Nos références, au fil du texte, renvoient pour Galilée à l’Edizione Nazionale (EN) des Opere a cura di A. Favaro ; pour Descartes à celle d’Adam et Tannery (AT) (éd. Vrin, 1996) ; pour Leibniz à celle de Gerhardt, Die philosophischen Schriften (PS) (éd. Olms, 1978). Correspondance Leibniz-Clarke, Paris, PUF, 1957.
La puissance du rationnel sur les terres de Galilée
Résumés
Les observations de Galilée quant aux propriétés intensives sont un exemple de la « puissance du rationnel », et un indicateur fondamental de la réalité physique. D’un bout à l’autre de son travail, Galilée trace des chemins de l’intensif vers l’extensif, ce qui incite Leibniz à élaborer une « science des intensités » (mathesis intensorum), créant ainsi de nouveaux concepts liés aux sensations (sensate esperienze) comme fondements de l’expérimentation. L’idée de virtualité, que Descartes voulait bannir de sa philosophie naturelle, est ainsi justifiée, le principe des vitesses virtuelles ayant été anticipé par Galilée. Le fameux texte de L’Essayeur sur les qualités sensibles est un bon exemple d’une « expérience de pensée » qui implique le rejet des formes substantielles. La principale portée d’une telle expérience « mentale » (mente concipio, dit Galilée) n’était pas de réduire les sensations concrètes (intensives) à certaines idéalités abstraites, mais d’anticiper des définitions génétiques des objets physiques, selon le modèle constitutif des mathématiques. La puissance du rationnel est une invitation à relire dans une nouvelle perspective la prose de Galilée.
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Mots-clés :
expériences « sensibles », expériences de pensée et expériences par la pensée, force, grandeur intensive, lumière, moments de vitesse, mouvement uniformément accéléré, puissance, virtualité, vitesseKeywords:
sensate experiences, thought experiments, force, intensity (intension), light, momentum, power, uniformly accelerated motion, velocity, virtualityTexte intégral
- 1 D. Janicaud, La puissance du rationnel, Paris, Gallimard, 1985, p. 192-196.
- 2 E. Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, traduit de l’ (...)
- 3 M. Henry, La barbarie, Paris, PUF, 1987, p. 73, p. 129-130 et passim.
1Les lecteurs de La puissance du rationnel ne manqueront pas d’être frappés par l’importance de la référence à Galilée1 qui constituait déjà « le porche de la Krisis de Husserl » comme le souligne Gérard Granel dans sa préface à la traduction2 qu’il donnait en 1976 de La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale. Mais le livre de Dominique Janicaud dit autre chose que Husserl et surtout que Michel Henry qui, dans l’humeur de son essai contre la barbarie3, se réclamait d’un passage de cette Krisis, pour soupçonner un présupposé de barbarie volontaire à l’œuvre dans la révolution galiléenne ! Non, ce n’est pas une « crise » du déracinement qui s’ouvre avec la vie et l’œuvre du philosophe géomètre de Florence, figure d’anti-héros positif selon Bertolt Brecht, mais plutôt un rapport nouveau à la réalité des phénomènes, aux intensités qui nourrissent ce qu’il nomme les expériences sensibles, un rapport inédit à la vitesse surtout, complètement repensée. On le voit à partir de l’exemple balistique choisi par Dominique Janicaud. La puissance du rationnel analyse ce point topique comme emblème d’une « phase III » de potentialisation du rationnel. L’étude de la trajectoire des projectiles fournissait en effet à Galilée l’occasion 1) de repousser définitivement la conception aristotélicienne des mouvements violents, aussi bien que celle des trois phases de Nicolas Tartaglia ; 2) de réactualiser une analyse euclidienne des proportions et celle des sections coniques selon Apollonius, pour démontrer, sur un diagramme géométrique approprié, que la trajectoire du jet aura l’allure et les propriétés d’une demi-parabole ; 3) de proposer un principe mathématique de la composition de deux mouvements (et de leurs vitesses), le premier horizontal et de caractère inertiel, le second vertical et uniformément accéléré, de telle sorte qu’en se composant ils ne « s’altèrent ni ne se gênent » (EN, VIII, 273). Ce principe de composition est premier dans l’ordre de la découverte, mais second dans l’ordre des raisons et de la rigueur déductive. Il implique en effet deux autres principes, l’un dynamique, l’autre dit de relativité galiléenne, qui apparaissent comme « en puissance » dans le principe de composition et de transformation des mouvements. Dominique Janicaud souligne que l’analyse géométrique joue un rôle constitutif dans la production des concepts et heuristique dans la découverte des principes par analyse. Celle-ci remonte d’abord au principe fondamental que Galilée énonce ainsi dans ses Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles :
Si j’imagine un mobile lancé sur un plan horizontal d’où l’on a écarté tout obstacle, il est certain que son mouvement se poursuivra uniformément et éternellement sur ce même plan, pourvu qu’on le prolonge à l’infini. (VIII, 268)
- 4 Salviati déclare avoir des raisons « de douter que les corps lourds se meuvent sur une ligne droi (...)
