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V. Varia

Essai de description d’un bâtiment des eaux de Toscane, l’édifice mystérieux de Pietratonda (Gr)

“Trying to describe a water plant in Tuscany, the mysterious edifice of Pietratonda (Gr)”
Magali Cabarrou, Christian Darles et Pierre Pisani
p. 389-403

Résumés

Au cœur de la Toscane, le site antique de Pietratonda connu depuis le xixe siècle a fait l’objet, dans le cadre d’un projet culturel financé par la Communauté Européenne, de nouvelles études archéologiques et architecturales. Implantés à la rencontre de l’eau de pluie et de l’eau thermale, les vestiges bien conservés permettent, à partir de relevés architecturaux précis et de fouilles archéologiques malheureusement trop partielles, d’y reconnaître un possible sanctuaire rural organisé autour de pratiques religieuses héritées de l’époque étrusque.

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Texte intégral

1. Introduction1

  • 1 Cette étude a été menée dans le cadre du projet européen Cultura 2000 « Un laboratorio alle terme – (...)

1C’est en hommage à Jean-Marie Pailler avec qui nous avons partagé plusieurs aventures archéologiques hydrauliques que nous lui présentons une nouvelle énigme toscane. A l’ouest de Bolsena qu’il connaît si bien, au pied des Collines Métallifères au sein de cette région où l’étrangeté des eaux thermales ponctue l’histoire antique, au milieu d’une vallée boisée de chênes lièges centenaires résistent encore les ruines antiques d’un bâtiment mystérieux baigné par des eaux sulfureuses.

2Le site de Pietratonda est localisé à une vingtaine de kilomètres au nord de Rusellae, une antique cité romaine qui contrôlait la basse et moyenne vallée de l’Ombrone en Toscane (Fig. 1). Au centre de la vallée boisée du Fosso Fogna, un affluent de l’Ombrone, à quatre kilomètres environ à l’ouest de l’actuelle ville de Paganico, se rencontre un élargissement de la plaine, à 103 m au-dessus du niveau de la mer. Le site, dominé par les collines boisées du Monte Leone (600 m) qui descendent en coteaux étagés jusqu’à l’altitude de 200 m, est caractérisé par des dépôts alluviaux entourés, au nord, par un conglomérat quaternaire et, au sud, par des affleurements de calcaire ou des dépôts sableux. De tout temps, ce sable a été exploité pour sa grande pureté ; encore aujourd’hui on retrouve les traces d’un grand nombre de carrières au fond desquelles l’affleurement de la nappe phréatique a engendré de petits lacs. Le site achéologique de Pietratonda est situé dans cet environnement riche en eaux minérales dès l’époque antique où le réseau des petits ruisseaux était sensiblement différent. Une seule certitude, tout indique une intense activité hydrothermale avec la présence d’une source d’eau alcalino-sulfateuse qui surgit à 19° avec un débit de 22 litres à la seconde et qui alimente deux grands bassins. L’ensemble des ruines antiques se situe près du confluent de plusieurs ruisseaux, dans une zone humide où affleure la nappe thermale. Les vestiges, envahis par les chênes, comprennent une partie « haute », occupée récemment par un aménagement lié à l’élevage, de plus de 460 m2. Elle mesure 25 m est-ouest et 18,50 m nord-sud. Cet ensemble a été suffisamment protégé au fil du temps pour laisser apparaître aujourd’hui des vestiges antiques conservés en élévation sur 1,85 m au-dessus du niveau de la plateforme. Sur la partie « haute », plusieurs sondages limités ont pu être réalisés. En contrebas, orientée vers l’ouest, une grande pièce à abside saillante de plus de 100 m2 a été partiellement dégagée. Elle est totalement bâtie sur un hypocauste et ses parois semblent appuyées contre le grand mur occidental de la « plateforme haute ». Des maçonneries sont également accolées tant au nord qu’au sud, contre les murs de cette pièce. Elles ne sont pas connues dans leur intégralité. A l’ouest, on note la présence de plusieurs contreforts extérieurs, ainsi qu’un accès voûté qui permet de rejoindre un ensemble complexe de galeries inférieures. Deux puits verticaux mettent en communication la partie chauffée et le complexe inférieur dont le sol se trouve au niveau de la nappe phréatique. De nombreuses maçonneries accolées contre la paroi nord de la partie « haute » témoignent aussi de la présence d’un bâti qui s’étend vers le nord en direction d’un ancien ruisseau asséché (Fig. 2).

