Navigation – Plan du site

AccueilNuméros23Corpus – Assigné·e·s au sous-emploiParcours d’apprentis aux métiers ...

Corpus – Assigné·e·s au sous-emploi

Parcours d’apprentis aux métiers de l’éducation spécialisée : quels projets d’insertion professionnelle pour des débutants expérimentés ?

Apprenticeships in the Special Education Professions: How Will Experienced Beginners Fit into the World of Work?
Trayecto de aprendices en los trabajos de la educación especializada: ¿qué proyectos de inserción profesional para los principiantes experimentados?
Marie Chartier et Sophie Avarguez

Résumés

Cet article qui s’appuie sur une enquête par entretiens semi-directifs et par observations, étudie le dispositif de formation par apprentissage de deux métiers de l’éducation spécialisée (éducateur spécialisé et moniteur éducateur). Après avoir contextualisé le secteur des métiers de l’éducation spécialisée et inscrit les enquêtés dans un processus de socialisation professionnelle au monde du travail et aux métiers du social, nous analyserons les parcours d’insertion professionnelle et de construction de la professionnalité. Ici, l’insertion professionnelle est étudiée comme un processus au long cours, s’inscrivant dans un parcours marqué par des effets de proximité (au monde du travail et au champ du sanitaire et social).

Haut de page

Texte intégral

  • 1 « Une première expérience professionnelle complète », « un tremplin vers l’emploi » et « une inser (...)

1L’essor du chômage des jeunes combiné à l’émergence d’un espace « post-scolaire » (Dubar, 2001, 25) fait que l’éloignement des jeunes vis-à-vis du monde du travail a été progressivement érigé au rang de problème public conduisant au développement de politiques d’insertion (Lefresne, 2003). Le rapprochement de l’offre et de la demande de travail (Fondeur & al., 2016) en tant que facilitateur de l’insertion professionnelle des jeunes jugés comme étant les plus éloignés de l’emploi, fait alors consensus1 et se développe notamment sous la forme d’une intermédiation formative (Chartier & Avarguez, 2022). Ainsi, pendant les années 1980, l’articulation de la formation et de l’emploi donne notamment lieu au développement des formations par alternance. L’apprentissage est alors présenté comme « une mesure phare de la lutte contre le chômage juvénile » (Lopez & Sulzer, 2016, 1). L’État fixe des objectifs quantitatifs (nombre d’apprentis à atteindre), communique sur les formations par apprentissage pour encourager leur développement et promeut une incitation financière en direction des entreprises (Moreau, 2008). « L’aspiration de l’apprentissage par le haut » (Arrighi & Brochier, 2005) rend compte d’une multiplication des niveaux de formation et des champs d’activité. À la figure classique de l’apprenti dans des secteurs tels que le bâtiment, l’agroalimentaire, l’hôtellerie-restauration, se superposent des figures émergentes dans des secteurs moins enclins à privilégier ce dispositif de formation ou jusqu’alors réservés à des cursus universitaires généraux. C’est ainsi que le secteur des services (Abriac, Rathelot & Sanchez, 2009) et notamment les métiers du champ sanitaire et social deviennent également éligibles à l’apprentissage. C’est bel et bien la « mosaïque apprentie » (Moreau, 2003, 110) qui émerge de ces reconfigurations.

2Face aux discours stipulant que l’apprentissage serait la voie empruntée par des jeunes éloignés du monde du travail parce que sans qualification et sans expérience professionnelle2, cet article se donne pour objectif d’une part, de déconstruire cette idée reçue et d’autre part, de soumettre à la critique une conception de l’insertion professionnelle qui serait observable à un instant T et s’apparenterait au passage de la formation vers l’emploi une fois le diplôme obtenu. L’insertion professionnelle est au contraire étudiée comme un processus au long cours, s’inscrivant dans un parcours (Rose, 1998) et non pas comme une entrée ponctuelle dans l’emploi à l’issue de la formation par apprentissage ou comme l’effet mécanique du dispositif. L’« effet de proximité : entre l’apprenti et l’entreprise et entre la spécialité de formation et le métier » (Couppié & Gasquet, 2021, 1) est ici mobilisé pour comprendre ce processus.

3C’est donc une double proximité qui est analysée : la première est relative au monde du travail (avec l’entreprise et l’emploi) et la seconde, au champ du sanitaire et social. Elles participent de concert à la professionnalisation et à la stabilisation dans l’emploi. Aussi, sont prises en compte les expériences de formation et professionnelles avant l’entrée dans l’apprentissage, mais également en cours d’apprentissage. L’insertion professionnelle est étudiée comme maillon dans le processus de stabilisation du contrat de travail (Vernières, 1997) et non pas comme un effet du seul dispositif d’apprentissage.

4Après avoir contextualisé le secteur des métiers de l’éducation spécialisée (partie 1) et inscrit les enquêtés dans un processus de socialisation professionnelle au monde du travail et aux métiers du social (partie 2), nous analyserons les parcours d’insertion professionnelle et de construction de la professionnalité en deux temps : à l’entrée et pendant leur formation (partie 3) et à partir des représentations que les apprentis se font de leur sortie du dispositif (partie 4).

1. Éléments de contextualisation de l’enquête et des métiers de l’éducation spécialisée

5Le champ du travail social est composé d’une diversité de métiers : ceux qualifiés de « canoniques » correspondent aux quatre secteurs d’activités historiques, à savoir l’action sociale, l’éducation spécialisée, l’animation et l’accueil à domicile (Beynier & al, 2005). Le glissement du travail social vers l’intervention sociale, notamment avec la création de la politique de la ville, a ensuite contribué à l’émergence de nouveaux métiers : coordination, encadrement, médiation sociale (Ravon & Ion, 2012).

  • 3 ESAT (Établissement et service d’aide par le travail), MECS (Maison d’enfants à caractère social), (...)