2En géométrie euclidienne, c’est une droite ou un plan qu’on peut « prolonger à l’infini ». Mais qui a dit que l’espace astrophysique réel devait être euclidien ? Galilée en doute. Il suggère, dans la maïeutique subtile du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, Première Journée, qu’un espace « courbe » (vacuo incurvato) pourrait assurer4 le primat du mouvement circulaire à l’œuvre dans le géocentrisme et dans l’héliocentrisme. L’espace planétaire est fait d’orbites circulaires où les astres interagissent au moins par la lumière et le mouvement :
S’il est vrai que les planètes agissent sur la Terre par le mouvement et la lumière, la Terre n’a sans doute pas moins de pouvoir pour agir sur elles à son tour par la lumière, peut-être même par le mouvement. (VII, 185)
- 5 Salviati : « Entre la fabrication d’une statue (par ex. chez Michelangelo Buonarroti) et la forma (...)
3On peut imaginer une conception de l’espace cosmographique différente de l’espace euclidien qui n’est jamais qu’une idéalisation à notre échelle. Pour Euclide, par exemple, une sphère touche un plan en un point seulement, alors que, dans la réalité physique (sans parler ici de l’organisation du vivant5), une sphère matérielle touchera un plan matériel « par une partie de sa surface » (VII, 333). Il faut aller des mathématiques élémentaires, conçues pour manipuler mécaniquement des solides inorganisés, à des mathématiques assez diversifiées pour scruter l’infiniment complexe, dans le petit comme dans le grand. Leibniz, après Pascal, sera l’un de ceux qui vont relever ce défi.
- 6 S. Drake, Galileo at work, his scientific biography, Chicago, Chicago University Press, 1978, p. (...)
- 7 D. Janicaud, La puissance du rationnel, op. cit., p. 192.
4Chez Galilée, le « plan horizontal » n’est jamais qu’un plan expérimental, artefact conçu pour faire rouler des sphères de faible diamètre, à notre échelle. C’est le plateau à rainure de la table évoquée dans le manuscrit de 1608 (feuillet 116v qu’étudie Stillman Drake6). Cette expérience est le théâtre d’une double transformation inversée. Galilée y compare des vitesses impulsées à partir de plans diversement inclinés, et construit un déflecteur pour transformer le premier mouvement de chute en un mouvement horizontal le long de la table, puis en une forme de jet, ou projection. Voilà une application expérimentale du principe de composition. Les vitesses seront supposées uniformes sur toute la longueur du plan, abstraction faite des frottements et de la résistance de l’air. Arrivés à l’autre bout de la table, ces « projectiles » voient leur mouvement uniforme se composer avec un tout autre mouvement, celui d’une chute uniformément accélérée qui leur fait percuter le sol à différentes distances, selon l’impulsion « imprimée » au départ. On peut bien dire alors : « Le mobile… est censé… manquer de support et tomber suivant la loi du mouvement naturellement accéléré (mais avec sa vitesse acquise) »7. C’est ce que dit Salviati lui-même : « la pierre, débarrassée de son support, se dirige vers le bas… lentement d’abord puis en accélérant continuellement » (VIII, 200). Descartes, dans une lettre à Huygens, évoque un dispositif expérimental différent pour arriver à la même conclusion. Le jet d’eau qui tombe d’un récipient par un robinet étroit présente la forme d’une demi-parabole jusqu’à la minute où il rejoint le sol.
La pesanteur lui fait faire plus de chemin pendant les dernières parties de cette minute que pendant les premières, et ce en raison double des temps, de là vient que les lignes (de chute) ne sont pas des droites, mais ont la courbure d’une parabole, ainsi que Galilée a fort bien remarqué. (AT, III, 624)
5On ne peut pas se tromper sur l’expression : « en raison double des temps » que Galilée entend « comme les carrés de ces mêmes temps ». Descartes loue Galilée d’avoir découvert et exprimé mathématiquement quelques-unes de « ses pensées » de jeunesse, notamment : « que les espaces par où passent les corps pesants quand ils descendent, sont les uns aux autres comme les carrés des temps qu’ils emploient à descendre » (à Mersenne, 14 août 1634, I, 304). « Ainsi l’a démontré le Sieur du Perron » affirmait déjà Isaac Beeckman en 1618, pour des corps tombant dans le vide, car dans le « plein » du monde réel cela « n’est jamais entièrement vrai » ! Pas plus qu’il n’est vrai, dans un monde sans vide, qu’un état de mouvement rectiligne et uniforme puisse persévérer et « continuer toujours avec une égale force » (XI, 38), comme il le devrait. Doveria, disait Galilée, en padouan. La loi cartésienne d’inertie s’applique dans un monde « imaginaire », même s’il reste vrai que, dans le monde réel, en chaque « point de mouvement » ou « moment », l’inclination des corps au mouvement se fait uniformément et en ligne droite. Encore faut-il accepter cette formulation cartésienne de la différence entre le mouvement réel et son « inclination » de type inertiel.
- 8 A. Einstein, cité par F. Balibar dans Galilée, Newton, lus par Einstein, Paris, PUF, 1984, p. 33.
- 9 Galilée (VII, 96) et Descartes (VII, 155) s’inspirent du même texte de Pappus Coll., VII, 1 (cf. (...)