2. Historique des recherches

  • 2 Ademolio, 1888.
  • 3 Cette photo est reproduite dans l’article de G. Barbieri, fig. 1 (Barbieri, 2006).
  • 4 Galli, 1915.

3La première description du site archéologique est due aux travaux menés en 1888 par Alfonso Ademolio2, alors Inspecteur royal des fouilles archéologiques et des monuments. Il décrit brièvement les ruines d’un établissement thermal romain doté d’une grande abside semi-circulaire au pied de laquelle une entrée voûtée donne accès à une partie souterraine qui possède, à une profondeur de huit mètres environ, une zone humide (Fig. 3). Les archives historiques de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana conservent une photo de 1915 qui montre cette entrée voûtée3. D’autres documents manuscrits, cités par G. Barbieri font état de la découverte fortuite, près de la carrière de sable, d’un tuyau en plomb. À proximité de la source qui alimente les bassins, l’inspecteur E. Galli4, dans une de ses relations à la Soprintendenza, note la présence à une faible profondeur d’une tuyauterie de douze centimètres de diamètre et de douze mètres de long. Il propose rapidement de mettre en relation ces dispositifs hydrauliques avec les ruines toutes proches qu’il décrit comme suit : « … l’antico edificio aveva forma rettangolare con perfetta orientazione E-O. I detriti dei muri disfatti hanno formato tutt’intorno una specie di aggere, saltando il quale si penetra in numerosi ambienti… con muri divisori rivesti di mattoni o di intonaco o di opus reticulatum. Più conservato e riconoscibile di ogni altro è poi un vasto locale absidato, con cui termina attualmente l’edificio nel lato occidentale, che ha il diametro esterno di m 10… Al di sotto del muro in curva del presunto caldarium si apre un piccolo arco con ghiera in mattoni, per il quale si puo penetrare nei sotteranei delle terme, in gran parte tuttora praticabili… ». Il souligne également que le souterrain ne correspond pas, en plan, aux superstructures et note la présence de deux grands percements parfaitement circulaires, « come pozzi », entre les deux niveaux. Sur la base des caractéristiques architectoniques de la superstructure, E. Galli date l’édifice du ier ou du iie siècle de notre ère et le compare aux thermes de Talamone. Il signale, dès cette époque, la découverte fortuite lors des travaux de carrière, de nombreux fragments de briques, de tuiles, d’amphores, de mobiliers céramiques et de monnaies. Il préconise alors la nécessité d’entreprendre des fouilles archéologiques qui, malheureusement, ne verront jamais le jour. L’édifice antique sera recouvert au xxe siècle par des abris liés à une porcherie. Cette réutilisation agricole a ainsi permis de protéger les ruines et plus particulièrement le couronnement des parois antiques.

4De nouvelles approches archéologiques dirigées par Gabriella Barbieri de la Soprintendenza per i Beni Archeologici de Toscane ont été menées de 2004 à 2006. En préalable à toute évaluation du bâti, sur une profondeur de deux mètres, une prospection géophysique a permis de révéler un grand nombre d’anomalies immédiatement au nord des ruines et à une vingtaine de mètres au sud. Au-delà, aucune indication ne permet de dire qu’il existe des vestiges enfouis. En 2004, l’angle nord-ouest de l’Area 1, où se trouve une pièce inférieure voûtée, a été nettoyé et partiellement dégagé. La même année, l’Area 2, en contrebas et au sud, a été entièrement fouillée permettant, au sud de la plateforme, de mettre au jour un ensemble de contreforts et de massifs maçonnés qui bordent une importante canalisation d’évacuation des eaux orientée est-ouest et large de plus d’un mètre. La hauteur totale de l’élévation connue est encore aujourd’hui de près de 4,50 m. A l’ouest, un autre dégagement (Area 3) a permis de mettre en évidence une vaste pièce à abside, dotée d’un hypocauste conservé dans sa partie septentrionale. L’accès voûté au niveau inférieur de cet ensemble a été dégagé. Des cuves d’hydrocarbure, aujourd’hui retirées, envahissaient les différents espaces souterrains qui étaient en relation avec la grande pièce par l’intermédiaire de puits profonds de plus de 2,50 m. Durant le printemps 2005, le nettoyage de la plateforme supérieure a permis de mettre au jour plusieurs fragments de sols antiques ainsi que des seuils. La lisibilité des parois antiques en opus reticulatum a été améliorée par un nettoyage délicat et systématique. En 2006, des sondages complémentaires ont permis de définir avec plus de précision les dimensions de la grande pièce à abside. Un second puits a été vidé et d’autres passages (ou canalisations ?), partiellement obstrués, ont été repérés sans qu’il soit procédé à une fouille archéologique (Fig. 4). Au nord de la plateforme, un nettoyage de la paroi externe a fait apparaître plusieurs ouvertures voûtées de natures différentes ainsi que des départs de murs en direction du nord. Le départ de la voûte d’une pièce parallèle au mur nord a été reconnu à l’angle nord-est du bâtiment.