6Les éducateurs spécialisés (ES) et les moniteurs éducateurs (ME), auxquels nous nous intéressons ici, s’inscrivent dans le secteur de l’éducation spécialisée. Notre article place au centre de l’analyse ces deux métiers dont les formations, respectivement de niveaux 6 et 4, sont proposées sur le territoire de la région Languedoc-Roussillon (devenue en 2016 région Occitanie). Il s’agit de métiers dits « relationnels » (Demailly, 2008) dans lesquels les professionnels interviennent auprès d’un public hétérogène (enfants, jeunes, adultes, personnes âgées) sur des problématiques spécifiques (insertion sociale et professionnelle, handicap, aide sociale à l’enfance, etc.) et dans des structures de statuts et de tailles diverses3.

  • 4 Source : DREES, enquête écoles de formation 2017, https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/de (...)
  • 5 Les données ont été recueillies avant les réformes des formations du travail social de 2018, cf. A (...)
  • 6 La comparaison entre apprentis et étudiants en formation initiale ne peut se faire localement que (...)

7En 2017, 2 770  ME et 4 126  ES ont été diplômés en France, dont 306 ME et 331 ES en Occitanie4. En 2007, le CFA sanitaire et social ouvre en Languedoc-Roussillon et au moment de l’enquête de terrain (en 2015-2016)5, il accueille 65 apprentis ME et 46 ES sur l’ensemble des trois années de formation. Au sein des centres de formation, se côtoient alors étudiants en formation initiale et apprentis, parfois pour préparer un même diplôme6. À titre d’exemple, au cours de cette même année, 30 étudiants et 11 apprentis suivent la formation ES dans le centre de formation étudié. Le taux de réussite à l’examen (apprentis et étudiants) est de 80 %.

8Le CFA sanitaire et social étudié affiche pour l’année 2014 un taux d’insertion professionnelle à 6 mois de 65 % pour les apprentis diplômés ES et de 75 % pour les apprentis diplômés ME ; à 18 mois, ce même taux atteint les 90 %. En 2022, quasiment 100 %7 des jeunes diplômés des centres de formation étudiés, apprentis ou non, sont en emploi à la sortie de leurs études8.

9Suite à la réforme de l’apprentissage de 20189, un double constat est observé localement : en 2022, le nombre d’apprentis ES a augmenté de manière significative (n = 25) alors que celui des étudiants reste stable. De plus, apprentis et étudiants affichent un même taux de réussite (100 %) et d’insertion professionnelle (autour de 100 %). Ainsi, si l’évolution des effectifs, des taux de réussite et d’insertion professionnelle ne donne pas à voir de différences significatives entre formation par apprentissage et voie initiale, il en est autrement pour l’organisation de l’alternance. À titre d’exemple, pour la filière préparant au diplôme d’ES, les apprentis bénéficient d’un nombre d’heures de formation supérieur à celui des étudiants et leur formation pratique est quasiment doublée. La formation par apprentissage se distingue donc par un engagement des jeunes dans l’activité de travail plus important (Chartier, 2023), qui fait ici l’objet d’une attention particulière.

  • 10 Pour une description de l’organisation d’un CFA « hors les murs », se reporter à Brochier D. & Rom (...)
  • 11 L’ensemble des apprentis de ces deux promotions ont été interviewés.

10L’analyse ci-après s’appuie sur une enquête de terrain menée en Occitanie dans un CFA « hors les murs10 » qui propose des formations par apprentissage. Des observations et des entretiens semi-directifs auprès d’apprentis ME et ES ont été mobilisés : différentes scènes du dispositif de formation (réunions d’apprentissage, comité de liaison, conseil de perfectionnement, visite de stage, formation des maîtres d’apprentissage et séances d’analyse des pratiques à destination des moniteurs éducateurs et des éducateurs-spécialisés) ont été observées au cours de l’année (n = 22). Parallèlement, des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de différents acteurs du dispositif : directrices de structures de formation, directeurs d’établissements, chefs de service, coordinateurs et formateurs (n = 11), apprentis (n = 20)11 et maîtres d’apprentissage (n = 13) afin de croiser les regards sur un même dispositif.

2. Un intérêt précoce pour le social et pour l’activité de travail : une double proximité en construction

11Se former par apprentissage poursuit l’objectif d’offrir à des jeunes, supposés sans qualification et donc éloignés de l’emploi, une formation diplômante tout en étant en contrat de travail (Kergoat, 2010). L’obtention d’un contrat d’apprentissage permettrait donc aux jeunes qui en bénéficient de se rapprocher d’un employeur et d’un métier par le biais de la qualification et de l’acquisition de compétences.

12L’analyse des parcours précédant l’apprentissage permet de déconstruire ce présupposé et montre que l’effet de rapprochement du dispositif d’apprentissage est à nuancer. En effet, en amont de la signature du contrat, une double proximité se construit à travers un processus de socialisation à l’activité de travail et aux métiers du social.

2.1. Une socialisation forte au champ de l’éducation et du social

13La socialisation aux métiers de l’éducation et du social se fait essentiellement à trois niveaux : le milieu familial, les parcours de formation et/ou les expériences professionnelles.

14Le choix de l’orientation dans le secteur de l’éducation spécialisée ou plus largement du social est fortement marqué par la socialisation familiale (Peugny, 2013 ; Moreau, 2003) : la moitié des apprentis a au moins un père ou une mère exerçant un métier dans le secteur ; deux autres font référence à un autre membre de la famille (frère/sœur, beau-père/belle-mère, etc.). Aussi, les membres de leur entourage familial jouent un rôle déterminant dans la transmission d’un univers professionnel faisant du social un secteur « familier » et un horizon possible pour soi. Érica, apprentie ES, 24 ans, nous dit à ce propos :

Moi j’ai ma mère et mon beau-père qui sont éducateurs donc j’ai plus ou moins baigné là-dedans depuis que je suis petite. Les amis de mes parents sont aussi dans le social ou dans l’éducation. Du coup, y’a des valeurs qui ressortent et qui font qu’on se construit là-dedans… c’est vraiment la reproduction sociale, pour le coup !

