1L’ouvrage de F. Venditti est la publication de sa thèse soutenue en 2017 à l’université de Rome « La Sapienza ». Il s’inscrit dans un débat foncièrement et doublement actuel en abordant le concept de recyclage des industries lithiques et, plus largement, en questionnant le statut des petits supports/outils au sein des assemblages du Pléistocène moyen. Si, depuis plus d’une décennie, les productions de petits outils antérieurs au Paléolithique supérieur et issus ou non de processus de recyclage attirent de plus en plus l’attention des chercheurs, leur(s) statut(s) productionnel(s) et surtout fonctionnel(s) au sein des systèmes lithiques reste(nt) encore problématique(s). En neuf chapitres, F. Venditti apporte sa contribution à ce débat en proposant une étude théorique et analytique novatrice qui tend à comprendre et définir une pratique du recyclage ainsi que le rôle fonctionnel des petits outils tranchants qui en sont issus, au sein d’un site exceptionnel, la grotte de Qesem en Israël, et durant une période chronologique charnière marquée au Levant par l’émergence et le développement du complexe acheuléo-yabroudien.

2La grotte de Qesem, localisée sur la côte méditerranéenne non loin de Tel Aviv, constitue un site de référence pour le Paléolithique inférieur du Proche-Orient, particulièrement pour ses séquences yabroudienne et amudienne, datées entre 420 000 et 400 000 ka, mais également pour ses nombreux vestiges archéologiques incluant des dents d’homininés. Découverte en 2000 puis fouillée – en 2001 et entre 2004 et 2015 –, étudiée et largement publiée par une équipe pluridisciplinaire de l’université de Tel Aviv, la grotte de Qesem est un site privilégié pour l’étude des produits lithiques recyclés, découverts très bien conservés et en grande quantité tout au long des séquences chrono-culturelles (chapitre 3).

3La question du recyclage et de l’utilisation des petits outils est abordée dans le prisme d’une modalité spécifique et récurrente du recyclage, retenue parmi les cinq modes identifiés à Qesem : le débitage de petits éclats et de petites lames à partir d’anciens supports (éclats et lames) réutilisés en tant que nucleus sur éclats (chapitre 4). Les supports produits à partir de ces nucleus sur éclats sont divers et variés et peuvent être, pour résumer, regroupés en deux grandes catégories : les éclats/lames Regular, débités aux dépens des faces inférieures des nucleus sur éclats (produits à double face inférieure et double bulbe incluant les pièces de type Kombewa) et les éclats/lames Lateral, issus d’une exploitation latérale des faces inférieures des nucleus sur éclats (produits latéraux, souvent à dos, à double face inférieure et double bulbe). L’ambition de cette étude ne porte pas tant sur la restitution technologique des schémas opératoires et des méthodes mises en œuvre pour la production de petits supports à partir de nucleus sur éclats, par ailleurs et préalablement étudiés par E. Assaf et Y. Parush et al. (2015) à Qesem mais également, comme le rappelle l’auteur, amplement identifiés dans de multiples contextes paléolithiques (par exemple, méthodes Kombewa, Kostienski, Nahr-Ibrahim, Flaked flakes…), que sur la caractérisation techno-fonctionnelle et fonctionnelle – initiée par C. Lemorini et al. (2015) des types d’outils réalisés.

4L’un des enjeux de cet ouvrage est donc aussi méthodologique et consiste en une étude systématique des résidus et des traces laissés par l’utilisation et la préhension sur des petits outils provenant du recyclage. La méthodologie retenue intègre deux approches. La première porte sur des analyses à faibles et à forts grossissements des traces d’usure et de préhension voire d’emmanchement présentes sur les outils. La seconde consiste en des observations morphologiques, à faibles et à forts grossissements, et chimiques des résidus. Cette étape d’identification chimique des résidus est réalisée au moyen de deux techniques : la spectroscopie de rayons X à dispersion d’énergie (energy dispersive X-ray spectroscopy ou EDX en anglais) et la spectroscopie IRTF (Fourier transform infrared spectroscopy ou FTIR en anglais). Dans le cadre des analyses EDX, une collaboration avec SMATCH et le département de chimie de l’université de Rome « La Sapienza » a été entreprise. Après une présentation des procédures d’observations et une description des multiples variables enregistrées (chapitre 2), F. Venditti expose son protocole expérimental (chapitre 5), en partie orienté vers une reproduction des types d’outils étudiés et dont l’objectif est de restituer les modalités de formation et de développement des résidus, des traces d’usure et de préhension résultant de diverses opérations (boucherie, travail de la peau, de l’os, des végétaux ligneux et non ligneux).

