Les mots de Jean-Marie Pailler
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Avec la complicité de Christian Rico
Toulouse le 28 septembre 2012
Texte intégral
- 1 Il fallait, pour concrétiser le projet, obtenir l’autorisation de Mme Marlène Coulomb, directrice d (...)
1Difficile de trouver une manière juste d’évoquer toute une carrière, et finalement toute une vie, sans passer par le rituel académique d’une introduction en forme de rappel biographique et de déclaration de gratitude adressée au maître, collègue ou ami. La bonne formule nous fut soufflée par Christian Rico, directeur de la revue Pallas qui accueille cet hommage : « pourquoi pas Les mots de Jean-Marie, lui qui fut l’auteur aux Presses universitaires du Mirail des Mots de Bacchus et des Mots de la Rome antique ? »1
2Restait à choisir quelques entrées reflétant des moments-clé de sa carrière, ses sujets de prédilection et des aventures que beaucoup d’entre nous ont partagées avec lui. Au nom de toutes celles et tous ceux qui ont participé à l’élaboration de ce volume, nous espérons, cher Jean-Marie, que tu trouveras dans ce clin d’œil un témoignage de notre reconnaissance et de notre amitié.
Bacchanales
3Enquête de toute une vie, les Bacchanales sont à l’origine une thèse d’Etat que JMP soutint en 1985. Publiée trois ans plus tard, restée jusqu’aujourd’hui une référence, cette étude nous plonge dans une affaire politico-religieuse qui prend ses racines dans le milieu des adeptes des cultes de Bacchus au lendemain de la seconde guerre punique. À partir du texte de Tite-Live sur la répression de 186 avant J.-C. et de quelques autres documents épigraphiques et archéologiques (dont les « pots cassés » d’un sanctuaire de Volsinii), JMP a mené en fin limier une réflexion tous azimuts (philologie, archéologie, histoire politique, histoire des idées, histoire des religions…) sur cet épisode où « l’imaginaire facilement démonisant et le désir destructeur des hommes ont souvent plus de poids sur le cours des événements que ce que nous nous obstinons à appeler la réalité des faits ».
Bolsena (Poggio Moscini)
4C’est sur les rives du lac mystérieux de Bolsena, au cœur du Latium, que JMP, alors membre de l’Ecole Française de Rome, a fait ses premières armes d’archéologue. De cette expérience, il a conservé le goût du terrain, transmettant aux jeunes apprentis venus s’essayer à la discipline les rudiments du métier tout en partageant avec eux des moments de convivialité. Des vertes contrées du piémont commingeois aux paysages semi-arides de Zama, en passant par l’aqueduc du Mirail et les chantiers de ses collègues « métallos » ou par l’amphithéâtre de Purpan, il est toujours resté soucieux de la mission de « l’archéologue sur son terrain ». Comme hier, il continue aujourd’hui à prendre position pour défendre la préservation de sites menacés, à Montmaurin ou ailleurs.
CAG
5Sous cet acronyme barbare, la « Carte Archéologique de la Gaule » décline en plusieurs dizaines de volumes l’inventaire par département des découvertes archéologiques faites sur le territoire national. Ce projet d’inventaire, initié par l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres en 1931, est porté depuis 1988 par son éditeur général, Michel Provost, avec le soutien de plusieurs partenaires ministériels et scientifiques. JMP a donné une impulsion décisive à la réalisation de deux volumes : la CAG du Lot, avec Anne Filippini, et celle de l’Aveyron, avec Philippe Gruat, Guylène Malige et Michel Vidal, volume dans lequel il a apporté sa contribution aux introductions historiques comme à certaines notices majeures (par exemple sur l’atelier de potiers de La Graufesenque). Servir à tous, professionnels et amateurs éclairés, chercheurs et gestionnaires, en synthétisant des informations de plus en plus dispersées et en fixant la trace d’un patrimoine local fragile, telle est la vocation de cette aventure de longue haleine.
Chrétiens
6Lecteur fidèle d’Henri-Irénée Marrou – il a contribué avec Pascal Payen à remettre sous les feux de la rampe l’Histoire de l’éducation –, JMP a consacré plusieurs études au monde des premiers chrétiens, en particulier aux martyrs donatistes d’Upenna auxquels son ami Dominique Raynal avait consacré une magistrale thèse. A d’autres occasions, le chrétien se dérobe comme JMP l’a montré à travers l’exemple de l’énigmatique (mais païen) Nymphius, dont la plaque tombale, conservée aujourd’hui au Musée Saint-Raymond de Toulouse, est un magnifique témoignage de « la reconnaissance, à travers la révolution religieuse, de la continuité et d’un héritage culturels ».
Gauloise (langue)
7Les Gaulois de JMP ont ceci de particulier qu’ils nous parlent : leurs noms, leurs titres, les noms de leurs villes font sens et prennent sous sa plume l’épaisseur irriguée du mot vivant qui n’est pas seulement un objet de décorticage étymologique. D’autres que lui ont exploré les dédales étymologiques de l’onomastique gauloise, mais il est à peu près le seul à savoir croiser sur elle avec dextérité les instruments chirurgicaux de la linguistique, de l’histoire et de l’archéologie. D’où des surprises de taille, comme la transmutation en or de l’argent gaulois (à découvrir dans Gallia, 2006). Pour reprendre ses mots : « qu’y a-t-il de plus concret, de plus charnel qu’un mot, qu’une suite de sons, de « phonèmes » articulés par une voix humaine, pour évoquer des perceptions, des activités et des produits, en un mot une expérience humaine ? »
Littérature
8La liste serait trop longue des nombreuses œuvres des littératures grecque et romaine que JMP a mises au centre de ses recherches ou visitées au détour d’une étude. Quelques auteurs semblent pourtant avoir sa préférence : Martial l’amoureux d’une ville – Rome – dont il fait son « espace poétique » ; Apulée, dont le roman est une « métaphore du commerce » dans toutes ses dimensions ; Plutarque dont l’immense érudition a toujours séduit et continue à séduire les Modernes, ou encore Tite-Live, dont l’œuvre est si précieuse dès lors qu’il s’agit d’explorer l’histoire politique romaine. Cette intime connaissance de la littérature, ou plutôt des littératures antiques, a constamment animé l’enseignement de JMP qui a su inculquer à ses étudiants l’idée que ces textes, aussi divers qu’ils soient, importent à l’historien – mais aussi à l’archéologue – et qu’ils ouvrent des horizons parfois insoupçonnés à toute réflexion sur le passé.