3. La description de l’édifice

5Deux parties distinctes apparaissent au premier regard sans qu’il soit possible de déterminer une quelconque chronologie relative. Tout d’abord, un grand ensemble quadrangulaire, de 25 m est-ouest sur 18,50 m nord-sud (460 m2 de superficie), réunit une vingtaine de pièces organisées autour d’une cour centrale (XXI) au sol doté d’un opus spicatum (Fig. 5). La galerie qui entoure cet espace extérieur (XXII A, B, C et D) distribue des pièces périphériques. On est en droit de penser que l’accès se faisait par l’est : en effet, la partie orientale possède une double épaisseur d’espaces, alors qu’à l’ouest les pièces VII et X semblent avoir servi de vestibule pour la partie chauffée du complexe. Cette grande pièce, dotée d’un hypocauste et d’une chaufferie importante qui occupe une grande partie du sous-sol, est légèrement désaxée par rapport à la composition « initiale » et présente une paroi beaucoup plus épaisse que la « plateforme » supérieure. Dans la pièce occidentale à abside dont on peut évaluer la superficie à plus de 100 m2, la présence d’un bassin, au nord, est attestée par un cuvelage étanche et par un système d’évacuation des eaux. Les parois de cette pièce mesurant près d’un mètre d’épaisseur accréditent davantage l’hypothèse d’une couverture en voûte maçonnée que celle d’un étage (Barbieri 2006, p. 162). Une importante abside saillante, de 8,80 m de diamètre extérieur, occupe sa partie occidentale. Une entrée axiale permet, depuis l’extérieur, d’accéder à une pièce longitudinale souterraine, chaufferie du caldarium, qui dessert plusieurs passages dont deux aboutissent à des puits qui communiquent avec l’hypocauste de la grande pièce à abside (praefurmia ?). Sur la face nord du bâtiment, on a pu noter la présence de plusieurs accroches de maçonneries ainsi que des ouvertures voûtées appareillées en brique et condamnées (Fig. 6 et 7). Le bâtiment quadrangulaire, dit « supérieur », possède, contre la face intérieure de l’angle nord-ouest, une pièce voûtée de 4 m de large dont le sol pourrait être hypothétiquement restitué au niveau du complexe souterrain (Fig. 8).

3. 1. L’analyse des données

6La morphologie de cet ensemble ainsi que plusieurs profils transversaux ont été réalisés. L’ensemble des élévations a été relevé à l’échelle du 1/10. Ces dessins coloriés puis commentés indiquent la nature des matériaux et rassemblent des informations aussi bien altimétriques que dimensionnelles et constructives, sans pour autant nous renseigner sur l’exacte destination des lieux. L’analyse du bâti et celle des techniques constructives utilisées permettent de comprendre aussi bien la constitution des parois et des sols que les méthodes employées par les bâtisseurs antiques. Il s’agit de comprendre d’une part la succession des grandes phases de la construction et, d’autre part, à une échelle temporelle plus fine, le temps du chantier, son organisation et ses processus de mise en œuvre.

3. 1. 1. L’opus mixtum et l’opus reticulatum…

  • 5 Nous renvoyons ici à l’article d’Hélène Dessales qui analyse finement les différents modes construc (...)