6L’analyse résolutive galiléenne remonte, plus empiriquement, vers le principe fondamental de la dynamique que formulera Newton, indiquant expressément sa dette envers Galilée. L’énoncé newtonien va permettre de définir, rigoureusement, le concept de force. Il présuppose un espace absolu de type euclidien comme arène des événements du monde, qui peuvent être concomitants, car il existe selon Newton un temps absolu. Galilée partait, en sens inverse : d’une expérience multiforme des effets de force, il remontait analytiquement vers le principe qui allait en fonder la définition. De nos jours on nomme, avec Einstein, ce principe fondamental, le principe de Galilée : « Un point matériel abandonné à lui-même et suffisamment éloigné de tous les autres points, effectue un mouvement rectiligne uniforme »8. Les énoncés de Galilée n’ont jamais atteint ce degré de généralité. Mais qui peut douter qu’ils ne contiennent, au moins « en puissance » – il s’agit donc bien là de ce que Dominique Janicaud appelle une puissance de potentialisation active –, le principe fondamental de la dynamique ? D’ailleurs, Galilée précise : « Le mouvement circulaire ne s’acquerra jamais naturellement sans un mouvement rectiligne préalable », ceci dans une note ajoutée en marge de l’édition du Dialogue de 1632 (VII, 40). C’est cette version que Descartes connaissait par Mersenne. Aussi bien Descartes s’empresse-t-il de préciser, dès 1633 : Dieu, immuable « comme chacun doit savoir », crée tous les mouvements qui sont au monde en tant qu’ils sont et, soulignons, « en tant qu’ils sont droits » (AT, XI, 46). C’est la présence des autres corps et de la pesanteur qui va incurver toutes les trajectoires. Galilée présentait la fable de son monde un peu différemment. « Académicien » de Florence, il voulait faire dire à l’auteur du Timée que le démiurge aurait lancé les planètes, depuis un lieu sublime, en une chute rectiligne accélérée jusqu’au moment où chacune aurait atteint sa vitesse propre et se serait logée dans l’espace courbe de son orbite. Newton s’est amusé à calculer le cas de figure, comme le rappelle Alexandre Koyré dans ses Études newtoniennes, avec cette différence que le mouvement circulaire n’est plus pour lui ni simple ni « naturel » et qu’il n’est « uniforme » que par une accélération constante. Descartes avait su montrer que le mouvement circulaire est composé et que pour se maintenir en cercle il a besoin de l’application d’une force. Sa démonstration s’appuie sur un exemple balistique galiléen : celui de la fronde qu’on fait tourner à bout de bras. Newton se réclame de Galilée, en passant par la rectification cartésienne, et puis surtout par les lois de Kepler, transformant le cercle en ellipses, ce dont Galilée, malheureusement, semble ignorer la portée. La découverte du principe fondamental de la dynamique classique gagnera sa signification générale en réunissant les deux questions : 1) galiléenne : qu’est-ce qui fait se mouvoir les projectiles et 2) képlérienne : qu’est-ce qui fait se mouvoir les planètes ? Voilà ce que Descartes appellerait une connaissance « pour ainsi dire (tanquam) a priori » (AT, VII, 155), entendons : découverte à partir de ce qui est premier parmi les principes. Galilée, qui préfère toujours l’italien au latin des savants, parle alors de cette « méthode résolutive qui permet […] d’arriver à un principe connu par soi (per sé noto) » (VII, 96). Descartes enseigne l’ordre des raisons ; Galilée, la logique de l’observation et de la découverte. Sa méthode remonte analytiquement des effets vers leur cause, des conséquences vers leur principe 9. Galilée est au point de départ de cette unification de la problématique. La question balistique n’est pas séparée chez lui de la question copernicienne, comme on le voit quand il reprend les arguments de Tycho Brahé sur le tir des canons.
7Galilée nomme « gravité » cette force constante qui confère une même accélération à tous les corps en chute libre à la verticale, quelle que soit leur masse (la densité de matière qui les constitue), leur poids spécifique ou leur forme. La résistance à l’accélération est proportionnelle à la masse, mais la gravité l’est également, d’où une accélération égale pour tous les corps en chute libre, à la surprise générale. Il n’a pas encore d’unités pour mesurer cette accélération constante de la pesanteur, mais il en parle en termes de degrés ou, plus souvent, de « moments de descente » (momenti del discendere), ce qui signifie qu’il la pense comme une grandeur intensive.
Moment, chez les mécaniciens, signifie la puissance (virtù), la force (forza), l’efficace par laquelle le moteur meut et le mobile résiste ; cette virtù dépend non seulement de la simple gravité, mais aussi de la vélocité du mouvement et des diverses inclinaisons des plans sur lesquels se fait le mouvement. (IV, 68)
- 10 E. Mach, La mécanique, op. cit., p. 125.