15L’idée de se projeter professionnellement dans le champ de l’éducatif prend place dans cette socialisation familiale qui se traduit concrètement par la réalisation d’un parcours de formation et des expériences professionnelles adéquats. La reproduction sociale (Bourdieu & Passeron, 1970) se double alors d’un effet d’autochtonie (Moreau, 2003, 101) : les jeunes se constituent un capital d’autochtonie (constitué de relations familiales et sociales) avant et pendant leur apprentissage. Celui-ci est proportionnel à la proximité établie en amont et pendant l’apprentissage avec le milieu éducatif/social et les entreprises du secteur. Ainsi, les parents et/ou proches agissent dans le processus de construction du parcours professionnel en tant que « facilitateurs » pour l’entrée puis le maintien dans le champ de l’éducatif et du social.

16De plus, l’empreinte de l’éducatif et du social est présente de manière précoce dans le parcours de formation de onze apprentis. Les intitulés des diplômes obtenus témoignent d’un ancrage dans ce secteur professionnel (baccalauréat sciences médico-sociales, sciences et technologie de santé et du social, Brevet d’études professionnelles sanitaire et social, etc.), tout comme la validation des brevets d’animation socioculturelle ou sportive (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur et Brevet professionnel de la jeunesse, de ’l’éducation populaire et du sport).

17Avoir obtenu ces diplômes et/ou brevets leur ouvre la voie vers de premières expériences professionnelles dans ce secteur. Par le biais d’emplois saisonniers, de « jobs étudiants », de stages et de remplacements, quasiment tous les jeunes enquêtés ont déjà été immergés dans ce milieu professionnel. Ainsi, l’adéquation entre formations suivies et expériences professionnelles donne à voir une certaine linéarité dans le parcours, du fait d’une construction en amont de ce dernier.

  • 12 Ce manque se traduit souvent par un engagement dans le milieu associatif, comme pour Jérôme, déten (...)

18Les neuf apprentis qui n’ont pas cette coloration « intervention sociale » dans leur parcours de formation et professionnel évoquent deux registres qui se nourrissent l’un et l’autre pour expliquer la bifurcation vers les métiers de l’éducation spécialisée. Le premier registre porte sur l’envie d’exercer un métier qui soit relationnel. Les enquêtés concernés ont soit toujours été en contact « avec l’humain », soit ce contact leur faisait défaut12. Dans tous les cas, la relation à l’autre présente ou manquante dans leur activité de formation ou professionnelle est un élément clé dans la décision d’exercer une activité dans le champ de l’éducation spécialisée. Le second registre se nourrit du précédent dans la mesure où il s’agit effectivement d’inscrire une dimension relationnelle forte dans l’activité professionnelle et d’y greffer un sentiment d’utilité sociale traduit par les expressions maintes fois reprises « aider » et « se sentir utile ». Marie, apprentie ME, 21 ans, témoigne de l’articulation de ces deux registres :

’j’ai fait un BEP secrétariat accueil. Ensuite j’ai eu un bac services en milieu rural. J’ai travaillé dans ce secteur et puis j’en suis revenue : j’avais besoin de contact et je me sentais pas vraiment utile.

19Qu’ils soient dans un parcours où l’orientation dans l’intervention sociale est précoce ou que celle-ci soit le résultat d’une bifurcation, tous mentionnent le terme de « déclic » pour rendre compte de leur choix à exercer un métier dans le champ de l’éducation spécialisée. Ces déclics s’apparentent pour certains à « l’appel du social » et s’accompagnent du souhait d’exercer un métier qui fasse sens.

2.2. Le choix de l’apprentissage : se former en rupture avec le système éducatif

20En ce qui concerne leur parcours de formation, les apprentis sont six à avoir suivi la filière générale, sept la filière technologique et sept la filière professionnelle. Leurs niveaux de formation sont les suivants : deux de niveau 3 (CAP/BEP), douze ont un niveau 4 (niveau baccalauréat), trois le niveau 5 (bac +2) et trois le niveau 6 (bac +3 ou +4). Ainsi, la majorité (n =18) a un niveau supérieur ou égal au baccalauréat.

21Leur expérience scolaire est décrite différemment selon leur niveau de diplôme. Ceux qui ont au moins validé un baccalauréat général évoquent une scolarité sans difficulté. Sans mettre en mots un goût pour l’école, ils évoquent plutôt les facilités d’apprentissage qui leur ont permis de progresser, sans encombre, dans un cursus classique. Les diplômés des CAP/BEP, baccalauréats technologiques et professionnels ont un autre discours : l’école apparaît comme un lieu de contraintes dans lequel il est difficile de trouver sa place. Le système scolaire fait alors l’objet de critiques tant sur son organisation que sur les décisions concernant leur orientation.

22Le manque de goût pour les formations scolaires et les critiques formulées à l’égard du système éducatif entrent en ligne de compte pour comprendre le choix d’une orientation vers l’apprentissage. Se former par apprentissage revient à minimiser, autant que faire se peut, la part de la formation par la théorie et à saisir une opportunité de se former de manière active à un métier, comme l’explique Marie, apprentie ME, 21 ans :

L’école, bon, c’est super hein ! C’est des cours qui m’intéressent, mais j’aimais beaucoup ce côté « sur le terrain », qui m’intéressait beaucoup. Donc je me suis dit : le compromis, c’est l’apprentissage !

