Navigation – Plan du site

AccueilNuméros46 1-2RecensionsHausleiter Arnulf, Eichmann Ricar...

Recensions

Hausleiter Arnulf, Eichmann Ricardo et al-Najem Mohammed H. (dir.) 2018. Taymā’ I. Archaeological exploration, palaeoenvironment, cultural contact

Guillaume Charloux
p. 220-226
Référence(s) :

Hausleiter Arnulf, Eichmann Ricardo et al-Najem Mohammed H. (dir.) 2018. Taymā’ I. Archaeological exploration, palaeoenvironment, cultural contacts. Oxford : Archaeopress, Deutsches Archäeologisches Institut Orient-Abteilung et Saudi Commission for Tourism and National Heritage. 267 p.

Texte intégral

1Principal carrefour caravanier du Nord-Ouest de l’Arabie au Ier millénaire avant l’ère chrétienne, l’oasis de Taymā’ est surtout connue pour avoir été le lieu de résidence du souverain néo-babylonien Nabonide au vie siècle. av. è. chr. Les résultats des fouilles et prospections récentes révèlent toutefois une image bien plus complète et jusqu’alors méconnue de l’histoire de ce site exceptionnel.

2L’ouvrage Taymā’ I est édité par A. Hausleiter, R. Eichmann et M. al-Najem, et rassemble les contributions d’une vingtaine de chercheurs. Il s’agit du premier volet publié des activités scientifiques de la mission germano-saoudienne menées à Taymā’ depuis 2004 (Deutsches Archäeologisches Institut, Orient-Abteilung [DAI] et Saudi Commission for Tourism and National Heritage [SCTH]). Le volume en anglais (chapitres 1 et 2) et en allemand (chapitre 3) est paru en 2018 chez Archaeopress – et non dans la collection Archaeological Refereed Studies de la SCTH. Il comprend 267 pages de textes et figures en couleur, auxquelles s’ajoutent un sommaire, un bref avant-propos du prince Sultan bin Salman bin Abdulaziz al-Sa‘ud (alors président de la SCTH) et une introduction du professeur Ali al-Ghabban (ancien vice-président), suivie d’une courte préface comprenant explications d’usage et remerciements (A. Hausleiter et R. Eichmann).

3En préambule de cette recension, il convient de signaler un retard important dans la parution de l’ouvrage, qui a pour conséquence de déconcerter le lecteur averti. Une partie des résultats rassemblés dans cet ouvrage ont en effet été publiés ailleurs, dans des versions parfois plus abouties.

4Le premier chapitre intitulé « The Archaeological Explo-ration of the Oasis of Taymā’ » (A. Hausleiter et R. Eichmann) livre une synthèse foisonnante et stimulante des résultats de la mission archéologique (p. 1-58). Il comprend en introduction, un état des lieux des recherches dans la région (p. 6), les objectifs et problématiques du projet, qui portent tout de même très majoritairement sur les âges du Bronze et du Fer, sujets de prédilection des auteurs (p. 7-12). L’exploration archéologique du site de Taymā’ se place ainsi au cœur des problématiques de la formation politique des entités oasiennes du Nord-Ouest de l’Arabie aux IIe et Ier millénaires av. è. chr.. La partie méthodologique (p. 13) témoigne de l’étendue considérable des moyens scientifiques, techniques et humains engagés dans ce projet, assurément le mieux doté et le plus vaste jamais accompli en Arabie occidentale ces quinze dernières années.

5Dans la deuxième sous-partie de présentation du site (p. 15-19), les auteurs identifient six unités géographiques majeures au sein de l’oasis (1. sabkha, 2. vieille ville et jardins, 3. site central de Qrayya, 4. cimetière sud, 5. ville moderne, 6. Tuwayil Sa‘id au nord), en rappelant que les fouilles archéologiques ont uniquement porté sur la concession octroyée par la SCTH, à savoir Qrayyah (fig. 7, ou Qraya, fig. 8 ; à distinguer du site de Qurayyah situé au nord de Tabūk). Par le passé, ces unités géographiques étaient toutes enfermées par des enceintes, à l’instar d’autres oasis célèbres (Palmyre, par exemple), et un réseau de murs permettait une subdivision fonctionnelle de l’espace interne, comme sur d’autres sites du Nord de l’Arabie (Hayit, Dūmat al-Jandal, etc.).

