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Les voies de l’intégration

Organisation politique et administrative des cités d’Europe occidentale sous l’Empire

The political and administrative organisation of western Europe’s cities under the Empire
Michel Tarpin
p. 127-145

Résumés

La cité apparaît d’emblée comme l’unité constitutive des provinces, mais elle représente parfois une surface trop importante pour pouvoir fonctionner dans un rapport immédiat entre ville centrale et territoire rural environnant. Dans bien des cas, la cité apparaît subdivisée en unités plus petites, sur lesquelles sont parfois établies des agglomérations, relativement distantes du chef-lieu de cité. En ce qui concerne les subdivisions territoriales connues sous le nom de pagus, les sources juridiques et gromatiques, sans être abondantes, donnent des renseignements suffisants pour saisir leur rôle au sein de la cité. Pour ce qui est des vici, auxquels on hésite, avec raison, à assimiler toutes les agglomérations identifiées archéologiquement, la question est vivement débattue. Le présent article tente d’illustrer toute la complexité de la nature des territoires de cités, tels qu’on peut les saisir dans la variété des sources.

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Texte intégral

  • 1 À titre d’exemple, on verra la manière dont L. Foxhall (Foxhall, 1990, p. 108) se cautionne de P. G (...)
  • 2 Ce qui n’implique aucunement que l’Europe ait été un monde à part dans l’empire. De nombreux travau (...)

1La question qui m’est posée par les organisateurs nécessite un certain nombre de détours avant d’être abordée. Si étrange que cela puisse paraître, ce sujet d’apparence banale est facilement polémique, tant l’historiographie l’a investi de préjugés. On ne saurait donc se pencher sur l’organisation interne des territoires de cités sans définir aussi clairement que possible les prémisses du raisonnement et sans avoir donné aux sources un rôle précis. Nous allons le voir tout de suite, la rareté des textes et des inscriptions, leur laconisme systématique, mais, plus encore, les préjugés des modernes, leur volonté d’intégrer l’analyse du passé lointain dans une vision du présent, le poids des maîtres et des écoles, sont autant d’entraves à une lecture ouverte de la documentation. Comme souvent dans nombre de domaines scientifiques, l’imprécation et la répétition finissent par avoir valeur de démonstration1. Or, il faut reconnaître que la littérature est surabondante en ce qui concerne l’analyse des territoires. Mon propos se bornera donc à tenter de donner des éléments aussi valides que possibles pour l’Europe occidentale, le reste du monde romain m’étant trop mal connu2. Il me faut aussi préciser que je ne m’attaquerai ici qu’aux cités au sens romain du terme, la question de la « cité celtique » restant à mon sens encore passablement hypothétique.

1. Quelques questions de méthode

  • 3 Ce que confirme peut-être l’édit d’Auguste de Bembibre, s’il est authentique (Alföldi 2000 ; Lobo, (...)
  • 4 Cf. Gardes, 2002.
  • 5 Laffi, 1992.
  • 6 Curchin, 1985, p. 343.

2Les espaces géographiques qui servent de cadre à nos travaux, les provinces, souffrent parfois d’un parallèle avec les États modernes. Les Gaules, par exemple, au-delà d’un nom partagé, et au-delà du mythe historique tenace qui veut en faire l’ancêtre de la France, ne sont, administrativement parlant, que des provinces parmi les autres au sein de l’empire. La tradition française oublie d’ailleurs parfois que la Cisalpine fut aussi une Gaule. On sait par Strabon que les divisions géographiques faites par Rome relèvent de l’intérêt gestionnaire momentané plus que de l’observation d’une réalité ethnographique, sans grand intérêt3. Ainsi, le géographe (4, 1, 1) considère que les Aquitains (probablement ceux situés au sud de la Garonne) sont apparentés aux Espagnols, mais que les autres ne se différencient guère des autres Gaulois4. U. Laffi a rappelé que les regroupements de provinces obéissaient à des nécessités conjoncturelles5. Espagne Citérieure et Gaule Transalpine (ce que nous appelons « Narbonnaise ») ont été regroupées en 80 pour C. Valerius Flaccus, en 77 pour Pompée et en 43 av. J.-C. pour Lépide, au moment où Munatius Plancus gouvernait la Gaule Chevelue, soit les futures provinces d’Aquitaine, Lyonnaise et Belgique, dissociées de la provincia de César, qui regroupait les deux Gaules et l’Illyrie. Ajoutons pour conclure que la création postérieure des provinces de Germanie taillait en partie dans ce qu’on appelle les « Trois Gaules ». Ce premier détour, par une évidence historique souvent rappelée, nous permet de relativiser la valeur historique et géographique du gallicanisme qui règne en histoire. Toute une tradition, en effet, suppose que le fonctionnement administratif de la Gaule romaine (ramenée à un singulier qui donne l’ampleur du préjugé national) aurait été différent de celui du reste de l’empire pour des raisons culturelles profondes. Cette Gaule aurait porté l’empreinte définitive de sa celtitude (refusée à la Narbonnaise par certains protohistoriens) ; celtitude qui se manifesterait particulièrement à petite échelle, et qui ressurgirait à chaque faiblesse du pouvoir central. Ainsi, en 1985, L. A. Curchin constatait que ses conclusions sur les vici et les pagi d’Espagne pouvaient être mises en parallèle avec la documentation gauloise, mais excluait cette possibilité du fait de la spécificité des provinces6. L’identité culturelle est ainsi posée en préalable comme un déterminant du système administratif impérial, ce qui est d’autant plus remarquable que ce travail aboutissait à la conclusion que vici et pagi, en Espagne, n’avaient pas grand-chose à voir avec un substrat indigène.

  • 7 Dondin-Payre, 1999.
  • 8 Favory, 2003, p. 33-34.
  • 9 Chouquer, 2008, p. 204.

3Ce long préalable vise simplement à réhabiliter la documentation non « gauloise » lorsque l’on essaie de comprendre comment l’administration mise en place par Rome dans ses territoires a pu fonctionner. Méthodologiquement, il faudrait démontrer que ce que l’on étudie ne se rencontre jamais ailleurs et porte des traits véritablement celtiques pour se permettre d’exclure tout parallèle avec des sources italiennes ou espagnoles. Cette remarque en amène une autre, à propos de la validité des différents types de sources. Une tradition assez forte dans certaines disciplines veut que les textes littéraires ou juridiques aient une valeur moindre que les inscriptions sur le plan institutionnel7. Concrètement, les sources juridiques ou gromatiques sont très certainement plus fiables que des inscriptions rédigées par des notables locaux, dont la culture institutionnelle ne devait pas être extraordinaire. En outre, comme l’a rappelé F. Favory, les textes des gromatiques n’excluent aucunement les provinces et ne semblent guère faire de la Gaule une exception en matière de gestion territoriale8. Si les spécialistes antiques recommandent une soigneuse information lorsque l’on doit travailler hors d’Italie, c’est surtout parce que la métrologie est variable et parce que les conditions de la conquête ont pu créer des singularités locales, qui existent d’ailleurs aussi en Italie, mais qui ne remettent pas en cause le modèle général. G. Chouquer relève en outre que le vocabulaire technique des gromatiques peut mélanger des notions liées au statut juridique et d’autres qui relèvent de l’histoire individuelle des sites9. Quant aux sources proprement littéraires, supposées porteuses de déformations, ce sont justement celles qui ont permis l’invention du mythe du pagus gaulois et germain. De plus, ces « déformations » sont en elles-mêmes des indices, pour peu que l’on veuille bien reconnaître aux textes leur valeur littéraire, avec toutes ses limites.

  • 10 Voir, par exemple, Leveau, 2008, p. 122-126.
  • 11 Chastagnol, 1981, 1981a.