23La formation par apprentissage, en donnant la possibilité de se former sur le terrain, permet de rompre avec le système éducatif classique et de se situer dans la pratique professionnelle salariée. L’avantage est double : si l’articulation pratique/théorie est envisagée comme un atout, certains de nos enquêtés (ceux qui entretiennent un rapport distancié à l’école ou celles et ceux qui étaient déjà dans la vie active) soulignent leur adhésion à cette forme d’alternance dans laquelle « bien » apprendre le métier d’ES ou de ME ne peut se faire qu’en étant en immersion dans une structure. Le dispositif de formation par apprentissage apparaît alors comme une voie privilégiée. Lola, apprentie ES, 22 ans, en témoigne :

En fait, j’apprends tellement tous les jours en étant à leur côté à eux… Et puis en plus, franchement, tenir trois ans en étant ici sur une chaise non-stop, c’est difficile pour moi.

24L’autre argument en faveur de l’apprentissage est d’ordre statutaire : l’apprenti est à la fois salarié et étudiant. Pour ces jeunes, devenir apprenti les fait entrer ou rester dans la vie active tout en étant en formation. Obtenir un contrat d’apprentissage et bénéficier ainsi d’une rémunération et des droits qui lui sont rattachés permet à ces jeunes d’acquérir ou de maintenir une autonomie financière, voire de s’émanciper de la tutelle parentale. Un atout unanimement reconnu, comme le souligne Célia, apprentie ME, 24 ans :

[…] c’est quand même fou qu’on passe un diplôme en travaillant et en étant payé […] avoir le statut d’étudiant et de salarié, ne pas payer de charges, ne pas payer d’impôts.

25Ce n’est donc pas l’entrée dans une formation par apprentissage qui leur permet de faire la découverte du monde du travail et du métier de l’éducation spécialisée. En effet, loin d’être déconnectés de toute activité professionnelle, leurs processus de socialisation et l’empreinte de la reproduction sociale les conduisent majoritairement à accumuler des expériences professionnelles dans le champ du social et/ou de l’éducation. Cette dimension biographique du processus de socialisation professionnelle (Dubar, 1991) contribue progressivement à une orientation vers une formation par apprentissage dans les métiers de l’éducation spécialisée qui, pour bon nombre d’apprentis, s’est construite sur le long terme. Ainsi, ils commencent majoritairement leur contrat d’apprentissage en faisant office de débutants expérimentés et en disposant d’un capital d’autochtonie (Moreau, 2003) dans le champ du travail social.

3. Décrocher un contrat d’apprentissage : une chance ?

26Si le parcours de formation et professionnel antérieur permet de comprendre comment l’effet de proximité contribue à construire le choix de l’apprentissage pour se former à un métier de l’éducation spécialisée, il s’agit maintenant de saisir quelles ressources sont mobilisées par les futurs apprentis pour obtenir un contrat. En effet, pour entrer dans une formation par apprentissage, la seule inscription dans un centre de formation ne suffit pas. Les candidats à l’apprentissage doivent prioritairement trouver un employeur qui accepte de les recruter en tant qu’apprenti, puis se soumettre aux critères de sélection et aux formalités administratives des centres de formation. Décrocher un contrat d’apprentissage est un enjeu crucial pour l’entrée dans la formation, souvent qualifié de « chance » par les apprentis. Or l’analyse des deux modes d’entrée dans une formation par apprentissage aux métiers de l’éducation spécialisée (par le biais de candidatures spontanées ou en étant déjà salariés de la structure) permet de relativiser la part de hasard, pourtant maintes fois évoquée par les apprentis. En effet, leur proximité avec l’activité professionnelle éducative constitue une ressource valorisable par le candidat à l’apprentissage et recherchée par les employeurs.

3.1. Des modes d’entrée dans l’apprentissage favorisés par la double proximité

27Le capital d’autochtonie donne à voir deux modes d’entrée dans le dispositif d’apprentissage, correspondant chacun à un degré de proximité spécifique : « être déjà là » vs les candidatures spontanées (Chartier & Avarguez, 2022). Ils témoignent d’une mobilisation de ressources diversifiées permettant d’une part, une stabilisation du parcours via le contrat et d’autre part, la construction de la professionnalité via la formation.

28Être déjà salarié de la structure (n =13), dans le cadre de contrats aidés, d’emplois saisonniers, de remplacements ou encore de stages, constitue le mode d’entrée principal. Dans cette perspective le contrat d’apprentissage apparaît comme une suite logique dans le parcours d’insertion professionnelle pour celles et ceux qui sont « déjà là » :

Ils m’ont pris là-bas, sachant que c’était un stage-découverte avant tout. Et du coup, comme ils ont vu que moi, je m’accrochais, enfin j’étais pas mal, j’avais une bonne entente, un bon contact avec les usagers et tout ça, ils m’ont proposé de faire moniteur-éducateur en apprentissage, (Barbara, apprentie ME, 22 ans).

29Par le biais de ces expériences professionnelles, les équipes et les responsables des structures employeuses connaissent et ont déjà vu travailler les futurs apprentis. Le fait d’être dans une période précédente sous statut de salarié ou de stagiaire s’apparente d’une certaine manière à une période d’essai pendant laquelle les compétences du futur apprenti sont évaluées (Doray & Maroy, 2001). C’est parce que les salariés ont fait leurs preuves auprès des usagers et des membres de l’équipe éducative que l’employeur leur propose un contrat d’apprentissage. En étant « déjà là », les apprentis disposent d’une connaissance préalable qui réduit d’autant la période de familiarisation et d’adaptation au milieu de travail : ils sont à ce titre des débutants expérimentés, rapidement opérationnels.

30Les candidatures spontanées (n = 7) constituent une autre manière d’obtenir un contrat d’apprentissage. La procédure de recherche d’emploi se fait par l’envoi en masse d’un CV accompagné d’une lettre de motivation auprès de toutes les structures éducatives d’un territoire, sans sélection, comme l’explique Célia, apprentie ME, 24 ans :

J’ai envoyé des CV, des lettres de motivation par courrier un peu partout… je me disais il y a des trucs qui me plairont moins, mais de toute façon j’ai pas vraiment le choix, c’est pas comme s’il y avait du boulot partout…

  • 13 Notamment ceux ayant un diplôme de niveau 5 et 6, alors que le baccalauréat est le niveau minimum (...)

