Quelle intelligibilité du mal ?
Résumé
Le mal est une notion qui s’étend au moins sur trois champs disciplinaires : la théologie, la philosophie et l’art. Il connaît un même traitement dans chacun de ces trois champs, motivé par des systèmes différents : le mal n’est jamais pris comme objet causa sui mais toujours considéré dans sa relativité à un objet premier dont il contribue à définir la limite. Nous proposons un rapide tour d’horizon de cette situation afin d’ouvrir les pistes de réflexion d’une intelligibilité du comportement de cette notion dans l’histoire des idées. Nous suivons un ouvrage de Paul Ricœur et saisissons certains textes clefs de l’histoire de la pensée au travers de l’objet problématique qu’est le mal, évoquant notamment les travaux plus récits avec la méthode herméneutique proposée par Hans Blumenberg afin de percevoir la figure du diable comme l’objet pratique d’une telle observation dans le fil de l’histoire des idées.
Plan
Haut de pageTexte intégral
1Le mal est un objet épistémologique : de son étude dérive un grand nombre d’implications à la fois disciplinaires et méthodologiques sur et dans l’ensemble des sujets dans lequel on l’inscrit ordinairement. Qu’il s’agisse de la théologie, de la métaphysique, ou de la philosophie en règle plus générale, de la politique, de l’esthétique, le mal est toujours lourd de conséquences dans le rapport au savoir dans chacune de ces disciplines, de sorte que son traitement en vient parfois même à configurer les conditions d’intelligibilité de la discipline au sein de laquelle on l’étudie. Et de fait, cette étude, toute étude, souffre toujours de caractéristiques concernant le statut relatif de son essence : elle n’est jamais prise en soi. La question du mal est l’une des nombreuses obsessions modernes dont on peut trouver différents traitements dans les trois disciplines à partir desquelles nous choisissons de l’étudier successivement. La théologie, la philosophie et l’art sont essentiellement poreuses entre elles, de sorte que la question du mal, allant de l’une à l’autre, pourrait se contenter de présenter différentes facettes. Le phénomène qui pourrait se trouver au cœur de toute effectivité du mal, qui serait une sorte de « Mal » hypostasié, est peut-être dissimulé dans les trois traditions épistémologiques relatives aux trois disciplines que nous venons d’évoquer. Il s’agirait donc de concevoir le mal comme problématique, ou comme paradoxe qui active l’efficacité dialectique, en théologie ; comme édifice ou comme refus d’un édifice en philosophie ; et enfin comme puissance de dépassement, ou comme épuisement de ce qui est accompli, en esthétique. Alors nous aurions un mal de la pluralité dans l’unité en théologie, un mal de l’identification des limites de la substance en philosophie et un mal de la limite de l’efficacité en arts.
2Il faudrait pouvoir répondre à la question suivante : « Quod mala ? », qu’est-ce que le mal ? Pour ce faire nous allons tenter de suivre une réflexion articulée selon trois axes nous permettant de proposer les postulats d’une piste originale. Nous entreprendrons de vérifier le statut du mal selon les trois traitements disciplinaires qui portent des catégories de l’épistémè du mal : nous vérifierons d’abord que le mal est toujours principe relatif à une cause première et n’est jamais en lui-même causa sui, puis nous verrons les trois grandes traditions qui donnent ou retirent du sens au mal, et le privent de toute nature propre, reléguant le mal au défaut d’une autre notion. Enfin, nous envisagerons une véritable définition du mal comme principe absolu vis-à-vis du telos (du grec τέλος, le sens), c’est-à-dire vis-à-vis de la fin-finalité, des causes premières, du sens métaphysique et onto-théologique.
Le mal comme principe relatif
La purification théologique
3L’incarnation du concept du mal qu’est le diable souffre d’un triple problème de définition. Quel est le statut épistémologique du diable ? Que signifie ou qu’annonce-t-il de l’efficacité des réseaux signifiants auxquels il appartient ? Aucune des trois disciplines ne lui reconnaît d’effectivité en propre. Comment définir le diable ? À quels champs de connaissance et d’étude, ce qu’on appelle l’épistémè d’une discipline, peut-on rattacher le diable ? Nous allons voir que l’origine de la problématique nous livre probablement la clef du mystère diabolique. La première réponse, intuitive, serait d’associer le diable au texte rituel du christianisme, à défaut de vouloir se risquer sur une globalité du monothéisme qui serait trop hâtive.
- 1 Mt 4,1-11 ; Mc 1,12-13 et Lc 4,1-13.
- 2 Outil développé et employé par Hans Blumenberg dans son ouvrage La raison du mythe, « Wirklichkei (...)
