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Revue des livres
Notes de lecture

Michael Szenberg and Lall Ramrattan, Economic Ironies throughout History. Applied Philosophical Insights for Modern Life

Irène Berthonnet
p. 311-314
Référence(s) :

Michael Szenberg and Lall Ramrattan, Economic Ironies throughout History. Applied Philosophical Insights for Modern Life, New York : Palgrave Macmillan, 190 pages, 2014, ISBN 978-113745081-4

Texte intégral

Economic IroniesAfficher l’image
Crédits : Palgrave Macmillan

1L’ouvrage de Michael Szenberg et Lall Ramrattan, préfacé par Vernon Smith, est une exploration autour du thème de l’ironie et de ses applications dans le quotidien moderne. Comme ils l’écrivent eux-mêmes : « This book is about ironies in the ordinary business of life. » (3) et son objectif est de rendre les lecteurs plus conscients des aspects ironiques de leur quotidien (4).

2L’ouvrage est construit en deux parties, chacune ayant été rédigée séparément par l’un des deux auteurs. L’ouvrage ne propose ni introduction ni conclusion globale (bien qu’il y ait une préface qui revient brièvement sur la genèse du livre et qui inclut des remerciements détaillés). L’absence d’introduction et de conclusion révèle à notre avis l’absence de message global proposé par le livre qui énumère plus qu’il n’analyse.

3La première partie, rédigée par Lall Ramrattan et intitulée « Historical and Logical Aspects of Irony », vise à expliciter ce que les auteurs entendent par « ironie ». L’introduction de cette partie devrait en fait servir d’introduction générale car elle permet de présenter le projet et la démarche qui ont présidé la rédaction de l’ouvrage. L’ironie est définie de manière très large comme le fait que les résultats de nos actions ne sont pas toujours ceux que nous avions souhaités. Elle est déclinée en diverses catégories d’ironies : un mode d’expression (où le sens réel de l’énoncé est en réalité l’opposé du sens littéral) ; une mise en scène (où les protagonistes n’ont qu’une partie de l’information ce qui les amènent à se comporter de manière ironique au regard du spectateur. Cette forme d’ironie est essentiellement théâtrale : Roméo buvant le poison est ironique dans la mesure où Juliette n’est en fait pas morte) ; une situation (impliquée par les conditions d’existence). Mais les auteurs considèrent que les formes d’ironie vont bien au-delà de ces formes simples et sont réellement infinies. Ce sont ces ironies du quotidien infiniment nombreuses que le reste de l’ouvrage explore. Le deuxième chapitre propose des définitions de l’ironie inspirées par les sciences humaines : la linguistique (où l’ironie procède de la relation entre signe et concept), les sciences cognitives (où elle prend sens dans un contexte donné, chaque mot appartenant à un ensemble cohérent) et la psychanalyse (ou elle est en lien avec le concept d’inconscient). Les autres chapitres de la première partie identifient diverses formes d’ironies en fonction des périodes historiques (chapitre 3) avant d’évoquer les usages ironiques possibles dans les humanités (chapitre 4) et les ironies des philosophes dans le monde réel (chapitre 5).

4La seconde partie (rédigée par Michael Szenberg) – « Applications of Ironies » – propose des applications de ces divers types d’ironies. Composée de neuf chapitres supposés organiser les types d’ironie par thème (ironies générales, judaïsme, culture, politique et guerre etc.), cette partie consiste dans son intégralité en une accumulation de petits exemples d’ironies retracés à chaque fois dans un récit ne dépassant jamais une vingtaine de lignes. Chaque chapitre est ainsi un enchaînement de petites histoires que les auteurs qualifient d’ « ironiques » et qui se rapportent à une thématique commune. La thématique est indiquée par le titre du chapitre, mais il est parfois difficile de comprendre pourquoi et dans quelle mesure les récits présents dans le chapitre se rattachent à la thématique ainsi identifiée. Cette difficulté est accentuée par le fait que l’on retrouve plusieurs fois les mêmes sujets d’un chapitre à l’autre : Hitler et le nazisme sont les protagonistes de nombreux récits ; l’Union soviétique et l’histoire de la musique (essentiellement classique) et de ses compositeurs sont aussi des thèmes récurrents. L’ensemble de cette partie est donc assez long et fastidieux à lire, car le lecteur ne voit pas bien où les auteurs veulent en venir. Un certain temps de lecture est nécessaire pour comprendre que toutes ces illustrations ne viennent en fait illustrer aucun propos ni n’étayer aucune thèse, mais semblent devoir présenter un intérêt en soi, par leur aspect ironique.

5Si la lecture de l’ouvrage n’est pas toujours désagréable, on peine cependant à voir en quoi ce dernier se rattache aux questionnements de l’économie, comme le prétend son titre (ironies « économiques »). Très peu d’anecdotes se rattachent de près ou de loin aux questions habituelles de l’économie ; on citera celle sur le système de négociation multilatéral BATS (111) ou des considérations sur Wal-Mart et General Motors (68). Le seul chapitre thématique qui semble relever des problèmes économiques est celui intitulé « Money » (chapitre 13, à traduire plutôt par « argent » que par « monnaie »), mais là encore toutes les anecdotes ne présentent pas de rattachement – direct ou indirect – aux questions économiques (voir par exemple les considérations sur le Fugitive Slavery Act de 1850 et son impact sur le déclenchement de la guerre de Sécession (146)). Le reste des récits qui figurent dans le chapitre 13 relèvent des thèmes du commerce et/ou de la richesse individuelle : plus on est riche plus on a d’amis déclarés (150) ; ironiquement les pièces américaines présentent la devise « In God We Trust » ce qui rappelle que l’argent ne doit pas être l’unique objectif de la vie (151), etc.

