Delavaud-Roux, Marie-Hélène (dir.) Corps et voix dans les danses du théâtre antique
Delavaud-Roux, Marie-Hélène (dir.) Corps et voix dans les danses du théâtre antique, PUR, Rennes, 2019, 316 p. - ISBN 978-2-7535-7446-5
Texte intégral
1Avec la parution de cet ouvrage collectif dans la collection Histoire, les Presses Universitaires de Rennes poursuivent une politique de publications régulières sur la pensée du corps, de la musique et de la gestuelle antiques. Chanter les dieux. Musique et religion dans l’Antiquité grecque et romaine, en 2001, restituait la dimension sonore des cultes religieux antiques ; Penser et représenter le corps dans l’Antiquité en 2006 s’inscrivait dans un projet d’Histoire du corps dans l’Antiquité ; Corps en jeu en 2010, étudiait le corps en représentation dans le sport, la rhétorique, le théâtre et la littérature ; plus récemment enfin, en 2011, Musiques et danses dans l’Antiquité, également édité par M.-H. Delavaud-Roux, ouvrait la réflexion sur les relations entre musique et gestuelle antiques.
2Le présent volume est le résultat d’une réflexion collective menée dans le cadre du colloque organisé à Brest les 28 et 29 septembre 2012. L’objet de cette manifestation était l’étude des parties dansées du théâtre antique, limitée à la relation entre le corps et la voix dans le jeu dramatique. Le point de vue choisi est original et la réflexion se veut novatrice. Elle s’appuie sur un socle déjà solide : celui des travaux de Philippe Brunet, Martin Steinrück, Anne-Iris Munoz consacrés à la métrique des textes dramatiques antiques dans sa relation avec la musique et la représentation. Sur cette base scientifique et ces travaux reconnus, Marie-Hélène. Delavaud-Roux a choisi de construire une réflexion large qui inclut des analyses iconographiques et littéraires, ainsi que des hypothèses sur la pratique des artistes puis d’élargir l’étude aux expérimentations contemporaines d’universitaires et de metteurs en scène. Le volume est clairement organisé en trois parties. La première, « Les réflexions des auteurs anciens sur le corps et la voix au théâtre ») est théorique. Elle est consacrée aux théories musicales et à la métrique. La deuxième, « Harmonie ou conflit entre corps, voix et instruments ? », traite des pratiques conjointes du chant, de la danse et de la musique par les mêmes artistes ou par des artistes différents : ces pratiques pouvaient-elles être combinées et comment ? La dernière, « Peut-on reconstituer les danses et les chants du théâtre ancien à l’antique ? », présente un ensemble d’hypothèses contemporaines de mise en voix et en danse de textes antiques, essentiellement tragiques (les pièces d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide), présentées par des compagnies françaises et étrangères : Thiasos, compagnie de Coimbra fondée en 1992, le Théâtre Demodocos fondé en 1995. Une introduction et une conclusion de l’éditrice scientifique (sur lesquelles nous reviendrons) encadrent l’ensemble des contributions. Une riche bibliographie (incluant videos et liste de spectacles référencés) ainsi qu’un index général et un index locorum complètent l’ensemble. On saluera enfin la présence d’une liste des sources antiques utilisées dans le volume avec références complètes. Le volume est équilibré et la plupart des contributions pertinentes au regard de la thématique générale à l’exception de deux d’entre elles, dont le propos paraît quelque peu décalé : l’excellent article de Laurent Capron, qui procède à une mise en lumière des possibilités de lectio scenica des fragments de deux textes hagiographiques, tout en reconnaissant que nous n’avons aucune preuve de leur représentation effective, reste éloigné des problématiques spécifiquement théâtrales de l’Antiquité ; la proposition de Jean-Marc Quillet qui montre avec finesse et érudition la présence de la choreia dans les pratiques scéniques et circassiennes modernes et contemporaines, relève de la réception au sens large de pratiques antiques sans qu’un héritage puisse d’ailleurs être démontré.
3La partie théorique, qui ouvre le volume, accorde une part importante aux aspects techniques de la métrique et de la musique. Si les articles consacrés aux exercices vocaux de l’Antiquité gréco-romaine (Konstantinos Melidis), ou à la voix de Cassandre, la barbare qui apprend à parler et à communiquer (Martin Steinrück) dégagent des conclusions fermes et claires, les contributions ne sont pas toutes aussi accessibles : l’article consacré à l’harmonie austère de Platon et au genre enharmonique (Ilias Tsimbidaros) et l’analyse de l’antistrophos dans les Suppliantes d’Eschyle, minutieusement argumentée et de très belle qualité, s’adressent à un public réduit de spécialistes. Pour une compréhension précise des enjeux, le lecteur néophyte se reportera au résumé ou abstract final. La deuxième partie, consacrée aux artistes danseurs (Marie-Hélène Delavaud-Roux, Yvette Hunt) et instrumentistes (Nathalie Berland puis Sylvain Perrot), propose des démonstrations claires : si le musicien est rarement danseur, le danseur peut, à certaines conditions, chanter. L’éditrice scientifique, Marie-Hélène Delavaud-Roux, qui proposa jadis des reconstitutions chronophotographiques du mouvement à partir d’une mise en série des images antiques (dans la continuité de Maurice Emmanuel au début du xxe siècle) semble avoir, avec raison, abandonné ses ambitions de reconstitution Les contributeurs de la troisième partie (Carlos A. Martins de Jesus, Marcus Mota, Philippe Brunet) substituent d’ailleurs à l’idée de reconstitution celle de « transposition » ou d’équivalences. Il s’agit, pour eux, de rendre « compréhensibles » les pratiques antiques, de les « faire vivre », ou de proposer une « nouvelle compréhension » des textes. Parce qu’elle évite la « systématisation académique » et présente des propositions novatrices, cette partie est constructive et intéressante, même si les expériences relatées relèvent parfois de la conviction personnelle ou du « work in progress », comme le précise la conclusion de l’éditrice.
