- 4 Les déterminations microfaciologiques et micropaléontologiques ont été réalisées par N. Dufresne, P (...)
1Depuis plus d’une dizaine d’années, nous tentons, avec d’autres chercheurs (N. Dufresne, J.-L. Poidevin, J.-F. Pasty, Ph. Gervais), à préciser l’origine géographique des silex employés par les populations préhistoriques du centre du Massif central (essentiellement de la région administrative d’Auvergne), dans le but de reconstituer les courants de circulation des matières premières et de progresser dans la voie de la connaissance de l’organisation socio-économique de ces populations (Surmely et al. 1998 ; Surmely 1998 ; Dufresne 1999 ; Surmely et al. 2002 ; Surmely et Pasty 2003). Ces études4 se sont basées essentiellement sur une identification visuelle macroscopique et microscopique (microfaciès, micropaléontologie, dont identification des dinoflagellés) des silex qui permet, dans bien des cas, d’opérer une discrimination des principales catégories de matériaux siliceux, en les comparant à une lithothèque de référence que nous avons constituée.
- 5 F. Pommerol, préhistorien et géologue averti, avait noté très tôt que certains silex retrouvés sur (...)
2Nous basant sur les premières observations pertinentes de F. Pommerol (1877 et 1881)5, puis de J. Desrut (1939) et les études effectuées par A. Masson (Masson 1981, 1982 a et b), nous sommes arrivés aux mêmes conclusions que ces chercheurs, c’est-à-dire à la mise en évidence d’une importante composante de matériaux importés au sein des séries lithiques siliceuses, dès le début du Paléolithique supérieur (Surmely et Pasty 2003 ; tabl. 1 - en annexe). La grande majorité des silex allochtones correspond à des matériaux d’âge crétacé et tout particulièrement à des silex de la craie du Crétacé supérieur, comparables en tous points à ceux que l’on peut retrouver à l’état naturel en Touraine, tout particulièrement dans les secteurs des basses vallées de l’Indre et du Cher (Aubry 1991). Par l’étude d’un plus grand nombre de gisements (notamment post-paléolithiques), l’intégration des données technologiques et la constitution d’une petite lithothèque, nous avons pu aller au-delà des résultats acquis précédemment et proposer des interprétations nouvelles (Surmely et Pasty 2003), mettant en évidence l’importance et la complexité des courants de circulation à longue distance de matériaux siliceux à partir du début du Paléolithique supérieur jusqu’à l’âge du Bronze ancien.
3Toutefois, si l’âge et l’origine géologique des matériaux ont été pu être caractérisés dans la plupart des cas, il restait à déterminer l’origine géographique précise des silex, afin de mieux cerner les courants de circulation des matériaux et les spécificités éventuelles en fonction des périodes et des sites considérés. Cette question ne pouvait être résolue par le biais des seules études traditionnelles (microfaciès, micropaléontologie), en raison de la similitude des matériaux concernés. En effet, les silex de la craie présentent des caractéristiques microfaciologiques et micropaléontologiques identiques dans un certain nombre de secteurs géographiques, notamment dans la bordure externe sud et est du Bassin parisien (Berry, Sancerrois, Gâtinais, Champagne…). Les méthodes traditionnelles nous semblaient donc insuffisantes pour progresser dans la voie de l’identification des origines précises des matériaux au sein de secteurs géographiques assez larges.
4Une voie prometteuse était celle de la géochimie (éléments-traces et isotopes du Strontium), comme l’ont montré les études partielles que nous avions initiées (Dufresne 1999 ; Gervais 2001 ; Giez 2001). Les bassins sédimentaires précités ont reçu en effet des apports détritiques différents, qui peuvent être caractérisés par l’analyse de leurs constituants.
5Mais cette méthode, encore pionnière, est délicate et réclame des précautions méthodologiques, comme l’ont montré les travaux menés dans d’autres régions françaises (Alpes, travaux C. Bressy ; sud de la France, travaux S. Grégoire, M. Blet et D. Binder). Il est nécessaire de disposer d’un échantillonnage complet et représentatif des différentes matières premières concernées. Cela passe par la constitution d’une lithothèque exhaustive. Il importe également de coupler étroitement et de croiser les résultats issus de l’analyse des éléments-traces et des isotopes du strontium, afin d’affiner les différences entre matériaux. Il est nécessaire aussi de ne pas négliger les apports des examens visuels macroscopiques et microscopiques. Enfin, la comparaison entre matériaux issus de gîtes et séries archéologiques requiert une bonne connaissance des sites archéologiques concernés.
6Nous avons orienté notre travail dans les trois directions précitées : recensement et collecte des sources de matières premières, étude de séries archéologiques, tentative de rapprochement plus étroit, notamment par le biais de la caractérisation géochimique, de silex naturels et issus de gisements préhistoriques.
- 6 La prospection approfondie du sud du département du Cher n’a pas été entièrement réalisée à ce jour
7Nos recherches ont donc porté sur le recensement des silex crétacés dans les régions de la bordure sud et est du Bassin parisien. Cela a supposé des prospections approfondies dans une grande partie de la région Centre (départements du Loiret, du Loir-et-Cher, de l’Indre, de l’Indre-et-Loire et du Cher6) et une partie de quelques départements limitrophes de la région Bourgogne (Yonne et Nièvre). Le secteur du Grand-Pressigny (Indre), où des recherches ont lieu en parallèle (notamment J. Primault 2003), a été exclu du champ de notre étude.
8Le travail de terrain a été précédé d’une étude des cartes géologiques, qui donnent, avec une précision variable selon les auteurs, des indications sur la présence et l’abondance, voire l’aspect des silex. Nous nous sommes également appuyés sur le travail réalisé par Th. Aubry (Aubry 1991) et les indications de chercheurs comme S. Bourne et L. Brivet.
9Sur le plan méthodologique, il faut apporter les précisions suivantes, qui ont une grande importance dans la représentativité de la collection constituée. Tout d’abord, nous avons bien évidemment privilégié les gîtes primaires, où le silex peut être trouvé dans son contexte géologique d’origine. A ce titre, les carrières et les terrassements liés aux grands travaux d’aménagement sont des zones particulièrement intéressantes. Nous avons eu ainsi la chance de prospecter une partie du chantier de l’autoroute A85, dans sa portion Saint-Aignan/Tours. Mais nous n’avons pas pour autant négligé les gîtes secondaires ou tertiaires (argiles à silex d’âge divers et notamment tertiaire, alluvions, lits des cours d’eau) qui apportent des données complémentaires et indispensables. Il faut également souligner que les populations préhistoriques se sont probablement approvisionnées en grande partie auprès de ces sources, souvent facilement accessibles.
10Nous avons également pris en considération les dépôts de matériaux, les remblais, voire les vieux murs, quand l’origine géographique de ces dépôts pouvait être déterminée avec une précision relativement bonne. Il est évident que les informations (notamment l’âge des silex) sont moins précises dans le cas de ces silicifications arrachées à leur contexte originel.
11Chaque échantillon collecté a reçu un numéro et a fait l’objet d’une fiche détaillée comportant les indications suivantes : localisation géographique, contexte géologique, aspect, couleur, dimensions et texture du silex et de son cortex. Chaque fiche est accompagnée d’une photographie. Le géoréférencement de chaque gîte permet son intégration dans un SIG.
12La lithothèque a été constituée sous quatre formes différentes, chacune des formes étant adaptée à un usage précis. L’identification de l’échantillon est assurée par son numéro d’enregistrement :
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une réserve d’échantillon : chaque type de silex est conservé sous la forme d’un échantillon de bonne taille, permettant d’avoir une réserve de matière pour les études ultérieures (analyses, expérimentations)… Cette réserve, assez volumineuse, est conservée dans des cartons au dépôt de fouilles du SRA Auvergne ;
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une forme consultable aisément (lithothèque de référence) : chaque échantillon de silex est déposé dans un casier d’une boîte plastique transportable. Cette forme est particulièrement adaptée pour la comparaison macroscopique avec des séries archéologiques. Elle peut être déplacée en dehors de son lieu de stockage habituel ;
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une forme légère : chaque échantillon représentatif est déposé dans un sac plastique de petite taille, dûment identifié par son numéro de référence. L’ensemble a un volume et un poids réduits (de l’ordre de quelques kilos), ce qui en fait un outil pratique pour les comparaisons de silex sur le lieu de dépôt de la série archéologique (musées, etc.) ;
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enfin, chaque échantillon a été photographié et l’ensemble des photos constitue une banque de données qui peut être consultée par voie numérique (CD Rom, Internet…).
- 7 Par gîte, on entend source de matière première différenciée, dans un rayon de 2 km. Dans le cas d’u (...)
