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Corpus – Assigné·e·s au sous-emploi

Le service civique au service de l’insertion des jeunes Réunionnais·es ?

Civic Service: Helping Integrate Young People on Runion Island?
¿El servicio cívico como apoyo a la inserción de los y las jóvenes de la isla Reunión?
Florence Ihaddadene

Résumés

Le service civique, contrat d’engagement dérogatoire au droit du travail, est largement promu à La Réunion depuis sa création. Il s’y inscrit dans la situation particulière de l’emploi : le taux de chômage y est très important, notamment pour les jeunes, qui sont incité·es à quitter l’île pour se former ou s’insérer. Dans les discours des conseiller·es d’insertion, le service civique est dévoyé par les jeunes, qui l’utilisent pour obtenir un revenu. Une enquête au long cours, à partir d’observations en associations et d’entretiens avec des volontaires en 2015, 2016 et 2021, donne pourtant à voir des stratégies d’insertion sociale et professionnelle par les jeunes, qui jonglent entre les dispositifs publics pour se stabiliser dans l’emploi.

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Texte intégral

  • 1 À cette somme s’ajoutent 111,45 € de majoration pour les volontaires boursier· (...)
  • 2 Jusqu’à 48 heures, 35 heures pour les mineurs.
  • 3 Rapport d’activité 2021 Agence du service civique.
  • 4 À titre de comparaison, la totalité de la Bretagne en a accueilli 2 975 sur la (...)
  • 5 Insee Analyses Réunion, no 72, 18/08/2022.

1Créé en mars 2010, le service civique, inscrit au Code du service national, s’adresse à des individus de 16 à 25 ans qui s’engagent pour 6 à 12 mois à réaliser une ou des missions d’intérêt général au sein d’une structure à but non lucratif (associations, collectivités territoriales, établissements publics, services de l’État). À mi-chemin du bénévolat et du salariat, il donne lieu à une indemnisation de l’engagement – 600,94 € nets par mois, dont 489,59 € pris en charge par l’État1 – et à une contractualisation des horaires (au moins 24 heures par semaine2) mais ne peut induire de lien de subordination ou d’obligation de résultats. Dès sa création, le service civique est largement promu dans les départements ultramarins. En septembre 2010, il est développé dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de dengue en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, pour des missions qui représentent déjà un tiers des effectifs nationaux. En 2021, alors que l’Agence du service civique annonçait avoir accueilli 145 000 volontaires sur l’année3, 8 214 étaient en mission dans les départements et territoires ultramarins, dont 2 541 sur la seule île de La Réunion4. Selon la Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES) Réunion, en 2021, le dispositif y concernerait quasiment 2 % de l’ensemble de la tranche d’âge. Ces chiffres sont à remettre dans le contexte de la situation des jeunes Réunionnais·es : 26 % des 15 à 29 ans n’y sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, soit deux fois plus qu’au niveau national5. Et alors que les volontaires au niveau national sont 39 % à être demandeur·euses d’emploi au moment de la signature de leur contrat, c’est le cas de 62 % des volontaires Réunionnais·es.

  • 6 Sources : Insee, RP2008, RP2013 et RP2018, exploitations principales, géograph (...)
  • 7 Pour une étude sur le RSMA en Martinique, cf. Milia-Marie-Luce M. (2019).
  • 8 « Le Service Civique, une solution pour les jeunes face à la crise », Agence d (...)

2Avec un taux de chômage des actifs de 15 à 24 ans de 53 % (au sens du BIT) en 20186, les jeunes Réunionnais·es sont les cibles de multiples politiques d’insertion. Une partie d’entre elles sont même spécifiques aux départements « ultramarins », tels que le Régiment de service militaire adapté7. Parmi ces dispositifs de politiques publiques, le service civique occupe une place à part : il est supposé être un programme d’« engagement citoyen » comme implication durable dans la vie publique à travers la réalisation de missions d’intérêt général. De fait, par-delà les objectifs de citoyenneté ostensiblement affichés, le dispositif fait aussi une part au projet professionnel des jeunes et à la valorisation de l’expérience de service civique. Il est même régulièrement proposé aux jeunes « décrocheurs » pour se réinsérer (Houdeville & Suaud, 2019). Durant l’été 2020, le plan « 1 jeune, 1 solution », programme de relance de l’emploi des jeunes après le premier confinement sanitaire mis en place par le président de la République, Emmanuel Macron, inclut la hausse du nombre de missions de service civique sous le sous-titre « faciliter l’entrée dans la vie professionnelle », l’assumant de fait comme un programme d’insertion (Ihaddadene, 2022a). Ce « plan » en réaction aux effets de la crise sanitaire sur la condition des « jeunes » vise à « faciliter l’entrée dans la vie professionnelle ». Pour ce faire, il propose des aides aux employeurs qui recrutent des alternant·es, (re)crée des emplois aidés dédiés, « soutient » les formations courtes au numérique et à la santé, et, pour « accompagner les jeunes éloignés de l’emploi », multiplie les dispositifs individuels d’accompagnement vers l’emploi dont fait partie le service civique. En 2021, la présidente de l’Agence du service civique, Béatrice Angrand, le présente comme « une réponse concrète proposée aux jeunes qui sont aujourd’hui très impactés par la crise8  ».

3De fait, à La Réunion, la « crise » que rencontrent les jeunes ne date pas de la pandémie de Covid-19. Pourtant, sur le terrain, les conseiller·es en insertion des structures associatives réunionnaises qui organisent le service civique reprochent aux jeunes de s’y engager pour des considérations matérielles et financières. Alors qu’il est de plus en plus considéré comme un programme d’insertion professionnelle en France hexagonale, comment expliquer que les jeunes Réunionnais·es, pourtant particulièrement frappé·es par le chômage, soient suspecté·es de le subvertir ? Comment s’articulent, à La Réunion, les discours des salarié·es qui le mettent en place et les stratégies des jeunes qui s’y engagent ? Après avoir présenté les attendus des salarié·es qui encadrent le service civique dans les missions locales, les associations d’éducation populaire et les structures d’orientation à destination des jeunes à La Réunion, et le contexte dans lequel elles proposent ce dispositif (1), je proposerai une typologie des usages qu’en ont les jeunes Réunionnais·es qui s’y investissent (2).

