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Notes de lectures

Françoise Morzadec, Les images du monde. Structure, écriture et esthétique du paysage dans les œuvres de Stace et Silius Italicus

Latomus Vol. 322, Bruxelles 2009, 461 p.
Paul François
p. 437-440
Bibliographical reference

Françoise Morzadec, Les images du monde. Structure, écriture et esthétique du paysage dans les œuvres de Stace et Silius Italicus, Latomus vol. 322, Bruxelles 2009, 461 p.

Full text

1Cet ouvrage est la version abrégée et remaniée d’une thèse de Doctorat « nouveau régime » soutenue en 1995 à l’Université de Paris IV-Sorbonne ; une époque « héroïque » où l’engouement que connaissent actuellement les épopées flaviennes en était encore à ses débuts ; mais l’auteur a évidemment tiré parti du délai écoulé depuis la soutenance pour actualiser sa bibliographie en tenant compte des publications importantes parues depuis (notamment la thèse de F. Delarue sur Stace poète épique). L’originalité de cette étude est d’être centrée sur un problème esthétique plutôt qu’idéologique comme la majorité des travaux parus dernièrement sur les épiques flaviens (même si, comme le montre bien cet ouvrage, esthétique et idéologie sont souvent imbriquées, notamment chez Silius Italicus). Le fait est que la question du paysage est un moyen d’aborder plus largement et de caractériser plus précisément la personnalité esthétique d’un auteur, et c’est bien dans cette perspective qu’est conçue cette thèse. Elle s’inscrit certes dans le prolongement de travaux comme ceux d’A.‑M. Taisne sur L’Esthétique de Stace, mais la prise en compte de Silius Italicus, peu étudié jusqu’ici sous l’angle esthétique, vient combler en partie un « trou » dans les études sur les Punica.

2Cela nous amène à la question de la définition du corpus, qui mérite d’être posée avant d’aborder le sujet lui-même. La thèse de F. Morzadec associe aux œuvres poétiques de Stace (Silves, Thébaïde, Achilléide) les Punica de Silius Italicus. L’unité du corpus ne repose donc pas sur le genre poétique, puisque les Silves, poèmes encomiastiques de circonstance, voisinent avec des épopées. Mais le paysage est un thème important de ces pièces « mineures », et leur prise en compte est l’occasion de rapprochements intéressants avec le versant épique de l’œuvre statienne (cf. p. 303 sq.), permettant de mieux saisir la personnalité poétique de Stace : il aurait donc été dommage de les exclure. Cependant, l’unité de l’ouvrage ne repose pas non plus sur l’auteur choisi, puisque Stace forme une sorte d’« attelage » avec Silius Italicus, de sorte qu’on a bel et bien l’impression, par moments, qu’il s’agit d’une thèse sur l’épopée (où Silius joue bien souvent, à vrai dire, le rôle d’un « faire-valoir » de son collègue, faisant ressortir par contraste la supériorité de ce dernier). On ne peut dire non plus que l’unité repose sur l’époque envisagée, et qu’il s’agit d’une thèse sur la perception du paysage dans la poésie flavienne, car il y a alors un grand absent : Valérius Flaccus. En fait, c’est l’exclusion de ce dernier qui me paraît être le principal défaut de ce corpus. Cela découle évidemment des contraintes des thèses « nouveau régime »… mais c’est tout de même bien dommage.

3La question du paysage dans la littérature antique est en soi problématique, et l’introduction pose bien ces problèmes. Elle souligne notamment le caractère semi-anachronique de cette notion, qui ne recoupe aucune des catégories de la rhétorique antique, de sorte que l’analyse devra croiser les réflexions théoriques des rhéteurs anciens (notamment sur l’ecphrasis topou) et les approches critiques plus modernes (les travaux de Ph. Hamon sur la description sont souvent cités et utilisés). Tout au long de son analyse, l’auteur s’attache à mettre en œuvre et à combiner avec pertinence et cohérence ces deux angles d’approches. Toutefois, la prise en compte de la thèse de J.‑P. Aygon Pictor in fabula sur les descriptiones chez Sénèque (parue en 2004 et dans laquelle les bases théoriques de la description antique sont étudiées de façon particulièrement précise) aurait permis d’étoffer et d’affermir le traitement de la question de l’ecphrasis. L’étude de F. Morzadec se signale en outre par la prise en compte de l’architecture et des arts figurés, qui vient enrichir l’analyse de parallèles suggestifs (cf. entre autres p. 76‑77 et 342‑343). Pour en finir sur les remarques de méthodologie générale, on peut regretter que l’auteur ait pris le parti de ne jamais traduire les passages qu’elle analyse.

4L’ouvrage se subdivise en deux « livres » (« Perception et description du paysage »/« Imaginaire et esthétique du paysage »), chacun divisé en deux parties. La première partie du livre I inventorie les modes de présence du paysage en trois temps : d’abord sous forme statique, « tableaux et panoramas » (descriptions proprement dites, paysages aperçus par les fenêtres, panoramas définis par les points de vue), puis sous forme dynamique, « parcours et voyages. L’écriture en mouvement » (visites guidées dans les villas des Silves, scènes épiques de découverte et d’adieux, pérégrinations terrestres et maritimes), et enfin, dans les développements topiques tels que comparaisons et catalogues (comparaisons rhétoriques et figuratives, catalogues de troupes…). Cette première partie est donc à dominante taxinomique : un type de développement plus ou moins considéré comme un « passage obligé » dans certaines thèses, mais qui ne permet guère la problématisation de la démarche et l’approfondissement de l’analyse, conduisant à effleurer simplement les textes cités. On notera tout de même des remarques intéressantes sur l’importance du regard dans la définition du paysage, ou sur le rôle de la fenêtre (p. 52 sq.), ainsi que sur les nuages (p. 82 : un sujet que F. Morzadec a particulièrement creusé dans l’un de ses articles). Du point de vue interprétatif (un aspect sur lequel l’auteur reste très prudente, car il est clair que ce n’est pas son sujet), il me semble que la symbolique d’Argos dans la Thébaïde (p. 91) est un peu idéalisée, car tout n’est pas rose au pays d’Acrisius et de Danaüs (cf. II, 221‑223). Enfin, la « malédiction du navire Argo » (p. 87 et 171) ne se trouve pas chez Hésiode (qui ne parle que des dangers de la mer).