- 8 A noter que les prospections ont également permis le recensement de plusieurs gîtes de matériaux d’ (...)
- 9 L’inventaire raisonné des gîtes doit faire l’objet d’une publication spécifique.
13La prospection a donné des résultats très intéressants. Une centaine de gîtes, offrant des silex différenciés7, a pu être recensée dans l’ensemble de la zone d’études8 (fig. 1 à 3). Une partie importante de ces sources était inédite9 ou très peu connue. Cela confirme la richesse en matières premières de la région considérée, correspondant à une bonne partie de la région Centre et de ses marges orientales. Dans certains secteurs, notamment la basse vallée du Cher et du Gâtinais, les silex sont très abondants, au point qu’ils ont constitué une matière première pour la construction et même le remblai !
Figure 1 - Localisation géographique de l’ensemble des gîtes à silex inventoriés (fond de carte géologique IGN 1/1 000 000).
Figure 1 - Geographical location of all the listed flint deposits.
Figure 2 - Localisation géographique plus précise des gîtes à silex inventoriés dans le Berry (fond de carte géologique IGN 1/1 000 000).
Figure 2 - More precise geographical location of all the listed flint deposits in the Berry.
Figure 3 - Localisation géographique plus précise des gîtes à silex inventoriés en Sancerrois et Puisaye (fond de carte géologique IGN 1/1 000 000).
Figure 3 - More geographical location of all the listed flint deposits in the Sancerrois and Puisaye.
Figure 4 - Localisation géographique des échantillons géologiques du centre de la France (fond de carte géologique IGN 1/1 000 000).
Figure 4 - Geographical location of the geological samples in the center of France.
Figure 5 - Localisation géographique des échantillons géologiques dans le Berry (fond de carte géologique IGN 1/1 000 000).
Figure 5 - Geographical location of the geological samples in the Berry.
- 10 Ce gîte était signalé dans la carte géologique au 1/50 000 (Châteauroux).
14Parmi les « découvertes », signalons le micro-affleurement de silex crétacé de teinte rougeâtre de Neuillay-les-Bois (Indre)10, les silex crétacés bariolés du nord-ouest du département de la Nièvre (fig. 11 et 14), les silex blonds de Vierzon et de la Chapelle-d’Angilon (Cher).
15La constitution de l’inventaire a montré la grande variété des matériaux et, à l’inverse, la présence de silex d’aspect identique dans de nombreux secteurs bien distincts géographiquement. C’est le cas, hélas, pour nos perspectives d’études, des silex « blonds » qui ont été privilégiés pour la diffusion à longue distance vers le Massif Central et ses marges. Impossible en effet de distinguer macroscopiquement un silex blond des environs d’Estissac (Aube), d’un silex blond de Vernou-sur-Brenne (Indre-et-Loire), de Meusnes (Loir-et-Cher), de Vierzon (Cher) ou bien de Girolles (Loiret). Cela est dû, bien évidemment, au contexte de formation de ces silicifications, dans une mer crétacée de grande étendue.
16Par voie de conséquence, la détermination, par simple examen visuel, de l’origine géographique de la plupart des silex, est donc impossible, même si cette opération constitue toutefois la base d’un premier tri et d’une identification grossière de leur provenance. Il faut toutefois souligner que les silex de couleur blonde ne se rencontrent de façon exclusive que dans quelques secteurs particuliers des basses vallées de l’Indre et du Cher (fig. 2) : nord du département de l’Indre (entre les communes de Pellevoisin au sud-ouest et de Buxeuil au nord-est) et environs de Vierzon (communes de Vierzon, Thénioux et de Saint-Georges-sur-Prée ; département du Cher).
17L’inventaire des gîtes à silex s’affirme comme la base de l’étude, en fournissant le référentiel nécessaire à la caractérisation analytique.
18Les examens visuels sont la base d’un tri en fonction de la couleur et la texture et permettent la réalisation de rapprochements.
19Une quarantaine de lames minces ont été effectuées, afin de permettre des examens microscopiques. Elles se sont ajoutées aux dizaines de lames réalisées et étudiées lors de notre étude antérieure (Surmely et al. 1998).
20Malgré la collaboration de spécialistes, tels J.-P. Bellier (université de Paris 6) pour les foraminifères et E. Masure pour les dinoflagellés, les informations recueillies sont plutôt d’ordre général, sans utilité réelle pour assurer une discrimination entre les différents matériaux et des rapprochements assurés et précis entre gîtes et séries archéologiques. Les organismes identifiés (foraminifères notamment) sont trop ubiquistes pour permettre une caractérisation précise des silex et autoriser des rapprochements pertinents.
21Ce travail a été effectué en 2002 (Surmely et Murat 2003), par le biais des tests traditionnels pratiqués dans le génie civil. Le choix des échantillons soumis à l’analyse s’est porté sur une gamme de silex tertiaires d’Auvergne et de Dordogne et divers silex crétacés. Du point de vue de la résistance au choc et à l’usure, on observe l’excellente valeur des silex tertiaires et, a contrario, la qualité relativement médiocre des silex de la craie du secteur de Saint-Aignan qui sont plus fragiles et moins homogènes. L’attractivité des silex marins importés repose donc apparemment sur d’autres critères que celui des qualités mécaniques du matériau.
22Soixante douze échantillons ont été analysés au total (tabl. 2 - en annexe et fig. 3). Ils se partagent à parts égales entre silex issus de séries archéologiques et matériaux issus de gîtes naturels. Nous avons bien évidemment privilégié les silex crétacés pour les matériaux issus de gîtes, après un premier tri sur la base de l’aspect visuel. Bien évidemment, un large spectre de matériaux issus de la région Centre a été considéré, mais nous avons aussi, à titre de comparaison et de test, intégré des silex provenant de régions différentes : Bourgogne, Champagne, Vaucluse… Dans le même esprit, nous avons étudié quelques silicifications issues de contextes sédimentaires différents : silex jurassiques et de l’Infralias.
23Conformément à l’esprit de notre étude, nous avons sélectionné des artefacts de toutes époques, entre le Gravettien ancien et le Bronze ancien, mais en nous limitant toutefois à l’outillage taillé.
24Alors que la majorité des chercheurs ayant travaillé sur la caractérisation géochimique des silex a eu recours à la discrimination par les seules teneurs en éléments-traces, nous avons ajouté à ce critère celui du rapport isotopique du strontium (rapport 87Sr/86Sr). Ce marqueur isotopique, utilisé traditionnellement en géologie pour les déterminations d’âge, est en effet considéré par les géochimistes comme un élément de discrimination beaucoup plus fiable que celui de la simple comparaison des teneurs en éléments-traces (par exemple, pour le seul domaine des formations sédimentaires carbonatées : Mac Arthur et al. 1993, 2000 et 2001 ; Mac Arthur et Howarth 2004 ; Scasso et al. 2001 ; Crame et al. 1999). Les travaux réalisés en géochimie ont en effet montré qu’il était moins affecté par les problèmes de lessivage et de traversée de fluides, liés à la genèse des silex et à leur évolution. Le rapport isotopique du Strontium a donc été privilégié comme premier discriminant pour les mises en correspondance des différents échantillons (Roth et Poty 1995).
25L’analyse géochimique, avec les deux critères retenus, réclame un très lourd traitement des échantillons, avec une longue suite d’opérations manuelles minutieuses, qui limite de fait le nombre d’échantillons pris en compte.
26Dans un premier temps, il faut réduire l’échantillon à l’état de granulés de petite taille. Le concassage doit être réalisé sans risque de pollution. La seconde étape consiste à débarrasser l’échantillon de ses composantes siliceuse et organique, qui constituent ordinairement 99 % de sa composition, pour ne laisser que les éléments caractérisables par l’analyse. Pour ce faire, l’échantillon est attaqué à l’acide fluorhydrique, puis par un mélange acide nitrique/eau oxygénée. Un pesage précis est effectué à chaque étape. Le résidu est alors partagé en deux parties égales. Une partie est envoyée pour la mesure par ICP/MS. L’autre partie sert pour la détermination isotopique du strontium, opération technique réalisée par nous-mêmes dans le laboratoire du département de géologie et dont le processus analytique, lui-même très fastidieux, est décrit par Roth et Poty (1995).
27Comme nous l’avons dit plus haut, nous avons considéré la valeur isotopique du strontium comme premier critère discriminant. C’est sur la base de cette valeur, qu’ont été définis les groupes (cf. infra). Mais la quantité de strontium 87 présente actuellement dans une roche (et donc donnée par la mesure ICP/MS et nommée 87Sra) est la somme du 87Sr présent à l’origine (nommé 87Sri et du 87Sr produit depuis l’origine par la désintégration du 87Rb (Rubidium 87). Pour notre objectif de tentative de rapprochement de matériaux, il importe de baser les comparaisons sur la quantité de 87Sr présent à l’origine (87Sri).