Présentation du matériau

Je m’appuie ici sur trois terrains réalisés à La Réunion, en 2015, 2016 puis 2021, dans le contexte d’une enquête multisituée au long cours sur les politiques de volontariats en France et dans les départements ultramarins. Les propriétés des volontaires rencontré·es sur ces trois périodes sont décrites ci-dessous :

Année

Prénom (anonymisé)

Sexe

Âge

Situation antérieure

Diplôme

Structure d’accueil

2015

Amandine

Femme

23 ans

Demandeuse d’emploi

Licence / BAFA

Collège A

 

Angie

Femme

19 ans

Demandeuse d’emploi

Sortie en cours de dernière année CAP-BEP sans diplôme, envoyée par la Mission locale

Lycée A

 

Coralie

Femme

21 ans

Demandeuse d’emploi

Bac, envoyée par la mission locale

Lycée B

 

Melvyn

Homme

18 ans

Étudiant boursier

Niveau Bac, Licence Staps en cours

Association de danse

 

Elias

Homme

21 ans

Étudiant

Bac + 2 en environnement

Association environnementale

 

Elise

Femme

22 ans

Etudiante

Bac

Association de promotion culturelle Réunionnaise

 

Gaëtan

Homme

21 ans

Demandeur d’emploi

Bac, envoyé par la mission locale

Lycée B

 

Jeremy

Homme

21 ans

Étudiant boursier

Bac + 2

Lycée A

 

Joris

Homme

23 ans

Demandeur d’emploi

Licence de mathématiques en cours, se destine à une carrière d’enseignant

Collège A

 

Kelian

Homme

19 ans

Demandeur d’emploi

Sorti du lycée avant l’obtention du baccalauréat

Fédération d’éducation populaire

 

Lajja

Femme

22 ans

Demandeuse d’emploi, sort du RSMA, envoyée vers le SC par la mission locale

Sortie du lycée avant l’obtention du baccalauréat / Bafa validée

FSA collège B

 

Louise

Femme

25 ans

Demandeuse d’emploi

Bac + 2, métropolitaine, à La Réunion pour suivre son conjoint étudiant en médecine

Association "alternatives écologiques"

 

Katia

Femme

24 ans

Demandeuse d’emploi

CAP, envoyée par la Mission locale

Lycée B

 

Louis

Homme

23 ans

Etudiant

Licence d’infographie

Club de Rugby

 

Charlyne

Femme

24 ans

Etudiante, mère de deux enfants

Bac + 2

Lycée Deux canons

 

Pauline

Femme

18 ans

Etudiante

Bac + 2

Association de promotion culturelle Réunionnaise

 

Gregory

Homme

22 ans

Etudiant

Bac + 2

Club de Handball

 

Charlène

Femme

24 ans

Demandeuse d’emploi

Sortie du lycée avant l’obtention du baccalauréat

Centre social

2016

Lisa

Femme

22 ans

Demandeuse d’emploi

Bac

Animation sociale à Madagascar

 

Fabrice

Homme

21 ans

Etudiant

Licence de géographie

Mission environnementale à Madagascar

2021

Lucia

Femme

23 ans

Etudiante

Licence d’anglais et civilisation

Collège C

 

Alicia

Femme

26 ans

Demandeuse d’emploi

Master géomatique

Mission locale

 

Béatrice

Femme

23 ans

Demandeuse d’emploi

En Garantie Jeunes, formation en cours en secrétariat

Mission locale

 

Nelly

Femme

21 ans

Demandeuse d’emploi

L2 AES

Mission locale

 

Richard

Homme

23 ans

Demandeur d’emploi

Master communication

Mission locale

 

Juliette

Femme

25 ans

Etudiante

Licence beaux-arts et arts plastiques et Bachelor en communication

Mission locale

 

Thomas

Homme

25 ans

Etudiant

M1 géographie

France nature

 

Nicolas

Homme

26 ans

Etudiant

M1 MEEF

Mairie de St Denis

 

Nordine

Homme

21 ans

Etudiant

L1 Eco-gestion

CROUS

Ont également été réalisés des entretiens avec des tuteur·rices, des salarié·es associatifs en charge du dispositif, avec des conseiller·es d’insertion des quatre missions locales de l’île, de Pôle emploi et des institutions (Direction départementale de la cohésion sociale, DRAJES, ministère des Affaires étrangères et chargée de mission Jeunesse et Sports au ministère des Outre-mer). J’ai aussi pu observer des recrutements, des formations civiques et citoyennes obligatoires pour les volontaires et des bilans de missions.

Un enjeu méthodologique particulier doit être souligné ici : entre les deux derniers terrains, la crise sanitaire du Covid-19 et les confinements qui en ont découlé ont considérablement transformé la situation des jeunes. Les lecteur·trices trouveront des indications temporelles au cours de l’article qui paraissent distinguer l’« avant » et l’« après » de cette crise sanitaire et du plan « 1 jeune, 1 solution », mais qui tendent néanmoins à relativiser la transformation des politiques de jeunesse post-Covid.

1. Le service civique comme socialisation au salariat : le discours des conseiller·es en insertion des missions locales

  • 9 Pour en savoir plus sur l’usage des catégories ethniques à La Réunion, cf. (...)
  • 10 Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, Filosofi 2019 ; enquête revenus fis (...)
  • 11 Sources : Insee, enquête emploi et taux de chômage localisés.
  • 12 Sources : Insee, Flores 2019.
  • 13 « France Travail, une transformation profonde de notre action collective p (...)

4Les missions locales sont plus que jamais partenaires de la puissance publique pour l’insertion professionnelle des jeunes et la mise en œuvre des politiques de jeunesse (Zunigo, 2013). Perçues parfois comme une sorte de Pôle Emploi pour jeunes, elles ont gagné « en autonomie et en pouvoir de prescription » (Lima, 2015, 47) et sont notamment en charge depuis 2020 du plan « 1 jeune, 1 solution ». À La Réunion, elles sont quatre : une au Nord, à l’Est, au Sud et à l’Ouest. Elles se confrontent aux réalités urbaines et ethniques de l’île (Labache, 1996) : les différentes vagues de migration ont établi des peuplements différenciés, qui concentrent les populations les plus riches à l’Ouest (les zorey9, descendant·es des métropolitain·es) ; à l’Est vivent plutôt les Malbars, venu·es avec l’engagisme, par exemple. Ainsi, les missions locales rencontrent une situation sociale très variable d’une région à l’autre : le taux de pauvreté à l’Est était en 2019 de 44,4 %, pour 33,8 % à l’Ouest et 33,3 % au Nord10 ; le taux de chômage était en 2021 de 14,8 % au Nord, est de 20,3 % à l’Est et au Sud11. Le Nord concentrait, en 2019, 32 % des emplois de l’île12. Toutes sont confrontées à un fort chômage des jeunes. Alors que le rôle initial des missions locales était l’insertion sociale et professionnelle (Labbé, 2019), elles se concentrent, au moins à La Réunion et souvent contre leur volonté, de plus en plus sur l’insertion durable des jeunes dans l’emploi, ce que leur inscription prochaine dans le service public de l’emploi, France Travail, pourrait entériner13. Cette partie vise à présenter les discours des conseiller·es d’insertion des missions locales rencontré·es à propos du service civique, et le rôle socialisateur qu’ils attribuent au service civique, dans un contexte de chômage durable à La Réunion (1.1.), d’oisiveté prétendue des jeunes (1.2.) mais aussi de transformation du rôle d’accompagnement des conseiller·es en insertion (1.3.).

1.1. Le mythe de l’inactivité de génération en génération

  • 14 Françoise Vergès aborde ces stéréotypes sur les départements d’outre-me (...)