31Pour quatre d’entre eux, la particularité de leur profil est d’une part, d’avoir des niveaux de diplôme supérieurs aux exigences d’entrée dans la filière13 et d’autre part, d’avoir une expérience professionnelle significative dans le champ de l’intervention sociale. Cette double proximité leur a permis d’obtenir le contrat convoité. Gaëlle, apprentie ES passerelle (auparavant apprentie ME), 27 ans, raconte son parcours :

J’ai fait un bac sciences médico-sociales en Ardèche. Et après, ce bac là je me suis dirigée sur un service civique volontaire de 9 mois avec Unis-Cité. Ça, c’était dans la Drôme […] Bon, l’Ardèche c’est sympa, mais pour trouver une formation, c’est pas aussi évident. Donc, j’ai essayé de passer mes concours dans d’autres régions et j’ai loupé. Et en fait près de chez moi, en Ardèche, il y a un lieu de vie qui s’est monté, qui accueille des mères adolescentes. Et je me suis dit : c’est pour moi ! […] Je suis rentrée dans le lieu de vie. J’y suis restée deux ans. […] Je me suis dit : allez, on va se lancer là-dedans (formation par apprentissage), on verra bien ! Je n’ai rien à perdre ! J’ai envoyé une cinquantaine de CV. Réponses négatives, tout ça, ou absence de réponse. […] Et en fait, j’ai un employeur qui m’a appelée sur Montpellier, pour s’occuper d’adultes en situation de handicap psychique. Il me dit : voilà, votre profil nous intéresse, on aimerait vous rencontrer.

32Quelle que soit la modalité d’entrée dans une formation par apprentissage, la double proximité construite tout au long du parcours se traduit aussi par le tissage d’un réseau d’interconnaissances. Plusieurs enquêtés (n = 7) évoquent comment « avoir du réseau » leur a permis d’obtenir un contrat d’apprentissage. Le réseau fait référence à des intermédiaires « facilitateurs » qui sont soit une personne de leur entourage proche, qui exerce une activité professionnelle dans le champ de l’éducatif et du social ou qui est elle-même en contact avec des professionnels de ce secteur, soit d’anciens collègues de travail. L’aspect relationnel et les expériences professionnelles sont imbriqués, néanmoins, le réseau seul ne suffit pas toujours à obtenir le contrat d’apprentissage. Il le facilite à condition que les futurs apprentis attestent d’une adéquation entre profil et poste à pourvoir.

3.2. Les atouts du double statut d’apprenti : se former en étant salarié

Avant de passer le concours, je me disais que si je pouvais avoir la chance de le faire en apprentissage, c’est ce que j’aurais préféré. Parce qu’après c’est vrai qu’il y a le côté être sur le terrain, avec des responsabilités. Et puis bon après il y a quand même un salaire aussi donc c’est vrai aussi que c’est plus intéressant que le cursus en voie directe, je trouve. (Aurélien, apprenti ES, 20 ans)

33Comme Aurélien, de nombreux apprentis emploient le champ sémantique de la « chance » pour décrire leur situation. Cette « chance » se donne à voir à différents niveaux, et ce, dès l’entrée dans le dispositif, avec l’obtention d’un contrat d’apprentissage. La comparaison avec les autres formations qui permettent d’accéder au même diplôme (notamment la voie directe sous statut d’étudiant) et le nombre restreint de structures qui prennent des apprentis amplifient ce sentiment. C’est une « chance » qu’une place d’apprenti se libère et c’est une « chance » d’avoir été au bon endroit, au bon moment pour saisir cette opportunité. Ce que dit Jean, apprenti ES, 22 ans :

J’ai eu beaucoup de chance, c’est qu’ils avaient un apprenti en troisième année, quand moi je faisais mon contrat d’avenir. Une place se libérait.

34Puis, le double statut est invoqué. Le contrat d’apprentissage permet de se former à un métier tout en étant salarié. Les expériences professionnelles antérieures dans le champ du social se caractérisent majoritairement par la précarité tant au niveau de la durée du contrat que du niveau de salaire (Paugam, 2007). Aussi accéder à un contrat d’apprentissage permet une stabilisation professionnelle en comparaison avec les remplacements, les stages ou encore les emplois saisonniers qu’ils effectuaient auparavant14. Une hiérarchisation des emplois à statut précaire (Paugam, 2007) s’opère chez les candidats à l’apprentissage. En effet, la durée du contrat d’apprentissage pour se former à un métier de l’éducation spécialisée est de trois ans ; le niveau de rémunération est évolutif allant d’environ 60 % à 80 % du SMIC15. La faible rémunération apparaît acceptable, car les enquêtés considèrent qu’ils sont payés pour être formés et non pas uniquement pour leur activité professionnelle.

35Enfin, les apprentis soulignent la dimension formative du dispositif dans lequel la pratique professionnelle constitue les trois quarts de la formation. Ils font état d’une socialisation professionnelle en situation de travail (Demazière, Morissette & Zune, 2019) leur permettant d’acquérir des connaissances sur le fonctionnement institutionnel de l’éducation spécialisée et des compétences nécessaires à l’exercice de leur activité, indispensables à la construction de leur professionnalité. Ce constat est corroboré par les discours des employeurs et formateurs : ils s’accordent tous à dire qu’à l’issue de leur formation, les apprentis sont des « professionnels aguerris » qui s’adaptent plus rapidement aux contextes et situations de travail, comme le formule la directrice d’une UFA :

La différence, c’est que celui qui va sortir en voie directe, il aura des outils et il les testera au fur et à mesure, alors que l’apprenti, pour moi, voilà, il les aura déjà testés et il les manipulera avec une grande dextérité.