4Le diable biblique est d’une portée limitée puisque son existence même est limitée, et généralement ambigüe. Il est entendu que la théologie du diable n’a jamais le statut d’une cause première. Adversaire de Jésus1 ou monstre déclencheur de l’Apocalypse, il appartient au système mythique de la Création et son rôle se définit toujours à partir de celle-ci, c’est-à-dire comme dérivé d’une cause première : l’œuvre messianique de Jésus-Christ d’une part, et d’autre part l’eschatologie chrétienne pour la réalisation du plan divin au jour du Jugement Dernier. Le diable n’est donc qu’un théologème « relatif ». Relatif à la volonté divine, à son activité dans la Création ordonnée. Le traitement théologique suit la même voie, que ce soit directement sous la plume de Paul ou même dans la patristique grecque. Jean Chrysostome (ive siècle, il meurt en 409) écrit des homélies sur « l’impuissance du diable ». Restons d’abord sur le « texte rituel »2 du christianisme qui fonde le socle épistémologique, même ambigu et complexe, de l’herméneutique du diable.
- 3 1 Co 5,1-13, Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), p. 2470-2471.
5Le milieu auteur que l’on associe aux épîtres du Nouveau Testament se condense dans la personne de l’apôtre Paul. Celui-ci condamne un homme vivant avec la veuve de son père dans l’épisode « Un cas d’inconduite »3. La figure diabolique, devenant l’avatar direct du mal, est seule capable de « purifier » l’âme du pécheur en torturant son corps. Ainsi, écrit-il, il faut le
[…] livrer à Satan pour la destruction de sa chair, afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur. (1 Co 5,5)
6Le mal est un outil relatif au dessein divin : accomplir la rédemption du pécheur et Satan n’est pas une sorte de « héros » moderne du mal, pas plus qu’un guerrier dressé contre Dieu. Il est littéralement inféodé à sa propre nature matérielle et destructrice, voulue par Dieu et inscrite dans l’ordre de la Création. Cette vision a longtemps prédominé dans l’imaginaire chrétien, qui installe Dieu comme supérieur hiérarchique du diable dont la chute permet de justifier un pseudo-détachement hors de la Création, quoique demeurant au service du plan divin. C’est exactement ce que nous retrouverons lorsque nous évoquerons la posture philosophique de la ligne heiddegerienne sur la problématique tyrannique de l’Un, excluant tout ce qui n’est pas lui-même et réduisant toute altérité au néant. La posture de Jean Chrysostome est sur la même ligne idéologique que Paul :
- 4 Jean Chrysostome, H I, 4, 20-29, L’impuissance du Diable, introduction, texte critique, traductio (...)
Et cela, nous l’avons montré par l’exemple de Job ; mais on peut également l’apprendre par Paul. En effet, écrivant au sujet du débauché, il parle ainsi : Livrez cet individu à Satan pour la perte de sa chair, afin que l’esprit soit sauvé. Voici que le diable est devenu aussi cause de salut, non par sa propre décision, mais par l’art de l’Apôtre. En effet, de même que les médecins attrapent des vipères et prélèvent leurs organes mortifères pour préparer des remèdes contre les morsures venimeuses, de même a procédé Paul : il a retenu du châtiment amené par le diable seulement ce qui était utile, et il a laissé le reste4.
7Si nous continuions, nous nous laisserions conduire par les vingt lignes suivantes dans la culpabilité résiduelle du diable qui, quoique utilisé par Paul ici, « n’avait qu’une hâte : détruire et engloutir l’homme », nous dit Jean Chrysostome. Cela étant, la patrologie exploite la méthode paulinienne qui, comme le φάρμακον (phármakon) grec désigne à la fois le venin de la vipère et le remède obtenu par sa dilution, utilise le diable contre la chair comme remède pour l’âme. Le diable utilisé, donc, contre le mal. Le diable et le mal sont donc antagonistes et ils sont tous deux des théologèmes dépourvus de toute autonomie.
La désubstantialisation philosophique
8En théologie, le mal est donc considéré comme un moyen pour atteindre le bien, ou la vertu chrétienne, c’est-à-dire participer aux conditions du salut. Ainsi le mal est-il créé, schème résultant d’un processus et dérive des limites d’une autre notion, sans posséder de ce que nous appellerions la « perséité » – le fait d’être pensée per se, c’est-à-dire pour ce qu’il est lui-même. Il n’y a aucune substance du mal, comme nous l’explique Ricœur à la suite d’une « rationalisation du mythe » dans la gnose.
- 5 Il s’agit des auteurs essentiels à la définition des sept premiers siècles du christianisme. La « (...)
- 6 « 11Revêtez l’armure de Dieu pour être en état de tenir face aux manœuvres du diable. 12Ce n’est (...)