8On peut en faire varier les effets, par degrés, selon l’inclinaison de plans inclinés, l’intensité de l’accélération étant la plus grande lorsque la chute est verticale : alors « l’élan (impeto) d’un grave et le moment de descente est maximum » (VIII, 216). L’audace intellectuelle consiste à mettre de côté « la cause de l’accélération » pour mesurer ses effets dans l’espace : « Quelle que soit la raison d’une telle force, on lui donne le nom de moment » (ibid.) et l’on s’attache à mesurer sa manifestation sous forme d’un rapport entre les espaces parcourus et les temps de parcours. Au cours d’expériences « répétées une bonne centaine de fois, nous avons toujours trouvé que les espaces parcourus étaient entre eux comme les carrés des temps » (VIII, 213). En revanche « il est faux de dire que la vitesse croît comme l’espace », ce que Galilée avait d’abord cru, avant de se corriger, pour réaliser que la vitesse de chute, en tant que grandeur intensive, doit être pensée comme proportionnelle au temps, variable plus difficile à mesurer. Plusieurs schèmes heuristiques ont dû inspirer ici le physicien Galilée. Ernst Mach suggère, entre autres10, que des rainures de longueur 1. 4. 9. 16… peuvent correspondre à des durées de chute respectives 1. 2. 3. 4… sur les plans inclinés. Galilée n’avait-il pas observé, le premier, cette correspondance biunivoque entre la série des entiers et la série des carrés (VIII, 78) ? Quelles qu’aient pu être les voies de sa recherche, ce que Galilée découvre avec les trois lois de la chute des graves c’est bien le premier invariant dynamique d’expression mathématique. Descartes se souvenait de cette découverte qui lui fut enseignée à La Flèche (mais sous quelle forme ?), lorsqu’il rencontre à Bréda, en 1618, le « physico-mathématicien » Isaac Beeckman, qui lui propose ce problème : trouver « selon quels moments singuliers croît le mouvement (d’une pierre tombant dans le vide…), quantum singulis momentis crescat… ? » (AT, X, p. 75). L’expression : « moments singuliers », pour mesurer des degrés de croissance d’une vitesse, est typiquement galiléenne. Mais les réponses cartésiennes sont déjà marquées du sceau de la discontinuité entre les instants successifs. Descartes ose même une « solution plus difficile » (ibid. p. 77-78) que celle de Galilée en supposant une suspension de la pesanteur intercalée entre chaque instant et sa (re-) Création continuée d’instant en instant, comme si la même force s’additionnait discrètement à coups d’élans successifs.
Ce que dit Galilée que les corps qui descendent passent par tous les degrés de vitesse, je ne crois point qu’il arrive ainsi ordinairement, mais bien qu’il n’est pas impossible qu’il arrive quelquefois. (s.e. : si l’on fait le vide) (AT, II, 399)
- 11 D. Janicaud, Chronos, Paris, Grasset, 1997, qui renouvelle l’inspiration bergsonienne en France.
9L’expérience du « mouvement uniformément accéléré » est, pour Descartes, l’idéalisation d’un réel plus concret où le discontinu vient complexifier le continu. Étrange conception de l’accélération qui procèderait par addition d’impulsions successives, par juxtaposition de saccades et d’enchaînements par à-coups, sur un fond permanent censé perdurer et se conserver en vertu de la Création continuée ! C’est une idée que Galilée aurait refusée absolument : « l’accélération ne se fait pas par césures intercalées, intercisamente, d’une partie assignable de temps à la suivante » (EN, VII, p. 357). Pas de césure, pas de coupure entre les instants successifs ! Grandeur intensive par excellence, en tant que durée continue et indivisible, le mouvement comme le temps11 qui en est la texture, peut bien se résoudre en moments grâce à une expérience mentale d’analyse, mais cette démarche est très différente de la décomposition en parties. La matière solide ou liquide peut, à la rigueur, être conçue comme décomposable en une infinité de « parties » élémentaires que Galilée qualifie de « division en parties » de grandeur assignable (divisio in partes quantas, in parti quante), parce que dans la matière étendue les parties sont pensables comme extérieures les unes aux autres, partes extra partes. Mais si l’on se place du point de vue intensif (ce que Descartes semble refuser), dans le mouvement comme dans le temps les « parties » ne sont plus mutuellement extérieures ; elles s’interpénètrent et restent solidaires les unes des autres… Pour « résoudre le phénomène » et penser sa manifestation dans l’espace, il faut mobiliser une « résolution » en parties sans extension (resolutio in partes non quantas, in parti non quante). Les parties sont des éléments d’intensité, ce qui ne veut pas dire qu’elles appartiennent exclusivement à la catégorie de la qualité, comme le voulait la logique scolastique, car ce sont bien des grandeurs mesurables, mais leur mesure exige un détour par une « expérience de pensée » assez complexe que Galilée appelle justement « résolution » et non simple division. « Les parties ne sont pas toujours plus simples que le tout, quoiqu’elles soient toujours moindres que le tout », dira Leibniz, dans le même esprit (PS, III, 583). Le détour que propose Galilée, à propos de la vitesse, consiste à séparer et résoudre d’un seul coup (in un tratto solo) l’infinité de toutes les parties du continu en éléments absolument indivisibles, « artifice dont la portée ne doit pas m’être refusée » ajoute-t-il (VIII, 93), comme un défi aux mathématiciens. Il pense ici à l’élément intensif par excellence qu’est l’accélération, positive, négative ou nulle, mais toujours présente, à chaque instant, dans le mouvement, comme son élément générateur : Illud momentaneum… dira Leibniz, pour caractériser cet élément temporel « momentané » (et décisif) du phénomène dynamique, seul capable de coordonner les instants les uns aux autres dans une véritable durée. L’extension du mouvement dans l’espace trouve son principe dans l’intensité et la variation de la vitesse, donc évidemment dans le temps. C’est ce que Galilée exprime par le terme très connoté de moment. Il évite de parler de « degré de gravité », sans doute pour ne pas s’embarrasser de la difficile question de savoir si et comment des degrés peuvent s’additionner ou se composer : son thermoscope de 1606 donne à comparer des « degrés » non chiffrés comme des positions différentes sur une échelle de hauteurs, à