Les auteurs remercient le projet de France 2030 TIGER (Transformation de la formation par la recherche) de l’A*MIDEX (Aix-Marseille Université) et l’Institut d’Archéologie Méditerranéenne ARKAIA pour le support financier accordé (O. Morand) dans le cadre de Taphos’20 (6th Taphonomy Working Group ICAZ, 2022 en Espagne, Alcala de Henares). La DRAC-SRA Occitanie est également remerciée pour son support dans la reprise des travaux de recherches dans la grotte n° 1 (LV I) du Mas des Caves. Enfin, merci à S. Cabut (UMR 7269) pour son aide statistique, A. Lenoble pour un échange spécifique (sédimentation en grotte), et à F. Delpech et B. Maureille pour leurs remarques et commentaires.
1La question de la formation des sites et de leurs accumulations fossiles est au centre de nombreuses études taphonomiques à visée paléoécologique, zooarchéologique ou anthropologique (e.g., Texier 2000 ; Goldberg, Macphail 2008 ; Allison, Bottjer 2011 ; Shahack-Gross 2017). Elle soulève notamment des interrogations sur la chronologie, le nombre d’évènements et la durée de dépôt des assemblages osseux enregistrés dans un contexte sédimentaire fixé (ensemble, unité, couche, niveau) et varié (karst, fluvial, lac, marin, dune, source… ; Behrensmeyer, Hook 1992), soit avant, pendant et même après leur enfouissement. À chaque étape, différentes actions, biotiques ou abiotiques, interviennent pour modifier la composition et la structure taxinomique ou anatomique de ces assemblages. Il est ainsi crucial de disposer de référentiels en contexte naturel mais également de favoriser des référentiels expérimentaux (Bertran et al. 2017). Les exemples actualistes sont notamment menés par des observations et des suivis temporels dans des écosystèmes modernes (en particulier en Afrique) qui renseignent sur la paléoécologie et la paléobiologie des ensembles fossiles (Behrensmeyer, Hill 1980 ; Kidwell, Behrensmeyer 1993 ; Tappen 1995). Ils concernent souvent des milieux terrestres ouverts, alors que les exemples en milieux karstiques restent encore très limités (Brain 1983). Dans l’ensemble, ces travaux montrent l’existence de la juxtaposition d’évènements résultant d’un mélange de vestiges (amalgame ou palimpseste) provenant d’origines et d’agents variés, induisant des questions d’équifinalité (i.e., différentes causes peuvent produire le même effet, voir Lyman 1994) mais surtout des questions de résolution chronologique pouvant avoir des répercussions majeures dans nos interprétations paléobiologiques ou palethnologiques (Stern 1994).
2Dans le cadre de cette problématique nous présentons ici des observations néotaphonomiques sur des restes fauniques déposés à la surface du sol d’une grotte pendant une durée connue. La reprise de travaux dans la grotte du Mas des Caves en 2019 (Lunel-Viel, Brugal et al. 2021, 2022) qui est restée fermée depuis les fouilles d’E. Bonifay (EB de 1962 à 1982) a permis la collecte de très nombreux restes osseux et dentaires qui reposaient à la surface de la cavité. Cela signifie que l’accumulation représentée par des espèces modernes est récente, avec une durée d’accumulation d’environ 40-50 ans. Cet ensemble offre donc une belle opportunité de mener une étude taphonomique, montrer la diversité taxinomique et entrevoir les processus agissant dans un laps de temps contrôlé. L’étude de la cause de la mort de l’animal est déterminée grâce à l’observation des traces sur les ossements, et leur degré de destruction.
3En effet, la compréhension des « 3D » : diversité (sensu taxinomique), densité (sensu quantitatif) et durée (sensu time averaging) d’une accumulation faunique (ou autre...), est fondamentale dans les études taphonomiques et permet d’expliciter l’origine des stocks osseux dans les milieux souterrains. L’exemple proposé constitue un référentiel assez rare dans un contexte pré-enfouissement, qui illustre les agents et actions pouvant exister et se mélanger dans une cavité. Il faut rappeler que les taux de sédimentation dans les grottes sont certainement très variables et multifactoriels, mais souvent - ou parfois – ils sont assez faibles, et une mince strate (« sol ») peut potentiellement couvrir de très longues périodes de temps (jusqu’au siècle ou plus) (cf. essai de discussion in Hunt et al. 2015, et exemple Verheyden et al. 2022). Le cumul temporel crée des ensembles fauniques souvent largement mélangés d’invertébrés (ex. gastropodes) et de vertébrés (micro- à macrofaune), avec parfois des témoins du passage des hommes ou de leurs occupations (foyer, restes alimentaires, structuration de l’espace, etc.) ou celles d’autres troglophiles (ours, hyènes, renard…).
