée Deconstructing Turdetanian Culture : Identities, Territories and Archaeology, p. 46 à 69), et de Bartolomé Mora Serrano (Across the Looking Glass : Ethno-Cultural Identities in Southern Hispania through Coinage, p. 149 à 163), présentent une réflexion approfondie sur l’examen des transformations portées par la conquête romaine, au travers de certains éléments matériels : le mobilier céramique pour le premier ; le matériel numismatique pour le second.
9Francisco José García Fernández insiste tout d’abord sur la confusion induite par l’étude conjointe des choronymes et des ethnonymes offerts par les sources. Cette approche historiciste s’avère d’autant plus ambivalente dans le cas de la vallée du Guadalquivir, car elle néglige toute la diversité des groupes qui occupaient effectivement la région (p. 46). Dans ce contexte, envisager la présence d’une « culture turdétane » conduit à mélanger des groupes sociaux distincts (p. 51). Francisco José García Fernández rappelle très justement que l’identité ethnique était davantage exprimée dans des comportements que dans des objets (p. 53-55). Cependant, si on l’envisage en termes d’ensembles, la notion de « culture turdétane » pourrait offrir la possibilité de caractériser un éventuel répertoire matériel spécifique à la région du Guadalquivir. Entre le iiie et le ier siècle av. J.-C., le répertoire céramique de cette région semble avoir été l’objet d’un relatif conservatisme. Plusieurs formes étrangères furent adoptées progressivement au cours de l’époque républicaine (plat à poisson), mais ces importations restèrent longtemps marginales (p. 62-63). Il fallut attendre l’époque césarienne pour que les pratiques et modèles romains soient plus largement diffusés. L’analyse de ces ensembles matériels témoignerait alors du poids en Turdétanie des identités civiques préalables, à priori bien plus représentées que la configuration ethnique (p. 65).
10Bartolomé Mora Serrano tient un propos similaire, mais à partir de l’analyse du mobilier numismatique. En partant du constat que les monnaies représentent l’un des principaux marqueurs de l’état des identités dans leur aspect emic, Bartolomé Mora Serrano revient d’abord sur les conditions méthodologiques nécessaires pour l’étude de ce mobilier (métrologie, langues employées), ainsi que sur les limites qu’elles impliquent (p. 148-149). Tout comme pour la céramique, Bartolomé Mora Serrano insiste sur les difficultés inhérentes à l’attribution d’une valeur ethnique à une série monétaire (p. 158). Dans le cas de l’Ulterior, la région était au départ très influencée par Carthage. Les différentes monnaies de ce secteur furent ensuite marquées par d’importants changements, lesquels semblent traduire la volonté de se différencier de Carthage, notamment dans le cas des séries de Gadir (p. 157-158). La fin de l’époque républicaine a ensuite été caractérisée par la transformation progressive de ces séries civiques, à l’aune d’un modèle romain.
11Pour mieux comprendre le déroulement des interactions entre les différents groupes qui occupaient la vallée du Guadalquivir, Francisco José García Fernández envisage de prendre en compte la diversité des populations et le rôle des élites civiques (p. 66-69). Le schéma théorique qu’il propose pour y parvenir offre une grille d’interprétation qui mériterait d’être plus amplement discutée, tant du point de vue de l’analyse du mobilier que pour l’étude des situations identitaires avant le Bas-Empire. Le rôle des élites sociales dans le déroulement de ces phénomènes semble avoir été fondamental, et pas seulement en Ibérie. Cependant, une fois encore, ce modèle social unique n’impliquait pas l’absence d’une diversité ethnique, qu’il importe de préciser davantage (p. 153).
12En réponse à l’introduction de Gonzalo Cruz Andreotti, le troisième ensemble concerne le passé phénicien de la Turdétanie, et plus précisément les évolutions de l’identité de ces Phéniciens entre le ive et le ier siècle av. J.-C. Ce bloc thématique regroupe cinq contributions : l’étude d’Eduardo Ferrer Albelda (Ethnic and Cultural Identity among Punic Communities in Iberia, p. 70 à 88), le travail de Ruth Pliego Vázquez (Carthaginians in Turdetania : Carthaginian Presence in Iberia before 237 BCE, p. 89 à 107), la contribution de Manuel Álvarez Martí-Aguilar (Tyrian Connections : Evolving Identities in the Punic West, p. 108 à 129), celle de Francisco Machuca Prieto (Unraveling the Western Phoenicians under Roman Rule : Identity, Heterogeneity and Dynamic Boundaries, p. 130 à 147) et le travail d’Enrique García Vargas (The Economy and Romanizacion of Hispania Ulterior, 125-25 BCE : The role of the Italians, p. 164 à 185).