28Le principe peut être consulté à partir du lien suivant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Datation_par_le_couple_Rubidium-Strontium
29La valeur de 87Sri peut être calculée par l’utilisation de la formule suivante : 87Sri = 87Sra – 87Rba (expt-1) ; avec λ = 1,42. 10-11(λ= ln (2)/T, T étant la demi-vie, soit 49 milliards d’années) ; t étant l’âge de l’échantillon.
30La détermination de l’âge de l’échantillon n’est pas facile. En effet, la plupart de nos échantillons sont issus de gîtes secondaires et leur âge ne peut donc être donné que de façon approximative. L’incertitude est encore plus grande pour les échantillons archéologiques. Fort heureusement, l’indice de la valeur de t dans le résultat n’est pas important. Nous avons donc pris des valeurs moyennes (par exemple 90 millions d’années pour l’ensemble des silex considérés comme étant du Crétacé supérieur).
31Les teneurs en éléments-traces et terres rares n’ont été utilisées que comme discriminant secondaire. Elle n’a donc été prise en considération qu’à partir du moment où les valeurs de 87Sri des échantillons étaient voisines. Comme c’est la règle, les données obtenues ont été exploitées sous forme de spectres, après normalisation des teneurs (Taylor et Mac Lennan 1994). Le référentiel utilisé a été celui de l’ES, jugé le plus fiable compte tenu du contexte géographique et géologique des échantillons considérés.
32Les teneurs en éléments majeurs, jugées trop aléatoires (en raison des phénomènes d’agglomération colloïdale de nombre d’éléments, tels que le fer ou le manganèse), n’ont été prises en considération qu’en cas de variations très fortes, considérées alors comme discriminantes.
33Pour comparer les résultats issus de l’ICP/MS (géochimie des éléments-traces et des terres rares) et de la spectrométrie de masse (géochimie isotopique du strontium), nous avons développé un outil d’analyse de données, baptisé VDM Identification.
34Ce programme sélectionne les meilleurs appariements selon les procédures suivantes :
35A/ un calcul de rapprochement en composition normalisée (chaque donnée est préalablement divisée par la valeur maxi de chaque colonne) ;
36B/ un calcul de rapprochement en valeur sans modification.
37L’étude géochimique globale permet d’individualiser des groupes de matériaux.
38Le groupe principal, baptisé B, rassemble un nombre conséquent d’échantillons géologiques : 6-1 (Lye, 36), 6-2 (Lye, 36), 10 (Buxeuil, 36), CHG (La Chapelle d’Angilon, 18), CHG2 (La-Chapelle-d’Angilon, 18), 2 (Mareuil-sur-Cher, 41), et 8 (Veuil, 36) (fig. 6). Ils présentent des analogies avec les silex archéologiques suivants : Blot 1 (Cerzat, Magdalénien, 43), PON2 (Pontcharraud, Chasséen, 63), GOU5 (Goutte-Roffat, Magdalénien, 43), PDL (Pont-de-Longues, Magdalénien, 63), POU (Poudrière, Chasséen, 63) et Bl3 (Blassac 2, Magdalénien, 43).
Figure 6 - Spidergramme montrant un rapprochement entre différents échantillons naturels et archéologiques (groupe B).
Figure 6 - Spidergram showing a likeness beetween several geological and archaeological samples (B group).
39D’autres artefacts présentent les mêmes rapports, mais leurs spectres de terres rares sont différents. Ils doivent donc être classés à part. Il s’agit de SI4 (Sire, Gravettien ancien, 63), ENVI (Enval 1, Magdalénien, 63), GOU2, GOU3 et GOU7 (Goutte-Roffat, Magdalénien, 63).
40Un deuxième groupe (C) a pu être individualisé. Les échantillons issus des gîtes 20 (Autry-le-Châtel, 18), 13 (Méry-sur-Cher, 18), 8 (Veuil, 37), 80 (Thénioux, 18) et 92 (Orville, 36) présentent en effet des points communs. Ce sont tous des silex blonds, avec des zonations pour 13 et 20 et des dendrites de manganèse pour 92. Des rapprochements peuvent être faits avec les échantillons archéologiques Blot 1 (Blot, Protomagdalénien, 43), Env1 (Enval, Magdalénien, 63), GOU2, GOU3, GOU5, GOU7 (Goutte-Roffat, Magdalénien, 42), PDL (Pont-de-Longues, Magdalénien, 63), PON2 (Pontcharraud, Chasséen, 63), voire Si4 (Le Sire, Gravettien ancien, 63). Ce sont tous également des silex blonds. Les similitudes sont particulièrement nettes entre Blot 1 et le gîte 80, tant du point de vue du rapport 87/86 que des teneurs en éléments-traces (fig. 7 et 8).
Figure 7 - Spidergramme montrant un rapprochement entre deux échantillons de silex (groupe C).
Figure 7 - Spidergram showing a likeness beetween two flint samples (C group).
Figure 8 - A gauche : BLOT 1 (Le Blot, Protomagdalénien, Haute-Loire) et à droite silex provenant du gîte n° 80 (Thénioux, Cher).
Figure 8 - To the left : BLOT1 (Le Blot, Protomagdalenian, Haute-Loire) and to the right flint coming from deposit number 80 (Thénioux, Cher.)
41Le groupe E rassemble les silex 9 (Langé, 36) et 88 (Moulins-sur-Céphons, 36). Ce sont deux silex blonds de la craie, dont les gîtes sont proches géographiquement. Ils sont toutefois légèrement différents sur le plan du strontium. Un rapprochement peut également être fait avec le silex archéologique CHAL (Champ-Chalatras, Épipaléolithique, 63).
42On observe des similitudes entre PRES (silex du Turonien supérieur du Grand-Pressigny) et PON3 (Pontcharraud 2, Chasséen, 63) (fig. 9), qui forment à eux deux le groupe F. La corrélation est parfaite du point de vue macroscopique et l’échantillon PON3 était aussi le seul que nous avions considéré comme pouvant provenir du Grand-Pressigny, lors de l’examen macroscopique initial. Il existe également un lien avec le gîte 3 (Nouan-les-Fontaines, 36) qui correspond également à un silex du Turonien supérieur, mais originaire du nord du département de l’Indre.
Figure 9 - Spidergramme montrant un rapprochement entre deux échantillons de silex (groupe F).
Figure 9 - Spidergram showing a likeness beetween two flint samples (F group).
43La comparaison des rapports isotopiques initiaux du strontium (87Sri) et des teneurs en terres rares et éléments-traces, fait apparaître des similitudes entre plusieurs échantillons géologiques (fig. 10) : PRO (Provins, 77), EST (Estissac, Aube), EST2 (Estissac, Aube), 60 (Subligny, Yonne), 24 (La Bussière, Loiret) et, dans une moindre mesure, 29 (Girolles, Loiret) (groupe A). Un rapprochement particulièrement net est visible entre PRO et 60. L’ensemble de ces échantillons appartient aux silex de la craie du Turonien de la partie nord de notre zone d’études : Bourgogne du nord, Gâtinais et Champagne du sud. Le rapprochement avec les silex archéologiques est presque inexistant. Seuls les deux échantillons GOU2 et GOU3 (La Goutte-Roffat, Magdalénien, 42) pourraient éventuellement correspondre mais les analogies sont ténues.
Figure 10 - Spidergramme montrant un rapprochement entre différents échantillons naturels et archéologiques (groupe A).
Figure 10 - Spidergram showing a likeness beetween several geological and archaeological samples (A group).
44Un rapprochement peut être fait entre deux échantillons : 68 (Myennes, 58) et 11 (Buxeuil, 36). Les spectres de terre rares présentent toutefois de légères divergences. Le gîte 11 offre un silex de la craie classique à coloration homogène. Le silex 68 est un matériau d’aspect bariolé, issu de séries du Crétacé supérieur, mais présent actuellement dans des argiles de décalcification tertiaires du nord-ouest du département de la Nièvre (Surmely 2008 ; fig. 11).
Figure 11 - Matériau bariolé, issu du gîte gîte n° 68 (Myennes, Nièvre), rappelant le célèbre jaspe de Fontmaure (Vienne).
Figure 11 - Multicoloured material coming from deposit n° 68 (Myennes, Nièvre), reminding the well known Fontmaure jasp.