4Les grottes du Mas des Caves, à Lunel-Viel (Hérault) se situent dans le sud de la France, entre Nîmes et Montpellier. Elles sont creusées dans des strates de mollasse Miocène et forment de longues galeries rectilignes : la grotte n° 1 (LV I) est la plus importante, se prolongeant par la grotte n° 4, non accessible présentement (LV et IV) au-delà d’une doline actuellement entièrement colmatée (et qui constituait l’entrée originale de ces cavités) ; les grottes n° 2 et n° 3 (LV II et III) sont plus petites et étroites, subparallèles à LV I. Celle-ci a été découverte au début du XIXe siècle et a fait l’objet de premiers travaux par Marcel de Serres (de Serres et al. 1828) livrant une faune fossile abondante. L’entrée dite « de la découverte » fait suite au percement de la paroi lors de l’exploitation de la mollasse (carrière). C’est une entrée artificielle de dimension réduite (env. 1x1,2 m), fermée actuellement par une grille et qui constitue la seule ouverture actuelle de la cavité (et qui laisse passer par exemple les chauves-souris). Eugène Bonifay (EB) effectua ensuite plusieurs campagnes de fouilles, de 1962 à 1982, dans une zone de la grotte proche de la doline (e.g. E. Bonifay, M.F. Bonifay 1965 ; M.F. Bonifay 1971 ; Brugal 1985 ; E. Bonifay 1989 ; Le Grand 1994 ; Fosse 1994, 1996). Le remplissage est riche en restes de vertébrés fossiles et d’outillages lithiques datés de la fin du Pléistocène moyen. E. Bonifay aménagea le site avec une entrée sur le flanc opposé à l’entrée de la découverte, fermée hermétiquement par une porte métallique. Le site a été fermé depuis et c’est lors de la reprise de terrain en 2019 (FP DRAC Occitanie, J.-Ph. Brugal (dir.)) que la surface a été nettoyée et a fait l’objet d’une collecte systématique de vestiges osseux et dentaires modernes qui reposaient en surface. Cette collecte s’est effectuée à l’œil et à la main, ce qui a créé un biais dans la collection vis-à-vis des plus petits éléments osseux. Cette accumulation faunique représente ainsi un exemple intéressant d’accumulation subactuelle sur un laps de temps estimé à 40-50 ans.
5La collecte a été effectuée dans la grotte n° 1 du Mas des Caves (ou LV I), cavité rectiligne de près de 150 m de long sur une quinzaine de mètres (maximum) en largeur. La zone de fouille actuelle concerne une longueur de galerie de près de 30 m, et son emprise est d’environ 300 m². La grotte est divisée en plusieurs secteurs (S) numérotés de 1 à 5 (fig. 1). Le premier concerne toute la partie aval de la cavité alors que S2 à S5 concernent la zone de fouille : c’est dans celle-ci que provient une grande partie des vestiges modernes collectés en surface (soit 66,8 %). Il est donc assuré que le matériel S2-S5 a été amoncelé après la dernière campagne de fouille EB, ce qui nous donne la durée de l’accumulation faunique. Le S1 qui concerne la partie la plus importante de la cavité, opposée à l’ouverture naturelle actuellement colmatée (doline du côté zone de fouille), est constituée d’un sédiment plus sableux. C’est principalement dans cette zone que se trouve une petite « colonie » actuelle de chauves-souris (grand rhinolophe Rhinolophus ferrumequinum) ainsi que des indices de bioturbations dues aux blaireaux. Bien qu’il serait intéressant de considérer la répartition spatiale des vestiges, nous avons choisi de combiner l’ensemble du matériel de surface considérant que les dépôts n’auraient formé qu’un ensemble s’il s’était agi d’une cavité de plus petite dimension.
Figure 1. Plan de LV I et localisation de quelques espèces - a et b : chat, c : lapin, d : blaireau (près de l’entrée de la découverte) ; ellipse bleue : zone profonde (amont) sablo-limoneuse perturbée par des terriers de blaireau.
Plan of LV I and location of some species - a and b: cat, c: rabbit, d: badger (near the discovery entrance); blue ellipse: Deep zone sandy-silty disturbed by badger burrows.