9Les gnostiques constituent une mouvance très présente dans le christianisme primitif jusqu’au ive siècle, c’est-à-dire jusqu’à ce que la littérature des Pères de l’Église5 (la patristique) la combatte vivement et qu’elle soit reléguée au statut d’hérésie. En plus de présenter des caractéristiques doctrinaires qui sont discutées et refusées, la gnose était problématique sur un plan politique puisqu’elle revendiquait un accès direct à Dieu ; c’est-à-dire que cet accès ne passait pas par un officier ou un clerc mais par le charisme de l’inspiration. Les gnostiques adhéraient à la représentation cosmologique d’un affrontement entre bien et mal – et l’on pense aux versets très littéraires de l’Épître aux Éphésiens, notamment en Ep 6, 10-176 cristallisant – hors du Livre de l’Apocalypse – la plus spectaculaire illustration d’une cosmologie opposant entre elles les forces du mal et les forces du bien, lesquelles s’attendent à jouir du renfort de tout fidèle de la foi. La gnose considère donc deux armées divines, l’une servant un règne mauvais et l’autre une fin bonne, le démiurge et Dieu ; le premier ayant enfermé les hommes dans la chair et ceux-là doivent apprendre à s’en défaire dans et par l’inspiration du Messie, afin d’atteindre le « vrai dieu ».
- 7 Saint Augustin lui-même, dont la mère était une chrétienne très pieuse, se repentira du manichéis (...)
10Mais ce manichéisme7 est trop pessimiste, condamnant l’individu à la nécessité d’une ascèse considérée comme trop violente et trop radicale, qui exige des efforts pratiquement morbides pour s’attirer la grâce du dieu bon et atteindre la purification. Un prêtre breton du ive siècle prêche une gnose moins implacable et minimise dans le même temps le rôle de la grâce divine, non indispensable dans sa doctrine : le pélagianisme. La réaction patristique n’attend pas et Pélage est excommunié dès 418 tandis qu’un très lourd arsenal théologique s’occupe d’évacuer fort vite sa doctrine, Saint Augustin en tête. Au cours de cette lutte contre la gnose, la conception du mal est vidée de toute substance puisque l’Un divin est plusieurs s’il est aussi « mal ». Et s’il est plusieurs, l’Un n’est pas.
- 8 Paul Ricœur, Le mal, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 34-35.
Des philosophes, Augustin retient que le mal ne peut être tenu pour une substance, parce que penser « être », c’est : penser « intelligible », penser « un », penser « bien ». C’est donc le penser philosophique qui exclut tout fantasme d’un mal substantiel. En retour, une nouvelle idée du néant se fait jours, celle du ex nihilo, contenu dans l’idée d’une création totale et sans reste. En même temps, un autre concept négatif, associé au précédent, prend place, celui d’une distance ontique entre le créateur et sa créature, qui permet de parler de la déficience du créé en tant que tel ; en vertu de cette déficience, il devient compréhensible que des créatures dotées de libre choix puissent « décliner » loin de Dieu et « incliner » vers qui a moins d’être, le néant8.
- 9 Ibid., p. 35.
11Autrement dit, le pont entre la raison infinie de Dieu et la raison finie de l’homme s’expliquerait par la « déficience » ; la raison finie procède d’une dégénérescence de la conscience infinie et produit une intelligence déficiente vis-à-vis de l’intelligence divine. Le choix du mal comme action trouve sa source dans cette déficience d’être qui est le fossé séparant le créateur de sa créature : ne possédant point tous les attributs de l’intelligibilité divine, l’homme est porteur d’un défaut de puissance et, eu égard à sa conscience, ne peut jamais devenir ou atteindre la toute-puissance divine. Cette « conjonction entre l’ontologie et la théologie dans un discours d’un type nouveau [mérite d’être reconnu comme] l’onto-théo-logie »9.
12L’onto-théologie augustinienne postule donc que le mal est affilié au néant par le principe de déficience. Nous retrouvons la ligne de front exploitée plus tôt par un autre Père de l’Église, Athanase d’Alexandrie (iiie siècle) qui résout la théodicée (paradoxe de la co-existence d’un Dieu omnipotent et bon avec la seule potentialité du mal) par l’inéluctabilité de la mort du corps :
- 10 Jean-Yves Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, 1998, Entrée « Salut », sous-titre (...)