5Les habitant·es des départements ultramarins, et La Réunion ne fait pas exception, sont régulièrement associé·es à des figures stéréotypées et souvent racistes, naturalisées, quant à leur prétendue « paresse »14. Ces regards caricaturaux sur les habitants des DROM-COM ne sont pas seulement le fait de touristes : ils se glissent aussi parfois dans les discussions quotidiennes avec les travailleur·ses sociaux, qui défendent notamment le service civique comme l’un des outils de lutte contre la reproduction de l’inactivité chronique. La jeunesse réunionnaise m’a régulièrement été présentée, par des interlocuteurs institutionnels et associatifs, dans les services déconcentrés de l’État ou dans les missions locales, comme « très éloignée du marché du travail ». Au Centre régional d’information jeunesse, l’une des conseillères – native de l’île – justifie notamment cet éloignement des codes du travail par les traditions d’oisiveté des populations créoles, tandis que pour une chargée d’insertion de mission locale, les volontaires en service civique « n’ont jamais vu leurs parents travailler ».

6Il est pourtant peu probable que les générations précédentes soient restées entièrement inactives mais cette image d’oisiveté provient en partie des békeur dklé, travailleurs informels et irréguliers que décrit Nicolas Roinsard (2007). Le béké la klé consiste à ne travailler que lorsque l’argent manque et à s’arrêter quand les besoins sont réduits. Depuis la modernisation de l’exploitation sucrière, caractérisée par la mécanisation des activités de transport et chargement au cours des années 1970 (Paillat-Jarousseau, 2014), déstructurant plus encore l’emploi traditionnel, la situation de l’emploi ne s’est pas réellement améliorée à La Réunion, ce qui facilite des pratiques clientélistes qui alimentent, en retour, la déqualification des travailleur·euses réunionnais·es :

Plus ou moins intensément, tous sont exposés au mal-emploi et au sous-emploi. Presque tous les habitants sont condamnés à un régime de travaux intermittents, employés à des tâches faiblement qualifiées, mal rémunérées et peu productives, souvent dans la dépendance personnelle des grands propriétaires fonciers, des usiniers ou des maires – ces derniers les employant par le biais de contrats à la quinzaine, les premières formes de contrats aidés sur le territoire. (Deschamps & Provini, 2022, 287)

7Pourtant, les volontaires que j’ai rencontré·es ont vu leurs parents travailler. Comme dans le cas des volontaires en France hexagonale, les mères de ces dernier·es sont nombreuses à exercer dans le Care (Ihaddadene & Lopez Puyol, 2022), emplois largement dévalorisés socialement, car naturalisés, plus encore peut-être à La Réunion où ils s’inscrivent dans l’histoire coloniale. La mère de Melvyn est nénène (ce qui correspondrait à un rôle d’assistante maternelle), celle d’Angie est aide à domicile, celle de Jérémy est aide-ménagère tandis que celle de Lajja est assistante sociale. La mère d’Élise, elle, est directrice dans le BTP. Leurs pères travaillent plus généralement dans la fonction publique. Le père d’Élias exerce dans une collectivité locale un emploi administratif. Celui d’Élise est militaire. Le père d’Amandine, lui, est maître d’hôtel.

1.2. « Les jeunes ne veulent plus travailler ! » : le service civique comme socialisation au marché du travail

8Un autre discours apparaît régulièrement dans les entretiens avec les conseiller·es d’insertion, celui d’une transformation de la jeunesse et de ses valeurs, qui ne vise plus l’emploi mais le « vivre à l’instant ». Derrière ces discours sur le matérialisme des jeunes, c’est aussi leur mauvaise volonté à s’engager sur le marché du travail qui est remarquée. Pour une conseillère, les emplois aidés, particulièrement développés sur l’île, ont contribué à ce refus de l’emploi par les jeunes, en ce qu’ils ne duraient que 24 à 30 heures par semaine : « Et lorsqu’ils vont ressortir en fait de ces contrats-aidés là, ils vont se retrouver perdus et ils vont exiger en fait que le travail soit comme ça et pas autrement. » C’est que derrière ce double soupçon, à la fois de matérialisme et de refus d’accepter les conditions du marché de l’emploi, il est reproché aux jeunes de chercher une rémunération. Cette même conseillère reprend ainsi :

Aujourd’hui le service civique, c’est pas la vraie… Enfin, on est plus dans les vraies valeurs de la mission de service civique d’avant, le côté volontaire, s’engager pour… Là on est plus en disant que les jeunes s’engagent, certes, mais les jeunes s’engagent aussi parce qu’il y a une contrepartie financière qui vont les aider actuellement.

9Ce reproche de ne s’impliquer dans le service civique que pour l’indemnité et non pour le « don de soi » est comparable à celui adressé aux jeunes hexagonaux, qui « dévoieraient le dispositif » par leur manque de « culture du volontariat » (Ihaddadene, 2018). C’est pourtant, les conseiller·es en insertion elles-mêmes qui utilisent le service civique comme un programme de « pré-emploi », de préparation à l’insertion professionnelle. Comme dans cette autre mission locale :

On les invite justement à essayer de trouver des missions pour avoir une expérience professionnelle pour pouvoir la valoriser, etc. […] Ça peut être des fois des jeunes qui n’ont aucune expérience professionnelle et donc du coup, ils ont du mal à trouver tout simplement du travail. Et donc du coup c’est vrai que le service civique peut offrir l’opportunité d’afficher une expérience dans l’univers du professionnel. Et même si ce n’est pas un contrat de travail, mais ça n’en demeure pas moins une expérience professionnelle.

  • 15 « Le créole est encore très largement majoritaire », INSEE Économie de (...)
  • 16 Source : Deps-doc/ministère de la Culture, enquête sur les pratiques cu (...)

10Revient fréquemment, dans les discours des tutrices ou des formatrices, la nécessité d’enseigner aux volontaires les « savoir-être » du monde du travail (i. e. du salariat). La référence à la ponctualité est un élément récurrent, comme base de socialisation à l’emploi. La langue est aussi pensée comme un frein à la réussite scolaire et à l’insertion professionnelle (Janky, 2015, 85). Pourtant, si en 2010 on estimait que 70 % des moins de 30 ans n’ont parlé que créole pendant leur enfance15, cette part diminue, puisqu’en parallèle de son entrée à l’école, le créole n’est parlé que par 73 % des 15-24 ans pour 83 % des plus de 60 ans16. Les volontaires créolophones rencontré·es maîtrisaient tou·tes le français également, ce qui pourrait être un biais du dispositif ou de l’échantillon, mais aussi illustrer une mauvaise analyse institutionnelle du bilinguisme réunionnais.

11Le service civique est alors présenté comme une base minimale de socialisation au monde du travail, un apprentissage des codes, là où « 50 % des jeunes ne veulent pas travailler, il faut vraiment les rééduquer » selon une salariée de la mission locale Sud. Les discours sur l’inactivité supposée des générations précédentes tendent, ici, à essentialiser une distance non seulement à l’emploi et à l’insertion professionnelle, mais aussi aux codes de l’entreprise. Plus que des compétences professionnelles, il s’agit de transmettre une inclinaison à la subordination, qui vise plutôt à former les bénéficiaires à être de bons travailleurs qu’à suivre le projet qui correspond le mieux à leurs envies.