7Les murs sont réalisés en maçonnerie concrète avec deux parements en opus mixtum ; ils sont pris entre des chaînages de briques verticaux alternant des séries de quatre à cinq assises disposées en harpe. Des chaînages horizontaux, composés de trois arases de tuiles triangulaires et de briques, complètent l’appareillage, en transformant les parois en caissons de brique remplis en opus reticulatum. Les chaînages verticaux en terre cuite permettent la constitution de l’ossature de la paroi et les limites verticales des tableaux. Ils permettent également les liaisons en harpe des différentes parois entre elles. L’opus reticulatum de l’élévation se compose majoritairement de petits blocs de calcaire gréseux, de tuf ou de travertin, démaigris en queue, de 8 cm de côté (Fig. 9). Le soubassement, en léger débord (8 à 9 cm) et haut de quelques dizaines de centimètres, possède un module légèrement plus grand (12 cm de côté pour une profondeur de 16 cm minimum). L’appareil réticulé est généralement recouvert par un enduit de chaux, épais de plusieurs centimètres, parfois additionné de tuileau afin de le rendre étanche. Les petits blocs modulaires sont préparés en carrière et amenés à pied d’œuvre. La présence de nombreux éclats triangulaires en tuf local garnissant les interstices entre les moellons posés en diagonale et les chaînages de brique peut nous inciter à penser qu’une partie du travail de taille était réalisée à pied d’œuvre. La nature même des parois indique leur mode de construction. Les banches sont disposées horizontalement et les coulées ne dépassent pas une cinquantaine de centimètres de hauteur. Les arrêts de banchées sont constitués d’un mortier résistant d’excellente qualité. La coulée proprement dite est réalisée dans la foulée avec un béton maigre et pulvérulent composé de chaux, de beaucoup de sable et d’agrégats très hétérogènes. Les moellons démaigris en queue étaient disposés en coffrage perdu, en se calant les uns dans les autres, contre les deux parois des banches, puis les bâtisseurs déversaient le mortier de l’opus caementicium sans trop de précaution. L’analyse de cet appareil réticulé témoigne de la rapidité de sa mise en œuvre et du peu de soin mis à le réaliser5. Néanmoins la qualité des harpes verticales et des chaînages horizontaux en terre cuite, avec un jointoiement soigné (joints creux en chanfrein tirés au fer) montre que certains ouvriers étaient spécialisés dans l’exécution des parties les plus délicates qui nécessitaient le choix de tegulae entières avec d’autres aux rebords abattus. L’ensemble témoigne d’un projet concerté mûrement réfléchi et maîtrisé au niveau des dimensions et des modules. Il s’agit d’un édifice d’un type particulier qui utilise des méthodes constructives faisant appel à une division technique du travail parfaitement organisée.

3. 1. 2. Les sols

  • 6 De nombreux fragments de décors lapidaires ont été trouvés sur le site ou à proximité. Nous citeron (...)

8Les quelques portions de sols dégagées correspondent à deux types de revêtements. L’opus spicatum est constitué de petites briques disposées de chant et agencées en chevron. La présence de nombreuses tesselles et des fragments de fines plaques de marbres bien découpées incitent à penser que les autres bétons de sols de mortier ont peut-être reçu un revêtement en mosaïque ou en opus sectile : une marqueterie de fines pièces de marbre ou de pierre ornementale. Ces indices sembleraient prouver la présence de revêtements luxueux6.

3. 1. 3. Les mesures et les modes constructifs

9L’épaisseur des murs en partie « haute » (0,75 m pour le soubassement et 0,54 m pour l’élévation) est homogène. Elle diffère de celle des parois de la grande pièce à abside (supérieure à 1 m). Notre méconnaissance d’un probable niveau inférieur et l’absence actuelle de chronologies relatives fiables obligent à rester prudent quant à l’interprétation des vestiges. Ainsi, l’absence de sondages profonds ne nous permet pas, aujourd’hui, de connaître la nature et la profondeur exactes des fondations rendant de ce fait difficile la compréhension de la fonction de cet édifice et des usages des différentes pièces. L’étude des maçonneries externes, notamment la paroi méridionale et la paroi qui borde au sud le grand chenal d’évacuation (mur 0), nous donnent à ce titre quelques indications. À cet emplacement les fondations de la maçonnerie ont été affouillées et on constate qu’elles ont été coulées en tranchée. Au-dessus on trouve quelques assises de briques en nombre variable puis 6 à 7 rangs de blocs cubiques en opus reticulatum, enfin 13 rangs de tegulae aux rebords abattus. Une paroi en opus reticulatum termine la partie supérieure de ce que nous appelons aujourd’hui le soubassement. L’élévation proprement dite est positionnée dans l’axe de la partie inférieure des parois et en léger retrait de 7 à 9 cm traité en gorge adoucie avec l’application du mortier. L’assise basse de l’élévation est soit directement construite en appareil réticulé avec des demi moellons triangulaires, soit constituée d’une arase de tuiles ou de galets afin de préparer une parfaite horizontalité de l’œuvre.