Le mal dont l’homme doit être délivré est, selon [Athanase], la « sentence » et la malédiction de la loi, car le péché a donné à la mort un « droit » et un « pouvoir légal » sur les hommes. Cette sentence prononcée contre Adam (Gn 2, 16s), Dieu n’avait pas le pouvoir de la lever, car il aurait manqué à sa véracité. Pour que les hommes soient sauvés et que la sentence soit néanmoins exécutée, il fallait par conséquent l’incarnation du Verbe éternel, qui pouvait d’un côté subir la sentence de mort dans son corps et à notre place, et d’un autre côté, en vertu de son immortalité, triompher de la mort par sa résurrection et nous offrir la vie éternelle (SC 199, 283-297). Les réflexions de Jean Chrysostome (PG 61, 625-653) et de Maxime le Confesseur explorent des voies semblables. Ce dernier souligne cependant plus nettement qu’Athanase que le droit de la mort n’est pas qu’un droit indéterminé, mais qu’il a été, à la suite du péché, directement gravé dans la nature humaine comme « souffrance » et « châtiment »10.
13La vie éternelle ne peut s’obtenir que par le salut de l’âme. Quoique non théiste et non spiritualiste, Nietzsche a des affinités avec une telle lecture lorsqu’il oppose la vitalité au néant, et la culture au nihilisme. Ce qui est efficace avec la pensée nietzschéenne dans le champ culturel (moral) trouve toutefois une sévère limite dans une application philosophique. En effet, dès lors que l’on suit la caractérisation du mal par Saint Augustin avec Ricœur, on trouve que le mal est cantonné au seul enjeu moral. C’est une solution qui permet de ne pas donner au mal la moindre substance. C’est la même limite que l’on peut observer chez Heidegger pour qui le mal est une atrophie ou un handicap et non un phénomène essentiel ou autonome.
- 11 Paul Ricœur, Le mal, op. cit., p. 35-36.
Le corollaire le plus important de cette négation de la substantialisation du mal est que l’aveu du mal fonde une vision exclusivement morale du mal. Si la question unde malum ? perd tout son sens ontologique, la question qui la remplace : unde malum faciamus ? (« d’où vient que nous fassions le mal ? ») fait basculer le problème entier du mal dans la sphère de l’acte, de la volonté, du libre arbitre11.
14Il y a une moralisation de l’intention, une inscription dans la morale et une dépendance à la volonté – toute chose contre quoi lutte Nietzsche lorsqu’il prétend réduire le phénomène culturel du christianisme dans l’histoire des idées. Le mal est donc définitivement soumis à une cause qui lui est supérieure en capacité phénoménologique. L’interrogation ne porte donc plus sur la nature du mal mais sur l’origine de son action et sur la responsabilité de l’homme. Toute conception d’un mal comme objet absolu se trouve bien écartée par cette « négation de la substantialité du mal ». L’enjeu de la démonstration de Paul Ricœur n’est pas de confirmer ou d’infirmer la tradition épistémologique du mal : il montre comme le mal n’a jamais été étudié en tant que tel. Il souligne même dans son livre comme les occasions qui auraient pu permettre d’envisager le mal comme objet en soi ont été dérivées à des fins anthropologiques, évacuant la substance philosophique de la problématique.
- 12 Ibid., p. 36.
Le péché introduit un néant d’un genre distinct, un nihil privativum, dont la chute est entière responsable, qu’elle soit celle de l’homme ou de créatures plus élevées telles que les anges. De ce néant-là, il n’y a pas lieu de chercher une cause au-delà de la volonté mauvaise. Le Contra Fortunatum tire de cette vision morale du mal la conclusion qui nous importe le plus ici, à savoir que tout mal est soit peccatum (péché) soit pœna (peine) ; une vision purement morale du mal entraîne à son tour une vision pénale de l’histoire : il n’est pas d’âme injustement précipitée dans le malheur12.
15C’est alors que de la conception d’un mal théologique fondamental, une « faute », nous glissons dans la justification de la souffrance. L’enquête ne semble pas s’attarder sur le mal comme cause ou comme objet mais s’intéresse bien vite à ses effets et à la dialectique qui permet de le justifier. Le mal devient donc « mythogénétique » par le biais du grand récit du péché original où la faute première permet assez ironiquement de refuser au mal son statut de « cause première ». Le péché originel évacue toute substantialité du mal : il y est question d’une faute, d’une déception éprouvée par la raison infinie.
16La conception chrétienne du mal s’inscrit non plus dans une relation entre le Créateur et sa créature mais dans le sens même d’une alliance entre Dieu et son peuple dont il garantit le destin eschatologique pour peu qu’il se montre enfin (le jour du Jugement Dernier) digne de son estime (ou de son amour). Le déplacement depuis le rapport panhellénistique est intéressant, puisque le modèle prométhéen installe l’éternité d’un châtiment pour celui qui a « fauté » contre l’autorité divine. Il se trouve que les flèches d’Héraclès finissent par délivrer Prométhée, mais les temps mythologiques consacrent ainsi la gloire du héros herculéen, plutôt que le salut du Titan. Le rapport à l’espérance et au salut chrétien est donc intimement intriqué à la notion de mal et la condamnation de la faute est absolument fondatrice. Le péché originel devient le mythème fondamental qui assoit la structure mythique et entérine un refus de l’interrogation du sens de la faute.