36Le terme « chance » mobilisé fréquemment par les apprentis eux-mêmes vient donc occulter l’ensemble des ressources investies par ces jeunes dans l’élaboration de leurs parcours, la double proximité en étant un des traits marquants. La plupart d’entre eux s’inscrivent véritablement dans une construction de leur parcours (diplômes, expériences professionnelles) qui va à l’encontre d’une entrée fortuite dans le dispositif.

4. Être un « bon » professionnel : une préoccupation pour leur avenir

37Les formations par apprentissage peuvent être considérées comme une forme d’alternance construite sur un postulat adéquationniste fort (Tanguy, 1986) dans le sens où une entreprise s’engage à former une personne à un métier pour lequel elle procède à des recrutements. En France, pour l’année 2017, 45 % des ex-apprentis en emploi restent dans l’entreprise où ils ont effectué leur apprentissage, toutes filières confondues. La majorité (54 %) est recrutée en emploi à durée indéterminée, 27 % en emplois à durée déterminée, 11 % en intérim et 7 % en contrat de professionnalisation (Marchal, 2018). Mais comment se projettent les apprentis à l’issue de leur contrat d’apprentissage ?

38Si dans les faits, les données statistiques mettent en évidence une tendance à rester dans l’entreprise qui les emploie, les projections à moyen terme de nos enquêtés sont marquées par l’incertitude quant à la pérennisation de leur poste au sein de la structure. En effet, au moment de l’enquête de terrain (à mi-parcours de leur formation), les entreprises dans lesquelles les enquêtés font leur apprentissage ne se positionnent pas encore clairement sur l’après-contrat d’apprentissage : si la question a pu être abordée en début de contrat, rares sont les apprentis à être fixés sur la possibilité d’y être embauchés. La sortie de la formation par apprentissage est alors évoquée de manière hypothétique quant à leur futur statut d’emploi. Les enquêtés ont différentes manières de faire face à cette incertitude : ils se focalisent sur l’obtention du diplôme et se projettent plus sur le contenu du travail. Ainsi les représentations de leur avenir portent sur le « faire », plus précisément sur le « bien faire », et l’activité de travail (type de structure, public, projet éducatif) que sur l’emploi futur. Cette posture donne à voir une faille du dispositif en remettant en cause la vision adéquationniste, pourtant à son fondement.

4.1. Élargir son champ de compétences en continuant à travailler

39Les formations par apprentissage sont unanimement perçues comme un dispositif qui parvient à façonner des « professionnels aguerris », alors comment interpréter le souhait des apprentis de se former davantage et d’élargir leur champ de compétences ?

40Se former par apprentissage à un métier de l’éducation spécialisée se traduit par une acquisition de compétences directement en prise avec le contexte de travail dans lequel la formation s’est déroulée. Cette proximité entre l’apprenti et la structure employeuse produit des questionnements sur le fait d’y rester ou d’en partir une fois le diplôme obtenu. Les apprentis opèrent des arbitrages entre l’anticipation des offres d’emploi (dans un contexte socio-économique où le taux de chômage est élevé) et l’accès à un « métier de destination » (Doray & Maroy, 2001, 64).

  • 16 La position sociale des apprentis est caractérisée par Moreau (2003) comme étant à l’intersection (...)

41À ce stade de leur formation, la perspective d’enrichir leur parcours par des expériences professionnelles diversifiées dans le champ du social agit comme un élément déterminant dans les projections à moyen terme. Ainsi, les apprentis en souhaitant devenir de « bons » professionnels ou des « professionnels complets », montrent qu’ils se soucient plus de la construction de leur propre professionnalité que du type de contrat visé16. La volonté exprimée de manière récurrente de « voir autre chose » en témoigne : Barbara, apprentie ME, 22 ans, verbalise l’envie de trouver un emploi dans une autre structure afin d’être socialisée à un autre environnement de travail et d’élargir son champ de compétences :

Des fois, je discute avec Julien qui est en IME sur deux ou trois étages, et ça n’a rien à voir avec moi qui travaille sur une petite structure qui est tout de plain-pied. J’aimerais découvrir quelque chose de plus grand, avec des responsabilités différentes… […] Et si j’ai le choix, j’aimerais essayer le handicap, mais chez les enfants. C’est vraiment un test que j’aimerais faire.

42Avoir été salarié pendant trois ans dans une même structure présente donc un revers : les apprentis ont évolué auprès d’un public et dans un champ d’activité particuliers et avec une équipe de salariés. Certains considèrent alors leur formation comme trop spécifique (Maillard, 2017) : ils ont appris comment se déploient les métiers dans la structure, mais n’ont pas une vision du métier d’éducateur au sens large. Ceux qui regrettent cette hyperspécialisation souhaitent disposer d’une connaissance plus complète du secteur de l’éducation spécialisée, quitte à devoir assumer une insécurité professionnelle (remplacements, CDD, intérim).

4.2. Élargir son champ de compétences en continuant à se former

43Une autre tendance a été observée tout particulièrement parmi les apprentis ME : poursuivre ses études en mode « passerelle ». Le contrat d’apprentissage serait prolongé (ou un autre contrat d’apprentissage serait signé dans une autre structure) afin d’obtenir le niveau de qualification des ES. En effet, certains se sont inscrits en apprentissage pour obtenir un diplôme de ME par défaut (ils n’ont pas obtenu de contrat d’apprentissage dans la filière ES) et il s’agirait alors de poursuivre leur projet professionnel initial :

Moi j’étais partie pour faire éducatrice spécialisée à la base, sauf qu’en fait, la directrice de l’association a pu me proposer qu’un poste de moniteur-éducateur, parce qu’ils n’avaient plus de poste disponible en tant qu’éducateur spécialisé (Capucine, Apprentie ME, 25 ans).