  • 1 Charloux G., Sahlah S. et Badaiwi W. (en preparation), Madian revealed. 2017-2019 explorations in t (...)

6Les principales étapes relatives à l’histoire de l’occupation de l’oasis sont présentées de manière diachronique dans une troisième sous-partie (p. 20-43), sur la base des études menées par le département saoudien des antiquités durant les années 1980-2005 et des opérations récentes de la mission archéologique germano-saoudienne. Quinze phases, réparties au sein de douze périodes (T1 à T12 ; tableau 1, p. 20), du Néolithique à l’époque moderne, ont été identifiées dans le cadre d’une stratigraphie mixte, à la fois horizontale et verticale, caractéristique des oasis d’Arabie septentrionale. Les trouvailles pour l’époque néolithique (ici T12 : VIIe-VIe millénaires) se limitent à quelques outils découverts en surface ; celles du Néolithique final et du Chalcolithique (T11a-c ; atelier de taille de cornaline) proviennent de contextes peu assurés, mais également des prélèvements de carottages profonds. Ainsi, l’analyse palyno-logique, confortée par des datations 14C, a notamment révélé l’origine locale de la culture oasienne autour de 4600 av. è. chr. (et peut-être même dès le Néolithique d’après Dinies 2019). Les plus anciens vestiges construits semblent plus tardifs et ne remonter qu’à la fin du IVe millénaire et au IIIe millénaire à Qrayyah (T11c). L’âge du Bronze ancien (T10) est marqué par la construction d’un rempart monumental et l’installation d’une occupation permanente, qui n’est pas sans évoquer le phénomène urbain contemporain au Levant sud. La séquence chronologique paraît plus incertaine pour les périodes suivantes, de la fin du IIIe millénaire à la seconde moitié du IIe millénaire (T9-8), avec une succession de traditions architecturales funéraires à classifier (voir Hausleiter et Zur 2016), et la découverte de céramique peinte de Qurayyah (QPW) dans des contextes perturbés pour la fin du millénaire. La publication récente d’une inscription au nom de Ramsès III (80 km au nord su site) révèle une expédition égyptienne dans la région au XIIe siècle av. è. chr. L’étude de l’âge du Fer I (T7) bénéficie du dégagement d’un exceptionnel bâtiment public incendié, probablement un temple (area O), comprenant un mobilier céramique peint influencé par la sphère syro-mésopotamienne (Taymā’ Early Iron Age Ware, TEIAW) vraisemblablement antérieur (ou contemporain) à la céramique de Sana’iye (T6). L’oasis de Taymā’ est mentionnée dans les textes assyriens, puis bibliques et produit des documents épigraphiques en araméen aux vie-ve siècles av. è. chr. (notamment la stèle du Louvre). Plusieurs documents majeurs ont récemment été découverts dans l’oasis et doivent faire l’objet d’un prochain volume fort attendu. L’occupation à Taymā’ perdure, sans interruption, jusqu’au milieu du Ier millénaire (T6). Un temple E-b1, présentant des piliers monolithes et des statues monumentales est construit au nord de Qrayyah et réaménagé aux époques lihyanite (T5, correspondant ici à l’époque hellénistique) puis nabatéenne (T4) et romaine (T3). Parallèlement, la zone occupée se réduit fortement au cours de cette phase ; l’étude d’une nécropole des ive-iiie s. av. è. chr. indique néanmoins des populations en bonne santé. À l’époque nabatéenne, Taymā’ continue de jouer un rôle commercial important, bien que secondaire si on le compare à celui de Hégra. L’étude de la zone résidentielle F-b1 révèle un habitat de type aggloméré et multiphasé, caractéristique des oasis de la région. Une architecture d’influence sud-levantine, avec cour centrale, apparaît à l’époque romaine (T3b) puis est remplacé durant l’Antiquité tardive par des constructions irrégulières et plus grossières. Leur utilisation est attestée jusqu’au vie siècle d’après une datation 14C. Toutefois, le matériel contemporain de Madâ’in Sâlih pourrait suggérer un abandon plus ancien à la fin du ive siècle ou au cours du ve siècle. Quelques vestiges bâtis, une petite forteresse Qasr al-Bujidi, ainsi que des inscriptions arabes attestent d’une occupation éparse, située en marge des zones anciennes, durant les premiers siècles de l’Islam. De l’avis des auteurs, les investigations doivent désormais être approfondies pour la période islamique, connue essentiellement à travers les sources arabes et les descriptions des voyageurs du xxe siècle. Un examen du mobilier épars, l’étude de plusieurs forts (Qasr al-Radm, Qasr Ibn Rumman) et de l’ancienne ville doit désormais être engagé. En guise de conclusion (quatrième sous-partie), les auteurs envisagent des pistes de recherche futures et évoquent quelques lacunes des recherches actuelles : par exemple, les activités et implantations aux IVe-IIIe millénaires av. è. chr., l’utilisation du dromadaire, la typologie de l’architecture funéraire à travers le temps, l’architecture domestique au Ier millénaire av. è. chr.1