4Enfin, il faut souligner que la tradition historique a interprété comme la preuve d’une absence de faits les lacunes des sources sur le fonctionnement concret des cités à échelle locale. Il est certes difficile de parler de ce qui n’est pas documenté, ou qui n’est documenté que dans des régions dont le climat et la pédologie assurent la conservation des documents périssables (l’Égypte, pour ne pas la nommer). Mais on doit aussi garder à l’esprit que la cité antique ne peut fonctionner que si elle dispose d’outils de gestion administrative et financière un tant soit peu efficaces. La fiscalité de l’empire ne pouvait se satisfaire d’approximations ou de reconnaissance mutuelle et spontanée de la part des « habitants », une catégorie sociale bien réelle, qu’il me paraît délicat d’assimiler à une catégorie juridique de personnes relevant d’une cité, sur le plan censitaire et électoral. Je ne connais pas de culture qui identifie comme corps institutionnel l’ensemble des habitants d’un territoire ou d’une agglomération (dont il faudrait que l’on définisse les limites). Sans inventer le remplissage des vides documentaires, il faut se souvenir à tout instant que la cité avait des structures de gestion quotidienne qui parvenaient à produire une action régulière, de longue durée et relativement efficace, mais dont nous ne pouvons qu’imaginer l’existence sans la décrire. Ceci posé, nous pouvons interroger notre petite documentation et essayer de savoir si des règles générales gouvernaient les structures internes des cités. Je renonce évidemment à envisager la très riche analyse morphologique des paysages, fondamentale pour la compréhension du fonctionnement économique des cités10, pour ne m’intéresser qu’au fonctionnement institutionnel. L’exemple bien connu d’Orcistos, auquel A. Chastagnol11 a consacré deux articles montre comment l’empereur peut faire passer une cité autonome au rang de vicus dépendant d’une cité plus importante, ou, réciproquement, rétablir la dignitas de cité. Le simple fait que ces termes figurent dans le rescrit montre qu’il n’est pas question de « ville » et de « village », mais de niveaux institutionnels différents. On ne saurait penser le territoire de la cité sans prendre en compte les hiérarchies internes.

  • 12 Leveau, 1993, p. 463.
  • 13 Bertrand, 1991, p. 164 ; cf. Corbier, 1991.

5À de très rares exceptions près, chaque cité est composée d’un centre urbanisé – parfois de manière assez limitée – et d’un territoire, dont la gestion relève de magistrats établis dans le chef-lieu de cité. Les lois municipales disent assez que la ville constitue un espace spécifique au sein de l’ensemble du territoire de la cité. Le maintien de l’interdiction rituelle du franchissement de l’enceinte, ou l’obligation pour les candidats aux magistratures de disposer d’une maison urbaine sont parfaitement explicites : le territoire ne s’inscrit pas dans une continuité de la ville. Ph. Leveau, analysant la terminologie du territoire en grec et en latin, a bien rappelé que le territoire est subordonné à la cité et à ses magistrats : les agglomérations qui s’y trouvent n’ont donc pas de véritable autonomie12. Comme l’a relevé J.-M. Bertrand, le territoire est subordonné à la ville et non consubstantiel13.

  • 14 Leveau, 1993, propose la traduction suivante : « "Territorium" désigne la totalité des terres à l’i (...)
  • 15 Leveau, 1993, p. 467.

6La célèbre définition que donne Pomponius (Dig., 16, 239, 8) du mot « territorium » insiste sur le fait que le territoire se définit par le champ d’autorité des magistrats : territorium est universitas agrorum intra fines cuiusque civitatis ; quod magistratus eius loci intra eos fines terrendi, id est summovendi ius habent14. Le jeu de mots sur territorium – terreo, quoique sans doute étymologiquement faux, est significatif. Une des conclusions immédiates de la lecture de cet étrange passage est, comme l’a rappelé Ph. Leveau, que le territoire ne correspond pas forcément de manière stricte aux fines, et qu’il peut être discontinu15. Les termes institutionnels ont donc probablement pour fonction de décrire ces subtilités hiérarchiques, en les intégrant dans les réalités locales, ce qui explique sans doute l’extraordinaire richesse du vocabulaire latin de l’habitat.

2. Cens et fiscalité : le rôle de la terre

7L’aspect le plus simple à envisager est évidemment celui de la fiscalité – ou du moins d’un aspect de la fiscalité –, les États quels qu’ils soient ayant toujours accordé une importance majeure à leurs ressources. La pauvreté des sources épigraphiques est ici compensée par des textes juridiques qui présentent sur plusieurs siècles un tableau parfaitement cohérent. Comme on s’en doute, le territoire d’une cité, surtout si elle atteint une dimension importante, n’est pas l’unité territoriale de base. L’unité la plus petite est évidemment celle du fundus, qui présente, par sa pérennité et par la relation qui l’unit à un propriétaire ou possessor, une stabilité confortable pour le cens. Mais les nécessités administratives imposent de pouvoir localiser ce fundus de manière aussi précise que possible au sein de la cité, dans des unités plus vastes, qui pourront le cas échéant éviter les risques d’homonymie des fundi. Disons-le d’emblée, la documentation gauloise ne nous donne guère d’information à ce sujet. En revanche, la procédure générale – aucun texte en effet ne semble envisager d’exception à la règle – paraît être restée très stable dans le temps.

2. 1. L’enregistrement des domaines

  • 16 Vlpian., Dig., 50, 15, 4 : forma censuali cauetur, ut agri sic in censum referantur, nomen fundi cu (...)
  • 17 CIL, II, 5042 : Dama L(ucii) T(iti) ser(uus) fundum Baianum qui est in agro qui Veneriensis uocatur (...)
  • 18 Par exemple : CIL, XI, 1147. II. 8 : P. Atilius Saturninus per Castricium Secundum professus est fu (...)
  • 19 AE, 1984, 250; Giardina, Grelle, 1983.
  • 20 Cf. Rickmann, 1971, p. 185.
  • 21 La documentation y reste évidemment inégalée. Les archives d’Aurélius Isidorus, de Karanis (env. 26 (...)
  • 22 Dion. Hal., 4, 15, 6 : ejkevleusen a{panta~ ÔRwmaivou~ ajpogravfesqai te kai ; tima`sqai ta ;~ oujs (...)

8À en croire Ulpien, les fundi sont inscrits dans des pagi, unités territoriales intermédiaires entre la cité et le domaine. Il donne ainsi la séquence d’enregistrement d’un domaine : on prendra garde que les domaines soient inscrits ainsi dans les documents du cens : on indiquera le nom du domaine, dans quelle cité et dans quel pagus il se trouve et quels sont ses deux plus proches voisins ; et les champs : combien de jugères seront labourés dans les dix prochaines années ; les vignes : combien de pieds ; les oliviers : combien de jugères et combien d’arbres ; les prés : combien de jugères seront fauchés dans les dix prochaines années ; les pâtures : combien de jugères il semble y avoir ; de même pour les bois de coupe. Que celui qui déclare fasse lui-même l’estimation16. La procédure n’est certainement pas une invention des Sévères, puisque nous connaissons d’une part un acte de vente espagnol, probablement du début de l’Empire17, qui adopte cette forme, et d’autre part, bien évidemment, les tables alimentaires18, qui respectent plus ou moins la procédure (à Bénévent, elle est nettement moins suivie). Dans la mesure où les tables alimentaires ne sont pas stricto sensu des documents fiscaux, les secrétaires qui ont enregistré les déclarations ne se sont peut-être pas senti tenus de respecter formellement la procédure qu’ils appliquaient normalement. J’en vois encore un écho tardif dans la « table de Trinitapoli »19. L’inscription (datée de 368-375) associe des praepositi pagi à des préposés – aux horrea semble-t-il –, qui doivent établir des menstrui breues, des relevés mensuels, recueillis ensuite par le tabularius ciuitatis. La restitution de la lacune repose ici sur le Code de Justinien (10, 72, 2, de 365), qui mentionne effectivement des praepositi horreorum et pagorum20. En outre, le rector prouinciae doit faire une inspection en personne per pagos et uias et interroger les possessores (lignes 10-17), sans doute pour contrôler les déclarations. Un des intérêts essentiels de ce texte est de fournir la preuve que ces fonctions et ces usages n’étaient pas propres à l’Égypte21. L’usage de la mention du pagus pour une déclaration fiscale ou censitaire est suffisamment inscrit dans la pratique romaine pour que Denys d’Halicarnasse la projette sur la Rome de Servius Tullius : il ordonna que tous les Romains soient recensés et donnent une estimation monétaire de leurs biens (…) indiquant le nom de leur père, leur âge, les noms de leurs femmes et enfants et la tribu de la ville ou le pagus de la campagne où chacun se trouvait établi22.