1.3. Les transformations du métier de conseiller·es au détriment d’un service civique « de qualité »

12En 2015, pour mon premier terrain réunionnais, hormis Pauline, enceinte, et Louise, métropolitaine, tou·tes les volontaires en service civique sont inscrit·es à Pôle emploi et à la mission locale qui joue le double rôle d’aide sociale et de « Pôle emploi jeunesse ». L’inscription à la mission locale est incitée par les acteurs associatifs mais aussi par les institutions. Celle-ci apparaît être un élément « naturel » de l’insertion sociale et professionnelle des arrivants sur le marché du travail (Zunigo, 2013). Ainsi, Katia, titulaire d’un CAP, dit qu’elle préfère « se faire suivre » par la mission locale :

Alors j’ai assisté à tous les ateliers « projet professionnel » et tout à Pôle emploi et à la mission locale. Puis on a construit mon projet professionnel. Là, ils m’avaient conseillé de postuler comme assistante d’éducation et puis du coup, bah j’ai fait le service civique, malgré mon projet à moi je veux dire. […] Pôle emploi, ils sont trop insistants sur le niveau de diplôme. La mission locale, elle, elle casse la qualification, elle fait un suivi de ce qu’on est, pas juste de ce qu’on fait. Et puis y a pas d’obligation, c’est juste comme ça, un suivi. T’es pas catalogué comme à Pôle emploi.

13En 2015, les rôles respectifs de Pôle emploi et des missions locales semblaient clairement distingués, dans les faits, par les volontaires, qui attribuaient une certaine confiance à ces dernières.

14Depuis, la mise en place du plan « 1 jeune, 1 solution » et l’annonce du rapprochement imminent des deux organismes dans le service public de l’emploi contribuent à transformer le rôle des missions locales. Ce plan correspond, pour la responsable du service civique d’une mission locale, à une transformation du métier, en ce qu’il propose des « quantités » plutôt que de la « qualité » :

  • 17 Remplacé depuis par le Contrat d’engagement jeune depuis mars 2022 qui (...)

C’est limite comme si tu… tu vends des produits. J’ai le service civique ici, ça te permet de faire ça. J’ai la Garantie jeunes[17] ça te permet de faire ça… avec ce qui est arrivé là, avec le COVID, avec la montée en fait de tous les dispositifs d’un coup. Tu as le choix entre ça, ça, ça ça. […] C’est comme tous les dispositifs que l’État a pu mettre en place une fois qu’il commence à amplifier en quantité. Au lieu de mettre de la qualité. À ce moment-là la mesure perd de sa valeur.

15L’augmentation des volumes de volontaires accueilli·es entraine, selon elle, une impossibilité de proposer un accompagnement « de qualité ». Plutôt qu’un parcours personnalisé vers l’emploi, c’est une inflation de dispositifs qui se succèdent et qui éloigne les conseiller·es du « terrain », de plus en plus incité·es à enregistrer des « sorties positives », à la façon des entreprises de l’insertion par l’activité économique (Gérome, 2017, 236). Ce qui mène la conseillère de la mission locale Est à ce constat : « du coup, on ne travaille pas l’essentiel. Qui est du coup, qu’est-ce que le jeune veut réellement ? ». Et finalement, ce « déni de projet professionnel » (Ihaddadene, 2022b) correspond aussi à une contrainte sur les parcours des jeunes.

2. Les usages du service civique par les volontaires

  • 18 Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, fichier localisé social et fiscal ( (...)
  • 19 En 2010, un emploi public sur quatre était un emploi aidé. Sur cette quest (...)
  • 20 « Dérive » qui n’en est pas vraiment une, puisque la politique publique s’ (...)

16Dans cette ancienne société de plantation, devenue « société de transfert », contrainte à la façon des plans d’ajustements structurels par la production de la canne à sucre (Ho, 2008) et par une tertiarisation qui s’est faite sans industrialisation (Widmer, 2005), l’économie repose principalement sur les revenus de transfert (Deschamps & Provini, 2022 ; Roinsard, 2007). L’emploi de référence pour les volontaires rencontré·es est, comme pour beaucoup de Réunionnais·es, l’emploi aidé qui est généralement leur seule expérience de travail déclaré (Roinsard, 2007, 224) et pour lequel le service civique est une porte d’entrée. Si les prestations sociales représentaient, en 2017, 16,4 % des revenus Réunionnais – 22,6 % pour la région Est – pour 5,4 % en France hexagonale18, elles ne suffisent pas à mesurer l’importance des transferts étatiques sur le département. Il faut prendre également en compte le soutien à l’emploi aidé pour comprendre notamment la nouvelle redistribution économique qui se dessine dans l’emploi public19 : il s’agit du territoire qui se voit attribuer (au regard de sa taille et de sa population) le plus de contrats aidés (Deschamps & Provini, 2022, 281). Le fort chômage et la dégradation de l’emploi local (Temporal & al., 2011), le régime d’exception des politiques de « rattrapage » liées à la spécificité de la départementalisation, inscrivent de fait le service civique dans la palette des dispositifs de politiques publiques auxquels les jeunes Réunionnais·es peuvent avoir recours. Loin des objectifs d’« engagement citoyen » et de don de soi portés par les promoteurs du service civique, et sans que la rhétorique de la citoyenneté ne masque plus cette « dérive20 », le service civique est proposé par les missions locales comme une étape vers l’emploi, socialisatrice au sens où elle permettrait de corriger les « penchants » des jeunes pour l’oisiveté. Loin d’être dépourvu·es d’agentivité, les jeunes qui s’y engagent l’inscrivent dans des stratégies conscientes de « débrouille », d’attente ou d’insertion stabilisée dans l’emploi. Tantôt considéré comme une aide sociale (2.1.), comme une étape dans un parcours de dispositifs (2.2.), comme un outil de résistance à la mobilité (2.3.) ou comme une porte d’entrée dans l’emploi aidé dans un contexte de substitution à l’emploi public (2.4.), il est utilisé de façon différenciée selon la situation sociale des jeunes et leurs projets professionnels.

2.1. Le service civique comme aide sociale : un revenu de subsistance

17Les volontaires sont nombreux·ses à aborder l’âge « limite » des 25 ans comme ouvrant le droit à des allocations. Ce fut particulièrement le cas sur le terrain réunionnais où les prestations sociales, plus encore qu’en France hexagonale, viennent combler un déficit d’emploi : « l’attente est d’autant plus soutenue que les 16-25 ans, alors qu’ils quittent très tôt l’école et connaissent aussitôt le chômage, ne perçoivent souvent aucun revenu social avant le bénéfice de cette allocation » (Roinsard, 2007, 183). Il en va ici des politiques d’insertion auxquelles sont soumis·es les moins de 25 ans, qui fixent « cet intervalle de temps entre 18 et 25 ans pendant lequel la majorité civile ne coïncide pas avec la majorité sociale » (Lima, 2012, 131). Si l’assignation à la « minorité sociale » des jeunes est une réalité en France hexagonale, elle est exacerbée à La Réunion.