45Tous les échantillons étudiés appartenant aux silicifications marines du Crétacé inférieur du Vaucluse, MUR1 (Murs), CHA (Châteauneuf-du-Pape), CHA2 (Châteauneuf-du-Pape) et MAL1 (Malaucène), forment un groupe homogène (groupe 117) et nettement individualisé des autres, à la fois sur la base du strontium et des spectres de terres rares (fig. 12).
Figure 12 - Spidergramme montrant un rapprochement entre différents échantillons naturels du sud-est de la France (groupe 117).
Figure 12 - Spidergram showing a likeness beetween several geological samples from the South-East of France (117 group).
46Un rapprochement peut être fait avec les deux échantillons (CHAST et CHM) provenant du site chasséen de Chastel-sur-Murat (Cantal), situé au sud de l’Auvergne.
47On observe de profondes analogies entre deux échantillons de silex blond, provenant du site magdalénien de la Corne-de-Rollay (Cérilly, Allier), COR et COR2. On remarque pourtant une différence nette de coloris (fig. 13). L’échantillon COR2 est de couleur plus foncée et plus rougeâtre que l’échantillon COR. L’analyse des éléments majeurs (fig. 14) montre que cette variation est due à des teneurs différentes en composants et notamment en fer.
Figure 13 - Echantillons archéologiques COR (à gauche) et COR2 (à droite), deux silex blonds provenant du même gisement magdalénien de la Corne de Rollay (Cérilly, Allier).
Figure 13 - Archaeological samples COR (to the left) and COR2 (to the right), two blond flintcoming from the same Magdalenian site La Corne de Rollay (Cérilly, Allier).
On note une différence de couleur, COR2 étant de couleur blond-miel, ce qui révèle un enrichissement en fer.
One can notice a difference between the colours, COR2 being light honey blond, which shows a great quantity of iron.
Figure 14 - Spidergramme montrant la répartition des principaux éléments majeurs dans les silex COR et COR2.
Figure 14 - Spidergram showing the composition of the major elements in the COR and COR2 flint.
48On observe également une parenté étroite entre 4 échantillons archéologiques provenant du site de Longetraye (Freycenet-la-Cuche, 43), situé à l’extrême pointe méridionale de la région Auvergne, au contact de la Lozère. Ces matériaux ne trouvent aucune correspondance avec les gîtes géologiques analysés, même si les spectres d’éléments-traces se rapprochent quelque peu de ceux du groupe 117 (silex du sud-est de la France).
49Les échantillons suivants s’individualisent nettement et ne présentent aucune similitude : les silex crétacés issus des gîtes 40 (Neuillay-les-Bois, 36), et 5 (Meusnes, 41), ainsi que ceux issus des sites archéologiques BADE (Bade de Collandres, 15), GOU6 (Goutte-Roffat, 42), GOU9 (Goutte-Roffat, 42), Si 2, SIR et Si5 (Le Sire, 63), Bl2 (Blassac, 63) et BLOT3 (Le Blot, 43).
50Les échantillons géologiques YGUE (Iguerande, 71) et STJ (Saint-Jeanvrin, 18) sont également à part et ne trouvent aucun équivalent, tant du point de vue des matériaux archéologiques que géologiques. YGUE est un silex jurassique. STJ est aussi d’un matériau spécifique, issu des silicifications filoniennes de l’Infralias. Le rapprochement macroscopique que nous avions été tenté de faire avec des silex trouvés en contexte archéologique est sans fondement. Ces échantillons ont en commun un rapport isotopique du strontium très élevé (> 0,712), ce qui traduit l’existence d’une forte composante détritique. Le rapport peut atteindre 0,733 dans le cas de STJ (silex de l’Infralias, de Saint-Jeanvrin, 18). Cela se traduit aussi par des teneurs exceptionnellement élevées en certains éléments majeurs, tels que le fer. Ces roches « sales » présentent alors une signature géochimique qui n’est pas forcément significative. Pour aller plus loin dans l’analyse, il faudrait alors qu’elle soit pondérée de plusieurs échantillons.
51Les résultats obtenus montrent le bien-fondé de la méthode utilisée et du choix du rapport isotopique du strontium comme premier critère de comparaison et de discrimination.
52Les échantillons issus du même gîte géologique (par exemple EST et EST2, ou bien 6-1 et 6-2), ou de gîtes voisins (9 et 88, tous deux du nord de l’Indre) présentent le même profil géochimique, ce qui montre aussi que les différences de couleur, dues à une teneur variable en éléments organiques ou minéraux (éléments majeurs), n’influent pas sur la signature géochimique. Cela apparaît aussi à partir du rapprochement possible entre les deux échantillons archéologiques de COR et COR2. Notons toutefois que le matériau issu du gîte 5 (Meusnes, 41), bien que situé très près du gîte 6 (Lye, 36), présente de fortes différences au niveau de la caractérisation géochimique. Cela peut tenir à une variation latérale ou stratigraphique de faciès.
53De même, on peut individualiser des groupes chrono-spatiaux.
54Le groupe des silex du Crétacé inférieur du sud-est de la France présente de fortes similitudes et se distingue nettement des silex des autres secteurs géographiques. La même chose est observable pour les silex du Crétacé supérieur de la partie nord de notre zone d’études (Bourgogne-nord, Champagne du sud et Gâtinais). Les silex très différents en matière de texture et d’âge, tels que les matériaux issus des gîtes de l’Infralias de Saint-Jeanvrin (Cher) et jurassiques d’Iguerande (Saône-et-Loire), ne ressemblent à aucun autre échantillon analysé. Les silex des calcarénites du Turonien supérieur se différencient également des autres matériaux.
55Les rapprochements entre silex archéologiques et géologiques sont plus délicats à interpréter. C’est à cette même conclusion que sont arrivés les travaux antérieurs menés par le biais de la géochimie (Blet et al. 2000 ; Bressy 2000 ; Bressy et al. 2000 ; Grégoire 2001).
56Quelques résultats indubitables ont toutefois été obtenus.
57Nous avons la confirmation que la majeure partie des matériaux archéologiques proviendrait bien de gîtes du centre de la France et plus précisément du Berry. Les rapprochements étroits entre matériaux archéologiques et géologiques concernent des gîtes du nord de l’Indre, du sud du Loir-et-Cher ou du nord-ouest du Cher. Il s’agit là d’un résultat important qui corrobore les théories antérieures émises à partir de simples études microfaciologiques, mais aussi litho-technologiques (Masson 1981 ; Surmely et al. 1998). Il n’y a pas d’indice de rapprochement avec les riches gîtes à silex du Giennois, présentés comme pouvant être à l’origine des feuilles de laurier retrouvées sur le dépôt de Volgu (Saône-et-Loire ; Aubry et al. 2003), du nord du Loiret, du Sénonnais, comme de la Champagne. L’importation de silex blonds du sud-est de la France est subodorée par le rapprochement avec les deux échantillons d’un site néolithique du sud du Cantal.
58L’origine géographique précise des matériaux archéologiques reste plus difficile à déterminer. Beaucoup de silex (par exemple CHAL, GOU2, GOU3, GOU5, GOU7, ENV1, PON2) peuvent être rapprochés de plusieurs gîtes géologiques, situés certes dans le même secteur géographique. Les propositions d’attribution géographique précise, basée sur la similitude parfaite des signatures géochimique, isotopique et pétrographique sont rares. Elles concernent l’échantillon Blot 1, qui peut être attribué au gîte 80 (Thénioux, Cher), Si4, qui peut être attribué au gîte 11 (Buxeuil, Indre), PON2, GOU7 et PDL qui pourraient provenir du gîte 13 (Méry-sur-Cher, Cher). Même si ces indications sont en nombre limité, il faut noter qu’elles concernent toutes deux secteurs géographiques voisins, localisés à l’extrême pointe septentrionale du département de l’Indre et aux environs de Vierzon (département du Cher).
59En dehors de ces cas, les rapprochements ne peuvent être faits. Notre étude a alors pour résultat de montrer que les appariements supposés, par le biais de l’examen visuel, ne sont pas pertinents. Ainsi l’échantillon Si5 (Le Sire, 63), que nous avions rapproché des gîtes 40 (Neuillay-les-Bois, 36) ou 68 (Myennes, Cher), sur la base de la couleur rougeâtre bien spécifique et de zonations ocres (fig. 15), ne correspond à aucun d’entre eux.
Figure 15 - La tentative de rapprochement de l’échantillon archéologique du Sire (les deux lames au centre de la photographie), avec les deux équivalents présumés (gîtes 40, à gauche et 68, à droite) s’est avérée négative, malgré un aspect macroscopique équivalent. L’origine du silex archéologique doit donc être trouvée ailleurs.