3. 2. Les phases constructives

10Plusieurs transformations successives du bâtiment sont encore lisibles, même s’il est trop tôt pour établir toute chronologie relative. Certaines parois de la partie « haute » ne sont pas reliées entre elles tout en témoignant des mêmes méthodes constructives. De même, sur la terrasse « supérieure », un bassin est installé tardivement, au nord-ouest, au-dessus de la pièce voûtée dont le plancher haut est partiellement démoli. Des portes ou passages ont été, dès l’Antiquité, obturés avec soin et des sols de différentes natures se superposent dans la pièce centrale (sans nul doute à l’air libre). Le dispositif de chauffage de la grande pièce à abside (caldarium) utilise le réseau souterrain de conduites et de canalisations déjà en place. Ce dernier pouvait éventuellement se poursuivre vers l’est et desservir d’autres puits dotés de praefurnia. L’importance accordée à cette chaufferie et aux deux puits ou débouchés verticaux indique le soin mis en œuvre pour assurer le confort des utilisateurs qui devaient être nombreux.

11Plusieurs maçonneries sont disposées, en contrefort, afin de servir de soutien aux parois qui, bâties sur un substrat humide et instable, paraissaient fragiles aux constructeurs. Il est à noter pourtant que peu de pathologies graves sont visibles dans l’ensemble du monument. Plusieurs questions se posent également sur les circulations au sein du monument et sur les systèmes de distribution. Les franchissements des parois sont rares et les portes, comme bien sûr l’accès principal, ne sont pas ou peu connues ; la présence éventuelle d’escaliers est particulièrement hypothétique. Celle de nombreux passages voûtés, obstrués, pourrait indiquer qu’un niveau inférieur existait, au même niveau que celui du sous-sol de la grande pièce à abside.

3. 3. L’omniprésence de l’eau

12La grande quantité de mortier de tuileau semble indiquer la volonté d’étanchéifier les sols et les parois. Peut-être les bâtisseurs disposaient-ils de ce matériau en quantité suffisante pour l’utiliser là où il n’était pas forcément nécessaire. Où le trouve-t-on ? D’abord en cuvelage du bassin au-dessus de l’hypocauste de la grande salle à abside. Le sol lui-même sur lequel sont posés les murets rectangulaires en terre cuite destinés à supporter la suspensura est constitué du même mortier qui recouvre le bassin installé au-dessus de la pièce voûtée de l’Area 1. Egalement, le grand mur nord-sud qui sépare la partie « haute » (Area 1) de la pièce à abside (Area 3) possède un enduit étanche comme sur les faces internes et externes (M13-18-114-117) de la pièce centrale.

13Le grand caniveau sud qui semble dévolu à l’évacuation des eaux de toitures témoigne de l’omniprésence de l’eau (Fig. 10). Une autre évacuation du bassin sur hypocauste se dirige vers le nord à travers une petite pièce accolée qui semble dévolue à la récupération de ces eaux. D’autres passages, ceux obstrués sur la face nord et celui qui contourne en sous-sol les puits, semblent avoir servi à contrer le battement de la nappe. Nous ne pouvons expliquer convenablement cette présence de l’eau en surabondance sans poser quelques questions relatives à l’exacte destination du monument.

4. La destination du monument

14S’agit-il d’ailleurs d’un monument ou plus simplement d’un édifice civil à usage artisanal ou même à de l’habitat ? L’absence de matériel significatif nous laisse devant un large choix de possibilités. Nous possédons cependant de nombreux indices qui nous incitent à penser que l’édifice était luxueusement décoré, si ce n’est pendant toute la durée de son utilisation, du moins durant l’une de ses phases. Les fragments d’opus sectile et les tesselles de mosaïques indiquent la présence d’un décor fastueux utilisant des roches ornementales de grande qualité. La construction est ordinaire mais robuste. Vite faite mais bien disposée et agencée, elle témoigne d’un grand soin dans son élaboration comme dans sa réalisation. La grande pièce à abside saillante a pu recevoir une couverture monumentale en voûte maçonnée, marque d’une certaine maîtrise technique. La forme de cette pièce, comme ses dimensions, ne semble pas répondre à un usage domestique mais davantage à des caractéristiques d’édifice public. En revanche, le dernier état visible de la partie dite « haute » témoigne de dimensions, de proportions et de dispositions plus ordinaires, compatibles avec un habitat. Aucun matériel ne vient étayer cette hypothèse qu’il faut prendre avec beaucoup de précaution. Nous devons signaler aussi, dans la juste mesure de notre connaissance et en absence de fouilles véritables, la diversité des niveaux de sols et les différences altimétriques entre les arases des soubassements des murs. Nous ne connaissons pas l’accès à cet ensemble bâti et bien mal les principales distributions qui n’ont pas manqué d’exister entre les différentes pièces.