partir de corps flottants par densités variables selon la chaleur. Il n’y a pas encore de thermomètre, encore moins de tachymètre à l’horizon ! Au lieu de « degré de vitesse », il choisit le terme de « moment », comme concept différentiel, qui vaut par comparaison, mais qui s’ajoute, se « somme » avec d’autres moments en une suite continue, engendrant elle-même un autre moment. L’espace n’est plus pensé comme une échelle de valeurs juxtaposables, mais comme un ordre manifestant une série continue de degrés croissants. Galilée cherche à ordonner une suite de « propensions » au mouvement, dans une succession et sur une trajectoire conçue comme la trace, le vestige ou le lieu des lieux par où seront passés les moments successifs du mouvement. « In hoc… vestigio diversae positiones conjunguntur », il y a là « vestige de diverses positions réunies », dit Leibniz à des Bosses (PS, II, 339). L’espace se trouve subordonné au temps, que Leibniz va définir de manière non intuitive et logique. « L’espace marque en termes de possibilité un ordre des choses […] qui existent ensemble »…comme « le temps est un ordre des successions » (à Clarke, V, 53). Galilée se situe entre une conception métrique de l’espace et une conception topologique qui sera bientôt développée comme un calcul lié à l’analysis situs, forme de géométrie de position, car « la situation et l’ordre » ont aussi leur quantité : « il y a ce qui précède et ce qui suit ; il y a distance ou intervalle », et « la situation et l’ordre » ont aussi leur quantité, comme il est précisé à Clarke (V, 54). Une telle analyse selon les situations, ou positions variées de proche en proche, implique l’idée que les valeurs physiques, en un point donné, ne peuvent dépendre que de leurs valeurs en un point immédiatement voisin, ce qui exclut toute action à distance, toute saccade, et sauvegarde le principe de continuité indispensable en physique classique. L’espace devient l’« ordre des situations », des emplacements de corps « coexistants » et le temps l’ordre des « possibilités inconsistantes, mais qui ont pourtant de la connexion », comme dit Leibniz traduisant fort bien la logique du mouvement galiléen, en opposition à l’espace et au temps absolus de Newton. Tout à fait actuel.
10Le problème galiléen par excellence est celui de la variation de la vitesse. Un nouveau concept doit nous indiquer comment varient des mouvements uniformément accélérés sur des plans différemment inclinés. On s’achemine vers une conception différentielle de la vitesse où l’élément conceptuel central sera l’accélération à chaque instant et la variation de son intensité. Galilée découvre que les vitesses de graves tombant de la même hauteur sur des plans diversement inclinés sont entre elles comme les racines carrées des distances parcourues. Les vitesses sont proportionnelles à la racine carrée des hauteurs de chute. C’est cette loi que Galilée va combiner avec la variation des vitesses pour énoncer son théorème VI du « mouvement naturellement accéléré », connu aussi sous le nom de théorème de l’isochronisme des cordes du cercle :
Si du point le plus bas ou le plus élevé d’un cercle construit sur la ligne d’horizon, on mène des plans inclinés quelconques rencontrant la circonférence, les temps de descente le long de ces plans seront égaux entre eux. (VIII, 221)
- 12 Cf. Revue d’histoire des sciences, XLV, 1992, p. 269-280.
- 13 M. Clavelin, La philosophie naturelle de Galilée, Paris, Armand Colin, 1968, p. 304.
11Deux chercheurs niçois, Pierre Souffrin et Jean-Luc Gautero se sont penchés, en 1989, sur la « démonstration mécanique » de ce théorème, généralement considérée comme fautive. Ils ont soutenu que cette critique repose sur une approche anachronique du concept de vitesse, Galilée ne disposant ni de la notion de fonction ni par conséquent de celle de dérivée12. Ils invitent à se replonger dans l’épaisseur des textes de l’époque, aux potentialités multiples et en évolution, sans conférer d’emblée un rôle normatif au concept moderne de vitesse. Souvenons-nous que Descartes remarquait encore en 1643 : « Il y a plusieurs choses à considérer touchant la vitesse, qui ne sont pas aisées à expliquer » (AT, III, 614). La rapidité de descente des graves est proportionnelle à l’inclinaison des plans de chute. Celle-ci se laisse représenter par la longueur des cordes dans le cercle vertical dont la construction est ici demandée. L’ensemble des cordes balaie une aire qui figure la variation d’accroissement de la vitesse par rapport au même intervalle de temps. Ainsi, comme le disent nos auteurs, le rapport des espaces parcourus en des temps égaux est égal à ce que Galilée appelle « le rapport des moments ». L’usage renouvelé du terme « moment » nous achemine vers une hypothèse dynamique. Elle concernerait la réalité constante de la force qui donne « l’élan, la capacité, l’énergie ou, voulons-nous dire, le moment de descente (l’impeto, il talento, l’energia o vogliam dire il momento del discendere) » (VIII, 215). Nommer c’est identifier. Cette recherche des mots appropriés, en langue toscane, pour cerner des concepts tout à fait nouveaux, communique la « saveur du savoir » d’une science à l’état naissant. La démarche appelle la création d’un concept qui n’est ni la vitesse moyenne, ni un retour à ce que les médiévaux d’Oxford et de Paris entendaient par « vitesse totale ». Il s’agit d’une sommation de vitesses variant d’instant en instant et qui, ensemble, donnent ce que Galilée appelle « l’élan maximum et total du grave pour descendre » (VIII, 215). Cette sommation de « moments », tous différents les uns des autres, n’est plus une addition ordinaire, Galilée en est conscient. L’infinité de « moments » successifs ou l’infinité de degrés (infiniti gradi) engendre non point un infini « additif », par dénombrement de valeurs juxtaposées, mais une grandeur intensive, grandeur finie, assignable, désignée encore comme un moment : ed il momento del discendere è il massimo (VIII, 216). S’il s’agit d’un maximum, Leibniz en parle encore comme d’un amas, désignant un nouveau degré d’intensité dans la vitesse. On serait en présence d’une composition qui « accumule d’instant en instant » des grandeurs intensives ou « degrés de vitesse » qui se conservent, de la même façon que croît la vitesse d’un grave en chute libre. Comment penser l’intégration de tels