Figure 15 - We failed to link the archaeological sample from Le Sire site (the two blades in the center of the photography) with the supposed equivalent geological flint coming from the 40 deposit (to the left) and 68 (to the right), although they have the same macroscopical outlook. Therefore, the origin of the artefacts must be looked for somewhere else.
60Les échantillons Si2 et SIR3 nous semblaient provenir des silicifications de l’Infralias de Saint-Jeanvrin. Pourtant, l’analyse géochimique, tout en confirmant leur place à part, ne montre aucune similitude avec l’échantillon (STJ) provenant de ce gîte.
61Faut-il en conclure que ces silex ne proviennent pas des gîtes considérés ? La réponse n’est pas évidente. Dans le cas de roches à forte composante détritique (ce qui semble être le cas de certains silex de la craie du Crétacé, mais surtout des matériaux du Jurassique (tels que ceux du secteur d’Iguerande, 71), ou de l’Infralias, tels que STJ), la signature géochimique peut être non significative sur un échantillon isolé. Pour opérer des comparaisons valables, il faudrait faire une série de mesures sur plusieurs échantillons et voir leur variabilité, avant de calculer des moyennes pondérées.
62Quant au petit nombre de rapprochements précis entre silex géologiques et artefacts mis en évidence et à l’absence de toute correspondance géologique entre certains silex archéologiques et l’ensemble des échantillons naturels analysés, ils ne sauraient surprendre et tiennent assurément à la nature trop restreinte de notre corpus. Rappelons que l’échantillonnage de toute la partie sud de l’auréole du Crétacé supérieur du Bassin parisien (Alcayde 1994) se limite à 30 échantillons ! Nous n’avons pas pu prendre en considération toute la diversité des matériaux, au travers des variations latérales et stratigraphiques de faciès.
63Enfin, il convient de souligner que l’interprétation des données obtenues pourrait être diversement appréciée. Même si nous pensons que notre méthodologie demeure la plus adaptée, notamment par la prise en compte du rapport isotopique du Strontium comme discriminant principal, nous pouvons admettre que d’autres méthodologies pourraient être mises en œuvre.
64C’est pour cette raison que les rapports d’opération que nous avons écrits (disponibles sur http://www.univ-bpclermont.fr/LABOS/geolab/Surmely/Pagegeneralesilex.htm) comportent l’ensemble des résultats bruts d’analyses.
65Notre étude s’est basée sur les séries lithiques d’un nombre important de gisements, allant du début du Paléolithique supérieur (Aurignacien ancien probable) au Bronze ancien, dans six départements du centre du Massif central : Puy-de-Dôme, Cantal, Haute-Loire et dans une moindre mesure, Allier, Loir-et-Cher. Les ensembles lithiques étudiés sont d’importance quantitative inégale, depuis de petites séries issues de fouilles anciennes, jusqu’à de gros corpus venant de gisements fouillés récemment. Nous ne rentrerons bien évidemment pas dans la description de ces séries, la plupart ayant fait l’objet de publications, dont on trouvera la liste dans la bibliographie de cet article.
66Comme nous l’avons déjà indiqué (Surmely et Pasty 2003), le silex crétacé supérieur est totalement absent des gisements antérieurs au Paléolithique supérieur des trois départements du Cantal, du Puy-de-Dôme (Surmely et Pasty 2003) et de la Haute-Loire (Raynal et al. 2007). Il est présent dans le gisement de Châtelperron, dans un contexte attribué à l’Aurignacien ancien (Delporte et al. 1999). Il est bien représenté dans le gisement du Sire, à Mirefleurs, Puy-de-Dôme, daté du tout début du Gravettien (Surmely et al. 2003, sous presse et soumis), et dans les niveaux du Gravettien moyen/final du gisement du Blot (Cerzat, Haute-Loire ; Surmely, soumis). Nous ne disposons malheureusement pas de corpus solutréen. Dans les niveaux protomagdaléniens de ce dernier site, le silex crétacé est très abondant (94,2 % de l’industrie lithique), avec une bipartition originale Turonien inférieur/Turonien supérieur (Surmely et al. sous presse ; Surmely soumis). On le retrouve dans l’ensemble des gisements magdaléniens et épipaléolithiques des hautes vallées du Cher, de la Loire et de l’Allier et de ses affluents (Bourbonnais, Velay, Puy-de-Dôme, partie orientale du département du Cantal). Les proportions vont de moins de 1 à 69 %, selon les secteurs géographiques, sans que l’on puisse voir une évolution chronologique au sein de cette période. Il n’y a pas de décroissance à l’Azilien, comme le montre le chiffre élevé de matériaux allochtones présents sur les sites de Champ-Chalatras (Pasty et al. 2002) et du Cheix (Surmely 1998 et 2003).
67Les sites mésolithiques sont peu nombreux, empêchant des comparaisons fiables. Sur la base des maigres données disponibles (Surmely 2003 ; Pasty et al. 2005), la proportion de silex crétacé sur ces sites semble nettement moins élevée pour le Mésolithique moyen. Le Mésolithique final et le Néolithique ancien ne sont presque pas documentés. En revanche, les gisements attribués au Néolithique moyen montrent une très grande richesse en silex du Crétacé, dépassant toujours la moitié de l’industrie lithique, avec un choix orienté vers le silex blond (Dartevelle et al. 2004), en tous points comparables avec le comportement des Chasséens du sud de la France (Binder 1998 ; Léa et al. 2005 ).
68Ces variations chronologiques s’ajoutent à des différences importantes qui tiennent à la position géographique des sites.
69On observe que les silex crétacés sont très abondants, d’une façon générale, dans les secteurs dépourvus de silicifications locales de bonne qualité, en Haute-Loire, dans l’ouest du Puy-de-Dôme, dans l’est du département du Cantal et dans la Loire. Ils sont au contraire en moyenne nettement moins présents dans les zones où se rencontrent des matériaux locaux de bonne qualité (d’âge tertiaire), comme l’ouest du Cantal et le centre-est du Puy-de-Dôme. De même, il existe assurément un lien entre l’abondance des silex crétacés et la proximité des grandes rivières qui relient l’Auvergne au Centre, comme l’Allier, la Loire et le Cher.
70La conjugaison de ces paramètres explique l’exceptionnelle abondance des silex crétacés dans les séries du département de l’Allier, à la fois traversé par les cours d’eau précités, pauvre en silex et proche des gîtes du sud du Bassin parisien.
71Ainsi, deux sites du même secteur géographique, l’un Gravettien ancien (Le Sire), l’autre Magdalénien final (Pont-de-Longues), dont les occupations sont pourtant distantes de près de 20 000 ans, offrent un pourcentage sensiblement équivalent de silex importés. Cela dit, on observe des variations dans la proportion de silex crétacés entre sites proches, comme les trois sites de la Vigne Brun (Digan 2001), du Rocher de la Caille (Alix et al. 2003) et la Goutte Roffat, et même d’un niveau à l’autre dans le même site (exemples de la Gouttte-Roffat, du Blot, du Sire, etc.). Ces différences ne remettent toutefois pas en cause le schéma global énoncé plus haut, d’autant que dans certains sites s’ajoute un matériau tertiaire également d’origine lointaine (Dufresne 1999), qui a pu prendre la place, au moins partiellement des silex marins allochtones. C’est le cas notamment des séries magdaléniennes du Blot et des sites du centre du Val d’Allier (Pont-de-Longues, Enval).
- 11 Le chiffre de 92 % de silex turonien inférieur est donné pour le site d’Enval/Fond de l’Abri (Puy-d (...)
72Observons toutefois que le pourcentage maximal de silex crétacé (Turonien inférieur et Turonien supérieur) pour l’ensemble des sites étudiés11, se trouve dans les séries protomagdaléniennes du gisement du Blot, situé pourtant dans la partie méridionale de l’Auvergne, très loin des sources d’approvisionnement. En l’absence d’autres sites de la même culture dans la région, il est difficile de savoir si cette caractéristique s’explique par la position géographique (absence de bonnes matières premières locales, proximité de la rivière Allier), par le contexte techno-culturel (production de grandes lames régulières), par une mobilité plus grande des populations à cette époque, ou bien par la conjugaison de l’ensemble de ces paramètres.
- 12 Les modalités de calcul sont également un obstacle à l’analyse comparative. Nos chiffres correspond (...)
73D’une façon générale, le nombre limité de sites, du moins pour les périodes paléolithique, épipaléolithique et mésolithique, est un obstacle à l’analyse comparative entre cultures et secteurs géographiques12.
74Les distances de circulation des silex crétacés sont importantes et varient, selon les secteurs considérés et les zones possibles de prélèvement des matériaux, entre 100 et 280 km à vol d’oiseau.