6Nous avons dénombré et déterminé 1639 restes osseux et dentaires, entiers ou sub-entiers (pl. 1). La diversité taxinomique est importante avec 9 grands groupes zoologiques de micro-, méso à macrofaune (tabl. 1) avec un minimum de 26 espèces représentées. Les restes de lagomorphes et les carnivores pour un total de 4 espèces (lapin, chat, renard, blaireau) sont les plus abondants, suivis par les rongeurs et les oiseaux un peu moins abondants mais avec une plus grande richesse spécifique. D’autres groupes sont plus anecdotiques (reptiles, amphibiens, chiroptères, herbivores). L’état de surface des ossements est globalement très bon, avec des os souvent entiers et la présence de connexion lâche d’individu, ce qui permet d’envisager l’état de complétude de ce matériel et les traces dues en particulier à l’action des carnivores.
Planche 1. A : Vertèbres de serpents ; B : Crâne de Muridae ; C : Ossements de mouton (tarsiens, métatarse, phalanges) ; D : Ossements d’oiseaux.
A: snake vertebrae; B: skull of Muridae; C: rear leg bones of sheep (tarsal bones, metatarsal, phalanx); D: various bones of birds.
Tableau 1. Décompte global de la collection osseuse de surface de LVI
Global count of the bone surface collection from LVI
7On constate donc une grande diversité taxinomique. Les amphibiens (Anoure) ne sont présents que par 2 éléments, et les chiroptères par trois. Ces derniers pourtant désignent 3 différentes espèces : le grand rhinolophe Rhinolophus ferrumequinum (mandibule) encore présent dans la cavité, le minioptère de Schreibers Miniopterus schreibersii (humérus) et le rhinolophe de Méhely Rhinolophus mehelyi (humérus) qui a disparu de France depuis les années 1960-70 (dét. T. Disca). Les poissons (actinoptérygiens ?) sont essentiellement représentés par des parties crâniennes, et les serpents par plusieurs amas de vertèbres se rapportant notamment à la couleuvre de Montpellier Malpolon monspessulanus (dét. S. Bailon). Les rongeurs sont assez nombreux avec des individus et squelettes sub-complets dans toute la cavité, et des espèces de tailles différentes : ragondin Myocastor coypus, rat Rattus rattus/norvegicus et un autre petit muridé indéterminé. Tous ces petits vertébrés ne représentent qu’à peine plus de 4 % de l’ensemble de la collection.
8Egalement très peu présents sont les restes assez épars d’ongulés domestiques : mouton Ovis aries (n=26) et cochon Sus scrofa (n=3 os tarsiens). Des os longs, de rares vertèbres et côtes, des phalanges appartiennent au mouton, et 7 restes montrent des traces de mâchonnement (cupules, perforations).
9Enfin, les oiseaux sont étonnamment diversifiés avec 147 restes (e. 9 % NR) et au moins 11 espèces (tabl. 2). Les galliformes, et notamment l’espèce domestique Gallus gallus (coq et poule), sont les plus abondants. Près de 26 % des restes aviaires, et 9 taxons, portent des traces de carnivores, sous forme de marques de dents, perforations et rongements (pl. 2).
Tableau 2. Liste et décompte des oiseaux présents dans la collection
List and count of birds in the collection
Planche 2. Exemples de marques dentaires de carnivore (mâchonnement, perforations) sur des ossements d’oiseaux, A : Sternum (Gallus) ; B : Fémur droit (Gallus immature) ; C : Scapula gauche (Alectoris).
Examples of carnivore dental marks (gnawing, punctuation) on bird bones, A: Sternum (Gallus); B: right Femur (young Gallus); C: left Scapula (Alectoris).
10La majeure partie de la collection de surface (70,6 % du NR) est formée par les lagomorphes (Oryctolagus cuniculus) et les carnivores domestiques (chat Felis silvestris catus) et sauvages (renard roux Vulpes vulpes, blaireau Meles meles). Seuls ces taxons font l’objet d’une étude plus détaillée (cf. infra).
Tableau 3. Décompte (NR : nombre de restes, G : gauche, D : droit, NMI : nombre minimal d’individus, fracture et marques en NR) des principales espèces de mammifères.
Count (NR=NISP, G: left, D: right, MNI : minimal number of individuals, fracture : breakage and marques: marks= NISP) of main mammal species.
