1L’étude présentée ici est une synthèse d’un travail universitaire de Maîtrise (Nicoud 2004) durant lequel a été analysée une série de 871 galets, tous issus d’une zone de 24 m² du site du Paléolithique moyen récent de Champ Grand (Loire). Cet ensemble de galets a été sélectionné parmi les 6 300 que compte le site. La zone dont ils proviennent est quatre fois plus dense en galets que le reste du gisement. Plusieurs questionnements guident notre étude : comment ces galets sont-ils parvenus sur le site ? En quoi consistent les chaînes opératoires qui impliquent les galets du Champ Grand ?
2Le site du Champ Grand est situé sur la commune de Saint-Maurice-sur-Loire dans le département de la Loire (France) à 10 km au sud de Roanne. Sa découverte remonte à 1944 à la suite de ramassages de surface effectués par un amateur local. C’est ensuite J. Combier qui reconnaît les industries moustériennes. Les fouilles sont réalisées sous la direction de A. Popier de 1965 à 1975 et de 1979 à 1982. Une série archéologique composée de plus de 90 000 artefacts lithiques est mise au jour. Le niveau moustérien est considéré comme un palimpseste épais mais l’ensemble lithique reste très homogène (Slimak 1999a et 1999b). En 1983, la construction par EDF du barrage de Villerest entraîne l’immersion du gisement. Le barrage a pour fonction de soutenir les étiages, son niveau est donc variable et les mouvements de l’eau importants et destructeurs. En été, le site est émergé et la couche archéologique mise au jour à certains endroits, ce qui favorise l’érosion et les fouilles sauvages. Le gisement est considéré comme « perdu » (Bailly 1992). Outre les galets concernés par notre étude et non pris en compte lors de l’analyse technologique du reste de l’assemblage (Slimak 2004), l’industrie lithique se compose de près de 16 000 pièces (hors les micro-éclats et les débris) parmi lesquelles 670 nucléus, 6 350 éclats bruts et 4 880 outils dont la majeure partie consiste d’un point de vue typologique, en des racloirs. Les schémas de débitage représentés sont essentiellement de type discoïde et minoritairement de type Levallois ou laminaire. Les éclats sont en général minces et de petites dimensions (de 3 à 5 cm). La retouche est écailleuse et scalariforme. L’aspect charentien de l’industrie est très net ; néanmoins, la proportion des amincissements, la présence, même rare, de pointes de Quinson et de racloirs foliacés bifaces rapproche la série de l’ensemble rhodanien (Slimak op.cit.).
3Le gisement de Champ Grand est implanté à proximité du fleuve sur un versant dominant la Loire au débouché de ses gorges (fig. 1). Le substratum forme un léger replat à 30 m au-dessus du niveau actuel de la Loire. Le « replat » rocheux est toutefois fortement incliné vers le fleuve (orientation est-sud-est). Il est limité à l’est par des escarpements microgranitiques et au sud par un petit vallon, celui de la Caille.
Figure 1 - Localisation du site et photographie aérienne du gisement (cliché B. Kervazo).
Figure 1 - Location of the site and aerial view of Champ Grand site (B. Kervazo).
4Les gorges de la Loire ont été creusées dans des tufs rhyolithiques du Viséen (Carbonifère) qui ont été recoupés ultérieurement par des filons de microgranites formant des barres plus résistantes à l’érosion. Le démantèlement de ces roches a déterminé en partie la nature des dépôts quaternaires (Kervazo 1984). La mise en place des dépôts est aussi liée à la dynamique de versant. Ainsi, les dépôts ont pu largement solifluer et des galets se trouvent naturellement présents sur tout le versant.
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La séquence sédimentaire atteint près de quatre mètres d’épaisseur. Elle est composée de neuf couches :
couche 1 : 20 cm de sédiments remaniés ;
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couche 2 : 50 cm de couche grise ;
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couche 3 : 1,50 m d’épaisseur constitué de 8 niveaux sédimentaires fins ;
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couches 4 à 9 : 1,80 m d’épaisseur composée de trois gros cailloutis (couches 4,6,8) avec des sédiments fins intercalaires (couches 5,7,9) ;
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substratum rocheux : tufs rhyolithiques et microgranites.
5Le gisement est constitué de deux niveaux archéologiques (couches de cailloutis 4 et 6), situés à un et deux mètres de profondeur dans des dépôts de pente argilo-sableux provenant de l’arénisation du socle granitique datée du « Würm II » (Kervazo op.cit.). Les deux niveaux archéologiques se rejoignent pour former un palimpseste épais. Le niveau supérieur n’est pas présent en continu, tandis que le niveau inférieur est présent sur 30 m de longueur.
6L’industrie lithique en silex et matières premières assimilées du Champ Grand se caractérise par l’emploi d’un petit nombre de matières premières de qualité moyenne. La chaille d’aspect très hétérogène provient d’une dizaine de kilomètres du gisement ; la calcédoine est de provenance locale et de qualité médiocre avec des inclusions calcaires. Le quartz, présent sous forme de cassons provient peut-être des alluvions de la Loire. Certaines pièces n’offrent pas de cortex alluvial mais leur origine reste indéterminée. C’est le silex jurassique, présent à une dizaine de kilomètres du gisement, qui est majoritairement utilisé (d’après Slimak 2004).