44Pour d’autres, majoritairement sur-diplômés au regard des exigences pour intégrer la filière ME, envisager de poursuivre leurs études revient à contrecarrer le sentiment de déclassement, à accéder à la fois à un contenu de travail plus valorisant et à un niveau de salaire supérieur :

Il y a une passerelle en apprentissage, on peut continuer l’apprentissage, donc ça c’est positif ! Après l’avantage, c’est qu’en institution, pour le coup, je serais pas payé ME, je serais reconnue éducatrice. J’évoluerais en passant ES, du coup, je peux me retrouver dans c’te classe c’est encore… enfin, enrichir son parcours, quoi, sa formation, avoir une bonne paye, c’est énorme ! (Margot, Apprentie ME, 26 ans).

45Tout comme les premières expériences professionnelles, le passage pendant trois années dans une structure permet d’affiner l’orientation professionnelle, en mesurant la « large gamme de fonctions de travail » (Doray & Maroy, 2001, 64) associée à chacun des diplômes. Continuer à acquérir des compétences en travaillant ou en se formant est perçu comme étant le moyen d’accéder à un poste qui corresponde au métier et à l’activité de travail qu’ils souhaitent réaliser. Dans cette perspective, les jeunes prolongent le processus d’insertion professionnelle, se projettent à nouveau dans des situations où ils seront considérés comme des débutants expérimentés et à ce titre remettent à plus tard la stabilisation dans l’emploi.

Conclusion

46La construction progressive de la double proximité entre les jeunes et le monde du travail et de l’emploi se déploie donc sur une temporalité longue du parcours biographique des individus et dans des espaces variés (la famille, la formation, le travail, les collègues, les pairs, etc.). Avant leur entrée dans la formation par apprentissage, ils sont donc des « débutants expérimentés » et au fil de cette formation, la double proximité va se consolider.

47Ce processus donne à voir une insertion professionnelle au long cours marquée par l’individualisation de la relation salariale : les jeunes mettent d’abord en œuvre des ressources pour accéder à un contrat d’apprentissage, ensuite pour « trouver leur place en tant qu’apprentis » (Chartier & Avarguez, 2022) dans la structure employeuse et enfin pour trouver un emploi une fois l’apprentissage terminé. Ainsi, les enjeux qui ont prévalu pour obtenir un contrat d’apprentissage se répètent pour leur insertion professionnelle à venir : faire face à la concurrence, mobiliser son réseau, valoriser les compétences et la qualification acquises.

48La sortie du dispositif est un moment où se cristallisent des tensions inhérentes au travail et à l’emploi :

  • vont-ils rester ou partir de la structure qui les a employés en tant qu’apprentis ?
  • doivent-ils privilégier une stabilisation dans l’emploi au détriment du contenu du travail ?
  • choisiront-ils de continuer à se former afin de pouvoir concrétiser leur projet professionnel ?

49Ainsi certains misent sur la professionnalisation au sens large quitte à occuper des emplois non stabilisés. Ici le contenu du travail et/ou le souhait de continuer à se former pour être un « bon » professionnel agit comme un élément déterminant dans les projections à moyen terme. Tandis que d’autres, à l’inverse, vont privilégier la stabilisation dans l’emploi sur un territoire où le taux de chômage est élevé (ce qui est le cas des Pyrénées-Orientales, l’Aude, l’Hérault et le Gard17). Les apprentis intériorisent les contraintes qui pèsent sur le marché du travail et de l’emploi. Celles-ci se donnent alors à voir sous deux formes : opter pour des emplois précaires afin d’accéder à leur « métier de destination » vs la quête au long cours du CDI (quitte à revoir leurs exigences en termes de secteur d’activité et de public) les éloignant pour partie du métier de destination. Dans les deux cas, la sortie de l’apprentissage est rarement envisagée sous l’angle de la stabilisation : ils se projettent à nouveau comme des débutants (même expérimentés) qui devront continuer à faire leurs preuves.

Haut de page

Bibliographie

Abriac Dominique, Rathelot Roland & Sanchez Ruby (2009), « L’apprentissage, entre formation et insertion professionnelles », Formations et emploi, INSEE, 57-75.

Arrighi Jean-Jacques & Brochier Damien (2005), « 1995-2003, l’apprentissage aspiré par le haut », Bref-Cereq, no 217.

Beynier Dominique, Tudoux Benoit & Momic Milan (2005), « Les métiers du travail social. Hors aide à domicile », DREES, Études et résultats, no 441.

Bourdieu Pierre & Passeron Jean-Claude (1970), La reproduction, Paris, Les éditions de Minuit.

Brochier Damien & Romani Claudine (2015), « L’apprentissage au sein de l’Éducation nationale évolue discrètement depuis 40 ans », Bref-Céreq, no 333.

Chartier Marie (2022), « “Nous les apprentis, on n’est pas des stagiaires !” : comprendre les différences de construction des professionnalités aux métiers de l’éducation spécialisée », Pensée plurielle, no 56, 86-98.

Chartier Marie & Avarguez Sophie (2022), « Quand l’intermédiation est formative : trouver sa place en tant qu’apprenti dans l’éducation spécialisée », Formation-emploi, no 157, 77-95.

Couppié Thomas & Gasquet Céline (2021), « Débuter en CDI : le plus des apprentis », Bref-Céreq, no 406.

Demailly Lise (2008), Politiques de la relation. Approche sociologique des métiers et activités professionnelles relationnelles, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

Demazière Didier, Morissette Joelle & Zune Marc (2019), La socialisation professionnelle au cœur des situations de travail, Toulouse, Octarès.

Doray Pierre & Maroy Christian (2001), « La construction des relations entre économie et éducation : l’exemple de la formation en alternance », Éducation et sociétés, no 7, 51-65.

Dubar Claude (2001), « La construction sociale de l’insertion professionnelle », Éducation et sociétés, no 7, 23-36.

Dubar Claude (1991), La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin.

Fondeur Yannick, Fretel Anne, Pillon Jean-Marie, Remillon Delphine, Tuchszirer Carole & Vives Claire (2016), Diversité et dynamiques des intermédiaires du marché du travail, Rapport de recherche, no 100, Paris, CNAM, CEET et Pôle emploi.