75Les stratégies d’approvisionnement semblent complexes et liées à l’éloignement des gîtes d’origine de la matière première. La première caractéristique est l’apport de pièces déjà transformées et allégées, à divers stades. Ceci se manifeste par la proportion très faible d’éclats d’épannelage dans les gisements d’Auvergne. Dans la plupart des sites paléolithiques et épipaléolithiques, le silex allochtone arrive sous la forme de nucléus déjà préformés et très largement décortiqués, de supports débités, voire, dans une proportion assez faible, d’outils déjà façonnés. La découverte de plusieurs préformes de nucléus (en silex tertiaire certes, mais on peut supposer des stratégies analogues pour les silex crétacés) illustre ce phénomène (Surmely et al. 2002). Dans les séries protomagdaléniennes du Blot, caractérisées, nous l’avons vu, par l’exceptionnelle abondance des silex crétacés, on note la présence de quelques blocs arrivés bruts, qui ont été exploités sur place (Surmely et al. sous presse). Cela ne concerne toutefois que le silex du Turonien supérieur.
76La seconde caractéristique, assurément liée elle aussi à l’origine lointaine des silex, est la gestion rigoureuse de la matière première qui se manifeste par un ravivage souvent intense et multiple des outils. C’est ainsi que l’on retrouve des burins ou des grattoirs façonnés sur des fragments de lames qui mesurent parfois moins de 2 cm de long comme par exemple à la grotte Béraud (Surmely, Quinqueton, Virmont presse) ou bien à la Bade de Collandres (Surmely et al. 2006). La reprise des burins crée des passages entre des formes dièdres d’axe, dièdres sur cassure et sur troncature, que l’on observe lors des remontages, par exemple dans les séries protomagdaléniennes du gisement du Blot (Surmely et al. sous presse). Cela enlève bien évidemment beaucoup de sens à la valeur culturelle attribuée à la classification typologique traditionnelle des burins. Ce phénomène de réutilisation est toutefois à nuancer par l’utilisation de certaines pièces comme nucléus à lamelles.
77De plus, le décompte des négatifs d’enlèvement laminaire révèle, sur tous les sites, un déficit en lames qui montre que des pièces ont été emportées hors du site. Là encore, le Protomagdalénien du Blot se démarque quelque peu. En effet, et malgré un haut degré de ravivage de la plupart des supports laminaires, les hommes ont laissé sur place des pièces entières qui paraissent encore tout à fait utilisables ou transformables. L’exemple le plus frappant est la lame appointée de 18 cm de long, réalisée dans du silex pressignien. On peut s’étonner de l’abandon sur place d’une telle pièce. Plusieurs réponses peuvent être apportées à cette interrogation, parmi lesquelles l’hypothèse de comportements « cultuels », échappant à la simple logique rationaliste ou bien celle d’une réserve pour un séjour ultérieur.
78Ce même souci d’exploitation maximale pourrait expliquer la disparition systématique des nucléus en silex importé, sur tous les gisements, le Blot y compris. Il s’agit vraiment d’une constante et les très rares nucléus retrouvés correspondent à de tous petits nodules inutilisables ou fragmentés, souvent réutilisés en abraseurs. Cela contraste nettement avec les silex locaux, pour lesquels les nucléus sont présents en proportion normale. C’est le cas notamment sur le gisement gravettien du Sire.
79De même, on note le recours, sur certains sites (Le Blot, Protomagdalénien et Magdalénien ; Enval 1, Magdalénien ; La Corne de Rollay, Magdalénien) à des techniques de production de lamelles à partir de fragments de lames ou de burins, qui pourraient être interprétées comme une conséquence de la carence en matériau silicieux (Bosselin 2007 ; Angevin 2008 ; Surmely sous presse).
80Cette rigueur de la gestion de la matière première crétacée apparaît moins grande dans les gisements néolithiques, comme le montre une plus forte proportion d’éclats corticaux et de cassons. Ce fait, associé à la forte présence quantitative des silex crétacés dans les assemblages lithiques, est le signe d’un approvisionnement plus facile donnant aux silex importés un moindre caractère de rareté et de préciosité.
81Ainsi, sur le gisement chasséen d’Opme (Romagnat, Puy-de-Dôme), le silex du Turonien inférieur a été apporté sur le site sous la forme de blocs presque bruts. On note la présence d’éclats corticaux et surtout semi-corticaux, débités au percuteur dur (Dartevelle et al. 2004).
- 13 Cette hypothèse liant l’utilisation de silex importés à des échanges a été avancée très tôt par F. (...)
82Enfin, il convient de s’interroger sur les schémas d’approvisionnement. Certains chercheurs ont considéré que l’utilisation de silex importés du sud du Bassin parisien correspondait à des déplacements entre cette région et le centre du Bassin parisien, à l’occasion de grandes migrations saisonnières à la suite des troupeaux de rennes (Bracco 1995). D’autres y ont vu l’indication de rassemblements de populations, venues de régions différentes et mettant en commun leur stock de matières premières (Pesesse soumis). Cette dernière hypothèse est peu vraisemblable puisque que les silex allochtones se trouvent dans tous les types de sites, y compris de petits gisements assimilables à des haltes temporaires. L’idée d’un transport des silex par les utilisateurs eux-mêmes, lors de grands déplacements migratoires, ne repose sur aucune indice probant. On peut donc avancer tout aussi bien l’hypothèse d’échanges entre populations voisines13, voire celle de « colporteurs » assurant l’approvisionnement. Compte tenu de cette incertitude, il nous apparaît prématuré de faire du pourcentage de silex allochtones dans une série un indice de mobilité du groupe humain considéré. Ajoutons que, bien évidemment, les besoins spécifiques des tailleurs en terme de qualité et de volumétrie des matériaux ont très certainement influé sur la nature de leur approvisionnement.
83L’idée de déplacements à longue ampleur ne saurait être de toute façon retenue pour le Néolithique. Pour cette dernière période, il faut envisager l’existence de réseaux d’échanges ou de commerce, déjà supposés pour des productions spécifiques en silex du Turonien supérieur.
84On peut s’interroger légitimement, au moins à propos du Paléolithique et de l’Epipaléolithique, sur les raisons qui ont poussé les hommes à se procurer des matières premières d’origine lointaine, au prix d’efforts liés au caractère pondéreux des matériaux et à l’importance des distances parcourues.
85La première hypothèse, qui semble logique, serait celle d’une valeur qualitative supérieure des silex crétacés par rapport aux silex tertiaires locaux. Les hommes auraient ainsi été conduits à chercher à se procurer de bons silex, pour pallier la qualité moindre des silicifications autochtones.
86Cette hypothèse fonctionnelle est toutefois mise en défaut. D’abord, nos propres comparaisons de la valeur qualitative des silex crétacés de Touraine et des silex tertiaires d’Auvergne (cf. supra) ont montré qu’aucune différence significative ne peut être observée entre ces matériaux. L’argument volumétrique ne peut également pas être avancé, puisque que les bons silex tertiaires du Massif central se présentent en bancs offrant des volumes exploitables au moins égaux à ceux des silex crétacés. Reste la facilité de débitage, paramètre dont nous n’avons pas pu apprécier l’importance, faute d’études et d’expérimentations systématiques.
87Mais surtout, l’observation la plus importante réside dans le fait qu’aucune sélection manifeste ne semble avoir été faite entre les silex crétacés et les silex tertiaires autochtones pour le façonnage des divers types d’outils. En effet, sur tous les sites, les hommes ont utilisé de façon apparemment indifférenciée les deux types de silex pour créer tous les types d’outils, y compris des pièces exposées à des contraintes mécaniques fortes en percussion lancée, comme les pièces esquillées et les armatures de projectile (fig. 16 à 18). Selon les sites, on observe bien quelques disproportions mais celles-ci demeurent discrètes et concernent des types d’outils différents d’une série à l’autre. Elles semblent donc être le fait du hasard et non d’une recherche volontaire d’un matériau précis pour le façonnage d’un outil particulier.
Figure 16 - Le Sire (Mirefleurs, Puy-de-Dôme, Gravettien ancien). Diagramme de répartition des outils par grands types de matières premières (det. F. Surmely).
Figure 16 - Le Sire (Mirefleurs, Puy-de-Dôme, Early Gravettian). Diagram of the distribution of the tools according the major types of flint.
Figure 17 - Le Pont-de-Longues (Vic-le-Comte, Puy-de-Dôme, Magdalénien final). Diagramme de répartition des outils par grands types de matières premières (det. F. Surmely).
Figure 17 - Le Pont-de-Longues (Vic-le-Comte, Puy-de-Dôme, Late Magdalenian). Diagram of the distribution of the tools according the major types of flint.