4Plusieurs contributeurs scientifiques de ce volume ont travaillé ou travaillent ensemble. Ils constituent un réseau de chercheurs engagés dans des travaux théoriques et appliqués, qui tendent à améliorer notre connaissance de l’opsis antique. Ces liens scientifiques et artistiques garantissent la cohérence du volume qui ne prétend pas, par ailleurs, couvrir l’ensemble des problématiques relatives au corps et à la voix dans les danses dramatiques antiques, mais se limite à la cohabitation entre pratiques artistiques et au sens qu’elle confère à la représentation.
5L’ouvrage pose toutefois deux problèmes majeurs. Le monde romain n’est abordé que dans une contribution relative aux textes hagiographiques, c’est-à-dire à un aspect marginal du théâtre latin. Un seul article traite de la comédie (par le biais de l’iconographie). Si le titre laisse espérer une étude du « théâtre antique », il est de fait question, très majoritairement, de la tragédie grecque. Le volume aurait gagné à concentrer l’étude sur un genre précis ou, au contraire, à élargir le corpus et le champ de recherche afin d’inclure l’ensemble du monde antique. Une phrase bien malheureuse de la conclusion (p. 261) fournit l’explication : « Durant la période impériale, les seuls spectacles que nous connaissons sont le théâtre romain qui ne se prête pas spécialement à la danse et à la pantomime », phrase qui témoigne d’une méconnaissance totale de la pratique dramatique dans le monde romain ! Qu’en est-il du mime romain, de la pantomime romaine, des monodies dansées dans la comédie latine (togata comprise), étudiées par certains chercheurs ?
6Le deuxième problème, plus important, concerne l’ensemble du volume. La grande majorité des contributions ignorent la dimension historique des questions de représentation dramatique. Plusieurs articles traitent de la tragédie grecque et de la pantomime gréco-romaine comme des genres presque équivalents, faisant appel aux mêmes techniques, alors que les travaux récents sur la pantomime ont démontré sa spécificité artistique, due à une évolution des techniques orchestiques et des pratiques dramatiques. La dimension historique est, de fait, absente de la réflexion au point de donner au lieu à des contre-vérités ou à des erreurs grossières dans les meilleures contributions : ainsi Philippe Brunet, à propos des interactions voix-mouvement-instrument (p. 254) parle-t-il de « cothurne » pour une représentation de tragédie grecque classique (attesté de fait plus tardivement et dans le monde romain) et, pire sans doute, de « semelles rigides » portées par le danseur (!) dont il relève l’attestation dans la Danse de Lucien, alors que les seules semelles rigides attestées dans la pantomime antique sont celles du scabellum, porté par certains aulètes et qui jouait le rôle d’un instrument à percussion (petites cymbales). Les parties introductive et conclusive du volume comportent également plusieurs confusions chronologiques et approximations historiques. Certaines contributions, aux conclusions astucieuses, restent discutables, comme l’article de Nathalie Berland qui ne tient compte ni des modalités spécifiques d’analyse de l’image antique ni de la bibliographie récente, notamment l’article de C. Roscino (« Il rito, la festa, la rappresentazione : osservazioni sul cratere apulo dei Bari Pipers » dans Spazi e contesti teatrali, qui montre que l’arbre présent sur le vase n’est pas un objet scénique, mais un élément indiquant le contexte extra urbain de la représentation). Il faut enfin regretter une série de confusions regrettables concernant l’ouvrage de M.-H. Garelli, Danser le mythe, notamment des passages concernant la pratique conjuguée du chant et de la danse par le même artiste ( par ex. p. 260 n. 3, M.-H. Delavaud-Roux comprend l’inverse de ce qui est écrit puisque l’auteur ne mentionnait le passage de Tite-Live VII, 2, 10 que pour souligner l’influence du contexte historique dans la compréhension, plusieurs siècles plus tard, des modes de représentation antérieurs ; il ne s’agissait donc aucunement de nier toute pratique conjointe du chant et de la danse dans le théâtre mais de contextualiser la compréhension des pratiques en tenant compte de l’histoire, notamment dans un domaine comme l’orchestique, qui repose sur l’éphémère, impossible à reconstituer).
7Il est plutôt regrettable que le contexte historique et plus généralement, l’histoire du théâtre soient aussi négligés dans ce volume. Il est en outre gênant que les éléments relatifs au monde romain aient été aussi maltraités (parce que méconnus sans doute) dans un ouvrage dont l’ambition était, par ailleurs, tout à fait honorable.
Pour citer cet article
Référence papier
Marie-Hélène Garelli, « Delavaud-Roux, Marie-Hélène (dir.) Corps et voix dans les danses du théâtre antique », Pallas, 112 | 2020, 309-311.
Référence électronique
Marie-Hélène Garelli, « Delavaud-Roux, Marie-Hélène (dir.) Corps et voix dans les danses du théâtre antique », Pallas [En ligne], 112 | 2020, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/21914 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.21914
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page