7La contribution de A. Hausleiter et R. Eichmann possède l’immense mérite de résumer les multiples publications et rapports annuels (parus dans la revue Atlal) et de rendre intelligible les résultats des activités très diverses des membres de la mission archéologique. Les recherches de l’équipe germano-saoudienne livrent ainsi un panorama impressionnant de l’occupation du site, quasi continu depuis le Néolithique. Aucun autre site d’Arabie septentrionale ne pouvait, jusque très récemment, se targuer d’une séquence chronologique comparable. Les travaux menés depuis moins d’une dizaine d’années à Dūmat al-Jandal (Charloux 2018), Qurayyah (Luciani et Alsaud 2018), al-Bad‘7, et al-‘Ula peut-être (travaux en cours) semblent toutefois révéler, au fur et à mesure des explorations, la persistance des oasis en tant que lieux de vie ou de passage depuis la fin de l’optimum holocène (voir aussi Gebel and Wellbrock 2019 à ce propos). Cependant, et comme c’est le cas pour chacun de ces sites, l’histoire de Taymā’ paraît encore extrêmement tronquée si l’on considère une échelle temporelle plus fine. Si certains contextes archéologiques sont particulièrement bien documentés par des trouvailles fabuleuses (inscriptions, datations 14C, bâtiments publics, nécropoles, remplois et objets exogènes), il existe a contrario de nombreux hiatus chronologiques ou/et fonctionnels qui apparaissent à la lecture des résultats, attachés à nombre de contextes incertains ou absents. Bien qu’attestée avec certitude, la vie des populations oasiennes de Taymā’ demeure ainsi assez mystérieuse de l’époque néolithique à la fin du IIe millénaire av. è. chr. De même, l’organisation des occupations par période au sein de l’oasis reste très approximative, notamment en l’absence d’estimation de leur étendue et de localisation des portes dans l’enceinte et d’identification des axes de circulation. Cette situation ambivalente n’est pas due à l’excellente qualité du travail scientifique, mais bien à la nature complexe et hétérogène de l’occupation humaine au sein des oasis de l’Arabie septentrionale, et à la nécessité de poursuivre les opérations sur place.

8De multiples recherches complémentaires continuent d’être menées en parallèle par la mission germano-saoudienne, sur la céramique, les armes en métal, l’architecture funéraire, la statuaire, etc. D’autres aspects mériteraient également d’être développés dans le cadre d’une réflexion diachronique globale, qu’il s’agisse, par exemple, du contexte régional de l’oasis (art rupestre, graffites, occupation humaine depuis le Paléolithique, etc.) pour une meilleure connaissance des populations du désert et des voies de passages, ou de la répartition et de l’étude technique des structures hydrauliques (notamment l’existence de galeries souterraines), mais aussi des types et spécificités des maçonneries par périodes (notamment celles des fortifications), ou encore de la formation et du développement des villages dits récents (fondations, extension, pratiques agricoles, etc.). Il est donc à parier que les recherches archéologiques futures renouvelleront des pans entiers de l’histoire du site et compléteront le travail considérable déjà accompli par l’équipe germano-saoudienne.

9Le deuxième chapitre comporte quatre contributions sur le paléoenvironnement du site, son climat, sa flore moderne et ancienne et la gestion hydraulique à travers les âges.