éléments différentiels de vitesse ? Tout semble prêt pour l’expression leibnizienne en termes de calcul infinitésimal13. Le moment de vitesse deviendra chez Leibniz la « partie infinitésimale de la force vive » qui définira la réalité physique élémentaire du mouvement. Car le mouvement (comme le temps) n’est rien s’il n’a pas de parties co-existantes et si l’analyse, à la façon de Zénon d’Elée, le décompose en parties chaque fois extérieures. La pensée du mouvement devient alors contradictoire, comme le montrent les fameux paradoxes éléates. Un mouvement ainsi analysé n’a jamais existé comme totalité, puisqu’on l’aura réduit d’emblée à la trace qu’il devait laisser dans l’espace, sur son passage. Un vestige. La réalité du mouvement en tant que tel, comme celle du temps, réside dans l’implication, l’imbrication, l’intégration de « parties » congruentes les unes dans les autres, instant par instant, de telle sorte que le moment présent, en grec on dirait le maintenant, ne soit pas extérieur à ce qui le précède ni à ce qui le suit. Si l’on voit dans le mouvement essentiellement une vitesse, alors il faut le penser et l’analyser d’emblée comme une intensité. Dans le latin de William Heytesbury ou de Nicolas Oresme, il s’agissait déjà d’intensio, première formulation du terme de grandeur intensive pour désigner la vitesse, mais sur la base d’une expérience encore fortement marquée de subjectivité. Galilée connaît cette tradition. Il l’assume mais la dépasse dans sa recherche de concepts qui travaillent à établir l’objectivité du sensible sur une base mathématique. Il écrit, par exemple que « l’intensité de la vitesse (intensionem velocitatis) est proportionnelle à l’extension du temps (fieri juxta temporis extensionem) (VIII, 198) : il parle alors de la mesure du temps, qui s’opère a posteriori d’après l’espace (juxta extensionem). Cette étape dans l’objectivation, qui fonde la possibilité de la mesure, procédait de la reconnaissance d’un objet physique tout nouvellement identifié, où l’on voit que la durée passe au premier plan :
Je dis qu’un mouvement est également ou uniformément accéléré (uniformemente accelerato) quand, partant du repos, il reçoit en des temps égaux des moments égaux de vitesse. (ibid.)
- 14 Ben sento tirarmi dalla necessità, subito che concepisco una materia o sostanza corporea, a conce (...)
12Dans cette définition fondamentale, l’élément appelé « moment » désigne une variation instantanée de vitesse dans le temps. La vitesse est toujours un rapport entre les espaces parcourus et les temps de parcours, mais, si l’on considère que le temps est divisible à l’infini, alors « en diminuant toujours la vitesse dans le même rapport, il n’y aura pas de degré de vitesse si petit ou encore de degré de lenteur si grand, par lequel ne soit passé le mobile après être parti de l’infinie lenteur, c’est-à-dire du repos » (VIII, 199). Ici se manifeste la fonction heuristique de la continuité, « principe d’invention en physique », dit Leibniz qui apprend à écrire cela sous la forme de quotients différentiels et à traiter les « moments » galiléens comme des valeurs calculables. Un renversement s’opère, une véritable « révolution copernicienne », inaugurée par Galilée. L’infini va préparer le fini, le concept va précéder la sensation et l’anticiper a priori. Quelques pages décisives de la première Journée des Discorsi tentent de montrer, au moins à titre problématique, que des indivisibles associés à l’infini sont indispensables pour élaborer une conception mathématique de la matière et du mouvement, surtout sous leur forme la plus « éthérée » qu’est la lumière, où l’œil reconnaît partout des intensités. Tel est le sens du texte de L’Essayeur, peut-être trop souvent sollicité depuis Descartes, dans lequel Galilée oppose les qualités sensibles (goût, odorat, ouïe, tact, couleurs…), telles qu’elles sont vécues subjectivement par l’animal sensitif, à leurs causes objectives qui relèvent de la physique mathématique, du lieu, du mouvement, du nombre, de la figure, et de la relation d’intensité, du plus et du moins. N’oublions pas que ce texte s’achève sur l’éminence de la vue, « qui a rapport avec la lumière, mais dans ce rapport d’excellence qui est celui du fini à l’infini, de la durée et de l’instant, de la quantité à l’indivisible, de la lumière aux ténèbres » (VI, 350). Il s’agit d’une « expérience de pensée »14 cohérente par sa totalité. « Dès que je conçois une matière ou substance corporelle, je me sens nécessairement amené à la penser » sous le signe du nombre, du lieu, de la figure, de la relation, du mouvement, du plus ou du moins… mais non point affectée en soi de telles ou telles qualités ou espèces sensibles. Celles-ci sont contingentes, subjectives, relatives à l’organisation de notre corps. Abstraction faite de celui-ci, elles n’ont plus qu’une réalité nominale. Ceci dit, peut-on faire abstraction de notre corps, lorsqu’on fait de la physique ? Le thermoscope peut bien mettre sous nos yeux une comparaison échelonnée des « températures » ; que signifieraient-elles sans un rapport à la chaleur ressentie ? Les fréquences d’une corde vibrante peuvent correspondre à la hauteur d’un son, son amplitude à son intensité. Mais comment parler musique, abstraction faite de l’oreille, organe complexe qui amène des images sonores au cerveau, qui lui-même va les trier, découvrant toute une syntaxe de l’intensif ? Que d’intermédiaires entre la source physique et la sensation vécue et repensée ! Que d’élaborations complexes ! Il ne faut voir aucun geste réducteur dans le texte de Galilée, mais un exercice d’abstraction provisoire qui convoque les sensations à l’épreuve du laboratoire, sans réduire leur univers à celui-ci. L’exemple de la lumière est le plus éclairant. Mon œil ne voit jamais qu’une frange des possibilités lumineuses, au point que Galilée utilise deux mots : la luce (lux, en latin) pour dire ce que j’en perçois (des contrastes, des brillances, des reflets, des couleurs…) et puis il lume (latin lumen) pour désigner le support objectif du phénomène lumineux et ses propriétés physiques. Galilée n’a jamais vraiment séparé les deux, ni voulu réduire l’un à l’autre. Il pratique une distinction de méthode, pour la pensée, par la pensée, en vue de démêler plusieurs aspects de l’objet physique en les nommant pour les modéliser mathématiquement.