L’hubris esthétique
17La trace du diable, le Satan baudelairien, Lucifer chez Multon, Méphistophélès chez Gœthe et plus généralement dans toute la tradition littéraire de Faust, est extraordinairement prolixe, et particulièrement à partir du xviie siècle dans les littératures européennes. L’herméneutique de Hans Blumenberg permet d’envisager la littérarité du diable sous l’angle de la mythodynamie. Cette méthode permet d’isoler des éléments qui accompagnent l’apparition du diable. Nous retenons directement l’un des aspects qui nous intéresse pour la question de la relativité du mal : le mythème de l’ « hubris », directement issu de la mythologique antique. Faust qui refuse d’être soumis à l’ordre de la Création n’hésite pas à en appeler au diable afin de dépasser les bornes de son entendement. Le diable lui donne accès à la magie noire, à l’alchimie, aux illusions du plaisir et du pouvoir, et rallonge même sa vie en échange de l’âme de Faust. En somme, l’homme faustien se soustrait à la Création afin d’échapper à sa place, et espère ainsi acquérir des savoirs qui dépassent ceux de sa raison finie d’homme mortel – de sorte que l’hubris (la démesure, ou désobéissance) peut devenir la méthode d’un rejet de Dieu.
18Il y a là le premier foyer d’une « faute » et il n’y a pour s’en convaincre qu’à se pencher sur le « châtiment » subi par Prométhée. L’aigle de Zeus vient chaque matin lui dévorer le foie, lequel repousse dans la nuit, de sorte que le supplice recommence dès le matin suivant. Prométhée est ainsi fautif d’avoir donné aux hommes les outils de la civilisation, le feu et la viande, lésant les dieux et il est puni pour avoir permis que les hommes outrepassent les limites de leur nature. On pourrait envisager que le dépassement de ces limites, donné aux hommes grâce à l’hubris du titan, dressa les dieux et les hommes les uns contre les autres en dérangeant l’ordre du cosmos. Or la chute du cosmos vers le chaos est peut-être un trait pour une raison du mal.
19Nous pourrions associer cette hubris, incarnée en Prométhée ou en Faust, à l’une des trois libidos de la concupiscence de Saint Augustin : la libido sciendi. L’énergie, la soif, ou directement le désir de connaissance. Dans les cinq siècles de la modernité littéraire, le personnage de Faust a reçu bien des interprétations : l’archétype de l’Humaniste, le premier surhomme nietzschéen (ou son très différent faux frère nazi), maître impitoyable de son ironique destin, ou encore l’artiste incompris récompensé par un diable russe… L’unité de sens de l’hubris se considère à partir d’une limite à dépasser ; or, si l’un des attributs principaux du diable est toujours relatif à une limite, peut-être est-ce bien parce que le diable est moins espace ou puissance lui-même que limite relative à un autre espace, ou une autre puissance, fondamental, premier, dont il n’est qu’une caractéristique.
Le mal comme défaut
L’image du trou
- 13 François-Xavier Putallaz, Le Mal, Paris, Le Cerf, 2017.
20Dans un livre paru récemment intitulé Le Mal 13, François-Xavier Putallaz semble mener une enquête sur une définition du mal. Mais, presque immédiatement, il fait dériver son livre non pas sur une substance du mal mais sur les effets du mal et vient assez vite à dresser l’inventaire d’une phénoménologie de l’absence de bien. Il cite une anecdote dans son introduction d’où découlera la logique de l’ensemble de son essai :
- 14 Ibid., p. 9.
Un jour, il arrive qu’un de mes enfants me demanda, au milieu d’une série de questions amusantes : « Peux-tu me dire ce qu’est un trou, mais sans dire ce qu’il y a autour ? » […]. Le trou n’est pas une « chose », un matériau additionnel parmi les choses que l’on voit ou que l’on touche. Il n’est pas une « réalité » comme les autres, visibles ou tangibles : le trou est une « privation » de tissu à cet endroit précis […]14.
21L’auteur suit la tradition de toute épistémologie du mal, visant à considérer le mal comme défaut d’une autre substance. Lorsque la réalité laisse apparaître un défaut d’elle-même, un appauvrissement de sa substance, comme le trou est l’appauvrissement extrême de la substance matérielle de ce qu’il fait disparaître par sa seule présence – nous retrouvons la conception morale d’Athanase ou nietzschéenne. Concluant peut-être rapidement sur cet exemple, l’auteur termine en écrivant que :
- 15 Ibid., p. 9-10.