2. 2. Cadastres et pagi

  • 23 Cf. Leveau, 2008, p. 128.
  • 24 G. Chouquer (Chouquer, 2003, p. 78) interprète l’exemple de catégories de terres que cite Hygin en (...)
  • 25 Roth-Congès, 2005.
  • 26 Arnaud, 2006.

9Le rôle des cadastres, auxquels on a accordé énormément d’attention depuis trente ans ne doit pas être pour autant négligé, mais nuancé, en prenant en compte les limites méthodologiques de la recherche de cadastres23. Il faut reconnaître que les conditions d’attribution et d’occupation des terres ne se prêtent pas toujours à une description en termes de centuries et de jugères. Fiscalement, il était d’ailleurs plus simple de prendre en compte des rendements plutôt que des surfaces, toujours un peu abstraites en matière d’agriculture24. Si l’on admet avec A. Roth-Congès que les casae litterarum constituent un document d’enregistrement de domaines, on voit bien que, là encore, la délimitation repose sur des faits naturels et non sur une organisation géométrique25. S’opposeraient ici, dans le sens où les entend P. Arnaud, une determinatio, fondée sur un bornage arbitraire, et une definitio, qui reposerait sur des éléments remarquables du paysage26. La conjonction entre ces deux méthodes d’enregistrement du territoire est évidente dans la vignette de Minturnes, qui illustre le traité d’Hygin, et qui distingue clairement l’ager adsignatus per professiones (donc par déclaration des possessores établis) et l’assignatio nova, faite selon un cadastre rigoureusement orthonormé (fig. 1).

  • 27 Tarpin, 2002, p. 207-9.
  • 28 CIL, X, 407 ; Inscr. It. III.1, 17 (V. Bracco; RAL, 21, 1966, p. 136 ; complété par AE, 1988, 412 (...)

10Pour ce qui est de la complexité d’articulation entre cadastre et territoire de cité, je renvoie essentiellement à la synthèse encore récente de G. Chouquer (2003), dont j’adopte aussi la critique de l’interprétation purement épigraphique des cadastres. Ce travail souligne au passage un point, déjà connu mais peu exploité, sur lequel je m’étais attardé dans ma thèse27 : il est possible de rattacher à une cité un territoire qui ne lui est pas contigu. Cette solution, envisagée par les gromatiques, explique entre autres que l’on rencontre en un lieu donné un pagus dont le nom évoque clairement une cité plus ou moins éloignée. L’exemple le plus frappant est celui du praefectus pagi Albensium Fulcentium attesté par une inscription, trouvée vers Castrum Nouum, dans le Picénum (CIL, IX, 5146). Le nom même du pagus, ainsi que la fonction de préfet démontre que nous sommes ici sur des terres relevant de l’autorité d’Alba Fucens. Mais on peut citer, en sens inverse, de nombreux pagi sis sur Véléia, et dont les noms laissent supposer qu’ils dépendaient par ailleurs d’autres cités : Vercellae, Verona, Augusta Bagiennorum et peut-être Alba (Pompeia ?). On peut cependant donner un embryon de réponse à la question du lien entre cadastre et pagi à travers une inscription de Volcei, datée de 323, qui donne une liste de domaines, classés par pagi avec l’indication de la surface du domaine, peut-être en milenae (1 milena = environ 12,5 jugères), avec des totaux par pagi ainsi, peut-être, qu’un total pour la cité28. Comme nous avons, par ailleurs, un petit fragment d’inscription à Véléia qui porte, en caractères de grande taille et centré, le mot pagi (CIL, XI, 1149a), on peut supposer que des listes hiérarchisées existaient au sein des cités.

2. 3. Corvées

  • 29 Siculus Flaccus Grom., p. 146.7-9 L = 110 Th. : uicinales autem [uiae], (…), aliter muniuntur, per (...)
  • 30 J’ai adopté le terme choisi par Clavel-Lévêque et al., 1993, p. 99, mais comitatus pourrait aussi d (...)
  • 31 Siculus Flaccus Grom., p. 164 L. ; 129 Th. : Nam et quotiens militi praetereunti aliiue cui comitat (...)
  • 32 P. Oslo, III.119.9-14, montre qu’un praipªovsºito~ de pagus peut-être chargé de collecter des fourn (...)
  • 33 Voir aussi CIL, X, 8093 ; AE, 1989, 150.
  • 34 CIL, XIII, 5110 : C(aio) Valer(io) C(aii) f(ilio) Fab(ia tribu) Ca/millo quoi publice / funus Haedu (...)

11Pour rester dans un cadre juridique très général, on notera, à l’appui de ces remarques, que les corvées sont aussi réparties par pagi, comme l’explique Siculus Flaccus : les voies vicinales sont entretenues différemment, par pagi, c’est-à-dire par les magistri des pagi, qui ont la charge d’exiger les corvées nécessaires de la part des possesseurs. Ou bien, comme nous l’avons remarqué, on assigne à chaque possesseur, pour chaque champ, des tronçons (de voie) qu’il entretiendra à ses frais29. Bien peu de textes documentent la pratique des corvées, surtout dans le domaine rural, mais on en trouve peut-être trace dans une inscription d’Orange (CIL, XII, 1243) : op(us) pagi / Minerui / p(edes) DCLX (uel DCLXXX), que l’on peut grossièrement traduire par réalisation du pagus Minervius, 660 (ou 680) pieds. Mais c’est surtout dans un passage de Siculus Flaccus qu’on voit le pagus intervenir dans les corvées : en effet, chaque fois qu’il faut fournir l’annone publique au soldat en déplacement ou à une escorte (ou à la suite d’un magistrat30), qu’il faut livrer du bois ou de la paille, on se demandera quelles cités fournissent habituellement ces services de cette manière et par quels pagi31. Le cens par pagus permet donc non seulement la juste répartition des charges locales, mais aussi la connaissance des moyens que l’État peut exiger des pagi32. Cela suppose que les pagi concernés avaient des ressources financières33. On peut associer à ce raisonnement une célèbre inscription helvète, dans laquelle on voit que les cités des Éduens et des Helvètes ont voté des statues qua pagatim, qua publice34. Contrairement à ce que l’on a parfois cru, la décision relève de la seule cité des Helvètes : les pagi sont donc mis à contribution de manière autoritaire.

2. 4. Pagi, magistri et maîtrise du sol

  • 35 Christol, 2003.
  • 36 Christol, 2003, p. 136.
  • 37 Tarpin, 2002, p. 226-229; 2003.

12En somme, cette organisation hiérarchisée du territoire des cités, qui accorde une importance fiscale particulière aux subdivisions dans lesquelles sont localisés les fundi, est le reflet juridique d’un état de fait dont M. Christol rappelle qu’il avait été identifié par P.‑A. Février, et que l’on peut sans doute étendre, de son point de vue, à toute la Narbonnaise35. L’analyse de M. Christol montre au passage que les magistri pagi, lorsqu’ils sont des affranchis, sont liés à des familles relativement puissantes, et bien implantées, localement, lorsque l’on parvient à trouver des traces de leurs patrons36. Je ne suis pas certain que l’on puisse aller très loin dans l’histoire de l’implantation des notables sur le territoire de Narbonne, mais la conclusion de M. Christol converge avec la mienne : les affranchis magistri pagi représentent très certainement les intérêts de leurs patrons dans les secteurs où ils ont leurs domaines37.