11La distribution squelettique et la présence de connexion, le degré et la morphologie des cassures avec leurs marques parfois associées, et les structures d’âge (i.e. mortalité) à partir des degrés d’épiphysation et d’usure dentaire sont des variables classiquement considérées dans les études taphonomique et archéozoologique. Elles permettent d’envisager et discuter la formation de l’ensemble faunistique et les raisons (origine) de la présence des espèces, ainsi que de mieux appréhender le degré de consommation de la part des carnivores (cf. chapitre IV).
12C’est l’espèce la plus abondante avec près de 640 restes correspondant à 24 individus adultes (n=557 et NMIf basé sur le tibia gauche) et 9 juvéniles (n=81, NMIc basé sur le fémur gauche). Le stade d’épiphysation des ossements chez les juvéniles est comparable entre les spécimens, qui montrent une mortalité à un âge assez proche, soit entre 2 à 4 mois. Le matériel céphalique et dentaire précise ces âges avec, sur l’ensemble, 5 crânes, 5 maxillaires et 13 mandibules retrouvés. Les dents lactéales tombent rapidement chez les lagomorphes (2 à 4 semaines) (Yardin 1968). Les juvéniles étant âgés d’environ 2 mois, il est normal de ne pas retrouver ces dents lactéales sur le site. Une paire d’hémi-mandibules associée à un crâne appartenant à un même individu est définie comme juvénile, de plus un maxillaire entier appartenant à un autre individu juvénile est recensé. Ces assignations sont possibles car ces restes étaient associés à des os non épiphysés. Enfin, un individu adulte a été déterminé comme vieux grâce à sa denture très usée (crâne et mandibule).
13Les restes peuvent être trouvés isolés mais parfois aussi en amas, représentant un même sujet. Tous les éléments squelettiques sont présents mais les plus abondants sont les dents isolées (n=76), les os coxaux, les fémurs, les tibias, et les métapodes (fig. 2). Les os longs et plats représentent environ 45% du total. Le profil squelettique des lagomorphes (lago) montre la prévalence des éléments (os longs) du membre postérieur (e. 76 %) sur les os du membre antérieur (e. 24 %), et on constate presque autant d’éléments droits que de gauches.
Figure 2. Représentation squelettique des lagomorphes en NR (dents isolées exclues, n=76 ; métapode= métacarpe + métatarse).
Skeletal distribution of leporids, NISP (isolated teeth excluded n=76; metapod= metacarpal + metatarsal).
14Près de 130 restes, soit 20,5 % du NR total lagomorphes, sont fracturés et souvent associés à des traces. La réduction des ossements par cassure est donc assez limitée, d’origine mécanique, et l’ensemble des restes est en majorité complet. Les fractures se différencient par leur morphologie, leur taille et l’angle, et sont ici circulaires/perpendiculaires ou obliques. Il y a aussi des bords cassés, dentelés, caractéristiques du mâchonnement de l’os par des carnivores. Les cassures sont légèrement différentes entre os d’adultes et juvéniles et dans les deux cas ce sont les os coxaux qui sont les plus touchés. En effet, les os du membre postérieur sont les plus fracturés (59,2 % des os cassés), puis les os antérieurs (20,8 %) et enfin quelques vertèbres et crâne + hémi-mandibules (respectivement 10,8 % et 9,2 %).
15Les marques dentaires dues à des dents de carnivores concernent 218 restes (e. 34 % de NR total), tant adultes que juvéniles, et sont identifiées comme des ponctuations (pits), mâchonnements et perforations (fig. 3, pl. 3). Un seul type de trace peut toucher un reste, néanmoins plusieurs types de traces peuvent être recensés sur un seul reste. Quatre types d’os sont plus particulièrement concernés, qui sont également les plus fréquents : coxaux, métapodiens (métacarpiens et métatarsiens) et tibias.
Figure 3. Pourcentage des os marqués chez le lapin (pits, perforations (perfo), mâchonnement (mach) (n=215, adultes +juvéniles).
Percentage of marked bones of rabbit (pits, punctures (perfo), chewing (mach) (n= 215, adults + juveniles)
Planche 3. Exemples de marques dentaires de carnivore (mâchonnement, perforations) sur des ossements de Leporidae, A : Scapula droite ; B : Coxal gauche et droit du même individu ; C : Coxal droit ; D : Fémurs gauche et droit du même individu.