Pallas
9Si elle ne fut pas une des neuf Muses de la mythologie grecque, Pallas, protectrice des Lettres et des Arts, l’a sans conteste été pour JMP. Qu’on en juge par sa bibliographie dans laquelle l’occurrence n’apparaît pas moins de 45 fois. C’est que Jean-Marie a été et reste un fidèle de la revue Pallas et un soutien indéfectible, jamais à court d’idées pour faire progresser la revue. Membre historique du comité de rédaction devenu par la suite comité scientifique, il a coordonné plusieurs numéros thématiques et a offert à la revue une vingtaine d’articles et de comptes-rendus. Celle-ci lui devait bien d’accueillir cet hommage.
Tolosa
10« Nul n’est prophète en son pays » : JMP a fait mentir le dicton le temps d’un Projet collectif de recherche qu’il coordonna et qui fut parachevé, en 2000, par la publication d’un grand ouvrage de synthèse sur Toulouse protohistorique et antique, trente ans après le Toulouse antique de Michel Labrousse. Plus d’une Cassandre prédisait l’échec d’un projet éditorial qui réunissait 44 auteurs issus de tous les horizons de la recherche : musées, université, archéologie préventive, ministère de la Culture, CNRS. Au terme de six années d’efforts, à force de tact et d’opiniâtreté, le projet s’est fait livre entre aventure scientifique et « atelier d’écriture » – comme le dit avec un grain de sel, dans l’introduction de ce bel ouvrage, celui qui en fut aussi le relecteur participatif.
UTM/UTAH
11Un même lieu, deux structures connectées : l’Université de Toulouse II - Le Mirail et le laboratoire « Unité Toulousaine d’Archéologie et d’Histoire », unité mixte de recherche du CNRS qui porte aujourd’hui le nom de TRACES. Engagé par vocation dans l’action collective, JMP a assumé dans l’une et l’autre structure des responsabilités de direction et plusieurs mandats électifs. Une mention spéciale revient au laboratoire UTAH qui, sous ses deux mandats de direction (1994 – 2004), a connu une progression constante en prolongeant ses horizons temporels vers la préhistoire et vers le Moyen Âge, et en s’ouvrant à de nouveaux partenaires (le ministère de la Culture, l’INRAP). C’est aussi sous sa houlette que l’UTAH a migré, en 1994, des anciens locaux du campus (le « Candilis » des initiés) vers une moderne Maison de la recherche.
Vestales
12Dans plusieurs études, JMP a mis en évidence les paradoxes que révèle la place de ces prêtresses de Vesta dans la société et les institutions romaines : « marginales et exemplaires », telles seraient selon lui les deux facettes de ces femmes choisies dès leur plus jeune âge par le Grand Pontife dans les grandes familles romaines, et dont la lourde charge était d’entretenir le feu sacré de l’Urbs, sous peine du pire des châtiments. Des trois vœux prononcés par les Vestales, JMP donne une interprétation dumézilienne séduisante, puisque le champ des compétences de la femme s’élargit – symboliquement – à la sphère militaire et politique. Il lui reste encore beaucoup à dire sur ces femmes et leur exceptionnalité.
Et caetera
13Bien d’autres mots pourraient caractériser l’œuvre scientifique de JMP : foisonnement, diversité, éclectisme (pardon : interdisciplinarité), correspondances – et donc unité. Et derrière ces mots, autant d’ouvertures sur des dossiers renouvelés par des rapprochements originaux, des lectures subtiles, des décryptages sémantiques, des liens masqués rendus évidents. Le lien : c’est lui qui manque à notre abécédaire, c’est lui l’absent de notre bouquet mal fagoté, mot-clé par excellence de ce parcours de recherche et d’animation de la recherche, et titre affiché d’un séminaire où se sont élaborés idées et réseaux d’idées, promesses de publications futures. L’inventaire est donc lacunaire, volontairement lacunaire, car il n’a d’autre but que d’inviter le lecteur à le compléter à sa guise en se promenant dans la bibliographie qui suit.
Notes
1 Il fallait, pour concrétiser le projet, obtenir l’autorisation de Mme Marlène Coulomb, directrice de la collection Les Mots, qui n’a pas hésité un seul instant. Qu’elle soit chaleureusement remerciée de nous avoir laissé “détourner” la maquette de la collection.
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Référence papier
Sandra Péré-Noguès et Pierre Moret, « Les mots de Jean-Marie Pailler », Pallas, 90 | 2013, 9-15.
Référence électronique
Sandra Péré-Noguès et Pierre Moret, « Les mots de Jean-Marie Pailler », Pallas [En ligne], 90 | 2013, mis en ligne le 13 mars 2014, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/1127 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.1127
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