5Après un exposé concis des processus taphonomiques et des diverses altérations post-dépositionnelles (chapitre 6), étape indispensable, l’auteure présente les résultats de son analyse portant sur un échantillonnage de plus de 600 produits représentatifs des catégories préalablement décrites (chapitre 7). L’échantillonnage provient des deux techno-complexes, yabroudien et amudien, et des différentes aires de fouilles : la plateforme (shelf area), le foyer (hearth area) et la partie sud du foyer (area south of the hearth). L’étude et les résultats, remarquablement documentés par de multiples tableaux et graphiques ainsi que par une iconographie de très grande qualité, sont à plusieurs titres captivants. Tout d’abord, bien que l’étude mette en évidence une relative répartition spatiale des activités au sein des trois aires de fouilles ainsi que quelques différences fonctionnelles entre les deux techno-complexes, les outils utilisés (représentant environ 30 % de l’échantillonnage analysé) sont tous préhensés manuellement et préférentiellement orientés vers le traitement des matières animales dans le cadre notamment d’activités de boucherie. Ensuite, parce que malgré le caractère expédient de ces productions, l’approche globale et systémique proposée, qui s’attache à percevoir les intentions productionnelles, fonctionnelles et techno-fonctionnelles des produits réalisés, montre que ces petits outils, débités à partir de vieux éclats/lames, sont hautement prédéterminés et pleinement intégrés aux systèmes techniques et aux boîtes à outils en présence. La fonctionnalité de ces outillages ainsi que leurs caractères techno-fonctionnels (types de tranchants, angles de coupe, plans de section, morphologie générale…) sont anticipés et acquis dès les phases de production. Les homininés de la grotte de Qesem ont su mettre en place différentes stratégies de production lithique en intégrant et anticipant, au cours de processus de recyclage, le débitage de petits outils afin d’assouvir des besoins immédiats en ressources animales.

6Les principaux résultats de cette analyse alimentent ensuite une discussion sur la place et le rôle de ces petites productions au sein des séquences du Pléistocène moyen et qui, depuis quelques années, font l’objet d’un regain d’intérêt de la part de la communauté scientifique (chapitre 8). Après un rappel des problèmes d’ordre méthodologique que pose l’étude de ces productions, une comparaison entre l’assemblage de Qesem et quelques ensembles européens (par exemple, Isernia La Pineta niveau t.3c, La Polledrara di Cecanibbio, La Ficoncella, Bilzingsleben…) et proche-orientaux (par exemple, Revadim, Tabun, Holon, Bizat Ruhama…) est proposée. Bien représentés dans les assemblages susmentionnés et totalement intégrés aux systèmes techniques, ces petits outillages témoignent d’une grande variabilité des modalités et des objectifs de production. Mais c’est essentiellement au Proche-Orient que ces productions semblent être étroitement associées aux diverses pratiques de recyclage. Tel est également le cas, par exemple, des nombreux petits outils de la fin du Paléolithique inférieur découverts récemment sur le site de Revadim en Israël, issus du recyclage et utilisés pour des opérations de coupe dans des matières animales (Agam et Barkai 2018 ; Venditti et al. 2019).

7L’ouvrage s’achève par un questionnement ouvert (chapitre 9), sous-tendu par les recherches pluridisciplinaires menées à Qesem, relatif à l’apparition et au développement du complexe acheuléo-yabroudien, témoin de changements techno-culturels, comportementaux et biologiques.

8Pour conclure, l’ouvrage de F. Venditti constitue une contribution notable et supplémentaire à la connaissance des comportements des homininés du Paléolithique inférieur au Proche-Orient et plus particulièrement à Qesem, site de référence pour la Préhistoire de cette région. Il contribue également à mieux percevoir les systèmes lithiques du Paléolithique inférieur par une mise en exergue de deux composantes importantes : le recyclage des industries et la production de petits supports/outils, encore souvent relégués au rang de simples déchets et autres débris.