7Les galets étudiés sont en roches magmatiques régionales, volcaniques pour les unes, éruptives pour les autres : trachytes, basaltes, granite (tabl.1 ; fig. 2). Le quartz est, quant à lui, fréquent dans tous les assemblages. Il n’est donc pas surprenant de trouver ces matières premières lithiques dans notre corpus et l’hypothèse selon laquelle ces galets proviennent pour l’essentiel du fleuve, la Loire ou de l’une de ses anciennes terrasses peut être avancée sans danger. Parmi les 871 galets initialement sélectionnés, la proportion de galets apparemment non transformés ou utilisés est importante (n = 199), tout comme celle des galets trop altérés pour permettre d’y lire des intentions anthropiques (n = 394). Leur néocortex d’altération est fréquemment de l’ordre d’un à deux millimètres d’épaisseur. Seuls 278 galets sont finalement décrits précisément ici. La répartition par taille et matière première des galets de notre corpus (tabl. 2 et 3) semble très similaire aux assemblages que nous avons observés sur la terrasse actuelle de la Loire.
Tableau 1 - Répartition par matière première des galets du Champ Grand.
Table 1 - Breakdown of the Champ Grand pebbles according to raw material.
Figure 2 - Vue microscopique en lumière polarisée de lames minces de galets de trachyte (a et b) et de basalte (c et d).
Figure 2 - Microscopic view under polarized light of trachyte (a and b) and basalt (c and d) pebbles’ thin sections.
Tableau 2 - Répartition par morphologie des galets du Champ Grand.
Table 2 - Breakdown of the Champ Grand pebbles according to morphology.
Tableau 3 - Répartition par dimensions des galets du Champ Grand.
Table 3 - Breakdown of the Champ Grand pebbles according to size.
8Les techniques et méthodes employées pour tailler les galets ainsi que les objectifs de production pouvant être communs à différentes matières premières, nous nous sommes concentré sur la reconnaissance de ces techniques et méthodes.
Tableau 4 : Récapitulatif des critères de distinction des catégories de galets façonnés.
Table 4 - Summary table of the distinctive features of shaped peebles.
9Des pièces singulières sont récurrentes dans l’assemblage (n = 39). Elles sont élaborées sur des galets de trachyte de morphologie aplatie, en général de taille petite ou moyenne (cf. tabl.3). Les enlèvements qui transforment la pièce en outil sont périphériques, unifaciaux et très courts. Ils convergent en direction du centre et sont sécants au plan d’intersection des deux faces de ces galets de morphologie aplatie. Les enlèvements sont parfois suffisamment envahissants pour faire disparaître le néocortex sur une face. Le plan de frappe est cortical. L’angle du tranchant ainsi produit est compris entre 45 et 90°. La matière première principalement utilisée est la trachyte ; or, cette roche se délite. Cela donne à la retouche un aspect scalariforme. L’expérimentation exercée sur cette matière montre des éclats friables et fragiles qui se fractionnent lors de leur débitage. Les éclats produits ne semblent donc pas recherchés (fig 3 – en annexe).
10De nombreux galets (n = 120) décrits par les archéologues de Champ Grand comme étant des « choppers doubles bifaces atypiques » (Popier 1976) portent des esquillements ou de véritables négatifs d’enlèvements à leurs extrémités. Le caractère anthropique de certains stigmates n’est pas assuré. Toutefois, nous obtenons expérimentalement ces petits esquillements lorsque nous tenons la pièce en coin sans la percuter avec puissance au percuteur dur sur enclume. Les galets concernés sont majoritairement aplatis et la plupart de ceux-ci sont en trachyte. Ils sont essentiellement de petite et moyenne dimensions (fig. 4 – en annexe). Les enlèvements produits sont de dimensions très réduites (<1,5 cm), très fins et fragiles.
11Ces pièces (n = 13) se distinguent par l’aménagement d’un tranchant robuste et régulier dont l’angle approche 50°. Les galets utilisés sont de dimensions moyenne à grande. Les enlèvements aménageant le tranchant sont fins et courts, nombreux et disposés régulièrement. Une de ces pièces est en trachyte, de taille moyenne. Les enlèvements sont bifaciaux, distaux et latéraux (fig. 5 – en annexe).
12Deux modalités d’obtention d’éclats sont reconnus : un débitage centripète par percussion lancée au percuteur dur et dans de rares cas, une percussion récurrente unipolaire au percuteur dur sur enclume. Les galets reconnus comme nucléus sont toutefois peu nombreux (n = 22).