Glaymann Dominique (2020), « Les jeunes stigmatisés par le fonctionnement de l’emploi et les politiques publiques d’insertion », Agora débats/jeunesses, no 85, 74-88.

Kergoat Prisca (2010), Les formations par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de l’enseignement supérieur ?, Céreq, Net.doc.

Lefresne Florence (2003), Les jeunes et l’emploi, Paris, La Découverte.

Lopez Alberto & Sulzer Emmanuel (2016), « Insertion des apprentis : un avantage à interroger », Bref-Céreq, no 346.

Maillard Fabienne (2017), « La politique de certification tout au long de la vie : vers la labellisation des actifs ? », Sociologies pratiques, no 35, 37-47.

Marchal Nathalie (2018), « L’insertion des apprentis est marquée par la formation et par la conjoncture économique », DEPP, Rapport MENJ.

Moreau Gilles (2003), Le monde apprenti, Paris, La Dispute.

Moreau Gilles (2008), « Apprentissage : une singulière métamorphose », Formation-emploi, no 101, 119-133.

Paugam Serge (2007), Le salarié de la précarité, Paris, PUF.

Peugny Camille (2013), Le destin au berceau, Inégalités et reproduction sociale, Paris, Seuil.

Ravon Bertrand & Ion Jacques (2012), Les travailleurs sociaux, Paris, La Découverte.

Rose José (1998) Les jeunes face à l’emploi, Paris, Desclée de Brouwer.

Tanguy Lucie (dir.) (1986), L’introuvable relation formation-emploi : un état des recherches en France, Paris, La documentation Française.

Vernières Michel (dir.) (1997), L’insertion professionnelle. Analyses et débats, Paris, Economica.

Haut de page

Notes

1 « Une première expérience professionnelle complète », « un tremplin vers l’emploi » et « une insertion plus forte qu’un cursus scolaire classique » sont présentés comme les principaux atouts de l’apprentissage par le ministère du Travail, du plein-emploi et de l’insertion : https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/l-apprentissage-faire-le-bon-choix-en-2023

2 Synthèse des discours médiatiques à travers cette émission de télévision : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/s704450_001/apprentissage-fin-de-la-voie-de-garage

3 ESAT (Établissement et service d’aide par le travail), MECS (Maison d’enfants à caractère social), ITEP (Institut thérapeutique éducatif & pédagogique), FAM (Foyer d’accueil médicalisé), SAJ (Service d’accueil de jour), IME (Institut médico-éducatif), MAS (Maison d’accueil spécialisé), foyers de vie, associations.

4 Source : DREES, enquête écoles de formation 2017, https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/panorama/panorama2018/tableau/diplformsocial/diplformsocial.asp-prov=AC-depar=AH.htm#top

5 Les données ont été recueillies avant les réformes des formations du travail social de 2018, cf. Arrêté du 20 juin 2007 relatif au diplôme d’État d’éducateur spécialisé : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000278576/

6 La comparaison entre apprentis et étudiants en formation initiale ne peut se faire localement que pour la filière ES. En effet, au moment de l’enquête, la formation au métier de ME y est exclusivement ouverte par apprentissage.

7 https://faire-ess.fr/fr/se-former/formations-diplomantes-et-certifiantes?view=article&id=375&catid=2 Notons que la méthode de calcul de ces taux d’insertion professionnelle n’est pas précisée, de même que les postes occupés et les rémunérations.

8 Cette augmentation pourrait être interprétée comme une réponse à ce que la presse spécialisée qualifie de « crise » des métiers de l’éducation spécialisée. En effet, le secteur apparaît actuellement comme étant en tension (les offres d’emploi sont supérieures aux demandes d’emploi).

9 Pour le contenu de cette réforme, se référer à https://www.gouvernement.fr/action/transformation-de-l-apprentissage-de-la-formation-professionnelle-et-de-l-assurance-chomage

10 Pour une description de l’organisation d’un CFA « hors les murs », se reporter à Brochier D. & Romani C. (2015).

11 L’ensemble des apprentis de ces deux promotions ont été interviewés.

12 Ce manque se traduit souvent par un engagement dans le milieu associatif, comme pour Jérôme, détenteur d’un bac S puis d’un BTS assistant de gestion/gestion des entreprises qui, en parallèle de ses études, a été bénévole (camps APF, directeur adjoint de séjours, Sésame Autisme, etc.).

13 Notamment ceux ayant un diplôme de niveau 5 et 6, alors que le baccalauréat est le niveau minimum requis pour intégrer la filière ES et qu’il n’est pas exigé pour la filière ME.

14 Côté employeur, recruter des apprentis comporte plusieurs avantages : les apprentis, ces débutants expérimentés, disposent d’une bonne connaissance du fonctionnement de la structure. Ils peuvent ainsi être mobilisés rapidement en tant que salariés à part entière, à moindre coût (Glaymann, 2020).

15 Cf. https://www.cfa-sanitaire-social.com/le-contrat-dapprentissage

16 La position sociale des apprentis est caractérisée par Moreau (2003) comme étant à l’intersection des champs du travail, de la formation et de la jeunesse. Minimiser le statut d’emploi dans les projections d’avenir pourrait aussi être interprété à l’aune de la sociologie des âges de la vie.

17 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2012804

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Chartier et Sophie Avarguez, « Parcours d’apprentis aux métiers de l’éducation spécialisée : quels projets d’insertion professionnelle pour des débutants expérimentés ? »La nouvelle revue du travail [En ligne], 23 | 2023, mis en ligne le 26 octobre 2023, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/nrt/14866 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/nrt.14866

Haut de page

Auteurs

Marie Chartier

ART Dev, UMR 5281 CNRS, Université de Perpignan

Sophie Avarguez

CRESEM, UMR 7397 CNRS, Université de Perpignan

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search