10La première contribution intitulée « Palaeoenvironmental Changes at Taymā’ as Inferred from Sabkha Infill » (M. Engel, N. Klasen, A. Ginau, M. Patzke, A. Pint, P. Frenzel et H. Brückner ; p. 60-85) présente les résultats des recherches réalisées de 2010 à 2015 sur l’évolution du paysage de l’oasis au cours de l’Holocène, ayant donné lieu à plusieurs publications (par exemple : Engel et al. 2012, 2017). Après un condensé rapide de l’état des connaissances actuelles en ce domaine, les auteurs rappellent les forts processus d’érosion géologique et le climat hyperaride à l’œuvre dans l’oasis (45 mm d’eau par an entre novembre et avril ; température entre 10 °C et 40 °C), ainsi que la spécificité géomorphologique de la sabkha, archive paléo-environnementale exceptionnelle située au nord du site. L’étude s’appuie sur l’analyse stratigraphique de quarante carottes sédimentaires, dont deux (TAY36 et 76) sont ici examinées à travers un large spectre de méthodes archéométriques de caractérisation des sédiments et de datation (p. 66-67). Il en résulte une mise en séquence de l’histoire du secteur : la présence d’un lac permanent et l’augmentation des précipitations durant l’optimum holocène (environ 8000-6500 av. è. chr.), la contraction progressive du lac entre 6500 et 3000 av. è. chr., puis le passage d’une zone marécageuse à une sabkha il y a seulement 600 ans. Cette étude complétée par un volet paléobotanique (Dinies et al., plus loin), constitue tout simplement le premier et le plus complet référentiel paléo-environnemental en Arabie septentrionale. Il s’agit d’une recherche absolument primordiale, sans parallèle à ce jour, pour appréhender et comprendre l’évolution de la présence humaine au sein des oasis du Nord-Ouest de l’Arabie.

11Dans une deuxième contribution (p. 86-127), H. Kürschner et R. Neef livrent un panorama de la flore désertique actuelle au sein de l’oasis et à proximité (prospection menée en 2009 et 2010 ; rapport précédemment paru in Kürschner et Neef 2011). La présentation se fait par type de contexte (1. wadis, 2. déserts rocailleux [Reg/Serir], 3. plaines désertiques sableuses, 4. dunes de sable, 5. sabkha) comprenant un inventaire et une analyse, illustrés par de belles planches en couleur. Quantité de détails (lieux, identification et inventaire) sont fournis en annexe du texte. Bien que cette contribution s’adresse en particulier aux archéobotanistes, elle paraîtra très utile aux archéologues qui souhaitent se documenter sur la couverture végétale des paysages désertiques d’Arabie septentrionale. Il s’agit, à n’en pas douter, d’une contribution de référence pour la région. Noter que les plantes cultivées en contexte oasien sont discutées dans la contribution suivante.

12La troisième courte contribution du chapitre (M. Dinies, R. Neef et H. Kürschner) livre les résultats de l’analyse palynologique de dix échantillons (90 pollens) issus d’un carottage TAY34 réalisé dans la sabkha de Taymā’ par l’équipe menée par M. Engel (p. 129-143). Les résultats concernent la période située entre environ 7300 et 3000 av. è. chr., correspondant aux périodes Holocène ancien et moyen. Cette étude préliminaire a été largement amendée au cours de travaux plus récents (absolument passionnants) dont nous recommandons vivement la lecture, en priorité (Dinies et al. 2011, 2015, 2016 ; Dinies 2019). Ces travaux, majeurs pour la connaissance de la formation du paysage de Taymā’, livrent aussi les premiers éléments de réflexion sur la naissance de l’agriculture en contexte oasien d’Arabie septentrionale et notamment sur la présence de la vigne dès le IVe millénaire (et vraisemblablement même dès le Ve millénaire, d’après Dinies 2019), ou encore sur l’apparition étonnamment tardive du palmier dattier au IIe millénaire av. è. chr. Dans les oasis du Nord de l’Arabie, une « économie » méditerranéenne (peut-être importée, en lien avec le processus d’urbanisation et d’expansion du Bronze ancien au Levant sud), aurait ainsi précédé l’économie oasienne…

