1Henri de Contenson nous a quittés le 8 septembre 2019 à l’âge de 93 ans. Sa très longue carrière d’archéologue est en premier lieu caractérisée par un éclectisme et un « flair » hors du commun. Il se plaisait à rappeler que son intérêt pour l’archéologie – et plus particulièrement pour l’archéologie orientale – remontait à l’enseignement reçu en entrant au lycée et il a marqué sa fidélité en dédicaçant sa monographie sur Tell Ramad au professeur d’histoire qu’il avait eu en 6e. Après avoir cessé ses activités de terrain, jusqu’à ces toutes dernières années, il est resté un auditeur fidèle des conférences parisiennes à l’institut d’Art et d’Archéologie et au musée du Louvre où étaient présentés les nouveaux résultats de l’archéologie orientale.
2Alors qu’il n’existait pas encore de chaire d’archéologie orientale dans l’Université française, c’est à l’École du Louvre qu’il a été formé (1949-1951), en suivant notamment les cours d’archéologie orientale d’André Parrot et ceux de préhistoire de Raymond Lantier. Il fut ensuite élève de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (1951-1953) où il se consacra au Chalcolithique. Il a aussi été un élève d’André Leroi-Gourhan qui a eu une influence certaine sur ses choix de carrière.
3C’est naturellement en France qu’il a fait ses premiers pas de préhistorien et dès 1949, lors d’une expédition spéléologique dans les galeries profondes de la grotte de Niaux, il découvrit des empreintes de pas inédites. Puis, au début des années 1950, il participa aux fouilles d’André Leroi-Gourhan (à Arcy-sur-Cure où il côtoya notamment Francis Hours qu’il devait par la suite retrouver en Éthiopie et en Syrie) avant de se consacrer exclusivement à l’archéologie hors de France.
4Dès le début de son séjour au Proche-Orient, son activité fut intense. Parallèlement à la rédaction de son mémoire sur le matériel chalcolithique des grottes de Murabba’at – prémices à sa thèse soutenue en 1955 à l’École du Louvre sur la céramique chalcolithique palestinienne –, il participa dès 1951 aux fouilles de Qumran (Roland de Vaux) où il mit au jour dans la grotte Q3 le fameux rouleau de cuivre inscrit énumérant un fabuleux trésor, et il revint fouiller avec R. de Vaux à Tell el-Far’ah en 1959. Dans les vallées du Jourdain et du Yarmouk, en 1953, il collabora avec James Mellaart et effectua des sondages dans plusieurs tells chalcolithiques. En 1955, il travailla de même à Safadi (Jean Perrot) où il trouva notamment une des fameuses statuettes en ivoire de la culture chalcolithique de Beersheba, et la même année il participa également aux fouilles de Maurice Dunand à Byblos au Liban. En 1967, il fit une incursion en Iraq où, au cours des deux campagnes de fouilles à Larsa, il intégra l’équipe d’André Parrot, son ancien professeur à l’École du Louvre.
5Hors du Proche-Orient, il a aussi travaillé de nombreuses années en Éthiopie où il s’est penché notamment sur les périodes historiques (cultures pré-axoumite, axoumite et médiévale).
6L’essentiel de sa carrière a été consacré au Néolithique de la Syrie avec en premier lieu des prospections très fructueuses dans la Damascène, suivies par la fouille des tells de Ramad (1963-1973), Aswad (1971-1972), Ghoraifé et Khazzami, fouilles qui ont entre autres révélé le rôle majeur du Levant central dans le Néolithique précéramique et au cours du processus de néolithisation.
7Ne se limitant pas à la région de Damas, il a aussi travaillé dans la vallée de l’Euphrate, où il a effectué les premières fouilles à Bouqras, et sur la côte à Ras Shamra-Ougarit où il succéda (1971-1973) à Claude Schaeffer, avec qui il avait fouillé à Enkomi (Chypre) et à Ras Shamra dès 1955 (puis à partir de 1962). À Ras Shamra, le grand sondage préhistorique ([SH] pour sondage Henri) permit de mieux comprendre la sériation de l’occupation du site d’Ougarit, depuis le PPNB jusqu’au Bronze récent.
8À partir de la fin des années 1970, il intégra en tant que néolithicien l’équipe pluridisciplinaire de la RCP 438 (CNRS), rejoignant Paul Sanlaville, Jacques Besançon, Lorraine Copeland et Francis Hours ainsi qu’un jeune préhistorien syrien, Sultan Muhesen, pour prospecter dans la cuvette d’El-Kowm et la vallée de l’Euphrate et du Nahr Sajour.
9Henri de Contenson fut un des tout premiers chercheurs en sciences humaines recrutés au CNRS (en 1954) où il fit toute sa carrière, mais son départ en retraite en 1992 ne marqua nullement l’arrêt de son activité scientifique puisqu’il a alors consacré une large part de son énergie à finaliser la publication des monographies de ses fouilles à Ras Shamra (1992), Aswad et Ghoraifé (1995), puis Ramad (2000).
10Très conscient de ce que ses maîtres lui avaient transmis, Henri de Contenson a su à son tour être un « passeur ». Ainsi, il accueillit sur ses fouilles de nombreux jeunes qui ont ensuite formé une nouvelle génération de préhistoriens et protohistoriens comme Jean-Louis Huot à Ramad en 1966 ou François Valla et Andrew Moore à Aswad en 1971.
11Je n’ai jamais eu l’occasion de travailler directement avec Henri mais je l’ai côtoyé lors de la campagne d’El-Kowm en 1980 alors que je travaillais avec Marie-Claire Cauvin et qu’il effectuait une mission de prospection avec Paul Sanlaville et son équipe. Par la suite, je l’ai épisodiquement revu lors de conférences à Paris où il était systématiquement présent, attentif et posant de pertinentes questions. En ces occasions j’ai pu constater sa gentillesse, la qualité de son « expertise » et sa curiosité. Je garderai toujours en mémoire son sourire, sa générosité et son ouverture intellectuelle.
12Cette longue carrière d’Henri de Contenson aura été marquée par un grand éclectisme, caractérisé tant par la multitude des régions étudiées que par son ouverture sur toutes les périodes du Néolithique précéramique aux périodes historiques, allant de l’Éthiopie au Levant nord (en passant par la France et Chypre). Certains diront qu’il a eu de la chance dans ses découvertes et prospections mais selon moi, il s’agit plutôt de la marque d’un « flair » peu commun qui a fait de lui un des pionniers de l’archéologie préhistorique du Levant en général, et de la Syrie en particulier. Il a ainsi été le premier à prouver que la Syrie avait été un centre majeur pour le développement du Néolithique et l’émergence des premières sociétés agricoles au Proche-Orient, alors que l’on avait trop tendance à ne voir que les deux foyers de Palestine et du Zagros, situés aux deux extrémités du Croissant fertile. Avec la disparition d’Henri, la communauté des préhistoriens du Proche-Orient a perdu l’un de ses pionniers et l’un de ses meilleurs experts.
Pose au cours d’une matinée de fouilles (Tell Aswad, 1971)
De gauche à droite : Henri de Contenson, Jean-Claude Picard, François Valla et Barbara Moore
Photo A. Moore
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