5La deuxième partie du livre I (« Action, narration, description ») est centrée sur la fonction dramatique des aperçus de paysages. Elle examine d’abord les rapports entre « description et action dramatique », puis entre « paysage et construction dramatique », et entre « paysage et personnage », avant d’étudier in fine les « critères et connotations du paysage ». C’est ici que prennent place notamment l’étude des paysages « infernaux » et des interactions entre paysages et états d’âmes (un point sur lequel l’analyse de F. Morzadec est justement nuancée). On y trouve aussi l’opposition locus horridus/locus amoenus ainsi qu’une étude sémantique de la notion de locus (placée ici de façon un peu inattendue). On relève, entre autres, de bonnes remarques sur le paysage poétique (p. 219) et sur le thème de la transgression chez Silius Italicus (p. 170 sq.), même si l’interprétation proposée du mythe de Pyréné (p. 153‑154) me paraît reposer sur une problématisation et une dramatisation exagérées du motif du furtum, qui méconnait le caractère profondément ovidien de tout ce passage. Le traitement de la question du Stoïcisme (p. 206) laisse un peu sur sa faim : la prudence de F. Morzadec est certes parfaitement justifiée, et le point de vue de F. Spaltenstein vient utilement contrebalancer celui de D. Vessey (qui a un peu tendance à voir du stoïcisme partout), mais l’auteur peine visiblement à se dégager de l’influence de ce dernier, de sorte qu’on a l’impression (paradoxale) que Stace est plus stoïcien que Silius…

6Après ce premier « livre » qui privilégie l’approche narrative et dramatique et l’insertion des paysages dans le récit, le second les envisage davantage pour eux-mêmes, dans une optique plus esthétique. Cette section, où l’analyse des textes est la plus poussée, est la plus intéressante de l’ouvrage. La première partie étudie les « effets de doubles et de reflets » dont les travaux d’A.‑M. Taisne notamment ont bien montré l’importance en ce qui concerne Stace. Elle se penche successivement sur le motif du double (« du double au reflet »), puis sur les « reflets lumineux et échos sonores », et enfin sur les « jeux de mémoire littéraire ». On y relève notamment de bonnes études sur le motif de la nature domptée chez Stace (p. 279), sur les jeux d’ombres et de lumières (p. 303 sq., avec des rapprochements pertinents entre les Silves et la Thébaïde), et des parallèles intéressants avec la peinture pompéienne.

7La dernière partie est plus composite (« De l’intérêt historique et géographique au mythe et à la fantaisie »). Elle débute par un chapitre sur la question de l’intégration des connaissances scientifiques ou géographiques contemporaines (notamment sur la question du volcanisme) et leur exploitation poétique. Elle aborde ensuite l’insertion de la mythologie et des figures divines dans le paysage. On note ici de bons passages sur l’articulation entre louange et paysage et sur l’interpénétration du rêve et de la réalité. Vient enfin une discussion plus générale (mais appuyée sur des critères précis) sur la personnalité poétique de Stace, qualifié par les critiques tantôt de « baroque » et tantôt de « maniériste ». F. Morzadec privilégie le second terme, et justifie fermement son choix (tout en livrant une analyse intéressante des éléments de « baroque de Stace » avec une utilisation suggestive de la métaphore du reflet aquatique). En revanche, la citation, au titre de repoussoirs, de jugements de valeur vieillots et obsolètes du type de ceux de L. Legras ou d’autres, sur les défauts poétiques de Stace (cf. p. 397) n’est plus absolument indispensable en 2010, et s’apparente un peu à du tir sur ambulance…

8La conclusion dégage nettement les acquis de l’analyse et les caractéristiques communes des poètes flaviens dans leur représentation du paysage : tendance à la schématisation et à la codification, primat de l’abstraction symbolique, subordination des descriptions aux exigences dramatiques, mobilisation allusive de réminiscences mythiques et littéraires, éclatement des perspectives brisant la cohérence visuelle, esthétisation et artificialité mettant à distance le naturalisme, influence des considérations éthiques ou axiologiques. Cette conclusion manifeste clairement l’une des qualités majeures de la thèse de F. Morzadec : son honnêteté intellectuelle, qui l’éloigne de la tentation de faire « mousser » artificiellement l’objet de son étude en surévaluant tel ou tel élément interprétatif ou en exagérant l’originalité de ses auteurs. Il en résulte une appréciation juste et rigoureuse de la personnalité esthétique de ces deux poètes, qui n’en laisse pas moins la place à des approfondissements ultérieurs.

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References

Bibliographical reference

Paul François, “Françoise Morzadec, Les images du monde. Structure, écriture et esthétique du paysage dans les œuvres de Stace et Silius ItalicusPallas, 83 | 2010, 437-440.

Electronic reference

Paul François, “Françoise Morzadec, Les images du monde. Structure, écriture et esthétique du paysage dans les œuvres de Stace et Silius ItalicusPallas [Online], 83 | 2010, Online since 01 October 2010, connection on 17 May 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/11885; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.11885

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