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2023

Bedoya Forno, Ricardo, Delacroix, Dorothée, Robin Azevedo, Valérie, Romero Barrios, Tania, La violencia que no cesa. Huellas y persistencias del conflicto armado en el Perú contemporáneo

Daniel Emilio Rojas
Référence(s) :

Bedoya Forno, Ricardo, Delacroix, Dorothée, Robin Azevedo, Valérie, Romero Barrios, Tania, La violencia que no cesa. Huellas y persistencias del conflicto armado en el Perú contemporáneo, Lima, 2021, 397 p.

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Texte intégral

1Publié en 2021 par la maison d’édition Punto Cardinal, La violence qui ne s'arrête pas. Traces et persistance du conflit armé dans le Pérou contemporain contribue à la réflexion sur la continuité de la violence, sa mémoire et ses représentations dans la société péruvienne. Le volume, écrit en espagnol, dresse un bilan du fonctionnement de la démocratie dans les deux décennies qui ont suivi le début du conflit armé interne en 1980 dans le pays andin.

  • 1 p. 10.

2Le premier aspect de ce travail qu'il convient de souligner est le cadre méthodologique sur lequel s'appuie la réflexion. En effet, l'une des originalités de l'ouvrage est sa perspective pluridisciplinaire, « qui articule sciences sociales, (anthropologie, philologie, histoire, sociologie), analyse littéraire, arts visuelles »1 et l’étude de productions cinématographiques et culturelles. Le livre comporte ainsi des articles académiques et des entretiens avec des chercheurs, des écrivains et des responsables culturels. Ces deux types de documents permettent, d’une part, d’étudier l’impact de la violence et de la justice transitionnelle dans le discours de sciences sociales, et d’autre part, d'approfondir la réflexion sur la création et la réception des œuvres artistiques. L’objectif est très largement atteint : la diversité de disciplines, d’auteurs, des problèmes et de sources orales, écrites et visuelles de l’ouvrage dépasse la sphère proprement universitaire et scientifique pour donner la parole à des acteurs sociaux très divers. Le résultat en est un panorama des différentes visions de la mémoire qui se confrontent dans la société péruvienne et qui resurgissent dans les conflits sociaux et politiques contemporains.

3Sur le plan théorique, un second aspect que le lecteur doit garder à l'esprit est que la diversité des perspectives représentées n'entrave ni l'unité thématique ni la cohérence de l’ouvrage. Le livre aborde la persistance du conflit armé dans la société d'après-guerre sous différents angles, en tenant compte du fait que de nombreuses formes de violence présentes dans la société péruvienne actuelle sont le résultat d'un continuum de violence physique et symbolique. Ainsi, si la violence s’est prioritairement manifestée dans les années de "terrorisme", en réalité, elle a été produite par des structures sociales et économiques, des modèles culturels et des idéologies qui dépassent les années 1980 et 1990.

  • 2 p. 90.

4Le livre, qui réunit quinze contributions de chercheurs et artistes qui se sont rassemblés en France à plusieurs reprises entre 2018 et 2021, est divisé en quatre parties. La première, intitulée « Héritages et dettes de la Commission Vérité et Réconciliation » (CVR), établit un diagnostic des apports et des lacunes de cette organisme, créé en juillet 2021, et dont la mission principale était de préparer un rapport sur la fin du conflit armé que le Pérou a connu entre 1980 et 2000. Le rapport et les données accumulés par la commission ont non seulement nourri les débats en sciences sociales, mais ont également relevé des défis importants pour concevoir des politiques de réparation capables de réduire les inégalités, le racisme et la misogynie (qui ont également été un terreau fertile pour la reproduction de la violence). Dans « Faire et défaire des citoyens : droits posthumes et bureaucratisation de la mort dans le Pérou post-CVR », Dorothée Delacroix et José Pablo Baraybar interrogent la centralité du corps dans les différentes modalités d'application de la justice transitionnelle et dans les mécanismes de réparation des victimes. Pour les auteurs, le corps est devenu le centre de l’organisation des pratiques judiciaires, scientifiques et sociales liées aux processus de justice transitionnelle et d’éclaircissement de la vérité. Aujourd’hui au Pérou « l'État assume l'action médico-légale pour déterminer le sort et le lieu où se trouvent les victimes disparues [et] il tente de recitoyeniser les victimes à travers la restitution de leur identité »2. Cependant, au lieu de réparer les victimes et leurs familles, l’excessive bureaucratisation du processus d'exhumation et de livraison des restes des disparus les revictimise, puisque l'État décide qui obtient des réponses et qui n'en a pas.

  • 3 p. 18
  • 4 La « Selva central » est une région subtropicale forestière située au centre du Pérou, qui occupe (...)
  • 5 p. 177

5La deuxième partie du livre aborde le conflit armé dans une perspective de genre, à partir des représentations et des perceptions de soi présentes dans les récits de vie, la presse, l'art et la littérature. Dans le cadre des processus de violence politique, le genre « a donné lieu à de nombreux débats dans lesquels le Pérou en est même venu à être considéré comme un cas sui generis »3. Certes, l’étude du conflit armé permet d’identifier les continuités de la violence de genre en temps de guerre et de paix, mais une perspective de genre met en lumière d’autres types de problèmes comme la création et le renforcement d’un archétype de la femme en tant que figure démoniaque et lascive incarnée par certains membres du Sentier lumineux et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amarú. Par exemple, le chapitre « Entre victimisation et agence politique : les femmes Ashaninka de la jungle centrale du Pérou pendant et après le conflit armé », de Diego Uchuypoma, reprend la problématique d'un imaginaire nourri de misogynie, de racisme et de classisme pour offrir un regard intersectionnel sur les leaders de ce peuple indigène de la « Selva central »4. Uchuypoma démontre que l'incursion des groupes armés dans cette partie du pays a eu comme conséquences deux phénomènes qui ont impacté les femmes en particulier : l'exercice de la violence sexuelle comme arme de guerre et l'augmentation des tensions intracommunautaires. Néanmoins, en analysant les récits de vie et la position vis-à-vis des acteurs armés, on dépasse la logique dichotomique des victimes passives, qui s’est imposée dans nombre de travaux concernant le post-conflit, et l’on assiste à une dimension de la réalité méconnue dans laquelle il y a une véritable agentivité de la part de communautés indigènes exercée avant, pendant et après le conflit5.