13La première difficulté lors de l’étude des populations puniques tient dans l’absence de sources écrites directes à leur propos (p. 71-72), comme le rappelle Eduardo Ferrer Albelda. Mais encore faut-il savoir de qui il s’agit, étant donné que les appellations de « Phénicien » et de « Punique » ne sont pas forcément les plus congruentes : il ne s’agissait pas de désignations vernaculaires, mais d’amalgames élaborés par les Grecs et les Romains. En vérité, la plupart des appellations ethniques proposées par les auteurs anciens n’avaient probablement aucune valeur pour les communautés d’origine orientale de l’Ibérie (p. 74). Après avoir évoqué quelques cas polémiques, Eduardo Ferrer Albelda présente différents documents qui attestent à l’inverse de l’importance de l’appartenance civique dans l’élaboration des identités « puniques » de la Turdétanie (p. 77-85). Ces données tendent à prouver que l’incorporation des modes de vie romains s’est déroulée de manière progressive, et qu’elle a été le fruit d’une adaptation formelle et structurelle – en fonction du contexte local et régional – tant de la part des populations « puniques » que de la part des élites italiennes. Eduardo Ferrer Albelda conclut fort à propos sur la hiérarchie des identités, forcément multiples, ainsi que sur leur mobilisation situationnelle : chez ceux que l’on nomme les Phéniciens, la seule identité ethnique reconnue était celle de canaanite ; devant elle, l’appartenance géographique (Mastia et Tartessos) et celle prépondérante de la cité (Gadir et Malaka par exemple) importaient davantage (p. 87-88).
14Après ce premier point de vue général, Ruth Pliego Vázquez s’intéresse plus spécifiquement aux évolutions qui ont touché la région du Guadalquivir, à partir du ive siècle av. J.-C. Cette période aurait été marquée par une présence précoce des carthaginois, à l’inverse de ce qui est traditionnellement admis (p. 89-90). En effet, on considère généralement que Carthage aurait occupé le sud de l’Ibérie seulement à partir du débarquement d’Hamilcar (237 av. J.-C.). Néanmoins, plusieurs ensembles matériels en provenance du sud de la péninsule (El Gandul, Torre de Doña Blanca et Carteia) ont apporté des données – essentiellement numismatiques – qui permettent d’envisager une présence carthaginoise avant cette date (p. 90). Ruth Pliego Vásquez présente une analyse critique de cette documentation et propose une réflexion sur ses conséquences pour l’histoire de la région du Guadalquivir (p. 92-96), à la faveur du soutien militaire apporté par la métropole punique à Gadir (p. 100).
15Dans le prolongement de l’étude de Ruth Pliego Vázquez, Manuel Álvarez Martí-Aguilar examine les données textuelles et historiques relatives à la présence ancienne de Carthage en Ibérie, au travers de la révision d’un texte de Justin (44.5.1-4) (p. 109). À partir de cette source, il propose d’envisager une première opération militaire des carthaginois dans la péninsule au cours du ive siècle av. J.-C. Cette intervention aurait été menée afin de soutenir les Gaditains dans leur conflit avec des chefs locaux engendré par le développement d’une colonie gaditaine non identifiée (p. 112-114). Si la ville de Carteia est évoquée comme une candidate potentielle concernant cette nouvelle colonie (p. 114-116), les toutes dernières découvertes archéologiques invitent plutôt à envisager une autre agglomération. L’auteur se concentre ensuite sur les références relatives à la formation d’une koiné tyrienne, au travers de l’influence du culte de Melqart (le « père fondateur » des colonies de Tyr) dans le cadre du développement des relations entre Carthage et Gadir (p. 117-119). C’est en fonction de cette identité commune qu’il faudrait alors analyser l’intervention carthaginoise en faveur des Gaditans (p. 121-123).
16La contribution de Francisco Machuca Prieto s’intéresse justement à la reconfiguration des identités phéniciennes en Ibérie, à la suite de la conquête romaine. De Cicéron à Strabon, les Anciens ont insisté sur l’adaptation des élites de Gadir et de Malaka aux manières de faire des Romains (p. 130). Néanmoins, les données archéologiques témoignent à l’inverse d’une longue continuité des pratiques phéniciennes durant l’époque républicaine. C’est cette apparente contradiction que Francisco Machuca Prieto propose d’étudier. Pour ce faire, il revient tout d’abord sur le poids des identités civiques, Carthage n’ayant pas porté atteinte à l’autonomie des cités phéniciennes de la région. Par la suite, les contraintes induites par l’occupation carthaginoise, exacerbées par le conflit avec Rome, ont conduit ces communautés à prendre leur distance avec Carthage (p. 135-138). Plus tard, lorsque l’Urbs renforça son autorité sur la région, les élites de ces cités phéniciennes ont reconfiguré leur discours idéologique autour de leur passé prestigieux (p. 140). Cette mobilisation d’un passé phénicien mythique est présentée par Francisco Machuca Prieto comme le développement d’une manière phénicienne d’être romain, afin de permettre à ces élites de sécuriser une position favorable au sein des dynamiques sociales engagées par Rome (p. 143).
