Inintelligent partage de la mort
Texte intégral
118 août 2002, pour Nicole et Dominique Janicaud
Exaiphnês
sous le regard soudain du poulpe
que veut dire ce corps brutal
engageant sa descente vers la terre
les épaules enfoncées de respiration bleue
et dans la poitrine le poulpe aux yeux verts
cogne contre les parois
que veut dire ami de toujours
que ton esprit cesse de planer
comme un aigle se partage entre les cimes
et les choses terrestres
pour te garder la mer aimée
t’a-t-elle versé un philtre ?
et te voilà l’esprit cognant dans la prison des côtes
respiration cassée comme une pierre qu’on jette
lèvres bleues yeux mi-verts
ma main pas dans la tienne
je ne sens plus tes battements de cœur aussi large que paysages
je m’angoisse de ton inéluctabilité
de chute
depuis longtemps tu regardais l’œil de chien
de la mer et la plage bigarrée où se jette
le chemin Nietzsche
je n’étais pas avec toi quand tu es tombé
sous les falaises on entend plus fort
le conciliabule des poissons
depuis longtemps ne marchions plus ensemble
j’entendais ta voix grecque et ton intelligence de pieuvre
mon frère ne me laisse pas seul devant
le poulpe aux yeux d’or
et comment une poitrine pourrait-elle devenir
une tombe ?
tu venais de te marier à la mer
le poulpe avait des yeux de chien battu
et tous mes manques me regardent en face
tu m’entraînes là où la pensée
ne bruisse plus avec son bruit de galets
tu entres dans les bras de la terre
arrête-toi, viens
les poulpes du matin vont t’emporter trop loin
Rose jetée sur l’ami
1.
Dans Castagniers-les-philosophes
ta bienveillance brille dans le caveau ouvert
rose jetée sur l’ami
va-t-elle attendrir la planche de buis dur
jamais plus silencieux ne pleureras
pour faire barrage aux larmes
tu te souviens les mots
s’étaient agrippés à ma gorge
et de souffle manquaient mes mains
mes paroles ne faisaient pas dédicace
nul ne faisait son travail à sa place
le maçon de la mort
bâtissait ses murs en ciment de toujours
je voulais desserrer cette griffe noire
et t’offrir des fruits bien mûrs
2.
La mort a balayé mes chemins
la mort m’a cabossé de creux
mon frère à la bouche empêchée
tes pas vont ne vois-tu pas
au désert
tu me forces à parler à ta place le temps se ride
tu n’es pas dans le lit de l’épouse
mais monté sur ta couche de bogues épineuses
et n’as plus ce regard clair
qui glissait sur le Var jusqu’en Grèce moutonneuse
comment marcher vers toi si tu t’enfonces
sous la terre qui me grêle
et si souffrir c’est être sûr
que point ne te verrai sur cette terre
les jours sont des verres à pied
tout s’écroule tout y vient à bout
seules demeurent les cheminées de fées
les demoiselles coiffées
de ta pensée inentamable
Pour citer cet article
Référence papier
Arnaud Villani, « Inintelligent partage de la mort », Noesis, 29 | 2017, 135-137.
Référence électronique
Arnaud Villani, « Inintelligent partage de la mort », Noesis [En ligne], 29 | 2017, mis en ligne le 15 juin 2019, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/3737 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.3737
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