13C’est la lumière, jusqu’à ce jour, qui nous apprend le plus de choses sur l’univers. Galilée ne sait pas encore l’explorer dans sa réalité physique. Son intensité, sa diffusion lui servent d’indices indirects pour renseigner sur la position de sa source. L’étoile nouvelle de 1604, apparue dans la constellation du Sagittaire, lui fournit le premier argument de fait contre l’inaltérabilité de la matière céleste. Cette « Nova », comme déjà celle que Tycho Brahe observait en 1572, prouve qu’apparaissent dans le ciel « des flammes nouvelles qui, sous forme d’étoiles très brillantes, se produisent et se dissolvent ensuite dans les plus lointaines parties du Ciel » (V, 139). Genèse et corruption règnent donc aussi dans la matière céleste. L’absence de parallaxe observable sur les relevés du Danemark, de Prague et de Rome prouve qu’il ne s’agit pas d’un objet de l’atmosphère « sublunaire ». Pour les comètes de 1618, les preuves se feront attendre. Il va falloir apprendre à distinguer les phénomènes réels des imaginaires, voire illusoires (halos, parhélies, mirages, réflexions ou réfractions de lumière, « simulacres errants ») ! L’argument le plus dirimant pour la vision péripatéticienne du monde, ce sont les taches solaires. Voici que sur cette partie du Ciel qu’on devrait estimer la plus pure et sans mélange, sur la face même du soleil, on découvre « une production et une dissolution rapide d’innombrables multitudes de matières obscures, denses et caligineuses » (V, 140) que certains voudraient réduire à l’inconsistance des ombres. Galilée, lui, les nomme « taches solaires ». Leurs diverses densités et noirceurs laissent penser que ce sont des formations qui appartiennent à la « combustion » de la matière solaire. Dès la première Lettre, c’est l’observation des luminosités qui conduit le raisonnement.
Les taches solaires se produisent et se dissolvent en des temps plus ou moins brefs. Certaines se condensent ou grandissent d’un jour à l’autre… elles sont plus ou moins sombres selon les endroits… Il faut que leur masse soit énorme puisqu’elles font obstacle à la lumière du soleil à cause de leur opacité variable.
14Galilée en établit des relevés périodiques, véritables diagrammes des variations selon l’espace et le temps, qui vont lui permettre de conclure, par un exercice de géométrie perspective, que ces taches se situent bien sur la surface du soleil et non sur un diamètre plus grand que celui de la sphère solaire en rotation. La géométrie ne se contente pas de décrire ce que l’on croit voir. Elle permet de reconstruire le phénomène en accord avec la « fuite des apparences » selon certaines lois de trigonométrie et de les appliquer à la perspective changeante de ces ombres sur leur fond de lumière. Soulignons l’aptitude galiléenne à trier parmi les sensations, afin de faire apparaître dès l’observation sensible un invariant. La variation des taches, leurs irrégularités de surface ne peuvent pas dissimuler à l’observateur objectif « un mouvement commun et universel » qui les entraîne, révélant la rotation du soleil autour de son axe.