13La contribution de K. Wellbrock, P. Voß, B. Heemeier, P. Keilholz, A. Patzelt et M. Grottker traite de la gestion des structures hydrauliques de Taymā’, mais porte également sur celles des oasis de Dûmat al-Jandal et Qurayyah, dans le cadre d’une réflexion à l’échelle macro-régionale (p. 144-198). Cette contribution réunit les résultats préliminaires de travaux menés sur le terrain de 2007 à 2009, partiellement publiés (Wellbrock et al. 2011). D’autres recherches complémentaires ont été effectuées les années suivantes notamment en 2013 et 2015 (consulter par exemple les rapports dans la revue Atlal et Wellbrock et al. 2018). La méthode employée repose sur l’analyse des données géologiques, topographiques (DEM, CAD/SIG), archéologiques et surtout sur des mesures géophysiques (Electrical Resistivity Tomography). Les travaux portent en priorité sur la partie méridionale de Qrayyah (compound A) qui concentre apparemment les points d’alimentation en eau du site et qui était cultivée par le passé. Le compound B voisin semble quant à lui avoir été particulièrement exposé aux crues du wadi al-Buraydi’ à l’ouest du site. Toutefois, l’hypothèse principale ici développée est que la partie centrale de Qrayyah (compound E) n’était pas soumise aux crues violentes du wadi lors de la construction du plus ancien du rempart, en se fondant sur des données topographiques et hydrologiques. Celui-ci n’avait donc pas de rôle de rétention ou de protection contre le wadi. Au sein de l’oasis, l’alimentation en eau par les nappes aquifères souterraines soulève de nombreuses interrogations, en particulier sur la répartition des structures hydrauliques et des zones cultivables au sein de l’oasis et notamment des structures d’acheminement à longue distance. Si les auteurs reconnaissent à demi-mot la possibilité de l’existence de ce type de structures à Taymā’, aucun qanat n’a été identifié par les recherches récentes, malgré les découvertes pourtant explicites des années 1980 et les mentions dans les sources locales (p. 166-167). À Dūmat al-Jandal, les auteurs n’évoquent pas non plus l’existence du réseau très dense de galeries drainantes souterraines pourtant connues de longue date (p. 176-179, 191 ; Charloux et al. 2017). Par ailleurs, si les travaux effectués en 2008 et 2009 à Qurayyah permettent de clarifier plusieurs points – notamment l’absence d’un système de qanats présumé, d’un fossé protégeant le site, et de livrer un premier survol du contexte hydraulique – il convient de noter que la mission austro-saoudienne menée par M. Luciani a, depuis, amplement modifié la connaissance géomorphologique et hydrologique du site (Hüneburg et al. 2019).

14Le troisième chapitre propose un état des lieux des contacts entre l’Arabie septentrionale, l’Assyrie et l’Égypte. Les éditeurs ont choisi de privilégier ces deux sujets, en éludant à ce stade les contacts avec d’autres sphères culturelles majeures : l’Arabie méridionale et orientale, la basse Mésopotamie ou le Levant sud.

15Le manuscrit de la contribution intitulée « Ägypten und Arabien » (p. 200-245) a été rédigée par G. Sperveslage en 2010, puis complétée ultérieurement dans le cadre d’une thèse de doctorat. L’auteur a depuis proposé une version épurée en anglais (Sperveslage 2016 ; voir aussi Sperveslage et Eichmann 2012). La présente contribution vise à synthétiser près de 3 000 ans de relations égypto-arabiques, tâche ardue, et fait donc appel à des sources nombreuses et variées : textes et inscriptions hiéroglyphiques, démotiques, nordarabiques, nabatéens, grecs, etc., mais aussi aux attestations matérielles de la culture égyptienne en Arabie et « arabe » en Égypte. L’auteur convient dès l’entrée en matière de l’absence de contacts fournis et de correspondance politique régulière entre une entité géopolitique formée de longue date et des territoires largement déserts ou contrôlés par des entités autonomes plus récentes. Les contacts étaient donc essentiellement commerciaux et effectués à une échelle individuelle, rarement collective (p. 201). Le non-spécialiste pourra s’étonner que, en dépit de voies commerciales maritimes et terrestres bien établies, les attestations de contact restent au final très limitées et souvent imprécises. Ainsi, la culture matérielle égyptienne en Arabie se réduit surtout à des influences iconographiques ou à la découverte de quelques objets religieux et artefacts de petites dimensions (amulettes, scarabées, etc.) dont la diffusion pouvait se faire par simple échange. La céramique n’est pas ici prise en compte (hormis sur la côte égyptienne), et l’architecture à peine évoquée malgré des contacts avérés, par exemple entre Alexandrie et la Nabatène. Les textes mentionnés demeurent délicats à interpréter, mal datés voire légendaires. L’auteur soulève par ailleurs de nombreuses interrogations abondamment débattues ailleurs : l’identification des Arabes et la localisation de leurs territoires dans les sources égyptiennes, soulignant au passage le peu d’intérêt des Égyptiens pour les populations exogènes en particulier celles situées à l’est du delta. Il liste ainsi les très rares mentions de l’Arabie et des peuples arabes en Égypte, et revient également sur les localisations très discutées de Dilmun, de Punt, de Myos Hormos et de Leukè Komè, des voies commerciales, sur la véracité douteuse de l’expédition de Sésostris Ier ou sur les mentions de femmes égyptiennes dans les listes des Hiérodules.