[…] Ce qui d’emblée empêche le mal d’avoir un « ce qui » à l’instar des autres réalités observables, c’est ce qui lui interdit d’avoir une « essence », une densité quelconque ; voilà qui explique la singularité de la question « qu’est-ce que le mal ? ». Il n’a pas de « ce que » : comme un trou, il est déchirement, absence et destruction, il se donne comme en creux, telle une lacune ; le mal serait défaut, un manque, une déficience, une insuffisance ou une défaillance15.
22Le parti pris idéologique qui consiste à réduire le mal à son statut de conséquence épargne la conception onto-théologique du monde mais rend la notion suivante et insaisissable. Toutefois, qu’il y ait un défaut, un manque, une déficience, etc., n’empêche pas d’interroger la raison de cette anomalie. Le trou, comme signifiant de la présence du mal, peut ne pas signifier qu’il n’y a rien. L’exemple qui soutient une telle hypothèse se trouve en plongeant notre regard loin dans le ciel, grâce aux outils de l’astrophysique de ces trente dernières années : on peut dire énormément de choses des anomalies cosmiques que sont les trous noirs ; mais on ne peut pas dire qu’elles ne sont « rien ».
La parhypostase proclusienne
23Daniel Isaac présente un concept qui nous aide beaucoup dans sa présentation du tome III des essais sur la Providence de l’auteur Proclus (ve siècle), héritier du néoplatonisme de Plotin (iiie siècle), la parhypostase.
- 16 Daniel Isaac, présentant Proclus, Trois études sur la providence, Tome III : De l’existence du ma (...)
Comment désigner justement une notion aussi complexe qui présente les caractères de la divergence, de la contrariété, de la complémentarité, de la correspondance symétrique et de la subordination ? Par une heureuse inspiration Proclus a choisi le mot rare et riche de sens dont la composition répond à toutes ces exigences : l’existence du mal est, dit-il, une parhypostase (παρυπόστασις, parupóstasis) c’est-à-dire une contre-existence, une réplique inversée du bien, une ombre portée du réel, un relatif second comportant des degrés en face de l’absolu premier qui n’en comporte pas16.
24Le mal, quoiqu’au rang d’un principe second, est entendu non pas par l’absence d’existence mais sur le régime de la contre-existence, c’est-à-dire comme notion complémentaire absolument nécessaire à l’efficacité de la notion de bien. Le néoplatonisme s’attache à l’exploration de l’épineuse question de l’Être et la solution de Proclus est élégante : sans nier l’unité fondamentale du principe de l’hénologie platonicienne (la science de l’Être ou science de l’Un, surtout dans le Parménide dont l’école néoplatonicienne produira la plus longue et la plus riche glose), il aménage la potentialité autre dans les creux qui, loin de nier la totalité, vient la renforcer. La parhypostase permet de penser l’altérité non plus par l’alternative ou l’opposition mais par la projection comme « l’ombre portée du réel ». Le mal permet pratiquement l’existence hors de l’Un. Le libre-arbitre qui permet à Faust de choisir le diable, ainsi que la capacité humaine à l’alternative sont des conditions de l’existence du bien, car à tout être, fut-il Être, il faut une ombre afin que toute altérité ne soit pas néant. À l’absolu premier il faut un relatif second, à toute nature il faut, sinon une opposition, du moins la potentialité d’une différenciation. Le second rôle du mal se trouve ici renforcé mais, surtout, l’existence du premier rôle exige la complémentarité d’un second rôle.
Le défaut de l’être et la toute-puissance de l’Être
25L’immense paradoxe de la théodicée a posé un problème millénaire à l’exégèse théologique, qu’il s’agisse de la patristique ou de la scolastique. Si Dieu est totalité toute-puissante et si la volonté de Dieu est sens du bien, alors comment le mal peut-il seulement exister ? Cela renvoie à la question de Heidegger qui anéantit Dieu par sa théorie de l’Un. Ce qui est Un ne tolère pas qu’il y ait autre, sinon il cesse d’être Un et devient « l’un parmi ». L’hénologie (métaphysique de l’être platonicienne qui établit la prévalence de l’Un) anéantit tout ce qui n’est pas l’Un et plus rien ne peut survivre hors de l’être. La radicalité de cette pensée est une source de violence et d’anéantissement extrême, donc de mal ontologique, puisque tout sens individuel est dissous par la nécessité tyrannique d’une concentration de tout être dans l’Être.