  • 6 p. 23
  • 7 p. 284

6La troisième partie se concentre sur les héritages et les reconfigurations du passé violent dans le présent. Les trois contributions qui la composent décodent des contextes particuliers, dans lesquels les traces du conflit armé interne n'ont pas disparu mais continuent de marquer et d'influencer divers domaines de la vie quotidienne du pays. Il est donc nécessaire de relativiser à bien des égards l'idée d'une « société post-conflit », puisque la persistance de nombreux phénomènes de violence démontre qu'il y a des conflits armés locaux qui s’inscrivent dans la continuité de processus sociaux antérieurs à l’année 2000. Dans « Conflit armé, migration et urbanisation à Ayacucho », l'anthropologue Fanny Chagnollaud étudie avec une approche ethnographique l'impact de l'exode rural des paysans déplacés dans la formation de l'espace urbain d'Ayacucho. Elle soutient que « les flux massifs de population provoqués par le conflit, ajoutés au contexte social et politique, ont façonné la ville au niveau urbain, faisant des processus informels un mode […] d'expansion urbaine de manière durable »6. Les envahissements fonciers collectifs, qui se sont multipliés pendant le conflit interne, ont déterminé la configuration de l'espace urbain à long terme et sont toujours présents aujourd’hui7.

7La quatrième partie de l'ouvrage traite des images et des représentations du conflit armé. Elle propose d'explorer le lien entre la période de violence et les manifestations artistiques produites ces dernières années. En analysant à la fois la création artistique et académique, les trois articles et l'entretien qui composent cette partie démontrent la persistance du conflit dans la société péruvienne contemporaine. Dans « Violence et trajectoires migrantes : la nouvelle littérature quechua au Pérou », entretien réalisé par les éditeurs du volume avec les philologues César Itier et Pablo Landéo, s’esquissent les grandes lignes de la littérature contemporaine écrite en quechua et les répercussions du conflit dans le domaine littéraire. Il est important de souligner que la plupart des écrivains qui rédigent leurs textes en quechua viennent de l’aire andine du pays, qui a été l'épicentre de la violence politique des années 80 et 90. Dans cette production, trois nouvelles qui abordent l'aspect ironique, contradictoire et tragique de la guerre sont à souligner : Chiqniypacha (Le temps de la haine), de Porfirio Meneses, qui raconte l'histoire d'un jeune soldat d'Ayacucho qui devient fou et meurt après avoir participé à un massacre où se trouvaient certains de ses proches; Yawarchasqa kuchumanta (Depuis un coin sanglant), dans lequel un paysan rapporte à sa femme comment un soldat s'agenouille devant le cadavre de son frère, après avoir participé à son massacre dans le centre d’un village; enfin, en Manam, pantaymanchu taytáy, le membre d'un groupe d'autodéfense paysan (ronda campesina), informe l'un des membres de sa communauté que les militaires ont assassiné son fils et que le groupe d'autodéfense l'a enterré. L'histoire suggère que le jeune homme a peut-être été membre du Sentier lumineux…

8Toutes les contributions de ce volume offrent des points de vue pertinents pour comprendre la crise politique que traverse le Pérou. Depuis la destitution du président Pedro Castillo en décembre 2022, le spectre de la menace terroriste prévaut dans le discours du pouvoir exécutif et des parlementaires qui refusent de convoquer de nouvelles élections. Tant les partis de gauche que de droite instrumentalisent la mémoire du conflit armé pour légitimer ou délégitimer leur position face à la crise. Au-delà de la confrontation sur le plan politique, les mobilisations populaires de rejet de la présidente Dina Boluarte et des principaux partis politiques ont fait à ce jour près de 60 morts. Cela suggère que dans les stratégies d'adaptation au contexte actuel, comme dans les réponses apportées par l'État, le conflit interne continue d'articuler une part non négligeable de la vie politique péruvienne.

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Notes

1 p. 10.

2 p. 90.

3 p. 18

4 La « Selva central » est une région subtropicale forestière située au centre du Pérou, qui occupe près du 10 % du territoire national.

5 p. 177

6 p. 23

7 p. 284

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Pour citer cet article

Référence électronique

Daniel Emilio Rojas, « Bedoya Forno, Ricardo, Delacroix, Dorothée, Robin Azevedo, Valérie, Romero Barrios, Tania, La violencia que no cesa. Huellas y persistencias del conflicto armado en el Perú contemporáneo »Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], Comptes rendus et essais historiographiques, mis en ligne le 28 février 2023, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/nuevomundo/92269 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/nuevomundo.92269

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Auteur

Daniel Emilio Rojas

Maître de conférences en Histoire et Civilisation latino-américaine/Coopération internationale en délégation CNRS auprès de Mondes Américains (UMR 8168)

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