16On ne peut donc être surpris du faible impact de la culture égyptienne en Arabie, comparée à son omniprésence au Levant sud depuis la fin du Chalcolithique. Ainsi, les temps forts des contacts égyptiens-arabes se résument à ce stade en : 1) l’expé-dition de Ramsès III au xiie s. av. è. chr. en Arabie du nord-ouest, peut-être en lien avec la recherche de ressources de cuivre et de turquoise ; 2) les traces de relations commerciales dans la première moitié du Ier millénaire av. è. chr. connues par quelques textes sudarabiques et égyptiens liés au développement de la route de l’encens ; 3) les échanges commerciaux autour de la mer Rouge aux époques ptolémaïques et romaines.

17Comme c’est le cas de tout travail préliminaire, on ne peut qu’inviter le lecteur à consulter en priorité la version finale de ce travail de longue haleine (Sperveslage 2019), qui évitera, à n’en pas douter, quelques manques et omissions de cet article, en particulier en termes iconographiques (carte incomplète et peu parlante, absence d’illustrations et des données brutes). Ce travail de synthèse revêt toutefois un intérêt évident pour tous les chercheurs travaillant de part et d’autre de la mer Rouge et constituera, à n’en pas douter une référence incontournable.

18L’article « Untersuchungen zu den ‘arabischen’ Toponymen und zur Rezeption der ‘Araber’ in den historischen Quellen der Assyrer » (p. 246-267), rédigé par A. M. Bagg, propose un état des lieux de la place des Arabes dans les sources assyriennes (annales royales néo-assyriennes, correspondance, reliefs et quelques attestations écrites sur du mobilier archéologique), sujet longuement discuté ailleurs (par Eph’al 1982, Retsö 2013 et bien d’autres). L’article concis et efficace livre une synthèse bienvenue sur la perception de l’Arabie, « territoire de soif et de famine », par les Assyriens. L’auteur atténue néanmoins ce propos en rappelant l’existence de plusieurs villes fortifiées en Arabie, et l’intérêt économique et commercial des Assyriens pour ce vaste territoire (notamment une forme de dépendance pour l’acquisition de produits exotiques et de dromadaires qui permettront les expéditions au Levant sud et en Égypte). Sur le plan géopolitique, les Assyriens semblent avoir « mentalement » subdivisé l’espace de la péninsule arabique en trois entités (C1 : Arabie centrale et septentrionale ; C2 : Arabie orientale ; C3 : Arabie méridionale [Saba’]) qui comprenaient en tout trente-cinq noms de lieux. Trente-trois autres toponymes arabes concernaient les régions avoisinantes (Syrie, Sinaï, etc.). Les trois principaux itinéraires caravaniers proposés entre le Hijāz et le Croissant fertile (p. 253 et carte 2, p. 257) semblent correspondre avec les données archéologiques et épigraphiques actuelles. Toutefois, on pourrait vraisemblablement ajouter au moins un axe supplémentaire (2d) depuis Dūmat al-Jandal en direction de l’Assyrie, plein nord, via le wadi Badana vers Hindānu... Le rôle de Taymā’ (Tēma) dans le commerce des épices et des autres produits exotiques en provenance d’Arabie méridionale est d’ailleurs évoqué à plusieurs reprises par la célèbre attaque de la caravane provenant de Tēma et Saba’ au milieu du viiie siècle (p. 258), par l’arrestation d’un marchand de Tēma à Sippar (p. 258), par l’octroi de tributs (p. 254) ou à travers le nom des portes de la ville de Ninive (p. 255). Ainsi, Taymā’ devait certainement jouer un rôle de contrôle ou d’entrepôt majeur entre l’Assyrie et le Sud de l’Arabie. Toutefois, cette relation économique assyro-arabe était vraisemblablement à sens unique, entre la forte demande d’un état assyrien puissant et centralisé et des entités oasiennes éparses et peu développées qui devaient tenter, tant bien que mal, de profiter des bénéfices du commerce caravanier, dans un rapport de force déséquilibré. L’intelligence du pouvoir assyrien était toutefois de rester en marge de ces territoires et de s’y aventurer aussi peu que possible. La perception de l’Assyrie par les populations d’Arabie du Sud ainsi que l’apport assyrien dans la culture matérielle d’Arabie ne sont qu’à peine évoqués, et le point de vue choisi est donc ici, essentiellement officiel et assyrien.