  • 21 Précisons qu’en tant que dispositif exclu du champ de l’emploi, le serv (...)

18Kelian postule à un « emploi civique » (selon ses termes, qui témoignent de l’ambiguïté entre emploi et volontariat) dans une fédération de parents d’élève. Il a 19 ans et a interrompu sa scolarité en seconde. Comme de nombreux Réunionnais·es, il enchaîne les contrats précaires, les périodes de chômage et de travail non déclaré. En entretien, il explique qu’il est arrivé « au bout des droits » et qu’il lui faut se remettre à travailler avant de toucher les « aides ». Le responsable du service civique dans l’association, lui précise qu’il n’aura pas de droits ouverts grâce au service civique21, et lui demande s’il a des questions. Kelian s’inquiète alors de savoir s’il faut déclarer l’indemnité, ce qui aurait des conséquences sur les revenus sociaux de son foyer : « Parce que moi ce n’est pas pareil, si ma mère peut plus toucher le revenu, ça m’intéresse pas dans ce cas le bénévolat. »

  • 22 Il est remarquable, bien que paradoxal, que le congé maternité soit un (...)

19Perçu comme un des revenus de transferts, le service civique s’inscrit dans l’économie familiale, qui cumule, voire mélange, les revenus salariaux, les allocations sociales et les revenus du travail informel des membres du foyer. En ce sens, le service civique semble contribuer à un processus d’émancipation (toute relative) pour de jeunes adultes réunionnais·es qui résident dans leur famille. L’indemnité leur permet de financer leur essence et donc leur mobilité, cruciale face aux manques de transports publics. Elle permet aussi à certain·es d’économiser pour une formation ou pour une naissance. C’est le cas pour Pauline, 18 ans, enceinte et en rupture familiale, rencontrée en 2015. Surtout, l’inscription dans le dispositif lui donnera un droit à un congé maternité22 .

20Il arrive enfin que l’indemnité soit directement reversée dans le budget familial, en contrepartie de la prise en charge parentale. C’est ce qu’explique Louis, 23 ans, qui se projette dans un master d’infographie 3D.

Louis : Je garde peut-être 100 ou 150 euros. Le reste je le donne à ma mère. C’est pour les repas, les petits plaisirs perso. J’achète des livres de dessin. J’aurais bien aimé améliorer le matériel. Mais bon… [Silence]
Moi : Tu as l’impression de te priver ?
Louis : Ah oui, ça beaucoup. Mais c’est pas si dramatique. C’est juste le matériel. J’aurais bien aimé pouvoir acheter l’ordinateur. Mais bon c’est d’abord la famille. C’est comme ça et c’est juste.

  • 23 Entretien réalisé à la DRAJES Réunion, novembre 2021.

21Pour Kelian comme pour Louis, le service civique permet de contribuer au budget familial, et, dès lors, de ne pas peser sur les revenus du foyer. C’est encore ce que me raconte Lucia, qui m’explique qu’elle garde 150 € de son indemnité et tente de mettre de côté, avant de préciser qu’elle donne le reste à ses parents : « s’ils ont besoin je leur donne. »Cette indemnité de service civique leur permet de contribuer aux revenus familiaux, légitimant les rétributions qu’ils reçoivent. En ce sens, le service civique contribue en partie à redistribuer les allocations sociales, familiarisées, en direction des jeunes. L’indemnité de service civique est majorée de 107,66 € pour les volontaires boursiers du CROUS ou dont le foyer est allocataire du RSA. Cette majoration concernait d’ailleurs, en 2021, 27 % des volontaires Réunionnais·es contre 8 % du total des volontaires Français·es23. Et les volontaires sont nombreux·ses à l’utiliser pour participer au budget familial.

2.2. Travailler, chômer… s’engager ? Le service civique comme lutte contre la désaffiliation24

  • 24 Ce titre fait référence au chapitre « Travailler, chômer, s’entraider. (...)
  • 25 Source : Insee-DGFIP-Cnaf-Cnav-CCMSA, fichier localisé social et fiscal (...)

22La crise de l’emploi ne va pas de pair avec la « désaffiliation » à La Réunion, où les allocations complètent les solidarités familiales et communautaires plus qu’elles ne les remplacent dans un contexte de « pauvreté intégrée » (Roinsard, 2007). Car il s’agit bien, à La Réunion, de pauvreté, qui concerne principalement les populations les plus jeunes et les plus âgées (les taux de pauvreté des moins de 30 ans atteignent 60 % dans certaines communes de l’Est25), ce qui entraîne le retrait d’une partie de la population du marché du travail, s’installant durablement dans des dispositifs assistanciels (Roinsard, opcit.). Le service civique s’inscrit alors dans des stratégies de « réaffiliation ». Ici, la pauvreté ne détruit pas les solidarités traditionnelles, qu’elles soient familiales ou « ethnoreligieuses ». Si les allocations viennent combler un déficit d’emploi, ce sont bien les solidarités de proximité qui évitent aux volontaires que j’ai rencontré·es de connaître une trop grande précarité.

23Il me faut distinguer, avant d’évoquer la majorité des volontaires rencontré·es, la situation de Louise, venue à La Réunion pour rejoindre son compagnon qui termine son internat de médecine. Diplômée de niveau II, elle n’est pas préoccupée par son insertion professionnelle et souhaite avant tout profiter de cette période de « voyage ». Elle perçoit son engagement en service civique comme un « petit job » dans un secteur qui lui plaît, une occasion de se former à la permaculture et une forme de « militantisme politique » – au sens où il s’agit de s’opposer à un état de fait, d’être en contestation – plutôt que d’« engagement citoyen » (qui est vécu comme une façon d’encourager une solidarité par exemple). Seule zorey de mon échantillon réunionnais, elle n’est pas inscrite, comme les autres, dans des réseaux de solidarités de longue date sur l’île. Son militantisme dans des structures proches des réseaux altermondialistes vient combler, en partie, l’absence de solidarité familiale.

  • 26 INSEE FLASH RÉUNION, No 221 Paru le 15/02/2022.
  • 27 « Le mouvement associatif dans l’histoire de La Réunion (1901-2001) », (...)