Examples of carnivore dental marks (gnawing, punctuation) on leporid bones, A: right Scapula; B: left and right Coxal of the same specimen; C: right Coxal ; D: left and right Femur of the same specimen.
16Le renard est le carnivore le plus abondant avec près de 15 % de l’ensemble faunique. Il regroupe 242 restes dentaires et appendiculaires désignant 3 individus adultes (NMI basé sur 3 tibias gauches) et 2 juvéniles (coxal droit). Il faut noter qu’un squelette sub-complet de cette espèce a été retrouvé en bordure de paroi ouest dans le secteur 3, zone caractérisée par des indices de bioturbation et de terriers. Le reste des vestiges est retrouvé épars dans la cavité et, globalement tous les éléments squelettiques de ce petit canidé sont présents (fig. 4). S’il existe un bon équilibre entre éléments droits et gauches chez les adultes, ce n’est pas le cas pour les jeunes chez lesquels les éléments droits sont largement déficitaires.
Figure 4. Représentation squelettique des renards en NR (métapode= métacarpe + métatarse).
Skeletal distribution of red fox, NISP (metapod= metacarpal + metatarsal).
17Le profil squelettique est donné dans la figure 4 et on peut noter la grande fréquence du squelette axial, vertèbres et côtes, auxquels se rajoutent des dents isolées, et un déficit en os du basipode et phalanges (biais de collecte probable). Cependant les éléments squelettiques ont des proportions relativement basses par rapport au nombre total d’individus. Les juvéniles se caractérisent notamment par une mandibule gauche avec des dents lactéales et des os non épiphysés.
18De manière générale, les restes osseux de renard sont peu affectés par des fractures, à peine 5,8 % (sur le NR total des os de renard), soit une dizaine d’éléments chez les adultes (1 sacrum, 5 côtes, 2 humérus, 1 radius, 1 fémur) et 4 chez les jeunes (2 hémi-mandibules, 1 ulna, 1 fémur). Ce sont en majorité des cassures perpendiculaires/circulaires. L’individu adulte entier retrouvé au secteur 3 présente une fracture qui touche le tibia et les os du tarse du côté droit, développant une exostose et ces os sont ressoudés.
19Malgré le faible nombre de cassures, on constate une assez grande proportion de traces de dents de carnivores, respectivement 12 chez les adultes et 18 chez les juvéniles. Ce sont essentiellement des perforations. Les os coxaux sont les plus concernés (3 restes), les os longs antérieurs (n= 5) et postérieurs (n=2), plus 1 sacrum et 1 vertèbre thoracique. Ce sont les côtes qui sont les plus marquées avec 12 os, les mandibules et les vertèbres lombaires avec 2 os. Les fractures sont en grande partie liées à ces marques dentaires.
20Le chat est la deuxième espèce de carnivore bien représentée et il s’agit ici de la forme domestique. Ses restes sont relativement épars, composés de 143 éléments de l’ensemble du squelette, avec 137 os d’adultes (3 individus, à partir des mandibules) et 6 de juvéniles (1 individu, os longs non épiphysés). Le jeune est estimé âgé de 3-5 mois, et un des adultes a un crâne présentant des sutures crâniennes encore ouvertes avec des os associés épiphysés, et donc un âge estimé à 12 mois (soit un sub-adulte).
21La distribution squelettique (fig. 5) montre une prépondérance des éléments crâniens et des os distaux des membres (basipode, métapode et acropode), alors que les os longs sont minoritaires. Il y a un bon équilibre entre os du côté droit et gauche. Ces restes sont globalement complets et il y a peu d’os cassés ; lorsqu’ils le sont, ils sont associés à des marques dentaires. Pour les adultes, les cas ‘fracturés et marqués’ sont : 1 maxillaire, 4 vertèbres cervicales, 7 vertèbres lombaires et 6 phalanges II, auxquels se rajoute un fémur fracturé sans marques. Seulement 3 restes sont cassés chez le juvénile : 1 scapula et un 1 coxal, les 2 avec des traces dentaires, mais aussi 1 radius, 1 ulna et 1 tibia non marqués. Les marques sont essentiellement des perforations et des cupules.
Figure 5. Représentation squelettique de chats en NR (dents isolées exclues, n= 19 ; métapode= métacarpe + métatarse).
Skeletal distribution of cat, NISP (isolated teeth excluded n= 19 ; metapod= metacarpal + metatarsal).