15L’implantation de cet ensemble monumental situé au milieu d’un petit bassin alluvial, non loin d’un confluent et en présence d’une eau aux qualités thermales particulières, semble nous prouver que des rites originaux ont prévalu au choix du lieu. La position de ce site, à la rencontre des eaux surgissantes et pluviales, n’est pas fortuite et rentre dans des processus pratico-symboliques encore incompris.

5. En guise de conclusion… très provisoire

  • 7 Le site de Piatratonda est situé au cœur d’une zone où les vestiges de la civilisation étrusque son (...)

16Les dimensions de cet ensemble semblent très peu appropriées à un contexte rural dans lequel il s’inscrit. Pour autant, il ne faut pas exclure que cet ensemble ait appartenu à une villa qui aurait existé, à proximité, au début de notre ère. G. Barbieri pense qu’une partie des ruines qui subsistent aujourd’hui pourrait également correspondre à une structure à vocation productive. Cette structure tardive aurait profité de l’abondance de l’eau thermale et aurait partiellement remplacé le premier ensemble consacré aux bains. Ces vestiges s’apparentent-ils à un balnéaire dépendant d’une villa ou bien à un bâtiment public installé auprès d’une source d’eau sulfureuse ? Dans ce dernier cas, l’isolement sensible par rapport à un centre habité pose un certain nombre de nouvelles questions, que seules des fouilles archéologiques pourraient résoudre. Les sources documentaires antiques sont pauvres en renseignements sur cette zone géographique et la Table de Peutinger n’indique pas de relais routiers (mutatio) ou de sanctuaires en amont de Roselle. Pour notre part, nous pensons que seule subsiste la partie méridionale du complexe qui se développait d’une part, en hauteur, sur plusieurs niveaux, et d’autre part, en plan, largement vers le nord. L’importante partie consacrée aux pièces chaudes indique une activité majeure centrée sur l’eau thermale accueillant un grand nombre de fidèles ; il serait peut-être significatif de rattacher à cette exploitation de l’eau thermale le grand massif semi-circulaire, au sud-ouest, doté de puissants contreforts qui correspondraient à la base d’un château d’eau. De même, les principes architecturaux de distribution des différentes pièces autour d’un impluvium central semble bien indiquer un lieu de soin de type balnéothérapie. Peut-être faudrait-il envisager une origine pré-romaine à cet établissement conçu autour de pratiques rituelles héritées de l’époque étrusque7 ?

17Nous partons sur l’hypothèse, qui reste à démontrer, que le premier bâtiment, sans nul doute à vocation thermale, correspond aux vestiges de la salle à abside et aux parois, aujourd’hui extérieures, du bâtiment quadrangulaire, donc à sa partie inférieure. Cet édifice aux pièces voûtées se développait vers le nord et possédait une entrée orientale où commençait un parcours thermal « traditionnel », frigidarium, tepidarium, caldarium. Dans un deuxième temps, la destruction des pièces voûtées amène la création d’un ensemble centré autour d’un atrium. Ce nouvel édifice continue à être tourné vers une exploitation de l’eau thermale. Par exemple, la zone méridionale est dotée, de manière explicite, de dispositifs importants d’évacuation des eaux usées et des eaux de pluie. Ce bâtiment aura subi un certain nombre d’aménagements internes avec adjonctions de murs, obturations de portes et redistributions des espaces de vie. Il semble même avoir été volontairement amputé de sa partie nord.

  • 8 Barbieri, 2006, p. 164.

18La description de la fin du xixe siècle pose la question de la signification architecturale des deux puits qui émergent dans l’hypocauste de la grande salle à abside. En accord avec G. Barbieri8, nous pensons que cette vaste salle, de composition symétrique selon un axe est-ouest, a pu être dotée de trois grandes piscines, deux latérales (au nord et au sud) et une centrale semi-circulaire, dans l’abside occidentale. Etaient-elles séparées et distinctes ou bien réunies en un même ensemble ? Les murets de l’hypocauste constituées de briques bessales nous renseignent sur la nature du sol interne du caldarium. Orientés est-ouest, ils sont espacés de 30 cm et supportent une suspensura posée sur des briques bipedales. Au nord-ouest, on observe la présence du départ d’une contre-cloison séparée de la paroi afin de ménager un vide favorisant le tirage de l’air chaud ; il est envisageable qu’un dispositif de bobines permettait de maintenir. Autour des puits profonds de plus de 2 m et de 1,56 m de diamètre, on constate une modification dans l’implantation des murets ; ils forment un encadrement quadrangulaire parfaitement carré (au nord et au sud, ils sont orientés est-ouest comme les précédents, mais à l’ouest et à l’est ils sont perpendiculaires). Comment la suspensura pouvait-elle tenir ? Ensuite, pourquoi avons-nous la présence de deux orifices en provenance de la chaufferie alors qu’un seul serait suffisant ? Nous proposons de voir en ces deux bouches de chauffe l’emplacement de deux labra qui auraient été posés sur le rebord du sol du caldarium.