2. 5. Pagi et héritage celtique

  • 38 Keay, 2003, p. 188.
  • 39 Saddington, 2004, p. 145.
  • 40 Cf. Martin, 2003, pour une approche systématique du lexique d’Isidore de Séville. On peut citer ici (...)
  • 41 Conduisant ainsi des géographes à insérer le pagus dans une évolution reconstruite sur la longue du (...)
  • 42 Tarpin, 2002.
  • 43 Capogrossi Colognesi, 2002.

13Le pagus ne saurait donc être compris comme un type de village ou de petite agglomération, comme le fait encore S. Keay38 à propos du centre cultuel de Turibriga, « possibly a pagus or vicus rather than a town ». Dans un article récent, D. B. Saddington39 considère que la mention du pagus dans deux inscriptions de la iie cohorte des Tongres est une simple allusion à deux villages. Les spécialistes de l’Antiquité tardive adoptent généralement une lecture plus proche des sources, sans doute parce que les textes dont ils disposent rendent plus explicite la nature territoriale du pagus et son lien avec un fonctionnement communautaire40. Cependant, cet usage, qui trouve un parallèle chez César, a conduit trop souvent à imaginer que le pagus était une structure tribale – et éventuellement territoriale – préromaine, celtique, italique aussi bien que germaine, qui se serait maintenue aux côtés de la cadastration romaine41. Le hasard a fait que le livre de L. Capogrossi Colognesi et le mien42 ont été publiés en même temps, faisant un sort à cette longue tradition historiographique, minutieusement démontée par L. Capogrossi Colognesi43.

  • 44 On peut penser à la présence de timbres phéniciens sur des Dressel 1 espagnoles de l’arrière-pays d (...)
  • 45 D’une manière générale, on pourra se reporter à Fichtl, 2006.

14On ne saurait cependant rêver d’un empire qui aurait fait table rase du passé. Il est probable que les pagi, le plus souvent, s’inscrivaient dans l’histoire locale, soit en termes de terroir, soit parce qu’ils représentaient le domaine d’un groupe humain, soit, encore, parce que les exploitants antérieurs avaient conservé au moins une partie de leurs domaines. Il faut ici travailler sur les indices d’une permanence d’occupation des terroirs44, et sur de rares documents plus explicites. Quelques exemples m’avaient amené à penser que les pagi pouvaient représenter parfois une fossilisation du territoire au moment de la conquête, pour autant que ce territoire n’ait pas été confisqué et intégralement assigné45. Par exemple, on note sur la vignette de Minturnes la présence d’un Mons Vescini, dont le nom renvoie à l’ancienne cité de Vescia, disparue en 314 av. J.-C. Il subsiste évidemment un ager Vescinus, que Rullus souhaitait lotir (Cic., Agr., 2, 66), mais on connaît aussi par une inscription, sans doute encore républicaine, un pagus Vescinus (AE, 1989, 150).

  • 46 CIL, VII, 1072 ; RIB, 2107 : pagus / Vellaus milit(ans) / coh(orte) II Tung(rorum) ; VII, 1073 ; RI (...)
  • 47 RIB, 201 ; JRS, 18, 1928, p. 212 ; AE, 1928, 156 : Longinus Sdapeze/matygi f(ilius) duplicarius / a (...)

15On peut trouver d’autres témoignages d’une forme d’identité locale au niveau du pagus. J’irai chercher un exemple assez loin dans le temps, en plein Empire. Trois inscriptions de Grande Bretagne portent des dédicaces faites au sein d’une cohorte par un pagus46. Cela suppose que les hommes issus d’un même pagus pouvaient se retrouver pour des actes mineurs. Une quatrième inscription mentionne un soldat d’une cohorte de Thraces, issu du pagus Sardica47. Ce n’est bien évidemment pas l’origo qui est ainsi mentionnée. Dans le contexte cultuel qui caractérise ces monuments, on peut évidemment penser à un regroupement entre « pays » pour un culte local. Cependant, l’usage de la mention du pagus pour la déclaration fiscale des domaines et pour des corvées autorise à poser la question d’un éventuel recrutement des auxiliaires par pagi au sein des cités, ce qui permettrait au passage d’appliquer une norme fiscale connue par des textes égyptiens, mais qui est certainement de portée générale. En effet, les membres d’une famille qui sont retenus par une activité militaire sont déclarés comme tels par leurs parents, car ils doivent être recensés au lieu du domicile théorique, mais ils échappent naturellement à la fiscalité sur les personnes. Je me suis avancé relativement loin dans les hypothèses : cette dernière mériterait sans doute une discussion de détail. Le fait qui mérite à mon sens d’être retenu est essentiellement l’utilisation fiscale du pagus, entité territoriale inférieure à la cité (et sans doute susceptible de déborder sur plusieurs cités).

  • 48 Cf. Tarpin, 1997.

16L’enracinement historique des pagi est en revanche un point un peu artificiel. En effet, s’il semble évident que les pagi, définis par des éléments naturels ou anthropiques pérennes, peuvent être l’écho territorial d’une forme de communauté protohistorique, rien ne permet d’affirmer que le pagus permet la continuité de cette communauté, en tant que telle, au sein de la cité définie par Rome. Ce que César désigne comme pagus Tigurinus chez les Helvètes indépendants, est de toute évidence un groupe humain disposant d’une certaine autonomie. Ce groupe a pu laisser une trace dans le territoire, comme le montre la vignette gromatique de la colonia Claudia48. Mais on ne saurait affirmer qu’une communauté de Tigurins existait encore en tant que telle sous l’Empire. Il faut donc bien dissocier la permanence du nom, l’espace géographique et la communauté qui a occupé ce territoire à un moment donné : la pérennité de l’un n’entraîne pas forcément la pérennité de l’autre.

3. L’administration du territoire : les vici ?

  • 49 Voir Ulpien, Dig., 50, 15, 4, 2 : agri enim tributum in eam civitatem debet levare, in cuius territ (...)
  • 50 Hervé, à paraître.

17Les textes juridiques et gromatiques me paraissent bien suffisants pour définir la fonction de ces unités territoriales que les anciens appelaient pagi en latin. Cette fonction, on l’aura noté, est uniquement liée au cens de la terre. Le texte d’Ulpien, en particulier, se borne à une déclaration des surfaces et rendements agricoles. Ce lien particulier qu’entretient le pagus avec les biens-fonds explique que de grandes familles puissent lui être associées, parfois à travers leurs affranchis. Rien n’est dit, en revanche, des activités administratives autres que celles de la fiscalité foncière. La question doit être posée, au moins pour les grandes cités, lorsque l’on constate que se développent de petites ou moyennes agglomérations à l’écart du chef-lieu de cité. En principe, ce dernier a vocation à accueillir l’activité judiciaire et censitaire de l’ensemble de la cité, comme il a d’ailleurs vocation à abriter les archives du cens agraire et l’organisation du tribut, pour les cités qui subissent cette charge49. Mais il reste évident qu’à partir d’une certaine échelle, tout le monde ne peut pas vivre en ville ou dans des villae. Se crée donc forcément un maillage du territoire, nécessaire dans un monde fondamentalement agricole (voir Varron, Rust., 1, 16, 4 ). La question est de saisir la nature et le sens de ce maillage. Sa mise en place est bien perceptible dans l’organisation progressive de la pratique chrétienne50, mais elle est plus difficile à saisir pour les époques antérieures.

  • 51 Chevallier, 1976.
  • 52 Petit, Mangin, 1994.
  • 53 La lex Antonia de Termessibus de 72 ou 68 av. J.-C., qui concerne un territoire pérégrin, et oppose (...)
  • 54 Cf. Collis et al., 2000.