22Deux individus sont reconnus dans la collection faunique. Un premier concerne un squelette sub-complet et en quasi-connexion se trouvant près de l’entrée de la découverte, avec des restes de peau en cours de décomposition (pl. 4). Il s’agit d’un sub-adulte mort naturellement dont 124 restes ont été collectés. Un deuxième individu désigne des éléments d’un jeune sujet retrouvé dans la zone aval, avec seulement 10 restes (os non épiphysés) et un âge estimé à 2 mois (fondé sur données in Mallye 2007). Les blaireaux représentent donc un total de 134 ossements, soit 8,1% de l’ensemble. Le profil squelettique est assez uniforme (fig. 6), avec un équilibre des os droits et gauches, et globalement proche d’un squelette entier, et un manque de petits os (patella, os du basipode par exemple). Seule la mandibule du juvénile est fragmentée et montre des marques dentaires (perforations), alors que les côtes sont cassées pour le sub-adulte, probablement dû à un problème de piétinement récent.
Planche 4. Restes de blaireau sub-adulte (Meles meles), A : Squelette sub-complet ; B : Humérus gauche et droit; C : Coxal gauche et droit.
Remains of subadult badger (Meles meles), A: subcomplete skeleton; B: left and right Humerus; C: left and right Coxal.
Figure 6. Représentation squelettique des blaireaux en NR (dents isolées exclues, n= 8 ; métapode= métacarpe + métatarse).
Skeletal distribution of badger, NISP (isolated teeth excluded n= 8; metapod= metacarpal + metatarsal).
23Un premier bilan quantitatif s’impose concernant la collection faunique collectée à la surface de la grotte (= sol actuel) du Mas des Caves en 2019. Pour résumer, près de 1640 restes de vertébrés ont été retrouvés, principalement dans la zone de fouille, ce qui autorise une estimation de la durée de l’accumulation de cette faune moderne (40-50 ans). Celle-ci est très diversifiée avec 26 taxons présents correspondant à presque 70 individus. Les mammifères sont majoritaires avec e. 87 % du NR total et e. 72 % du NMI ; parmi eux la présence de jeunes individus est assez marquée, près de 28 % du NMI pour les principales espèces (par ordre d’importance) : lapin de garenne, renard, chat et blaireau (voir décompte anatomique par taxon en Annexe). On peut également relever qu’un certain nombre de formes domestiques sont présentes dans cet assemblage (galliformes, mouton, chat) mélangées avec des formes sauvages (certains microvertébrés et oiseaux, renard, blaireau). Enfin, le taux d’ossements fracturés associés à des marques dentaires de carnivores est relativement élevé et récurrent chez de nombreuses espèces.
24Une des questions majeures concerne l’origine de cette accumulation, et deux causes peuvent être invoquées : mort naturelle et prédation. La première porte sur des individus morts naturellement dans la cavité, servant de lieu de vie, avec la présence de terriers. Des zones de bioturbation sont bien visibles vers le fond de la cavité et le long de la paroi ouest, impliquant des relations souterraines avec l’extérieur. En outre, des crottes de blaireau ont été observées dans la cavité. Cette mortalité naturelle est potentiellement significative pour les restes de serpents, d’amphibiens, de chauves-souris, de rongeurs et de certains lapins, mais aussi pour les deux squelettes sub-complets, l’un de renard et l’autre de blaireau. La cohabitation entre taxons variés (rongeurs, lagomorphes et carnivores par exemple) a déjà été remarquée (Mallye 2007).
25La présence, à la fois, de squelettes sub-complets et d’ossements de sujets juvéniles, parfois en connexion lâche, démontre pleinement une mortalité en partie naturelle. Ces vestiges indiquent, en outre, une fréquentation et une activité centrées autour du printemps et début de l’été. Cependant, il existe une majorité d’adultes, en particulier de lapins (près de 84 %), ce qui questionne sur leur présence et l’agent responsable.
26La deuxième cause relève de la prédation s.l., active (chasse) ou passive (charognage) ; le renard est le principal carnassier capable d’agir à la fois sur les oiseaux et les lapins, et d’accumuler leurs restes dans la cavité qui leur sert également de tanière (renardeau). Cela peut aussi être en relation avec la présence d’os de chat et de blaireau qui portent des traces de consommation. Ces deux taxons sont aussi des prédateurs (Arilla et al. 2020) et ont pu intervenir, notamment sur les restes de lapin voire de certains oiseaux. Cassures et marques sont visibles sur les quatre principaux taxons et leurs fréquences sont nettement plus importantes sur la collection de lapin (fig. 7). Les cas des poissons ou d’ongulés domestiques suggèrent le chapardage de morceaux dans des poubelles humaines locales, et leur import dans la grotte.