Figure 18 - Blassac 2 (Blassac, Haute-Loire, Magdalénien, fouilles J.-F. Allaux). Diagramme de répartition des outils par grands types de matières premières (det. F. Surmely).
Figure 18 - Blassac 2 (Blassac, Haute-Loire, Magdalenian, dig from J.-F. Allaux). Diagram of the distribution of the tools according the major types of flint.
88Il est donc possible de dire que, selon les critères pris en compte, rien ne permet d’affirmer que les silex crétacés allochtones avaient une valeur fonctionnelle supérieure à celle des silex tertiaires régionaux.
89La justification de l’importation de silex d’origine lointaine nous semblerait donc à chercher en dehors du domaine purement technique, comme nous l’avions déjà supposé (Surmely et Pasty 2003). A l’évidence, ce recours à des matières premières allochtones, à la fois rares, belles et bien différenciées par la couleur des matériaux locaux, pourrait répondre à un désir de prestige social, en tous points comparable à celui qui incitait à l’utilisation d’éléments rares pour la parure (D’Errico et Vanhaeren 2003). Cela n’aurait pas empêché, bien au contraire, leur emploi dans les tâches quotidiennes et une rigueur particulière dans leur gestion, ayant pour corollaire les comportements d’économie décrits plus haut.
90Au sein des silex crétacés, notre caractérisation générale macroscopique s’est limitée à la distinction de deux grandes catégories, silex de la craie du Turonien inférieur et calcarénites silicifiées du Turonien supérieur.
91Toutes périodes confondues, les silex de la craie sont toujours nettement plus abondants que ceux du Turonien supérieur, montrant une facilité d’approvisionnement plus grande des premiers matériaux et/ou une préférence opérée par les populations préhistoriques. Le rapport est en moyenne de l’ordre de 20 pour 1, en faveur des silex de la craie et souvent beaucoup plus. Les silex du Turonien supérieur sont même totalement absents dans le département du Cantal (en dehors des objets spécifiques type poignard). La seule exception connue à ce jour concerne le Protomagdalénien du gisement du Blot, où les silex de type pressignien dominent largement (59 % contre 35 % en poids pour l’ensemble des niveaux attribués à cette culture ; Surmely et al. sous presse ; Surmely soumis). Ne disposant que de ce seul gisement pour le Protomagdalénien dans le Massif central, il est évidemment impossible de dire si ce trait original avait une valeur culturelle. D’une façon générale, le silex du Turonien supérieur semble plus abondant dans les gisements de la Haute-Loire mais l’importance limitée du corpus de site ne permet pas de donner à cette observation un caractère affirmé.
92Là encore, on n’observe aucune différence dans la gestion et l’utilisation des grands types de silex crétacés quand ils ont été employés sur le même gisement. C’est ainsi que les talons en éperon massif, caractéristiques des grandes lames du Protomagdalénien, se retrouvent de façon indifférenciée sur les supports du Turonien inférieur comme ceux du Turonien supérieur (Surmely et Alix2005 ; Surmely soumis).
- 14 Dans l’ensemble des gîtes considérés, à l’exception de quelques secteurs du nord de l’Indre et du C (...)
93Il convient toutefois d’observer que les préhistoriques de toutes époques ont très largement privilégié, parmi les silex de la craie du Turonien inférieur, la variété de couleur « blonde », au détriment des variétés de couleur grise ou noire, alors même que leur fréquence sur les gîtes paraît sensiblement égale14 et que leur morphologie initiale et leur comportement mécanique sont rigoureusement identiques (Surmely et Murat 2003). Ce sont les mêmes silex blonds qui ont été utilisés dans l’ouest de la France au Néolithique (Guyodo 2003). Cette préférence pour les silex blonds a également été le fait des utilisateurs historiques du silex, pour les pierres à fusil de Touraine (Émy 1978). Les silex gris ou noirs ne représentent en moyenne que 2 à 3% de l’ensemble des matériaux du Turonien inférieur. A l’inverse, la seule pointe de la Font-Robert retrouvée dans le niveau 3a du Sire est façonnée dans un silex noir, par ailleurs rarissime dans les séries. Cela rejoindrait nos réflexions quant à l’importance de l’aspect visuel du matériau, le silex « blond » étant plus esthétique et se démarquant mieux des silex tertiaires que les silex noirs et gris. Cela pouvait permettre en outre une plus grande facilité de discrimination, facteur important comme on le sait, pour les échanges et les trocs s’effectuant à longue distance, sans relation directe entre le consommateur final et les gîtes d’extraction.
94Il est à noter que la volonté de n’acquérir que des matériaux de couleur blonde aurait pu orienter les consommateurs vers les gîtes où ces silex se rencontrent de manière exclusive. C’est le cas, comme nous l’avons vu plus haut, de quelques secteurs particuliers du nord du département de l’Indre et des environs de Vierzon (Cher), qui sont aussi (cf supra) ceux qui offrent les rapprochements les plus étroits par géochimie avec des échantillons issus de séries archéologiques.
95Dans les sites de la partie orientale du Massif central (La Goutte-Roffat ; Le Rocher de la Caille, Chassey-le-Camp), les silex crétacés noirs sont présents en petite quantité. Les chercheurs ayant étudié ces séries (Alix et al. 2003 ; Affolter 2005) les font venir des gîtes du Sénonnais (environs de Gron, Paron). En ce qui concerne la Goutte Roffat, les études géochimiques ne montrent aucun indice de rapprochement avec ce secteur et les silex crétacés noirs, envisagés du point de vue macroscopique, pourraient provenir d’autres régions : Sénonnais, mais aussi Berry, Puysaye, voire Champagne. La question reste posée pour les deux autres sites cités.
96Dans la plupart des sites paléolithiques et épipaléolithiques de l’ensemble de l’Auvergne et des sites néolithiques de l’Allier exclusivement, on observe la présence d’un silex aux teintes vives, orangée ou vert foncé, qui semble correspondre au « jaspe » (silex filonien) de l’Infralias du secteur de Saint-Jeanvrin (Cher). Cette région offre en effet des gîtes très riches, qui semblent avoir été abondamment utilisés à toutes les époques (travaux M. Piboule). Comme nous l’avons vu plus haut, l’analyse géochimique n’a pas permis de confirmer ce rapprochement. L’hypothèse d’un recours à des gîtes plus éloignés du même matériau est aussi envisageable. L’importance quantitative des silex de l’Infralias est faible, toujours inférieure à 5 %, à une exception près. Ce même matériau est présent également dans les séries magdaléniennes du Rocher de la Caille, où il occupe une place non négligeable (Alix et al. 2003)
97La diffusion des silex du Crétacé inférieur du sud-est de la France semble avoir été réduite dans le centre du Massif central et limitée à la seule période néolithique. Dans notre corpus, seuls deux échantillons d’un même site chasséen de la partie mériodionale de l’Auvergne (Chastel-sur-Murat, Cantal) peuvent correspondre à ce type de matériaux. Nous avions supposé qu’une petite part des matières premières utilisées sur le site de Longetraye (sud de la Haute-Loire) pouvait avoir la même origine. L’analyse n’a pas confirmé cette hypothèse, du moins sur la base des échantillons soumis à la comparaison mais sans toutefois l’infirmer complètement.
98Les silex du Bassin aquitain semblent avoir été très peu introduits dans le Massif central, même s’il est vrai que les séries provenant de la façade occidentale de l’Auvergne sont fort rares, toutes périodes confondues. Le seul témoin est un fragment de lame, façonné vraisemblablement dans un silex du Bergeracois, retrouvé sur le site magdalénien de Cors (ouest du Cantal ; Surmely 2003). Nous n’avons pas pris en considération dans notre étude les gîtes à silex du Mâconnais-Châlonnais (Affolter 2005 ; travaux en cours M. Rué). L’hypothèse d’un approvisionnement, à coup sûr réduit, à partir de ces secteurs, reste envisageable.
99Les haches polies réalisées en silex crétacé retrouvées en Auvergne sont très rares : 17 pièces seulement, sur un total de 1 438 analysées, soit une proportion d’environ 1 %. Cela s’explique assurément par la concurrence forte des silex tertiaires locaux dans les secteurs où ces matériaux sont présents et surtout par celles des roches volcaniques et métamorphiques dont la plupart ont été importées (Goër et Surmely 2000 ; Goër et al. 2002 ; Surmely et al. 2001a et b et 2004), telles que les éclogites, jadéitites et cinérites. Les haches en silex crétacé sont toutefois présentes dans l’ensemble des départements d’Auvergne, à l’exception de la partie occidentale du département du Cantal qui est aussi la plus éloignée des sources d’importation. Cette région, riche en silex tertiaires de bonne qualité (Pasty et al. 1999), a été « inondée » de haches en cinérite issues du Rouergue voisin (Surmely et al. 2004). Tout aussi logiquement, c’est le département de l’Allier, le plus proche des gîtes de silex crétacés, mais aussi dépourvu de bons silex locaux, qui a livré le plus grand nombre de haches en silex crétacé, la proportion ne dépassant pas toutefois 12 % du corpus total.