24Cette exception mise à part, les volontaires rencontré·es sont fortement inscrit·es dans des réseaux de solidarités traditionnelles. L’analyse des conditions d’indépendance des différentes jeunesses à La Réunion gagne à être lue en termes de mobilité plutôt qu’en termes de logement. Effectivement, il n’existe que peu de logements qui correspondraient à des logements individuels et la colocation n’y est pas fréquente. Ces deux types de logements restent associés aux zoreys, coupé·es de leurs liens familiaux. Par ailleurs, la propriété des kour terrains et des kaz (selon qu’ils incluent un espace commun extérieur ou uniquement la maison) provient généralement de l’héritage familial et de la présence d’un ancêtre sur l’emplacement et 61 % des jeunes vivent chez leurs parents contre 47 % dans l’Hexagone26. Aucun·e volontaire rencontré·e ne vit seul·e, ce qui contraste fortement avec l’échantillon que j’ai pu rencontrer pour ma thèse en France hexagonale (Ihaddadene, 2018). Ici, les rares volontaires à ne plus vivre avec leurs parents sont installé·es en couple. C’est le cas de Pauline, en rupture familiale, notamment. C’est aussi le cas de Charlyne, mère de deux enfants, qui vit dans la famille de son conjoint. La solidarité est d’abord pensée au niveau local, à l’échelle du kartié, qui favorise notamment le covoiturage ou le prêt d’une voiture. Cette solidarité « spontanée » ne correspond que rarement à un engagement associatif. Les jeunes Réunionnais·es ne semblent pas associer « service civique » à « lien social » mais plutôt à « emploi public », ce qui répond en partie à la surreprésentation des missions en service public, à la faible structuration du secteur associatif local27 et à la définition communautaire de la solidarité.

  • 28 Le concept de Robert Castel (1995) me paraît utilisable non pour décrir (...)
  • 29 Le Régiment du service militaire adapté à la Réunion (RSMA-R) est un pr (...)

25Le service civique apparaît être avant tout, pour les volontaires issu·es de familles créoles, une étape dans une (ré)insertion ou, du moins, une stratégie d’évitement de la désaffiliation28. Il sert à certain·es volontaires à ne pas « décrocher » du marché de l’emploi ou de l’éducation formelle. Ainsi Lajja sort de deux ans de « service militaire adapté29 » à la Plaine des grègues. Le service civique lui paraît être une sorte de « nouveau départ », moins disciplinaire, pour éviter de « décrocher ». Il s’agit pour elle de ne pas se marginaliser, de ne pas sortir des réseaux d’insertion professionnelle. La participation aux frais du foyer familial, rendue possible par l’indemnité, contribue à son sentiment de s’inscrire dans des liens sociaux forts ou plus exactement de s’y réinscrire après une période de rupture familiale.

26De la même façon, l’enracinement dans le quartier ou le village d’origine, en opposition à l’injonction de « mobilité », que j’évoque ensuite, renforce ce sentiment. Les études apparaissent parfois facteur de désintégration. Louis m’explique par exemple que s’il voulait continuer ses études, il lui faudrait quitter Saint-Joseph pour Saint-Denis ou pour la « métropole ». Il ne se sent pas prêt, notamment, à s’éloigner de ses cousines. Il en est de même pour Lucia, rencontrée en 2021, qui entend passer les concours de CPE mais risque, de fait, de devoir partir en France hexagonale. Pour Alicia, rencontrée en 2021 en mission locale, le service civique permet même de se réinsérer dans le tissu local :

Moi je rentrais de la métropole, donc il fallait que je me réinsère en fait dans la situation économique de La Réunion. Et euh… bah c’était… en fait c’était une porte d’entrée parce que, mon domaine [la géomatique] en fait y avait pas à La Réunion. Il fallait que je trouve un autre domaine. Et c’était le domaine qui m’a été ouvert le plus facilement.

27Le service civique comme moyen de rentrer ou d’éviter la mobilité lui confère un aspect intégrateur en ce qu’il insiste sur la nécessité de s’inscrire dans les liens de proximitéavant de se salarier ou d’étudier.

2.3. Partir ou rester : attentes et résistances à l’injonction à la mobilité

  • 30 Cette peur est à réinscrire dans l’histoire des migrations forcées à La (...)

28L’injonction à la mobilité est forte pour ces jeunes Réunionnais·es ; d’autant que le traitement du chômage y passe, au moins depuis les années 1990, par une politique d’incitation à la mobilité (Ihaddadene, 2017, 67 ; Labache, 2012). Le rôle des structures associatives, ici, apparaît être plutôt un accompagnement à la migration qu’une incitation. Ainsi la mission locale du Sud organise des ateliers de « sensibilisation » au départ. Le responsable m’explique : « On leur explique qu’il n’y a pas d’obligation. Mais ils sont nombreux à avoir peur. Leurs familles surtout résistent30. » Le Comité national d’accueil et d’actions pour les Réunionnais en mobilité (CNARM), héritier du BUMIDOM, propose des formations « savoir-être » guidant dans la recherche d’un logement en métropole et préparant les Réunionnais·es à « prendre l’avion » et à « avoir froid » (pour reprendre les exemples cités en entretien par les conseiller·es en insertion). L’incitation à la mobilité reste forte pour celles et ceux dont l’avenir est incertain. La directrice du Centre régional d’information jeunesse m’explique ainsi :

Il faudrait les socialiser à la mobilité, d’où le fait que les formations civiques et citoyennes tournent autour de ces questions. Elles permettent de les former à la mobilité : quand on n’a rien, autant partir. Quand on part, on ne perd pas sa culture. On est ambassadeur de l’île. On revient plus fort, presque héroïque.

29Et effectivement, certain·es des jeunes rencontré·es attendent une migration en France hexagonale. La faible proposition d’offre de formations, notamment universitaires, sur l’île, emmène les étudiant·es à s’y rendre pour prétendre à un master. Lucia raconte par exemple que le refus sur Parcoursup d’une inscription en master MEEF par manque de place la pousse à envisager un départ en France hexagonale. Le service civique apparaît alors être une période d’attente, pendant une formation, une préparation de concours, ou dans l’attente des sélections, avant le départ. Melvyn attend d’avoir fini la licence de STAPS pour postuler en master en Hexagone et me dit : « Moi, je vais pas rester ici, il faut que je bouge. Je suis trop actif pour La Réunion. Ici, tu peux rien faire. Là-bas, tout est possible. »L’entrée dans la fonction publique est aussi un enjeu fort de cette migration. En effet, il est souvent nécessaire de passer le concours en métropole plutôt qu’à La Réunion. Olivier voudrait postuler pour les concours de la police mais il n’arrive pas à gérer les calendriers différenciés de La Réunion et de l’Hexagone. Coralie, elle, prépare le concours de la gendarmerie. Sitôt qu’elle sera reçue, c’est en France hexagonale qu’auront lieu la formation et les premières années de service. Pour elle, c’est là-bas qu’a lieu le « vrai monde du travail ».

30Mais l’enjeu de la mobilité en France hexagonale, c’est aussi de pouvoir en revenir. En effet les Réunionnais·es, souvent très attaché·es à leur île, ne sont pas prioritaires, une fois le concours obtenu, pour rentrer dans le département. C’est le cas pour les enseignant·es de l’Éducation nationale, qui devront passer par un territoire « à 14 points » avant de revenir à La Réunion, en fin de carrière, tant l’île est couteuse en « points ». D’autant que les fonctionnaires, mieux pourvu·es en points pour mutation, qui privilégient La Réunion pour la fin de leur carrière sont nombreux·ses. Les jeunes parents craignent ainsi de ne pas pouvoir revenir avant de longues années. C’est l’une des raisons pour lesquelles se développent des résistances à cette injonction. Ainsi Elias, étudiant en environnement, explique :

Je veux pas partir en métropole. Déjà, là-bas, ils ont une vie de radin. Ils n’ont pas l’habitude de l’accueil, merci, mais moi, ça ne m’intéresse pas. Et puis, j’ai fait une formation dans l’environnement pour protéger mon île. Pas pour aller chercher du travail ailleurs. C’est ici que je veux être utile.