18La recherche des trente dernières années a connu de nombreux débats, parfois passionnés, qui reflètent à mon sens surtout une ambiguïté méthodologique. L’état de notre documentation et les nécessités évidentes du fonctionnement matériel d’une cité relèvent de plusieurs domaines qu’il peut être hasardeux de croiser. Il y a, d’une part, l’enregistrement des hommes, la justice, les cultes communs, qui constituent des aspects institutionnels. Il y a, d’autre part, des besoins économiques et sociaux, qui conduisent les communautés à s’agglomérer, et éventuellement les élites à doter les agglomérations d’un cadre monumental à la hauteur de leur puissance locale. Or, dès le colloque de Tours en 197551, on a tenté d’unifier l’ensemble de la documentation sur les structures internes de la cité, tant les faits matériels issus de l’archéologie que les rares textes qui documentent des fonctionnements. L’impossibilité d’établir une correspondance immédiate entre textes, inscriptions et vestiges matériels conduisit les archéologues à poser une définition matérielle – ce qui est parfaitement légitime –, mais en introduisant dans cette définition un élément institutionnel. L’agglomération secondaire52 se définit en négatif par le fait qu’elle n’est pas chef-lieu de cité, mais la définition initiale excluait un certain nombre d’agglomérations. Au contraire, l’usage anglais, plus ancien, permettait de mettre en évidence un fait matériel, la composante urbaine de ces petites et moyennes agglomérations, baptisées « little towns ». À mon sens, ce choix, plus neutre, convient mieux à une analyse typologique, d’ailleurs assez vaine, des agglomérations. Je laisserai ici de côté le fait matériel, qui peut évoluer en fonction d’un nombre de critères trop élevé pour qu’on puisse en tirer grand-chose de général, pour revenir sur quelques préalables de l’analyse. Mais, ici encore, il convient de faire une remarque liminaire : il n’y a aucune raison de penser que les termes latins utilisés pour désigner des agglomérations indigènes au cours de la conquête reflètent en aucune manière les usages et les éventuelles catégories des populations rencontrées53. La découverte d’agglomérations ouvertes, de plus en plus nombreuses, au second Âge du Fer54 ne permet pas de conclure qu’elles aient été conçues comme des vici. Nous raisonnerons donc sur une terminologie latine dans son emploi au sein de l’empire.

3. 1. Le lexique de l’habitat

  • 55 Jacques, 1991.
  • 56 Bérard, 1993.

19Revenons aux sources. Le latin dispose d’un vaste vocabulaire pour désigner des structures d’occupation du territoire au sein de la cité, comme le montrent en particulier quelques textes législatifs. Si l’on exclut, avec F. Jacques55, conciliabulum, ainsi que canabae, qui ne relève pas du lexique institutionnel56, et si l’on admet que colonia, municipium et oppidum désignent d’ordinaire des chefs-lieux de communautés, il reste quand même praefectura, forum, vicus et castellum. À ma connaissance, le lexique juridique ne connaît pas turris, qui figure pourtant dans certains noms d’agglomérations. Forum, dans l’usage courant, désigne une place dans une ville ou un établissement généralement situé dans les zones avancées de la conquête. Dès la fin de la République, forum devient un élément de nom propre d’agglomération, dont il explicite ainsi l’origine. Cependant, il semble que l’on cessa rapidement de créer des fora sur l’ager publicus. Castellum, littéralement « petit fort », est un terme spécifique du lexique de la conquête, lorsque l’on doit désigner une petite agglomération qu’on ne peut décemment pas faire entrer dans la catégorie des oppida. La présence de ce mot dans une sentence de Paul (4, 6, 2), à propos des testaments, laisse supposer que l’on pouvait désigner ainsi des communautés/agglomérations au sein de l’empire. Je suppose que l’on doit faire entrer sous ce nom les agglomérations désignées comme turres par leurs habitants. Vicus, enfin, ne comprend ni la signification fonctionnelle de forum, ni la signification typologique de castellum. En revanche, on rencontre des vicani ou des magistri vici, alors qu’on ne connaît rien d’équivalent pour les fora et les castella. Mais on gardera à l’esprit que vicus, tout particulièrement dans les textes institutionnels, est normalement associé à d’autres mots, ce qui indique qu’il appartient à une classe d’agglomérations humaines, mais ne peut sans doute pas être défini de manière exclusive.

  • 57 Letta, 2005.

20L’étymologie du mot, qui désigne initialement sans doute la maison et/ou la maisonnée, est connue. Nous disposons en outre d’une définition érudite (Festus, p. 502 et 508 L.), dont C. Letta a repris récemment l’étude et la traduction57. Il en ressort, avec les limites dues à la conservation du texte, que vicus peut désigner un regroupement humain aggloméré, susceptible d’accueillir des marchés et d’avoir une res publica. Le même mot peut désigner aussi un groupe de bâtiments urbains, séparé des autres vici par la voirie, et distingué par son nom. Enfin, on peut appeler vicus un bâtiment privé, construit de manière à ce que chacun y ait une entrée individuelle. On pense ici au vicus Octavius de Velitrae, la ville d’origine des Octavii (Suétone, Aug., 1,1). Je suis d’autant plus tenté d’imaginer une évolution à rebours de l’ordre des définitions de Festus que cela expliquerait comment la même racine a pu conduire à deux mots proches, vicinus, le voisin, et vicanus, celui qui est du même vicus (Tarpin, 2008). Rien dans le texte de Festus, ni dans la littérature en général, ne permet de supposer que l’identité d’un vicus repose sur des éléments matériels.

3. 2. Le vicus dans la cité

  • 58 Soricelli, 2004.
  • 59 CIL, VIII, 8280 ; ILS 6869 ; cf. Briand-Ponsart, 2003, p. 81.
  • 60 Tassaux, 2003, p. 111.
  • 61 Cf. Isid. Hisp., 15, 2, 11-12 : Vici et castella et pagi hi sunt qui nulla dignitate ciuitatis orna (...)

21Dans une étude récente, G. Soricelli58 a étudié une série de documents concernant de grands domaines africains dans lesquels les propriétaires (ou plutôt possessores) établissent des vici, comme le fit, par exemple, Antonia Saturnina, dans la région de Cirta59. Dans l’un de ces textes, Agennius Urbicus, reprenant peut-être un texte de Frontin, mentionne des saltus africains, aussi grands que des cités. Le populus plebeius qui y habite est réparti en vici, organisés autour de la villa à la manière des municipes. Comme le remarque G. Soricelli, il est possible que l’auteur du traité ait voulu évoquer un paysage matériel, dans lequel le municipe, au sens de ville – bien attesté dans les traités gromatiques – serait le cœur d’un réseau de plus petites agglomérations. Plus que la notion de « secondaire », ce qui apparaît ici est le nécessaire maillage d’un vaste territoire. Mais on relève surtout la comparaison, qui pose comme norme le municipe entouré de vici. En effet, il est peu probable que le possessor du domaine ait été indépendant de la cité au point d’assurer lui-même le cens et la justice sur ses terres. Concrètement, sur un grand domaine, le problème devait être plutôt celui du voisinage, évoqué par F. Tassaux à propos de la coexistence de domaines des élites et de vici comme à Manerba, Manerbio, Toscolano et Sirmione60. Ainsi, Iulia Festilla, très puissante aristocrate helvète, est appelée vicina optima par les vicani d’Yverdon (CIL, XIII, 5064 ; ILS, 7010 ; RIS, 66). Concrètement, rien n’interdit d’ailleurs de penser que les vici se trouvaient dans le domaine exploité par le grand propriétaire. Leur population n’est pas pour autant entièrement servile et relève donc de la cité à laquelle ils appartiennent. Comme le rappelle Ulpien (Digeste, 50, 1, 30) : Qui ex vico ortus est eam patriam intellegitur habere cui rei publicae vicus ille respondet61 (on admet que la personne qui est originaire d’un vicus a comme patrie la res publica (la cité) dont dépend ce vicus). Il me paraît important, à ce point, d’insister à nouveau sur le fait que la catégorie « habitants » n’a pas de signification institutionnelle. Ce passage d’Ulpien associe explicitement vicus à une origine et non à une résidence (que le droit distingue de toute manière du domicile et de l’origo). On ne saurait donc traduire vicani par « habitants du vicus », de la même manière que municipes ne désigne pas les « habitants » du municipe. De nombreux textes qui mentionnent des évergésies au bénéfice de vicani suffisent à démontrer que l’on entend alors un corps bien défini et identifiable.