6Le peu d’anecdotes au caractère économique laisse penser que l’ouvrage aurait pu se contenter de prendre pour titre ce qui constitue actuellement son sous-titre, Applied philosophical insights for modern life, même s’il est difficile aussi de décider quel contenu relève véritablement de la philosophie. Ainsi par exemple, les auteurs mobilisent Beauvoir au centre d’une histoire ironique : ils mettent en évidence l’ironie de la vie de la philosophe consistant à prôner l’émancipation des femmes alors qu’elle-même aurait « passé sa vie à vénérer aveuglément Jean-Paul Sartre » (87). Si l’on peut se demander ce que penserait un biographe documenté de l’exactitude de cette formule lapidaire, on peut déjà affirmer que cette ironie présente assez peu d’intérêt en termes philosophiques.

7Le fait que l’ouvrage ne traite pas des problématiques habituelles de l’économie ne serait pas en soi un problème s’il présentait en revanche un quelconque intérêt heuristique pour l’ensemble des sciences sociales, ce qui est loin d’être le cas. Tout au plus les ironies relevées peuvent-elles faire sourire de temps à autres, mais elles ne permettent en rien d’expliquer, d’analyser, ni même d’interpréter ou tout simplement d’interroger des phénomènes sociaux. Par exemple, dans le chapitre portant sur l’éthique et la religion judéo-chrétienne, les auteurs relatent l’histoire du réformiste indien Mahadev Govind Ranade qui voulait promouvoir l’éducation des femmes et leur remariage (plutôt que leur ostracisation) en cas de veuvage, et qui, « ironiquement », s’est lui-même marié avec une enfant comme le voulait la norme sociale, plutôt que d’épouser une veuve (74-75). Les auteurs s’arrêtent là dans leur histoire, considérant sans doute que le constat de cet aspect ironique est suffisant pour leur propos. Leur opinion perce néanmoins au début du paragraphe lorsqu’ils affirment que la satisfaction émotionnelle et personnelle est un moteur et motivateur plus puissant que la rationalité et la justice. Sans plus d’investigations, de démarche ni d’analyse scientifique, les auteurs affirment donc comme une évidence que les actions de Mahadev Govind Ranade sont guidées par la poursuite de l’intérêt individuel, qui lui serait procuré par le mariage avec cette enfant. Faisant fi de tout questionnement sur les normes sociales et les contraintes qui pèsent sur les comportements individuels dans une société et à un moment donné, ils appliquent une grille de lecture toute faite et non questionnée pour faire surgir une nième « ironie ». Autre exemple, les auteurs trouvent « ironique » que les Juifs d’Hollywood aient accepté pendant la deuxième guerre mondiale l’argent des nazis pour faire leurs films au lieu de dénoncer le nazisme (82). Là encore, il y a beaucoup à dire : les auteurs semblent considérer évident que les juifs doivent s’identifier en tant que juifs avant de s’identifier comme réalisateurs et producteurs de cinéma et agir en tant que tels. Là encore la question peut être posée mais la réponse ne saurait être instrumentalisée aux seules fins de mettre en évidence une prétendue ironie.

8En résumé, si l’on peut concéder à Szenberg et Ramrattan que le format qu’ils ont choisi ne se prête pas bien à la discussion des explications ou des cadres interprétatifs à mobiliser, il est permis de se demander tout simplement ce que ce format apporte aux sciences sociales.

9S’ils choisissent un tel format qui ne se prête pas à la discussion des interprétations et des hypothèses, c’est bien parce que pour eux il n’y a qu’une seule explication théorique pertinente pour interpréter les comportements humains et faire surgir les ironies : celle des incitations. Cela est affirmé explicitement dans la préface, dans laquelle les auteurs écrivent que « there is one common, simple factor which brought the collapse of the Societ Union, and the credit crunch to the United States, and that is misplaced application of incentives » (xv). Le reste de l’ouvrage ne revient pas sur la question des incitations et de leur éventuelle efficacité, mais c’est uniquement parce qu’elle est en réalité contenue implicitement dans la définition de l’ironie (comme décalage entre intention des acteurs et résultat de leur action). Le parti-pris théorique sous-jacent à l’ensemble de la démarche et du format choisi par Szenberg et Ramrattan est donc celui selon lequel tout est question d’incitation (en économie comme dans les autres sphères de la vie sociale). Cela nous ramène alors à la question de savoir ce que le concept d’ironie présente comme intérêt heuristique pour les sciences sociales. Si des problèmes aussi différents que ceux du credit crunch et de la fin de l’Union soviétique sont tous deux réductibles à une question d’ironie et à une réponse en termes d’incitations mal placées, il est alors permis de se demander si les catégories mobilisées ne sont pas en fait trop larges pour être pertinentes et produire de l’explication.

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Pour citer cet article

Référence papier

Irène Berthonnet, « Michael Szenberg and Lall Ramrattan, Economic Ironies throughout History. Applied Philosophical Insights for Modern Life »Œconomia, 6-2 | 2016, 311-314.

Référence électronique

Irène Berthonnet, « Michael Szenberg and Lall Ramrattan, Economic Ironies throughout History. Applied Philosophical Insights for Modern Life »Œconomia [En ligne], 6-2 | 2016, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oeconomia/2306 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/oeconomia.2306

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