26Ce choc entre l’Être et les êtres engendre un effondrement du sens : comment des êtres finis peuvent-ils espérer comprendre et adhérer au projet de l’Être infini ? Le libre-arbitre est voué à l’échec par l’écart entre une telle théogonie concentrationnaire et l’ontologie d’êtres menacés par le néant. La tension métaphysique s’effondre dès lors que l’individu doit faire un choix à partir d’une intelligibilité tronquée de ce que Dieu attend de lui : si le bien est le seul choix, il n’y a point de vertu à le choisir. C’est la condition de l’attente (ou espérance) double : si l’intelligence infinie fait confiance à l’homme pour faire le choix du salut, alors l’altérité devient nécessité pour la réalisation eschatologique de cette attente ; si l’intelligence finie fait confiance à Dieu, alors l’altérité devient nécessaire pour permettre à sa foi de se réaliser en actes. Dans ces deux cas de confiance à l’autre intelligence, il faut un principe ou une notion qui permette d’activer cette confiance (ou foi) et donne un sens (télos) à cette confiance.
L’épuisement téléologique du cosmos
La fin de l’optimisme ou la fin de Dieu
27Pour esquisser la forme d’un mal absolu ou d’un principe absolu dont on pourrait considérer qu’il a pour nuage phénoménologique ce que l’on associe au mal, nous commençons par un exemple qui ne respecte pas la chronologie de notre présentation. En effet, citant l’exemple que produit Ricœur, nous proposons que la raison finie (l’homme) ne peut atteindre le sens qui réalise la raison infinie (Dieu), son dessein. À propos de la Théodicée de Leibniz et de la parodie de Voltaire :
- 17 Paul Ricœur, Le Mal, op. cit., p. 40.
La notion de meilleur des mondes possibles [jugé par et dans l’entendement divin], tant raillé par Voltaire dans Candide après le désastre du tremblement de terre de Lisbonne, n’est pas comprise tant qu’on n’en aperçoit pas le nerf rationnel, à savoir le calcul de maximum et de minimum dont notre modèle de monde est le résultat17.
28La raison finie échoue à saisir le sens de la raison infinie et se rebelle bientôt contre son inscription dans l’ordre de la Création, c’est-à-dire qu’elle se révolte contre Dieu et fait appel au diable. Le mal ne vient pas de Dieu, ni de l’homme, mais de l’épuisement de l’adéquation entre les attentes des hommes et le dessein de Dieu. Cet épuisement est un épuisement de sens, c’est-à-dire un épuisement téléologique. Il s’agit de l’épuisement du télos qui voulait que l’homme se réalise dans l’espérance eschatologique et fasse front, aux côtés des armées divines (métaphoriques ou cosmogoniques) contre le mal. Si, malgré sa fidélité et sa soumission, la créature doit souffrir, mourir, connaître l’injustice et la misère, le pacte d’alliance est rejeté par la créature et le Créateur se trouve isolé dans son intelligibilité.
29L’épuisement de l’efficacité du modèle cosmologique grec, peu avant que ne s’élabore véritablement le premier monothéisme (le judaïsme, à partir du iie ou iiie siècle avant notre ère), répondait à l’épuisement du sens produit par ce modèle. L’étude des entremêlements et filiations entre la métaphysique panhellénistiques et la métaphysique des monothéismes nuancerait beaucoup le propos d’un épuisement radical, mais ce n’est pas notre objet ici. Le christianisme opère une rénovation téléologique décisive en reprenant les arguments du platonisme et en s’édifiant durant ses quatre premiers siècles en puisant dans le néoplatonisme. Ce nouveau modèle associe ses conditions téléologiques à partir de l’espérance, du devenir, du libre-arbitre et de l’obéissance à un ordre du créé à la récompense d’une forme d’immortalité dans la vie spirituelle – c’est-à-dire à un bien philosophique et moral. Doter le mal d’une substance consiste donc en une opération qui n’est pas nouvelle : lui donner les mêmes attributs et une densité exactement identiques à ceux du bien. Ainsi le mal ne serait-il pas plus une substance en soit que le bien ne serait une notion autonome.
Les trois bascules téléologiques
30Si l’on se penche sur une modélisation de la phénoménologie de l’histoire, qui est l’objet d’étude de l’histoire des idées, nous observons trois effondrements téléologiques majeurs et trois remodélisations ou « réinvestissements » du télos.
- 18 Saloustios, Des dieux et du monde, texte établi et traduit par Gabriel Rochefort, Paris, Les Bell (...)
31L’Antiquité fonctionnait à partir de la conception pérenne d’un cosmos sphérique aristotélicien ou post-platonicien, par la répétition rituelle et il s’est sans doute épuisé parce que le monde (et l’univers) n’était pas fini. Le cosmos n’est pas une sphère autonome et il contient les conditions du chaos (qui est un « dérèglement » pour Saloustios, un ἀκοσμίαν, a-cosmian, un a-cosmos)18. Le Moyen-âge a édifié son cosmos sur le mouvement de l’individu en posant la direction individuelle dans l’anxiété du libre arbitre, sur un axe haut-bas entre grâce et perdition. L’homme médiéval pouvait et devait choisir entre les deux puissances de devenir, et rejoindre l’ordre de la création ou s’y soustraire. Ce modèle téléologique s’effondre dès lors que l’intelligence spéculative cesse de se contenter d’une soumission au concept de raison finie et cherche, par la raison calculatrice ou déductive, à s’approprier une méthode de dépassement systématique des lois de sa nature.