  • 62 Par exemple, CIL, V, 892 ; 898 ; 7923 ; VI, 2730 ; 2736 ; 2933 ; 3300 ; 32546 = 2797 ; 32571 ; 3258 (...)
  • 63 Par exemple, CIL, V, 37213 (Aurelius Verus, nat(us) Pannon(iae) pede Sirmese pago Martio uico Budal (...)

22À cela s’opposent, sans pour autant contredire le fond du texte d’Ulpien, les vici qui habent rempublicam de Festus. Ce sont sans doute les mêmes qu’évoque Isidore de Séville (Etym., 15, 2, 11-12 et 22), lorsqu’il dit : dictus autem vicus eo quod sit vice civitatis. On rapprochera ce texte des vici qui proprios fines habent du Code de Justinien (6, 25, 9, 1). Il est vrai que les exemples de vici, chefs-lieux de cité assurés, sont rares, mais on ne saurait les négliger, puisqu’ils corroborent les remarques des érudits. On peut penser à Sens, du fait d’une inscription du iiie siècle (CIL, XIII, 2949 ; ILS, 7049), ou peut-être à Portus Namnetum, si c’est bien là le nom de la capitale des Namnètes (CIL, XIII, 3105-7). Sur le Rhin, les exemples sont un peu plus nombreux, sans pour autant que l’on puisse parler de cas général. Dans bien des cas, on peut d’ailleurs supposer que les agglomérations se sont d’abord développées comme vici dans la dépendance d’une autre agglomération, et ont ensuite été qualifiées de cité sans recevoir pour autant un titre colonial ou municipal. Cela pourrait expliquer que les Mattiaci aient eu un vicus chef-lieu de cité – Wiesbaden (CIL, XIII, 7566a ; AE, 1903, 309) –, et un vicus banal – Kastel (CIL, XIII, 7270 ; ILS, 7093) –, situé à peu de distance de la capitale. Dans les provinces danubiennes, certains soldats expriment leur origine par un vicus62. Mais des inscriptions détaillées peuvent préciser la hiérarchie interne à la cité, en subordonnant le vicus d’origine à une colonie ou un municipe63.

3. 3. Une notion institutionnelle

  • 64 Tarpin, 2002, p. 63-72.
  • 65 Hervé, à paraître ; cf. Tarpin, à paraître ; fig. 2.

23Si l’on tente de synthétiser la pauvre documentation que nous avons dû aller parfois chercher bien loin de la Gaule, il nous faut constater que, là où l’on possède suffisamment d’attestations de vici, comme dans la cité de Vienne, ceux-ci représentent un maillage assez régulier qui paraît s’établir de préférence en fonction d’axes routiers relativement importants. J’avais d’ailleurs évoqué à ce propos les viasii vicani de la loi agraire de 111 av. J.-C.64. Ce maillage se rencontre à nouveau, sous le nom de vici, chez Grégoire de Tours65. À cette représentation topographique s’ajoute une donnée physionomique, souvent analysée dans les études archéologiques : celle de l’urbanisme, perçu à travers la plus ou moins grande monumentalité des agglomérations. Celle-ci tient évidemment essentiellement à la générosité des notables locaux, grands propriétaires dans leur immense majorité (par exemple, CIL, XII, 2493). Le maillage, en revanche, peut s’expliquer aussi bien par des nécessités matérielles, liées aux échanges, que par un fonctionnement institutionnel.

24Du fait de la présence de vicus dans des textes clairement institutionnels, j’ai privilégié le seconde piste, qui n’est d’ailleurs pas exclusive de la première (Tarpin, à paraître). L’attention portée par I. Iasiello aux inscriptions de l’Italie apenninique confirme le lien entre vicus et voirie, tel qu’il apparaît dans la loi agraire, mais là encore peut-être dans une double fonction. Le rôle institutionnel dans le cadre de l’entretien des routes paraît cependant déterminant au premier chef (Iasiello, 2008). Le travail de J. Scheid sur la répartition des cultes dans la cité des Trévires, où les vici, eux aussi implantés selon un maillage rationnel, semblent jouer un rôle de relais du chef-lieu, me paraît un indice supplémentaire (Scheid, 1991). Le fait que vicus soit absent du lexique des gromatiques laisse penser que ce mot ne désigne pas un élément déterminant de territoire et n’intervient sans doute pas dans la répartition des terres et leur enregistrement au sein de la cité. Cependant, on constate qu’un petit vicus est mentionné sur le cadastre C d’Orange (centurie DD VII, VK XX [II]), et dispose de 61 jugères (env. 15 ha), ce qui est bien peu. Comme un certain nombre d’inscriptions portent la mention d’emplacements accordés par un vicus, on doit conclure que les vici, en termes matériels, disposaient au mieux de la surface de l’agglomération et de quelques terres environnantes (Tarpin, 2002, p. 270-273). Le silence des gromatiques est donc cohérent. Le vicus Martis Tudertium, non loin de Todi, relevait directement des magistrats de la cité, puisque les inscriptions qui y ont été découvertes portent la mention LDDD (CIL, XI, 4744, 4748, 4750, 4750a, 4751). Il n’y a guère de vicus non plus sur les tables alimentaires, ultime confirmation, s’il en fallait, d’un statut subordonné.

  • 66 Lo Cascio, Merola, 2008.

25Mais, comme, d’autre part, il existe des corps de vicani, et parfois des magistri vici, clairement distincts des magistri pagi, il faut admettre que les vici avaient une forme d’organisation, dans laquelle, hors de toute nostalgie archaïsante, on peine à trouver grand-chose d’indigène. Le plus raisonnable est sans doute de penser qu’en Gaule comme, plus clairement, en Italie, les vici ont un rôle de relais du chef-lieu dans le territoire de la cité. La confusion entre le vicus, agglomération peut-être, entité administrative très probablement, et le pagus, unité territoriale, ne se rencontre que très rarement, et tardivement, par exemple dans une belle inscription de Foruli (AE, 1937, 121, datée de 335) : Fl(auio) Constantio et Rufio Albino co(n)s (ulibus) / XV kal(endas) ienuarias (sic) / cum uniuersi pagani seu uicani Forulani in [e] / pulo Aug(usto) frequentes obuenissent ibi Antisti[us] / Lucentius proc(urator) eorum u(erba) f(ecit) (…). Administrativement, ces pagani seu vicani relèvent de l’autorité de la ville d’Amiternum. L’identité des deux entités ne peut s’expliquer ici que par la présence d’un unique vicus sur un pagus homonyme. En effet, les auteurs chrétiens distinguent bien les deux mots. Le texte, discuté lors du colloque d’Ischia66, n’offre pas de solution évidente. On peut cependant imaginer que les pagani sont les possessores du pagus, tandis que les vicani sont les citoyens d’Amiternum établis dans l’agglomération située dans le pagus.

  • 67 L’archéologie montre qu’il a pu y avoir cependant des territoires marginaux quelque peu oubliés de (...)

26Sans doute me suis-je encore un peu avancé. Mais la pauvreté de la documentation oblige à ouvrir le champ des hypothèses. Dans le même temps, on ne saurait imaginer qu’une société antique ait pu fonctionner sur un mode libertaire et individualiste, sans identification des corps qui la constituent. Les vicani, par exemple, ne peuvent être compris comme « les habitants du vicus » que par un abus de langage moderne. Le monde romain est fondamentalement hiérarchisé, selon des critères complexes, dont le recoupement définit l’individu. La fiscalité, l’enregistrement des personnes et des biens, la protection de la propriété, l’autorité de justice sont autant d’éléments fondamentaux du fonctionnement de l’empire et de la cité. Il me paraît fort improbable que les campagnes aient été oubliées au point de conserver leurs fonctionnements anciens sans interférences de la cité et de l’autorité centrale67.