  • 9 Durant les différentes campagnes de fouilles, des travaux de préservation ont été mis en œuvre afin (...)

19De nombreux indices morphologiques suggèrent que cet édifice majestueux, très bien construit et plusieurs fois réaménagé, a dû marquer le paysage par sa présence. Seules des fouilles à grande échelle permettraient de répondre aux nombreuses questions qui n’ont pas manqué de se poser lors des recherches menées avec nos collègues et amis toscans et catalans9.

20Confluence, convergence et résurgence. Ces trois mots constituent, à coup sûr, le fil conducteur de toute nouvelle recherche sur ce site à l’ambiance mystérieuse.

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Bibliographie

Ademolo, A., 1888, Scavi nella Maremma Toscana. Un bagno romano, Arte e Storia, 25, p. 228-229.

Barbieri, G., 2006, Le terme de Pietratonda, Civitella Paganico (Grosseto-Italia), dans D. Vivo, L. Palahi, J. Maria Nolla et M. Sureda, Aigua i conjunts termals a les ciutats d’Emporiae, Gerunda i Aquae Calidae,… sed uitam faciunt, Gérone, p. 159-166.

Barbieri, G., Cantinasi, E. et Erbetti, M., 2006, Marmi e pietre colorate dalle terme romane di Pietratonda. Analisi archeometriche e prime oservazione sui reperti lapidei provenienti da uno scavo in corso a Civitella Paganico (Gr), Science and Technology for Cultural Heritage, 15, 1-2, à paraître.

Daniele, P. et Cati, M., 2006, Restauri a Pietratonda (Paganico) : ipotesi di conservazione et interventi d’emergenza, Restauro Archeologico, 3, p. 31-34.

Dessales, H., 2010, Les usages de l’opus reticulatum dans la construction romaine : le cas des enceintes et des aqueducs, dans R. Carvais, A. Guillerme, V. Nègre et J. Sakarovitch, Édifice et Artifice, Histoires constructives, Paris, p. 866-877.

Galli, E., 1915, Le terme romane di « Pietratonda » presso Paganico, Arte e Storia, 34, p. 308-313.

Giacchieri, P. M., et Todini, E., 2006, Un laboratorio alle terme, Restauro Archeologico, 3, p. 35-36.

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Annexe

Fig. 1.

Fig. 1.

Carte de situation de Pietratonda en Toscane.

Fig. 2.

Fig. 2.

Plan du bâtiment antique de Pietratonda.

Fig. 3.

Fig. 3.

L’entrée de la chaufferie souterraine.

Fig. 4.

Fig. 4.

Une des deux bouches de sortie de l’air chaud (diamètre : 1,56 m) dans l’hypocauste de la salle à abside.

Fig. 5.

Fig. 5.

La cour centrale de la partie « haute » dallée en opus spicatum.

Fig. 6.

Fig. 6.

Elévation de la face nord du bâtiment quadrangulaire.

Fig. 7.

Fig. 7.

Passage voûté obstrué situé dans la paroi nord.

Fig. 8.

Fig. 8.

Vue vers le sud-est de la paroi nord avec, de droite à gauche, un accès voûté obstrué, l’accroche d’une paroi et, au fond, le départ de la voûte d’une salle parallèle au mur.

Fig. 9.

Fig. 9.

Vue d’une des parois de la partie « haute », M 21 et M 22, avec le soubassement puis la paroi en élévation ; à droite les briques correspondent à un chaînage vertical.

Fig. 10.

Fig. 10.

Coupe sud-nord sur le grand fossé d’évacuation situé au sud de l’édifice.

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Notes

1 Cette étude a été menée dans le cadre du projet européen Cultura 2000 « Un laboratorio alle terme – ricerca, valorizzazione e nuovi linguaggi di communicazione aplicati alle aree archeologiche termali ». De 2004 à 2006, se sont succédées plusieurs campagnes de sondages archéologiques et de relevés architecturaux sous la direction scientifique de Gabriella Barbieri de la Soprintendenza per I Beni Archeologici della Toscana (Ministero per i Beni e le Attività Culturali). L’équipe était composée de membres de l’Institut del Patrimoni Cultural de l’Universitat de Girona (Catalunya - Espagne), d’architectes italiens et de membres du Laboratoire de Recherches en Architecture de l’Ecole nationale supérieure d’Architecture de Toulouse accompagnés de stagiaires étudiants et de Pierre Pisani alors archéologue à l’INRAP Grand Sud-Ouest.