  • 31 L’expression n’est plus vraiment utilisée à La Réunion, du fait de la d (...)

31D’une certaine façon, ces discours rejoignent ceux que rapporte Philippe Vitale des ga la kour31, jeunes hommes réunionnais, non diplômés et précaires qui refusent de quitter leur île pour une formation ou pour un emploi (Vitale, 2015). Mais ces résistances sont aussi politiques et elles s’inscrivent dans une forme de rejet de la France (ou d’une partie au moins) stigmatisante, raciste et colonialiste. Le slogan « Vivre et travailler au pays » (qui n’est pas propre à La Réunion), y apparaît dans les années 1980 ce qui coïncide avec l’arrivée de la crise sociale à La Réunion (Vitale, 2015, 185) avant de réapparaître au début des années 2000, dans des mouvements protestataires d’enseignant·es notamment (Labache, 2012). Cette fois, la volonté de résister à la mobilité correspond à l’« effondrement progressif du mythe du modèle métropolitain », « à l’échec du développement socio-économique pour le département », mais également à des revendications identitaires.

2.4. La substitution à l’emploi (aidé) public

32À La Réunion, le service civique ne fait pas seulement office de porte d’entrée dans l’emploi aidé, il joue aussi un rôle de mise en concurrence en amont de l’embauche et, souvent, de substitution à l’emploi (Ihaddadene, 2018). C’est particulièrement le cas dans l’Éducation nationale : dans la foulée de la suppression, en août 2017, d’une grande partie des emplois aidés et d’une rentrée scolaire ponctuée de grèves dans les collèges et lycées, l’Agence du service civique a annoncé la création de 750 missions de service dans les établissements scolaires. Ces postes correspondent à des missions d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), d’assistant·es d’éducation (AED) et d’assistant·es vie scolaire (AVS).

  • 32 Un volontaire ne peut pas réaliser des heures salariées au sein de la stru (...)

33Un établissement scolaire du Sud de La Réunion a accueilli, de 2012 à 2015, 11 engagé·es en service civique. Sur les trois qui étaient en mission au même moment, l’une est accueillie directement par l’établissement, à la vie scolaire, en soutien à la conseillère principale d’éducation, et les deux autres par le foyer socio-éducatif et sont chargées de l’animation de l’internat. Toutes les trois espèrent pouvoir, comme Gaëtan dont le service civique s’est achevé à la fin du mois de janvier, obtenir un contrat d’assistant·es d’éducation (AED) à la fin de leur mission. Celles qui travaillent à l’internat réalisent déjà quelques heures en CDD comme AED, en plus de leur volontariat32, cumulant parfois, comme auto-entrepreneuses, jusqu’à 15 heures de travail par jour. Ces différentes casquettes compliquent leur positionnement face aux élèves, qui les situent tantôt en accompagnement, tantôt en surveillance ou en vie scolaire.

34Jérémy et Angie sont également en mission au sein d’un établissement scolaire du département. Le premier assiste le CPE, tandis que la seconde travaille auprès de la documentaliste, qu’elle remplace pendant ses absences. Ils ont tous les deux postulé comme assistant·es d’éducation auprès de ce lycée dans lequel ils étaient scolarisé·es. Contacté·es par le chef d’établissement, qui leur a expliqué ne pas pouvoir ouvrir de nouveau poste cette année, ils se sont vus proposer un service civique. Le CPE a convaincu Jérémy d’accepter « pour ne pas rien faire ». Comme il peut bénéficier de la majoration sur critères sociaux, il lui a fait comprendre que 670 € par mois pour 24 heures hebdomadaires, ce n’était « pas si loin du salaire d’assistant d’éducation », que ces volontaires remplacent régulièrement.

35Enfin, un troisième cas permet d’illustrer le remplacement d’une main-d’œuvre qualifiée. Joris est en mission dans une « maison des élèves », qu’il doit accompagner durant les temps de permanence. Cette mission remplace les postes qui étaient jusqu’en 2002 attribués à des emplois-jeunes puis à des vacataires faiblement rémunéré·es. En outre, Joris, étudiant en master de mathématiques, assiste parfois les professeurs dans des classes trop nombreuses. Il arrive également qu’il remplace les professeurs absents, qui parfois lui transmettent le programme du cours qui devait être réalisé.

  • 33 Cf. Emplois aidés − Emploi, chômage, revenus du travail | Insee Références (...)

36L’utilisation du volontariat comme « sous-emploi public et mise au travail » (Simonet, 2010, 123) s’inscrit ici dans l’économie de la pénurie que connaissent les services publics et dans la politique de réduction du nombre de fonctionnaires33. Mais ici encore La Réunion fait exception : les formes d’emplois dérogatoires y sont toujours particulièrement développées et les emplois-aidés y sont en hausse, contrairement au reste du territoire français. C’est que la promotion de ces formes dégradées d’emploi public s’inscrit dans une volonté de l’État français de préserver la paix sociale (Deschamps & Provini, 2022), au détriment, parfois, de l’emploi des jeunes.

Conclusion

37Le déploiement du service civique à La Réunion apparaît paradoxal : d’un côté, il est reproché aux jeunes de ne pas s’y investir « gratuitement » mais d’en attendre une forme de contrepartie – rémunération ou embauche future ; de l’autre, il leur est proposé parmi d’autres dispositifs visant à lutter contre leur chômage. Alors qu’ils et elles sont décrit·es comme ne sachant ou ne voulant pas travailler, les volontaires l’inscrivent dans des stratégies d’insertion, notamment dans l’emploi associatif ou public qui repose en grande partie sur les emplois aidés. Et alors qu’il leur est reproché de ne pas s’engager, ils et elles sont fortement inscrit·es dans des réseaux de solidarité et résistent aux injonctions à la mobilité pour s’impliquer localement. Plus qu’ailleurs, le service civique semble contribuer à une relative indépendance pour ces jeunes qui peuvent s’investir dans le tissu local et dans l’économie familiale.

38Le hiatus entre le discours des salarié·es des structures d’insertion et celui des jeunes s’inscrit dans une politique nationale ambigüe. Les conseillères d’insertion se trouvent au cœur d’une injonction paradoxale : elles doivent atteindre des objectifs chiffrés de déploiement du service civique, tout en assurant un accompagnement de qualité rendu impossible par leur quantité de travail. Ce faisant, elles reportent la responsabilité de la « dérive » du service civique sur les jeunes eux-mêmes. La situation y est d’autant plus paradoxale que le programme est de plus en plus assumé en France hexagonale comme un programme d’insertion au service de la reprise de l’emploi des jeunes, dans le contexte d’une crise qui touche particulièrement les jeunes Réunionnais·es. Crise à laquelle, les conseilleres contribuent – bien malgré elles : une conseillère remarque ainsi qu’elle « inonde le marché du travail avec des stagiaires. Et du coup, qui dit stagiaires dit main-d’œuvre gratuite et qui dit gratuite dit pas d’emploi. Et du coup, comme c’est des générations, donc de génération en génération, tous les ans, c’est la même chose ». Alors que leur métier se transforme, sans que les nouvelles prescriptions ne soient clairement formulées, les conseillères de la mission locale cherchent à promouvoir un service civique d’engagement tout en se préparant à être englobées dans le service public de l’emploi.