Fig. 1. Le territoire de la colonie de Minturnae sur une vignette d’Hygin le gromatique.

Fig. 1. Le territoire de la colonie de Minturnae sur une vignette d’Hygin le gromatique.

Dessin M. Tarpin.

Fig. 2. Fondation d’églises et de vici par les évêques de Tours

Fig. 2. Fondation d’églises et de vici par les évêques de Tours

D’après Grégoire de Tours, Histoire des Francs, 10, 31. Dessin M. Tarpin.

27Alföldy, G., 2000, Das neue Edikt des Augustus aus El Bierzo in Hispanien, ZPE, 131, p. 177-205.

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Tarpin, M., 2002a, Les « pagi » gallo-romains : héritiers des communautés celtiques ?, dans D. Garcia et F. Verdin (éd.), Territoires celtiques. Espaces ethniques et territoires des agglomérations protohistoriques d’Europe occidentale (24ème colloque de l’AFEAF, Martigues, 1-4.06.2000), Paris, p. 199-204.

Tarpin, M., 2003, Les magistrats des « vici » et des « pagi », et les élites sociales des cités, dans M. Cébeillac-Gervasoni et L. Lamoine (éd.), Les élites locales dans le monde hellénistique et romain. Les élites et leurs facettes (colloque Clermont-Ferrand, 24-26.11.2000) (Coll. E.F.R., 309), Rome, p. 257-266.

Tarpin, M., 2008, Les « vici » de Rome, entre sociabilité de voisinage et organisation administrative, dans M. Royo, E. Hubert et A. Bérenger (éd.), Des « vici » aux rioni. La « Rome des quartiers » de l’Antiquité à la fin du Moyen-Âge : cadres institutionnels, pratiques sociales, requalifications, Paris, p. 35-64.

Tarpin, M., à paraître, De la capitale au uicus : la gestion du territoire et les agglomérations secondaires, à paraître dans les actes de la table ronde internationale Les agglomérations secondaires de l’Antiquité à la fin du Moyen-Âge, Nice 16-18 septembre 2004.

Tassaux, F., 2003, Élites locales, élites centrales. Approche économique et sociale des grands propriétaires au nord de l’Italie romaine (Brescia et Istrie), Histoire et Sociétés Rurales, 19, p. 91-120.

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Notes

1 À titre d’exemple, on verra la manière dont L. Foxhall (Foxhall, 1990, p. 108) se cautionne de P. Garnsey (et implicitement d’une abondante littérature italienne) pour faire des vici et des pagi les habitats, plus ou moins regroupés en noyaux, des pauvres ruraux : « For Italy, I am convinced by Patterson’s arguments, building on Garnsey’s work, that the rural poor in many regions lived in more or less nucleated settlements, in pagi and vici. While such centres served as permanent bases for many families, occupation may have fluctuated seasonally, with farmers living on or near the fields they cultivated for at least part of the year in temporary (and archaeologically invisible?) accommodation ». En fait, ce n’est qu’à Rome que les sources, certainement peu objectives, associent les vici aux couches les plus défavorisées de la société, et partant les plus turbulentes (cf. Tarpin, 2002, p. 88-92). Cette lecture « sociale » de la nature des vici se retrouve dans le compte rendu qu’a donné Y. Burnand de mon livre (Burnand, 2005), extrapolant un peu ce que j’y exprimais.

2 Ce qui n’implique aucunement que l’Europe ait été un monde à part dans l’empire. De nombreux travaux sur l’Afrique romaine apportent des éléments très importants, par exemple sur le pagus, qui peuvent aisément être extrapolés. Cf., par exemple, Maurin, 1995.

3 Ce que confirme peut-être l’édit d’Auguste de Bembibre, s’il est authentique (Alföldi 2000 ; Lobo, Hoyas, 2001 ; Le Roux, 2001).

4 Cf. Gardes, 2002.

5 Laffi, 1992.

6 Curchin, 1985, p. 343.

7 Dondin-Payre, 1999.

8 Favory, 2003, p. 33-34.

9 Chouquer, 2008, p. 204.

10 Voir, par exemple, Leveau, 2008, p. 122-126.

11 Chastagnol, 1981, 1981a.

12 Leveau, 1993, p. 463.

13 Bertrand, 1991, p. 164 ; cf. Corbier, 1991.

14 Leveau, 1993, propose la traduction suivante : « "Territorium" désigne la totalité des terres à l’intérieur des limites de n’importe quelle cité ; parce qu’à l’intérieur de ces limites, les magistrats du lieu ont le droit d’effrayer, c’est-à-dire d’écarter la foule ». À mon sens, le jeu de mots dissimule tout simplement le pouvoir de justice et de rétorsion des magistrats sur le territoire de leur cité. Voir Martin, 2003, p. 62.

15 Leveau, 1993, p. 467.

16 Vlpian., Dig., 50, 15, 4 : forma censuali cauetur, ut agri sic in censum referantur, nomen fundi cuiusque et in qua ciuitate et in quo pago sit et quos duos uicinos proximos habeat. et aruum, quod in decem annos proximos satum erit, quot iugerum sit : uinea quot uites habeat : oliuae quot iugerum et quot arbores habeant : pratum quod intra decem annos proximos sectum erit, quot iugerum : pascua quot iugerum esse uideantur : idem siluae caeduae. Omnia ipse qui defert aestimet.

17 CIL, II, 5042 : Dama L(ucii) T(iti) ser(uus) fundum Baianum qui est in agro qui Veneriensis uocatur pagi Olbensi, etc.

18 Par exemple : CIL, XI, 1147. II. 8 : P. Atilius Saturninus per Castricium Secundum professus est fund(um) Fonteianum qui est in Veleiate pag(o) Iunonio adf(inibus) Atilio Adulescente et Maelio Seuero et Pop(ulo).

19 AE, 1984, 250; Giardina, Grelle, 1983.

20 Cf. Rickmann, 1971, p. 185.

21 La documentation y reste évidemment inégalée. Les archives d’Aurélius Isidorus, de Karanis (env. 268 – env. 324), nous apprennent ainsi que les praepositi pagi restent responsables des arriérés de taxes longtemps après la fin de leurs fonctions (Boak, Youtie, 1960, 11.23). P. Oxy. XLVIII, 3392, présente un cas rarissime de quittance établie par un praepositus pagi.

22 Dion. Hal., 4, 15, 6 : ejkevleusen a{panta~ ÔRwmaivou~ ajpogravfesqai te kai ; tima`sqai ta ;~ oujsiva~ pro ;~ ajrguvrion (...) patevrwn te w|n eijsi gravfonta~ kai ; hJlikivan h}n e[cousi dhlou`nta~ gunai`ka~ te kai ; pai`da~ ojnomavzonta~ kai ; ejn tivni katoivkousi e{kastoi th`~ povlew~ fulh`/ h] pavgw/th`~ cwvra~ prostiqevnta~.

23 Cf. Leveau, 2008, p. 128.

24 G. Chouquer (Chouquer, 2003, p. 78) interprète l’exemple de catégories de terres que cite Hygin en Pannonie dans le sens d’une centuriation à but fiscal. On ne peut certes l’exclure, mais l’évaluation de la qualité de la terre est un préalable indispensable à l’assignation. Or celle-ci se fait le plus souvent sur terrain cadastré.

25 Roth-Congès, 2005.

26 Arnaud, 2006.

27 Tarpin, 2002, p. 207-9.

28 CIL, X, 407 ; Inscr. It. III.1, 17 (V. Bracco; RAL, 21, 1966, p. 136 ; complété par AE, 1988, 412 ; Suppl. Ital., n. s. 3, 1987, p. 76, n° 5. Les lacunes de l’inscription ne permettent malheureusement pas de contrôler les totaux. Par ailleurs, on ne sait pas si les surfaces sont celles de l’ensemble de chaque domaine ou seulement d’une catégorie de terres.