32Le dernier mouvement téléologique place l’individu dans un système dynamique qui lui permet de contester la place de toute hypostase de l’Être ou de l’Un : l’Art, la Philosophie, l’Idée, l’État, etc. L’homme moderne se maintient continuellement dans un mouvement entre les deux extrêmes de l’ambivalence existentielle, entre ciel et enfer, qu’une modélisation esthétique obsédant le xixe siècle (Le mariage du ciel et de l’enfer, William Blake) le pousse à assurer son devenir non plus vis-à-vis de l’attente d’une puissance infinie mais dans le renouvellement infini de la puissance finie contenu dans sa propre existence. Le cosmos individuel cherchant à produire perpétuellement son équilibre est animé de dynamiques et d’énergies qui maintiennent son mouvement et pousse toujours le télos jusqu’à l’épuisement de sa limite.
Notes
1 Mt 4,1-11 ; Mc 1,12-13 et Lc 4,1-13.
2 Outil développé et employé par Hans Blumenberg dans son ouvrage La raison du mythe, « Wirklichkeitsbegriff und Wikungspotential des Mythos », 2001, 2005 pour la traduction de l’allemand par Stéphane Dirschauer, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », p. 68 puis p. 113-114. Le « texte rituel » définit le socle des croyances et rapports au savoir d’une culture religieuse particulière. Ici, le canon biblique pour le christianisme.
3 1 Co 5,1-13, Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), p. 2470-2471.
4 Jean Chrysostome, H I, 4, 20-29, L’impuissance du Diable, introduction, texte critique, traduction et notes par Adina Peleanu, Paris, Le Cerf, coll. « Sources chrétiennes », no 560, 2013, p. 141.
5 Il s’agit des auteurs essentiels à la définition des sept premiers siècles du christianisme. La « Patrologie » ou « Littérature patristique » se partage en deux traditions distinguées par les langues d’écriture : on parle de « Patristique Grecque » et de « Patristique Latine ». Un auteur comme Grégoire de Nysse appartient par exemple à la première, quand Saint Augustin appartient au contraire à la seconde. Pour une compréhension complète de cette littérature, voir Hubertus R. Drobner, Les Pères de l’Église, Sept siècles de littérature chrétienne [1994], traduit de l’allemand par F. Culdaut, H.-I. Dalmais, M. Fédou, J. Hoffmann, J. Wolinski, Paris, Éd. Desclée, 1999.
6 « 11Revêtez l’armure de Dieu pour être en état de tenir face aux manœuvres du diable. 12Ce n’est pas à l’homme que nous sommes affrontés, mais aux Autorités, aux Pouvoirs, aux Dominateurs de ce monde de ténèbres, aux esprits du mal qui sont dans les cieux. » (Ep 6,11-12), TOB, p. 2538.
7 Saint Augustin lui-même, dont la mère était une chrétienne très pieuse, se repentira du manichéisme après l’avoir suivi dix ans durant et il écrira beaucoup contre cette doctrine bientôt hérétique.
8 Paul Ricœur, Le mal, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 34-35.
9 Ibid., p. 35.
10 Jean-Yves Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, 1998, Entrée « Salut », sous-titre 2. Le Christ triomphateur qui libère des puissances du mal, p. 1282.
11 Paul Ricœur, Le mal, op. cit., p. 35-36.
12 Ibid., p. 36.
13 François-Xavier Putallaz, Le Mal, Paris, Le Cerf, 2017.
14 Ibid., p. 9.
15 Ibid., p. 9-10.
16 Daniel Isaac, présentant Proclus, Trois études sur la providence, Tome III : De l’existence du mal, coll. « Guillaume Budé », traduction.
17 Paul Ricœur, Le Mal, op. cit., p. 40.
18 Saloustios, Des dieux et du monde, texte établi et traduit par Gabriel Rochefort, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Guillaume Budé », 2003, VII, 1, p. 36-37.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Pierre-Adrien Marciset, « Quelle intelligibilité du mal ? », Noesis, 33 | 2019, 117-131.
Référence électronique
Pierre-Adrien Marciset, « Quelle intelligibilité du mal ? », Noesis [En ligne], 33 | 2019, mis en ligne le 15 décembre 2021, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/5116 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.5116
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page