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Bibliographie

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Notes

1 À cette somme s’ajoutent 111,45 € de majoration pour les volontaires boursier·es ou issu·es d’un foyer bénéficiaire du RSA.

2 Jusqu’à 48 heures, 35 heures pour les mineurs.

3 Rapport d’activité 2021 Agence du service civique.

4 À titre de comparaison, la totalité de la Bretagne en a accueilli 2 975 sur la même période. La population réunionnaise était alors de 858 450 habitant·es pour 3,4 millions en Bretagne.

5 Insee Analyses Réunion, no 72, 18/08/2022.

6 Sources : Insee, RP2008, RP2013 et RP2018, exploitations principales, géographie au 01/01/2021.

7 Pour une étude sur le RSMA en Martinique, cf. Milia-Marie-Luce M. (2019).

8 « Le Service Civique, une solution pour les jeunes face à la crise », Agence du service civique, Publié le 28/01/2021, https://www.service-civique.gouv.fr/presse-et-publications/communiques-et-dossiers-de-presse/le-service-civique-une-solution-pour-les-jeunes-face-a-la-crise

9 Pour en savoir plus sur l’usage des catégories ethniques à La Réunion, cf. Labache L. (2002).

10 Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, Filosofi 2019 ; enquête revenus fiscaux et sociaux (ERFS) 2019 pour l’Hexagone.

11 Sources : Insee, enquête emploi et taux de chômage localisés.

12 Sources : Insee, Flores 2019.

13 « France Travail, une transformation profonde de notre action collective pour atteindre le plein-emploi et permettre ainsi l’accès de tous à l’autonomie et la dignité par le travail », Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, avril 2023, mission de préfiguration France Travail, rapport de synthèse de la concertation.

14 Françoise Vergès aborde ces stéréotypes sur les départements d’outre-mer, considérés comme « peuplés de légions d’assistés qui vivent de “l’argent braguette” [allocation PAJE] […], paresseux ou agressifs, ingrats et peureux » (2006, 159).

15 « Le créole est encore très largement majoritaire », INSEE Économie de la Réunion no 137, 16/12/2010.

16 Source : Deps-doc/ministère de la Culture, enquête sur les pratiques culturelles à La Réunion (2019-2020).

17 Remplacé depuis par le Contrat d’engagement jeune depuis mars 2022 qui suppose désormais une contractualisation entre le jeune concerné et la structure prescriptrice : l’indemnité mensuelle est désormais la contrepartie d’un engagement à 15 à 20 heures d’activité hebdomadaires.

18 Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, fichier localisé social et fiscal (Filosofi) 2017.

19 En 2010, un emploi public sur quatre était un emploi aidé. Sur cette question, cf. Indicateurs sociaux départementaux – Une situation sociale hors norme, Nelly Actif, Manuéla Ah- Woane (INSEE), Sylvie Hoarau, Hugues Maillot (Conseil Général) INSEE Réunion 2012.

20 « Dérive » qui n’en est pas vraiment une, puisque la politique publique s’inscrit historiquement dans les programmes d’insertion développés depuis les années 1980. Cf. Ihaddadene, 2018.

21 Précisons qu’en tant que dispositif exclu du champ de l’emploi, le service civique n’ouvre pas de droits au chômage.

22 Il est remarquable, bien que paradoxal, que le congé maternité soit un droit des volontaires, « dans les mêmes conditions que celles s’appliquant aux salariés » selon le site de l’Agence du service civique, alors que ce n’est pas le cas de l’allocation-chômage.

23 Entretien réalisé à la DRAJES Réunion, novembre 2021.

24 Ce titre fait référence au chapitre « Travailler, chômer, s’entraider. Discontinuité du travail et organisation sociale à La Réunion » de l’ouvrage de Le Gall D. & Roinsard N. (2010).

25 Source : Insee-DGFIP-Cnaf-Cnav-CCMSA, fichier localisé social et fiscal (Filosofi). Données 2015.

26 INSEE FLASH RÉUNION, No 221 Paru le 15/02/2022.

27 « Le mouvement associatif dans l’histoire de La Réunion (1901-2001) », textes réunis par Sudel Fuma, université de La Réunion, CRESOI, 2001, p. 81.

28 Le concept de Robert Castel (1995) me paraît utilisable non pour décrire la situation de ces volontaires mais pour évoquer ce qu’il leur paraît important d’éviter.

29 Le Régiment du service militaire adapté à la Réunion (RSMA-R) est un programme d’insertion et de formation professionnelle dans un cadre militaire « pour aider les jeunes à retrouver leurs repères » (cf. www.rsma.re) qui accueillait en 2022 1 400 stagiaires à l’année, hommes et femmes, âgés de 18 à 25 ans, qui s’engagent volontairement. Le RSMA est présenté comme « une seconde chance » pour des stagiaires « en grande majorité sans diplôme du système scolaire » et qui ont « de grosses difficultés sociales ou scolaires. ». Après la formation, il est possible d’intégrer le civil ou de rester au sein du militaire.

30 Cette peur est à réinscrire dans l’histoire des migrations forcées à La Réunion et dans celles, souvent contraintes, organisées par le BUMIDOM. Sur ces questions, on peut lire Ascaride G., Spagnoli C., & Vitale P. (2004) et Pattieu S. (2016).

31 L’expression n’est plus vraiment utilisée à La Réunion, du fait de la disparition progressive des kour [espaces collectifs extérieurs rattachés aux maisons].

32 Un volontaire ne peut pas réaliser des heures salariées au sein de la structure dans laquelle il réalise son service civique. Nombreux sont ceux qui le font de façon informelle ou en jouant sur les statuts des structures dans lesquelles ils sont mis à disposition : ici l’association qui accueille étant le foyer socio-éducatif, la législation n’interdit pas que soient travaillées des heures pour l’établissement en lui-même. Autrement dit, un contournement de la législation est assez facile par le biais de l’intermédiation.

33 Cf. Emplois aidés − Emploi, chômage, revenus du travail | Insee Références, paru le 02/07/2020.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Florence Ihaddadene, « Le service civique au service de l’insertion des jeunes Réunionnais·es ? »La nouvelle revue du travail [En ligne], 23 | 2023, mis en ligne le 27 octobre 2023, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/nrt/14979 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/nrt.14979

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Auteur

Florence Ihaddadene

CURAPP-ESS, Université de Picardie Jules Vernes

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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