29 Siculus Flaccus Grom., p. 146.7-9 L = 110 Th. : uicinales autem [uiae], (…), aliter muniuntur, per pagos, id est per magistros pagorum, qui opera a possessoribus ad eas tuendas exigere soliti sunt. Aut, ut comperimus, uni cuique possessori per singulos agros certa spatia assignantur, quae suis impensis tueantur.

30 J’ai adopté le terme choisi par Clavel-Lévêque et al., 1993, p. 99, mais comitatus pourrait aussi désigner la suite d’un empereur ou d’un magistrat en déplacement.

31 Siculus Flaccus Grom., p. 164 L. ; 129 Th. : Nam et quotiens militi praetereunti aliiue cui comitatui annona publica praestanda est, si ligna aut stramenta deportanda, quaerendum quae ciuitates quibus pagis huius modi munera praebere solitae sint. La traduction que je propose s’éloigne un peu de celle qui a été publiée par Clavel Lévêque et al., 1993, p. 99, qui comprenaient quibus pagis comme "et dans quels pagi", qui me paraît dénué de sens dans ce contexte. Je préfère supposer une élision du a (ou un oubli de copiste).

32 P. Oslo, III.119.9-14, montre qu’un praipªovsºito~ de pagus peut-être chargé de collecter des fournitures pour l’équipement militaire (Deléage, 1945, p. 92-93).

33 Voir aussi CIL, X, 8093 ; AE, 1989, 150.

34 CIL, XIII, 5110 : C(aio) Valer(io) C(aii) f(ilio) Fab(ia tribu) Ca/millo quoi publice / funus Haeduorum / ciuitas et Heluet(iorum) decre/uerunt et ciuitas Heluet(iorum) / qua pagatim qua publice / statuas decreuit / I((u))lia C(aii) Iuli(i) Camilli f(ilia) Festilla / ex testamento.

35 Christol, 2003.

36 Christol, 2003, p. 136.

37 Tarpin, 2002, p. 226-229; 2003.

38 Keay, 2003, p. 188.

39 Saddington, 2004, p. 145.

40 Cf. Martin, 2003, pour une approche systématique du lexique d’Isidore de Séville. On peut citer ici, d’après Rankov, 1999, H. Elton, qui note que les tribus germaniques auxquelles se heurte l’Empire sont surtout de petites communautés, appelées pagi, rarement alliées. Il note que la campagne de Strasbourg, en 357, impliqua environ 35 000 hommes, correspondant à 4 à 6 pagi, soit moins de 9000 combattants par pagus. Cf. Tarpin, 2002, p. 33.

41 Conduisant ainsi des géographes à insérer le pagus dans une évolution reconstruite sur la longue durée, et que l’on fait parfois remonter au néolithique (Di Meo, 1991, p. 275). Cf. Tarpin, 2002a.

42 Tarpin, 2002.

43 Capogrossi Colognesi, 2002.

44 On peut penser à la présence de timbres phéniciens sur des Dressel 1 espagnoles de l’arrière-pays de Gadès (Key, 2003, p. 162-163, avec bibliographie). En Espagne, encore, des petites communautés auraient continué à fonctionner d’une manière traditionnelle, sous une forme tellement courante qu’on en serait venu à désigner d’un C renversé les castella (Keay, 2003, p. 184, avec référence à González, 1986).

45 D’une manière générale, on pourra se reporter à Fichtl, 2006.

46 CIL, VII, 1072 ; RIB, 2107 : pagus / Vellaus milit(ans) / coh(orte) II Tung(rorum) ; VII, 1073 ; RIB, 2108 = ILS, 4756 : pa((g))us Con/drustis milit(ans) / in coh(orte) II Tun/gror(um) sub Silui/o Auspice praef(ecto) [fabrum ; EE, IX, 1159 ; RIB, 1303 : Deo M(ercurio) s[igil(lum) ?] d(edicauit) e(t) p(osuit) coh(ors) / II Ner[uioru]m pago / [---]diorum.

47 RIB, 201 ; JRS, 18, 1928, p. 212 ; AE, 1928, 156 : Longinus Sdapeze/matygi f(ilius) duplicarius / ala prima Tracum pago / Sardi(ca) anno(rum) XL aeror(um) XV / (…).

48 Cf. Tarpin, 1997.

49 Voir Ulpien, Dig., 50, 15, 4, 2 : agri enim tributum in eam civitatem debet levare, in cuius territorio possidetur : il faut lever le tribut sur la terre dans la cité dans le territoire de laquelle elle est possédée (trad. Leveau, 2008, p. 119).

50 Hervé, à paraître.

51 Chevallier, 1976.

52 Petit, Mangin, 1994.

53 La lex Antonia de Termessibus de 72 ou 68 av. J.-C., qui concerne un territoire pérégrin, et oppose oppidum et ager, ce dernier comprenant des loca, agri, et aedificia, montre bien que le législateur a tenté d’éviter le lexique institutionnel latin pour décrire une réalité pérégrine, au contraire de l’usage, beaucoup plus libre, des historiens. CIL, I², 589; ILS, 38; FIRA, I, 11, p. 105; Bruns, Fontes, 24, p. 92; Girard, Senn, p. 72 (146), col. 2, l. 5-9; Ferrary, 1985.

54 Cf. Collis et al., 2000.

55 Jacques, 1991.

56 Bérard, 1993.

57 Letta, 2005.

58 Soricelli, 2004.

59 CIL, VIII, 8280 ; ILS 6869 ; cf. Briand-Ponsart, 2003, p. 81.

60 Tassaux, 2003, p. 111.

61 Cf. Isid. Hisp., 15, 2, 11-12 : Vici et castella et pagi hi sunt qui nulla dignitate ciuitatis ornantur, sed uulgari hominum conuentu incoluntur, et propter paruitatem sui maioribus ciuitatibus adtribuuntur.

62 Par exemple, CIL, V, 892 ; 898 ; 7923 ; VI, 2730 ; 2736 ; 2933 ; 3300 ; 32546 = 2797 ; 32571 ; 32585 ; 32605 (milites ex Dardania ex uico Perdica et ex uico Titis) ; 32660 = 2772. Cf. Mirkovic, 1977, p. 845.

63 Par exemple, CIL, V, 37213 (Aurelius Verus, nat(us) Pannon(iae) pede Sirmese pago Martio uico Budalia).

64 Tarpin, 2002, p. 63-72.

65 Hervé, à paraître ; cf. Tarpin, à paraître ; fig. 2.

66 Lo Cascio, Merola, 2008.

67 L’archéologie montre qu’il a pu y avoir cependant des territoires marginaux quelque peu oubliés de la civilisation, comme semble le montrer un exemple assez exceptionnel (Goguey, Bénard, 2001/2002). Cela ne prouve pas pour autant que les occupants du lieu aient été oubliés du fisc.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. Le territoire de la colonie de Minturnae sur une vignette d’Hygin le gromatique.
Légende Dessin M. Tarpin.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1783/img-1.png
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Titre Fig. 2. Fondation d’églises et de vici par les évêques de Tours
Légende D’après Grégoire de Tours, Histoire des Francs, 10, 31. Dessin M. Tarpin.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1783/img-2.png
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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Tarpin, « Organisation politique et administrative des cités d’Europe occidentale sous l’Empire »Pallas, 80 | 2009, 127-145.

Référence électronique

Michel Tarpin, « Organisation politique et administrative des cités d’Europe occidentale sous l’Empire »Pallas [En ligne], 80 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2009, consulté le 14 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/1783 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.1783

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Auteur

Michel Tarpin

Professeur d’histoire de l’art antique, Université Pierre-Mendès France, Grenoble II
michel.tarpin@gmail.com

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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