100On retrouve les deux composantes Turonien inférieur/Turonien supérieur, le premier groupe constituant 40 % environ des pièces étudiées, soit une proportion plus forte que pour l’industrie non polie. Une pièce, en silex bariolé, pourrait provenir des gîtes du nord-ouest du département de la Nièvre.
101Il n’est pas possible de savoir si ces pièces ont été importées à l’état fini ou bien façonnées sur le lieu de destination. Observons toutefois que la très grande majorité des autres pièces en roches allochtones (telles que les éclogites et jadéitites italiennes et cinérites aveyronnaises) sont parvenues en Auvergne totalement achevées, ce qui indiquerait une situation analogue en ce qui concerne les pièces en silex crétacé. Le lieu de provenance reste inconnu, les pièces polies n’ayant pas été intégrées à notre étude, mais d’importants ateliers de façonnage sont connus dans le sud du Bassin parisien (Bourne 2007 ; Surmely sous presse) et pourraient être à l’origine des pièces importées en Auvergne.
- 15 Présence observée dans les niveaux protomagdaléniens de l’abri Pataud (obs. personnelle).
102L’ensemble des observations convergent, nous l’avons vu, pour indiquer un recours important, si ce n’est exclusif, aux gîtes à silex du Berry, tout particulièrement dans les basses vallées de l’Indre et du Cher. C’est à cette même conclusion que sont arrivés d’autres chercheurs (Fontana et al. 2009). La pérennité de ce phénomène est remarquable puisque qu’il concerne des gisements allant du Gravettien ancien à la fin du Néolithique, sur une durée de plus de 25 000 ans. Nos études semblent également indiquer qu’il concerne l’ensemble des sites de la région considérée, correspondant à une partie importante du Massif central. Il faut ajouter que les silex blonds, dont l’origine est probablement le Berry, se retrouvent sur la bordure orientale du Massif central (Affolter 2005), dans l’ouest de la France et jusqu’en Périgord15. D’après nos études, la limite méridionale de diffusion de ces matériaux pourrait être le sud du Velay, car ils sont absents des séries néolithiques du département de la Lozère que nous avons pu étudier.
103Considérant l’étendue spatiale et chronologique de la diffusion des silex crétacés du Berry, tout particulièrement des silex de la craie du Turonien inférieur, on prend conscience de l’ampleur du phénomène de diffusion. Les gîtes de ce secteur ont été intensément exploités, avec probablement de véritables ateliers dont l’existence reste encore à découvrir.
104Nos conclusions reprennent des idées déjà précédemment avancées, en les précisant, mais sans apporter de résultats spectaculaires.
105Tout d’abord, l’importance quantitative et le caractère systématique de la présence de silex crétacés dans les séries lithiques des sites préhistoriques du centre du Massif central, mais aussi les distances parcourues par les pièces, qui dépassent souvent les 200 km, ainsi que la complexité des stratégies d’approvisionnement, permettent sans conteste d’employer le terme d’importation, ainsi que nous l’avions déjà suggéré. Des phénomènes du même type ont été observés dans les régions voisines, notamment dans le Bassin aquitain (Lebrun-Ricalens et al. 2005).
106Les analyses géochimiques montrent des rapprochements entre les pièces issues des gisements du Massif central et les gîtes du Berry, tout particulièrement dans les basses vallées de l’Indre et du Cher, ce qui va dans le sens des hypothèses antérieures et correspond à une logique géographique de distance. Toutefois, les appariements formels sont rares, ce qui tient assurément au nombre relativement restreint d’échantillons analysés, qui ne peut rendre l’extrême diversité des matériaux présents dans les séries du Crétacé supérieur de cette région, au travers des variations latérales et stratigraphiques de faciès.
107Même si les études techno-lithologiques ont permis de mettre en évidence la complexité des stratégies d’importation, les modalités d’approvisionnement restent à notre avis indéterminables. Si un approvisionnement direct est possible pour le Paléolithique supérieur, étant donné la mobilité des groupes humains et à l’existence possible de migrations à longue distance, l’hypothèse d’échanges entre tribus, voire de liens commerciaux (« colporteurs »), nous semble tout aussi envisageable, et hautement probable pour le Néolithique. Dans tous les cas, ce phénomène d’importation, d’une pérennité remarquable, constitue une preuve de la facilité de circulation des biens matériels durant la préhistoire, s’agissant en plus de matières premières pondéreuses, relativement volumineuses et parfois assez fragiles.
108Si l’on peut dégager des tendances générales entre grands secteurs géographiques et grandes périodes chronologiques, il n’est pas possible d’aller plus avant dans l’analyse, du fait du trop petit nombre de sites étudiés à ce jour et datés précisément.
109De façon étonnante, l’importation de matériau concerne surtout la variété de couleur blonde du silex de la craie du Turonien inférieur, pour l’ensemble de la période allant du Gravettien ancien au Bronze ancien. Nous avons vu que ce matériau ne présente toutefois pas de valeur qualitative évidente. Ce choix manifeste pourrait donc s’expliquer de deux façons, sans doute liées : soit une volonté de privilégier un matériau conjuguant bel aspect et qualité fonctionnelles soit un recours exclusif à certains gîtes (notamment du nord du département de l’Indre) n’offrant que cette variété particulière. La seconde hypothèse nous paraît la plus probable, en accord avec les quelques appariements précis obtenus par l’analyse géochimique. L’existence de gîtes intensément exploités dans ce secteur est donc très probable, même s’ils restent encore à découvrir.
110Le plus curieux reste l’absence de sélection fonctionnelle des silex crétacés, qui semblent avoir été employés indifféremment avec les silex locaux pour l’obtention des mêmes outils, en dépit de leur caractère de rareté et d’un souci manifeste d’économie. Cette anomalie apparente peut s’expliquer, à notre sens, par le fait que l’importation de silex n’était pas dictée par des impératifs qualitatifs en matière fonctionnelle, mais plutôt par un souci de prestige social, visant à posséder et à utiliser des pièces en silex rare et hors du commun.
111La suite à donner à nos travaux s’oriente tout naturellement vers une analyse approfondie des gîtes des basses vallées de l’Indre et du Cher, dans la perspective de trouver des rapprochements plus nombreux entre matériaux naturels et échantillons archéologiques, de détailler encore les secteurs susceptibles d’avoir été à l’origine des approvisionnements et de tenter de dégager d’éventuelles évolutions en fonction des périodes considérées. Sur le plan des prospections et de la constitution de la lithothèque, nous poursuivons nos recherches dans le département de la Nièvre. Bien évidemment, un élargissement de la base de données sur la composition lithologique des séries préhistoriques du Massif central est également un objectif, dans la perspective de disposer un jour d’un référentiel suffisamment important pour pouvoir faire des comparaisons raisonnées d’un secteur et d’une période à l’autre.
112Enfin, il faut rappeler qu’un tel travail reste à effectuer pour le silex tertiaire, pour lequel les études antérieures (Dufresne 1999 ; Surmely 1998 et soumis) ont montré l’ampleur de la circulation à longue distance. Là encore, compte tenu du caractère ubiquiste des sources d’approvisionnement potentielles, le recours à l’analyse géochimique apparaît justifié.
Remerciements
L’étude a été financée par les services régionaux de l’archéologie des régions Centre et Auvergne. L’UMR 6524 (Magma et Volcans, Clermont-Ferrand) a apporté gratuitement la mise à disposition des moyens de traitement et d’analyse des échantillons. Les analyses ICP/MS ont été réalisées par l’université de Bilbao (Espagne). Nous remercions chaleureusement les responsables et techniciens de ces institutions. Notre gratitude va aussi à Stéphane Bourne pour ses indications très utiles. Merci également à Maureen Hays (college of Charleston, USA) pour la traduction anglaise, à Alain Surmely pour la relecture du texte français et à Jean-Philippe Rigaud et Marie-Roger Séronie-Vivien pour la relecture critique de l’ensemble de l’article. Les études sur les sites du Blot, de la Goutte Roffat et de la Corne de Rollay ont été réalisées dans le cadre de programmes de publication coordonnées respectivement par Jean-Pierre Daugas, Mahaut Digan et Raphaël Angevin.