19Pour conclure, l’ouvrage Taymā’ I a pour grand mérite de rassembler et discuter une documentation archéologique exceptionnelle et de première main. Le propos est clair, la mise en page et les illustrations en couleur sont de belle qualité. On regrettera néanmoins que cet ouvrage paru tardivement livre parfois un état préliminaire de la recherche (chapitre 2 et contribution de G. Sperveslage), à mi-chemin avec la synthèse finale (chapitre 1 et contribution A. M. Bagg). On s’étonnera aussi, à diverses reprises, de l’absence de mise en perspective macro-régionale et de comparaison avec les trouvailles récentes faites sur les autres sites de la région par des missions internationales (Dedān, Hégra, Dūmat al-Jandal, Qurayyah, Jubbah, Kilwa, Najrān, al-Kharj, Rasif, etc.). Cependant, les prochains volumes de la mission, fort attendus, devraient, à n’en pas douter, combler ces lacunes. Ce constat n’entache en rien la qualité scientifique de cette publication et des travaux menés dans l’oasis de Taymā’, ni les formidables résultats obtenus par l’équipe de chercheurs et de techniciens germano-saoudiens depuis 2004. Leur contribution est assurément décisive pour la connaissance de la formation et de l’évolution des paysages oasiens et, plus globalement, pour celle de l’histoire de l’Arabie septentrionale.

Haut de page

Bibliographie

Charloux G. 2018 – Rythmes et modalités du peuplement d’une oasis du Nord-Ouest de l’Arabie. Sept campagnes (2010-2017) sur le site de Dûmat al-Jandal. Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres 2018 : 11-46.

Charloux G., Courbon P., Testa O. et Thomas M. 2017 – Mapping an ancient qanat system in a northern Arabian urbanized oasis. Water History 10 : 31-51.

Dinies M. 2019 – Holocene ecology in NW Arabia: Biotic resources and plant cultivation. In : Nakamura S., Adachi T. et Abe M. (dir.), Decades in deserts: Essays on Near Eastern archaeology in honour of Sumio Fuji : 205-214. Tokyo : Rokuichi Syobou.

Dinies M., Neef R. et Kuerschner L. 2011 – Holocene vegetational development and the beginning of oasis cultivation in Tayma, North-Western Saudi Arabia – First results. Polen 21 : 9-14.

Dinies M., Neef R., Plessen B. et Kürschner H. 2015 – When the desert was green: Grassland expansion during the early Holocene in northwestern Arabia. Quaternary International 382 : 293-302.

2016 – Holocene vegetation in northwestern Arabia – changing natural resources. In : Goy J. (dir.), Actualités des recherches archéologiques en Arabie : 1-19. Paris : Routes de l’Orient (hors-série 2).

Engel M., Brückner H., Pint A., Wellbrock K, Ginau A., Voss P., Grottker M., Klasen N. et Frenzel P. 2012 – The early Holocene humid period in NW Saudi Arabia – Sediments, microfossils and palaeo-hydrological modelling. Quaternary International 266 : 131-141.