17Finalement, Enrique García Vargas s’intéresse à l’apport des Italiens dans ces phénomènes identitaires. Les Italiens représentaient au départ une communauté restreinte qui a dû s’adapter à un nouvel environnement (p. 164). Leur présence durant l’époque républicaine est surtout documentée dans trois domaines d’activité : l’administration, l’armée et le commerce. C’est dans les activités minières que l’on observe le plus d’indices les concernant (sites de La Loba et de Fuente Obejuna) (p. 168-171). Divers contextes tardo-républicains nous informent plus largement sur une présence précoce des Italiens en Turdétanie mais dans d’autres activités (p. 175), notamment dans le commerce de produits halieutiques (p. 177-179). Bien qu’ils semblent avoir été peu nombreux au départ, les Italiens finirent par représenter un contingent non négligeable en Bétique, estimé à 30 000 personnes environ, et leur présence a probablement contribué à la diffusion de la culture romaine (p. 184). Malgré l’intérêt de cette étude, certaines pistes n’ont pas pu être explorées par Enrique García Vargas. Ce dernier présente en effet les Italiens comme un groupe homogène, d’un point de vue identitaire et social, alors qu’ils disposaient probablement d’une pluralité d’identités et de statuts (riche citoyen ou auxiliaire allié). Dans ces conditions, on devrait s’interroger sur la manière dont des individus qui n’étaient pas uniquement des Romains ont pu envisager leur place et leur rôle dans la projection économique et politique de l’Urbs.
18Comme l’indique très justement Francisco Machuca Prieto, les situations de tension favorisent l’élaboration des identités, mais il s’agit davantage d’un positionnement stratégique (p. 136-137). Dans cette perspective, les transformations qui ont touché le sud de l’Ibérie entre le iiie et le ier siècle av. J.-C. – entre l’expansion carthaginoise à la conquête romaine – ont nécessairement contribué à une intense reconfiguration des identités. Les Italiens présents dans la région ont probablement joué un rôle significatif dans ces phénomènes (p. 175). Mais les élites locales ont également participé de manière déterminante à leur déroulement. Les transformations identitaires évoquées illustrent donc une « romanisation » spécifique, issue de la confrontation du cadre socio-culturel romain à celui du sud de l’Ibérie.
19L’ouvrage de Gonzalo Cruz Andreotti offre un point de vue particulièrement intéressant sur certains des phénomènes associés à la « romanisation ». Comme ce dernier en conclusion l’indique en conclusion, la Turdétanie représente un cas d’étude fertile pour cette thématique, tant du point de vue de la documentation que des perspectives de recherche. Présenter cette romanisation comme une « hybridation, créolisation ou bricolage » (p. 187) n’est pas en soi une nouveauté. Mais le fait d’examiner ce phénomène sur le temps long permet de mettre en lumière son déroulement progressif, ainsi que les dynamiques d’adaptation dont il a été l’objet, autant de la part des élites romaines que de celui des populations indigènes. Cet ouvrage collectif n’est pas exempt de critiques. On pourrait notamment reprocher un manque relatif de réflexivité vis-à-vis des Post-colonial studies, les logiques de l’Empire (langage tiers, collaboration entre élites) étant finalement davantage mobilisées que celles de la domination colonialiste. Roman Turdatenia représente néanmoins une véritable mine d’informations et de perspectives d’études. L’ouvrage offre également au lecteur une synthèse pointue sur l’actualité des recherches historiques relatives à la période républicaine en Ibérie. En définitive, il s’agit à n’en pas douter d’une référence essentielle, tant pour l’étudiant(e) à un stade avancé dans son cursus que pour le chercheur confirmé.
Pour citer cet article
Référence papier
Max Luaces, « Cruz Andreotti, Gonzalo, (dir.), Roman Turdetania. Romanization, Identity and Socio-Cultural Interaction in the South of the Iberian Peninsula between the 4th and 1st centuries BCE », Pallas, 112 | 2020, 316-321.
Référence électronique
Max Luaces, « Cruz Andreotti, Gonzalo, (dir.), Roman Turdetania. Romanization, Identity and Socio-Cultural Interaction in the South of the Iberian Peninsula between the 4th and 1st centuries BCE », Pallas [En ligne], 112 | 2020, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/21942 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.21942
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