2 Ademolio, 1888.

3 Cette photo est reproduite dans l’article de G. Barbieri, fig. 1 (Barbieri, 2006).

4 Galli, 1915.

5 Nous renvoyons ici à l’article d’Hélène Dessales qui analyse finement les différents modes constructifs liés à l’opus reticulatum, (Dessales, 2010).

6 De nombreux fragments de décors lapidaires ont été trouvés sur le site ou à proximité. Nous citerons des éclats de marbre blanc et gris des Alpes Apuennes, du marbre jaune de Sienne, de la brêche de Roselle, du porphyre vert du Péloponnèse et des marbres docimium et luculleum d’Asie Mineure. Ces fragments indiquent une recherche d’effets colorés pour cet édifice et le haut niveau de finition de sa mise en œuvre – Barbieri et al., 2006.

7 Le site de Piatratonda est situé au cœur d’une zone où les vestiges de la civilisation étrusque sont nombreux. L’ancienne cité de Vetulonia, par exemple, n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres au sud-ouest.

8 Barbieri, 2006, p. 164.

9 Durant les différentes campagnes de fouilles, des travaux de préservation ont été mis en œuvre afin de sauver les élévations fragiles en opus mixtum et en opus reticulatum (Daniele, Cati, 2006 et Giacchieri, Todini, 2006).

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Table des illustrations

Titre Fig. 1.
Légende Carte de situation de Pietratonda en Toscane.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-1.png
Fichier image/png, 798k
Titre Fig. 2.
Légende Plan du bâtiment antique de Pietratonda.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-2.png
Fichier image/png, 434k
Titre Fig. 3.
Légende L’entrée de la chaufferie souterraine.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-3.png
Fichier image/png, 284k
Titre Fig. 4.
Légende Une des deux bouches de sortie de l’air chaud (diamètre : 1,56 m) dans l’hypocauste de la salle à abside.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-4.png
Fichier image/png, 220k
Titre Fig. 5.
Légende La cour centrale de la partie « haute » dallée en opus spicatum.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-5.png
Fichier image/png, 370k
Titre Fig. 6.
Légende Elévation de la face nord du bâtiment quadrangulaire.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-6.png
Fichier image/png, 477k
Titre Fig. 7.
Légende Passage voûté obstrué situé dans la paroi nord.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-7.png
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Titre Fig. 8.
Légende Vue vers le sud-est de la paroi nord avec, de droite à gauche, un accès voûté obstrué, l’accroche d’une paroi et, au fond, le départ de la voûte d’une salle parallèle au mur.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-8.png
Fichier image/png, 397k
Titre Fig. 9.
Légende Vue d’une des parois de la partie « haute », M 21 et M 22, avec le soubassement puis la paroi en élévation ; à droite les briques correspondent à un chaînage vertical.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-9.png
Fichier image/png, 448k
Titre Fig. 10.
Légende Coupe sud-nord sur le grand fossé d’évacuation situé au sud de l’édifice.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/docannexe/image/1099/img-10.png
Fichier image/png, 200k
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Pour citer cet article

Référence papier

Magali Cabarrou, Christian Darles et Pierre Pisani, « Essai de description d’un bâtiment des eaux de Toscane, l’édifice mystérieux de Pietratonda (Gr) »Pallas, 90 | 2013, 389-403.

Référence électronique

Magali Cabarrou, Christian Darles et Pierre Pisani, « Essai de description d’un bâtiment des eaux de Toscane, l’édifice mystérieux de Pietratonda (Gr) »Pallas [En ligne], 90 | 2013, mis en ligne le 13 mars 2014, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pallas/1099 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.1099

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Auteurs

Magali Cabarrou

Chercheur
Laboratoire de Recherches en Architecture
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse
magali.cabarrou@free.fr

Christian Darles

Professeur d’architecture
Laboratoire de Recherches en Architecture
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse
TRACES UMR 5608
christian.darles@toulouse.archi.fr

Pierre Pisani

Service Archéologique de la Communauté Urbaine Toulouse-Métropole
TRACES UMR5608
pierre.pisani@grandtoulouse.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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