Figure 7.Fréquence (%) des cassures et de marques pour les quatre taxons principaux (adultes et juvéniles). (Données trop peu nombreuses pour les restes de chat juvéniles).
Frequency (%) of breakage and marks for the four main taxa (adults and juveniles) (too small sample for young cat).
27Les régimes alimentaires du renard et du blaireau sont assez différents, le premier étant plus chasseur et mangeur de viande que le second plus omnivore (voir Artois 1989 ; Henry et al. 1988). Les schémas, tant sur la diversité taxinomique que la densité, les représentations squelettiques et modifications osseuses, sont comparables aux observations faites dans d’autres sites occupés ou fréquentés par ces petits carnivores. (Mondini 1995 ; Castel et al. 2011 ; Arilla et al. 2019, 2020). La diversité est, par exemple, similaire au site de Bettant (Ain) constituée notamment de restes de rongeurs, amphibiens et reptiles, taupes, lapins, chats, renards, blaireaux et de nombreux oiseaux dont les poules (Mallye et al. 2008 ; Castel et al. 2011).
28Les dimensions des traces, comme les perforations, sont en accord avec celles réalisées par des petits carnivores tels que le renard (Arilla et al. 2019 ; Brugal, Fourvel 2024). Elles sont portées en particulier sur les os longs, le squelette axial, les os des ceintures, chez les lapins adultes. D’autre part, et contrairement à l’exemple de Bettant où les terriers, creusés par le blaireau, ont eu des utilisateurs multiples (tels que le renard) (Castel et al. 2011), il n’y a pas de restes digérés dans la collection du Mas des Caves. Il y a donc une suspicion plus forte pour tenir le renard comme le principal accumulateur, sans toutefois totalement exclure les deux autres carnivores présents. On en veut pour preuve, les empreintes trouvées récemment (février 2024) de blaireau, près de l’entrée de la découverte, imprimées dans l’argile (fig. 8). Le chat a pu chasser certaines espèces telles que les plus petits oiseaux ou les rongeurs, mais ce félin a pu aussi être une proie pour les renards. Par ailleurs, en ce qui concerne le lapin, le manque de certains éléments anatomiques pourrait s’expliquer par une chasse et une consommation à l’extérieur de la cavité, puis un apport partiel des restes dans la grotte ; cependant un biais de collecte pourrait tout aussi bien en être la cause. Contrairement aux deux autres espèces prédatrices, les renards semblent avoir joué un rôle majoritaire dans la formation et les modifications de l’assemblage osseux selon différentes stratégies concomitantes : chasse, charognage et chapardage.
Figure 8. Empreinte récente de patte de blaireau dans l’argile (février 2024).
Recent Footprint of badger in clay (february 2024).
- 1 les icônes des animaux des figures 2, 4, 5 et 6 proviennent de © 1996 ArcheoZoo.org / Michel Coutur (...)
29Les représentations squelettiques sont variables suivant les contextes et les agents (prédateurs, naturel) impliqués. Une analyse (Analyse Factorielle des correspondances AFC1) fondée sur les grandes catégories squelettiques (n=7) : céphalique (les dents isolées sont exclues), axial, os du membre antérieur et du membre postérieur, os du basipode, métapodiens et phalanges, a été effectuée sur des ensembles de léporidés dont l’origine est définie (fig. 9).