13Des nucléus en silex et quartz ont bien été identifiés lors de différents travaux comme résultant d’une méthode de débitage discoïde (Slimak 1999 a). La production d’éclats dans d’autres matières premières comme la trachyte semble moins évidente pour des raisons pétrographiques. Néanmoins, certains nucléus en trachyte présentent les mêmes caractères que les nucléus en quartz : les enlèvements sont centripètes, périphériques, unifaciaux, récurrents et les surfaces de débitage et de plan de frappe sont hiérarchisées. Le plan de frappe n’est en général pas préparé ou quelquefois, très sommairement (fig. 6 – en annexe). Sur les nucléus en trachytes cependant, les plans de détachement des éclats sont sécants tandis que sur les nucléus en quartz, ces plans sont parallèles (fig. 7 – en annexe). Les enlèvements sont plus épais sur les nucléus en trachytes que sur le quartz. Rappelons que l’épaisseur est nécessaire à la robustesse d’un éclat de trachyte.
14Quelques percuteurs sont exploités en nucléus. Des exemplaires, en quartz notamment, portent des traces de percussion qui paraissent antérieures à des traces de débitage d’éclats. Un galet de granite porte des traces de percussion ainsi que quatre négatifs d’enlèvements (fig. 8 – en annexe). La percussion sur enclume a été utilisée ici, permettant notamment « d’ouvrir » le galet. La section obtenue se trouve dans la longueur (fig. 8 - négatif d’enlèvement n° 1). Seules deux pièces semblent avoir été débitées avec cette technique. Les éclats produits sont de morphologies variées.
15De nombreux galets (n = 83) portent des traces qui ne les affectent pas en profondeur. C’est le cas des traces de percussions et d’incisions diverses.
16Nous avons relevé près de 40 galets portant des traces de percussion (fig. 8) mais peu de pièces portent des traces indéniables. Les galets susceptibles d’avoir servi de percuteurs sont de morphologie ovée ou discoïde en granite ou quartz. Ils sont parfois marqués par des enlèvements ou sont cassés. Ils peuvent porter toutes sortes de traces : stries, percussions, cassures, négatifs d’enlèvements. Ils sont de dimensions moyennes ou grandes.
17Des pièces à incisions ont déjà été évoquées par A. Popier (1976) et interprétées comme des retouchoirs. Compte tenu du degré d’altération des pièces, les galets retenus ont subi une sévère sélection : 43 pièces portent des incisions anthropiques évidentes dont l’ancienneté est assurée par des remontages. Il s’agit surtout de galets de trachyte de morphologie aplatie.
18Au moins deux types d’incisions sont individualisés. Il s’agit d’une part de stries longues, denses, orientées, profondes et larges (fig. 9 – en annexe). Nous pouvons percevoir la pression exercée par un objet saillant (tranchant de silex ?) sur le galet utilisé ainsi comme enclume. D’autre part, des galets portent des stries longues, denses, orientées et fines, perpendiculaires et associées à des incisions très courtes et larges (fig.10 – en annexe). Ces dernières correspondent aux traces caractéristiques d’un retouchoir, comme cela a été observé souvent sur des os et plus rarement sur des galets au Paléolithique moyen (Bourguignon 1997 ; Lhomme et Normand 1993).
19Les résultats obtenus à l’issue de l’étude d’une série de galets en matériaux volcaniques et quartz du gisement moustérien de Champ Grand sont essentiellement d’ordre qualitatif par manque de données taphonomiques propres au gisement. En effet, il est aujourd’hui impossible d’établir la part de l’Homme et celle de la Nature dans l’apport et la transformation physique ou chimique d’une grande partie des galets. Les observations réalisées sur le matériel en galets sont rassemblées dans un schéma synthétique (fig. 11- en annexe). Non seulement ce schéma illustre les limites d’une approche technologique sur ce matériel mais aussi la pluralité des méthodes et techniques employées pour transformer morphologiquement les galets dans des objectifs fonctionnels a priori variés. Les traces apparaissent bien individualisées, puisque rares sont les recoupements des chaînes opératoires de débitage et de confection en outil, par exemple.
20Deux objectifs principaux guident le ramassage des galets par les artisans : en effet, la confection des pièces à enlèvements périphériques, des pièces à esquillements ou des pièces incisées se fait essentiellement sur des galets de dimensions réduites et de morphologie aplatie. Il se trouve que la trachyte utilisée est la matière première répondant à ces critères morphologiques, la plus abondante actuellement sur les berges de la Loire aux alentours du site. Par ailleurs, la production d’éclats se fait sur des galets de dimensions plus importantes et nécessite une matière première robuste ; il n’est donc pas étonnant de voir des nucléus sur galets de quartz, de granite fin non altéré ou de trachyte de grandes dimensions. C’est donc surtout la morphologie du galet (forme et dimensions) qui détermine sa récolte dans le but d’une utilisation précise et parfois sa matière première comme dans le cas du débitage. Bien que les pièces relevant de chaînes opératoires de débitage soient quasi-anecdotiques dans l’ensemble étudié, nous remarquons que les modalités de débitage s’apparentent tout à fait aux modalités mises en œuvre sur d’autres matières premières comme le silex. Enfin, de la diversité des gestes techniques appliqués et de leurs implications morphologiques sur les pièces, nous pouvons supposer une diversité fonctionnelle importante de ces industries sur galets en roches volcaniques et quartz.