Engel M., Matter A., Parker A. G., Parton A., Petraglia M.D., Preston G.W. et Preusser F. 2017 – Lakes or wetlands? A comment on ‘The middle Holocene climatic records from Arabia: Reassessing lacustrine environments, shift of ITCZ in Arabian Sea, and impacts of the southwest Indian and African monsoons’ by Enzel et al. Global and Planetary Change 148 : 258-267.

Eph’al I. 1982 – The Ancient Arabs: Nomads on the borders of the Fertile Crescent 9th-5th centuries B.C. Jerusalem-Leyde : Magnes Presse-Brill.

Gebel H.G. et Wellbrock K. 2019 – Hydraulic cultures and hydrology under climatic change: North Arabian mid-Holocene pastoral and proto-oasis land use. In : Chiotis E. (dir.), Climate changes in the Holocene. Impacts and human adaptation: 247-269. Boca Raton : CRC Press.

Hausleiter A. et Zur A. 2016 – Taymā’ in the Bronze Age (c. 2,000 BCE): Settlement and funerary landscapes. In : Luciani M. (dir.), The archaeology of North Arabia. Oases and landscapes. Proceedings of the international congress held at the University of Vienna, 5-8 December 2013 : 135-174. Vienne : Austrian Academy of Sciences Press.

Hüneburg L., Hoelzmann P., Knitter D., Teichert B., Richter C. et Lüthgens C. 2019 – Living at the wadi – integrating geomorphology and archaeology at the oasis of Qurayyah (NW Arabia). Journal of Maps 15,2 : 215-226.

Kürschner H. et Neef R. 2011 – A first synthesis of the flora and vegetation of the Tayma oasis and surroundings (Saudi Arabia). Plant Diversity and Evolution 129,1 : 27-58.

Luciani M. et Alsaud A.S. 2018 – The new archaeological joint project on the site of Qurayyah, north-west Arabia: results of the first two excavation seasons, Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 48 : 165-183.

Retsö J. 2013 – The Arabs in Antiquity: Their history from the Assyrians to the Umayyads. Hoboken: Taylor and Francis.

Sperveslage G. 2016 – Intercultural contacts between Egypt and the Arabian Peninsula at the turn of the 2nd to the 1st millennium BCE. In : Moreno García J. C. (dir.), Dynamics of production in the Ancient Near East 1300-500 BC : 303-330. Oxford-Philadelphia: Oxbow Books.

Sperveslage G. 2019 – Ägypten und Arabien. Ein Beitrag zu den interkulturellen Beziehungen Altägyptens. Münster : Ugarit Verlag (Alter Orient und Altes Testament 420).

Sperveslage G. et Eichmann R. 2012 – Egyptian cultural impact on north-west Arabia in the second and first millennia BC. Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 42 : 371-384.

Wellbrock K., Strauss M., Külls C. et Grottker M. 2018 – The oasis of Tayma, NW Arabia: Transformation in terms of water management and hydrology during the last millennia. In : Purdue P., Charbonnier J. and Khalidi L. (dir.), From tefugia to oases. Living in arid environments from prehistoric times to the present day : 231-250. Antibes : APDCA.

Wellbrock K., Voss P. et Grottker, M. 2011 – Reconstruction of mid-Holocene climate conditions for north-western arabian oasis Tayma. International Journal of Water Resources and Arid Environments 1, 3 : 200-209.

Haut de page

Notes

1 Charloux G., Sahlah S. et Badaiwi W. (en preparation), Madian revealed. 2017-2019 explorations in the multi-period oasis of al-Bad‘ (northwestern Arabia), PSAS.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Guillaume Charloux, « Hausleiter Arnulf, Eichmann Ricardo et al-Najem Mohammed H. (dir.) 2018. Taymā’ I. Archaeological exploration, palaeoenvironment, cultural contact »Paléorient, 46 1-2 | 2020, 220-226.

Référence électronique

Guillaume Charloux, « Hausleiter Arnulf, Eichmann Ricardo et al-Najem Mohammed H. (dir.) 2018. Taymā’ I. Archaeological exploration, palaeoenvironment, cultural contact »Paléorient [En ligne], 46 1-2 | 2020, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/paleorient/449 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/paleorient.449

Haut de page

Auteur

Guillaume Charloux

CNRS, UMR 8167 Orient et Méditerranée, Ivry-sur-Seine, France – guillaume.charloux@cnrs.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search