Figure 9. Analyse factorielle des correspondances sur 7 catégories squelettiques et 8 ensembles fauniques de lagomorphes (Caldeirao M et S : respectivement niveaux moustériens et solutréens ; voir texte)
Factorial analyses of correspondences on 7 skeletal categories and 8 faunal sets of leporids (Caldeirao M and S: respectively Mousterian and Solutrean layers; see text)
30Les os axiaux (vertèbres, côtes) sont nettement prépondérants dans une accumulation fossile naturelle (Le Regourdou c. 8, Dordogne, Pelletier et al. 2017) alors que les éléments osseux distaux de pattes (basipode, métapodiens, phalanges) dominent largement dans les ensembles formés par le lynx actuel Lynx pardinus (El Acebuche et La Olovilla, Espagne : Rodríguez-Hidalgo et al. 2013). La collection issue des dépôts du Paléolithique moyen de Caldeirao au Portugal (Lloveras et al. 2011) est plus riche en os du membre postérieur et de métapodes dans une moindre mesure, interprétée comme résultante de la prédation par le Grand-duc d’Europe Bubo bubo. Le Mas des Caves (LVI) est proche de ce profil de prédation, ainsi que le site espagnol de Teixoneres (MIS3, Rufa et al. 2014) qui montre une origine mixte (rapace, petit carnivore, et très occasionnellement humain). Enfin, la série des niveaux solutréens du site portugais (Lloveras et al.2011), avec un peu plus d’os du membre antérieur et d’éléments axiaux et céphaliques résulte d’activités anthropiques. Le gisement des Canalettes (c.4, Moustérien, Aveyron) avec beaucoup d’os des deux membres, et très peu du squelette axial et des métapodiens (Cochard et al. 2012) est également le produit d’actions humaines. Il est certain que l’augmentation de sites de références dans ce type d’analyse montrerait une encore plus grande variabilité dans les représentations squelettiques. Ce critère seul n’est cependant pas suffisant pour identifier l’origine de tels assemblages. En particulier, les modifications dues aux activités humaines sur des ossements de lapin sont plurielles : stries de découpe et de désarticulation, types de cassure (e.g. « cylindres » sur les os longs), traces diverses de dents humaines et brûlures à des degrés variés (voir l’étude de Real 2020, avec illustrations et bibliographie). Ces actions ne sont pas visibles sur le matériel de lapin de LVI et leurs accumulations procèdent à la fois d’un processus naturel mais aussi découle d’une prédation par des petits carnassiers.
31Cette étude néo-taphonomique porte sur l’analyse d’un matériel osseux actuel déposé en grotte durant un laps de temps contrôlé. Elle a pour objectif de comprendre les origines de cette accumulation et préciser le comportement accumulateur de petits carnivores actuels.
32La collection moderne du Mas des Caves se caractérise par la présence d’espèces sauvages et domestiques, avec de nombreux éléments squelettiques présents pour les espèces principales, des ossements souvent complets, et la présence d’individus (i.e., squelette) en connexion. Adultes et juvéniles sont bien représentés, en particulier pour le lapin, et il existe des marques dentaires de petits carnivores sur des taxons variés. L’origine d’une telle accumulation est double, à la fois liée à une mortalité naturelle mais également à des activités de carnivores, particulièrement claire pour le renard roux, prédateur ‘fameux’ de poules et de lapins, et pouvant rapporter des morceaux de carcasses dans son lieu de vie et de reproduction, notamment des grottes lui ayant servi de tanière. Dans notre cas, on peut aussi envisager un problème de confrontation entre le chat et le renard roux.
33Les assemblages de micro- et macrofaune sont souvent dus à des « petits » prédateurs (carnivores, rapaces) ce qui nécessite de bien les reconnaître et les distinguer des ensembles découverts en contexte anthropique, archéologique. Le lapin constitue un des « petits gibiers » emblématiques des chasseurs-cueilleurs depuis le Paléolithique moyen et surtout le Paléolithique récent (Cochard, Brugal 2004). Ainsi le rôle de petits carnivores, parmi lesquels le renard est le plus cité, est une réelle problématique anthropologique (Castel 1999 ; Chauvière, Castel 2004). L’exemple du Mas des Caves interroge la dimension temporelle, contemporaine, des processus de formation de sites et production de stocks osseux. La connaissance de la durée de telles accumulations paraît essentielle pour mieux caractériser ce qui est souvent nommé comme des palimpsestes, mais qui de fait représente un mélange et amalgame potentiel de séries d’évènements, se dissociant ou se complétant.
34L’exemple de la collection du Mas des Caves est de nature pré-enfouissement (sensu proxie) et on peut imaginer le futur de ce type d’accumulation. Dans une approche fictive et, considérant l’enterrement avec diverses actions sédimentaires, nous pourrions planifier le mélange potentiel et la désarticulation de toutes les espèces et éléments osseux, la destruction des os anatomiques fragiles (spongieux, de petite taille, juvénile). Tout ce matériel pouvant potentiellement être combiné avec des vestiges humains (lithique, autres restes osseux, etc.), lors d’occupations courtes (jours) ou plus longues (semaines). Notre exemple démontre un spectre faunique diversifié, un ensemble osseux quantitativement important (NR/NMI), accumulé sur une période relativement courte. En cela, il constitue un bon référentiel d’accumulation faunistique ante-burial.