15Un véritable principe d’invariance apparaît dans l’analyse que propose Galilée lorsqu’il évoque ces autres observations ou « expériences sensibles » imaginées à bord d’un navire au repos ou en vitesse uniforme rectiligne, deux référentiels pour lui équivalents. Papillons, gouttes d’eau, ballon lancé à son partenaire d’expérimentation, poissons dans leur bocal et autres mouches qui volent, de-ci de-là, garderont entre eux des rapports constants, que le navire soit immobile ou qu’il se meuve selon une ligne droite sans rotation (VII, 317). Une pierre, lâchée du haut du mât du navire, tombe à la verticale, que le navire soit à quai ou en mouvement droit et uniforme. Les rapports qui relient les « expériences sensibles » aux repères d’observation à bord d’un même référentiel (dit aujourd’hui « galiléen ») restent invariants. À l’époque de Galilée, sauf à considérer de près le flux et le reflux de nos mers, on n’a pas d’expérience physique directe pour voir ou sentir la Terre tourner ; son mouvement est « comme s’il n’était pas », « è come s’ e’ non fusse » ; eppure… Et pourtant… le point de vue du marin à quai et celui du marin à bord n’est pas le même, comme le point de vue sur Terre, au pied de la tour, et le point de vue d’un observateur qu’on imaginerait en dehors du système Terre-Lune et qui verrait de loin, comme depuis le Soleil, la composition des mouvements compliquer la chute « verticale » des graves. Il faut une transformation (dite « de Galilée ») pour passer de l’un à l’autre de ces référentiels en sauvant l’invariance de la loi, car le mouvement du navire (ou de la Terre) s’ajoute et se compose, sans gêner ni altérer l’invariance de la loi de chute des graves. D’où l’importance du principe de composition des mouvements découvert en balistique. Si l’on change de point de vue, la même expérience s’offre à l’observateur comme lieu d’un invariant, à une transformation près. Cette « théorie du point de vue » prend la forme discrète, chez Leibniz, d’une leçon sur l’observabilité (à Clarke, V, 149). On l’appelle aujourd’hui Relativité galiléenne. Einstein a confié qu’il préférait l’expression allemande : Standpunktslehre qui évoque la recherche d’une constance dans l’observabilité des observables, structurant la variation des points de vue. Cette double idée de référentiel et de rapport invariant entre choses perçues n’est pas de l’ordre de la sensation, ni de la seule observation factuelle. Elle relève de la théorie, de ce que Galilée appelle « le génie spéculatif » (ingenio speculativo). Elle procède d’une anticipation a priori de la réalité sensible. La puissance du rationnel galiléen consiste à découvrir des invariants qui permettent de produire d’autres connaissances à partir des conditions de leur énoncé et de classer des référentiels.
- 15 Le possible pensé (non-contradictoire) n’équivaut pas à la puissance de reprise et d’actualisatio (...)
16Revenons aux intensités lumineuses, ces indices par excellence de la réalité physique. Galilée écoute leur message lointain, dès ses premières observations à la lunette. Étudiant la lumière cendrée de la Lune, il met en évidence une double réflexion : le Soleil illumine la Terre qui renvoie cette lumière en « clair de Terre » sur la Lune. On perçoit une teinte gris bleuté sur la partie du sol lunaire non éclairée directement par le Soleil. Une réverbération (reverbero) résulte en outre de la réflexion de très nombreux rayons (moltissimi raggi) sur de « très nombreuses petites surfaces » qui engendre la complexité de cette « lumière seconde ». Galilée y aperçoit des stries ou sortes d’excroissances lumineuses (veluti excrescentiae lucidae) qui révèlent à ses yeux un relief lunaire. Dans son dernier texte (la lettre à Léopold de Médicis du 30 mars 1640, Sopra il candore della Luna, VIII, 489-542), le prisonnier d’Arcetri s’interroge encore sur la variation de brillance du sol lunaire à l’approche de la pleine lune. Sa croissance est tellement rapide qu’un effet de surface (cavités contiguës dont le fond réfléchit brusquement la lumière du soleil) doit s’ajouter à l’intensité de l’irradiation solaire et à la distance de la source lumineuse. Galilée en vient à distinguer trois facteurs : 1) la distance de la source ; 2) son intensité ; 3) l’étendue de la surface de réflexion et de réverbération. Ici encore notons le mouvement de pensée qui va de l’intensif à l’extensif. Ne sommes-nous pas, en outre, à l’origine de la photométrie ? Le choix des termes désignant aujourd’hui les unités (lux et lumen) ne gardent-ils pas mémoire de cette histoire ? Il reste la question : qu’est-ce qui se diffuse et de quoi est donc fait ce lumen, ce support physique de la lumière ? Galilée se souvient, comme tous les physiciens, des atomes de Démocrite, d’Épicure et de Lucrèce, mais il en fait un concept problématique et heuristique, jamais dogmatique ni réducteur. Après avoir cru à une transmission instantanée, il penche pour une théorie corpusculaire de la lumière, alors que certains de ses proches, comme Don Benedetto Castelli, imaginent déjà une « vibration » qui « éjecterait continuellement des corpuscules très rapides ». Galilée ne retient pas l’idée de pulsation mais développe une autre problématique décisive : peut-on mesurer la vitesse de la lumière ? Il a pensé15 une expérience qui impliquait déjà, si on y ajoute la suggestion de Pierre Fermat – le recours au miroir pour doubler les distances –, le principe de l’expérience de Fizeau. Le Niçois Jean-Dominique Cassini et surtout le Danois Ole Römer exploitent la suggestion de Galilée pour proposer les premières approximations, utilisant l’occultation par Jupiter d’un de ses satellites. Ils aboutissent à des valeurs trop faibles, alors qu’Hippolyte Fizeau, en 1849, puis Léon Foucault, en 1862, parlent déjà d’environ 300 000 km/sec. Il restait à combiner le dispositif de Fizeau avec des distances terrestres beaucoup plus grandes. L’observatoire de Nice a imaginé, en 1903, d’envoyer un faisceau lumineux, depuis le mont Mounier, sur un collimateur placé au sommet du Monte Cinto (Galilée se souvenait qu’on peut voir la Corse depuis les hauteurs de Pise !). Belle histoire ou préhistoire d’une mesure qui se pratique tout autrement aujourd’hui. On a mesuré la longueur d’onde d’un rayonnement du krypton, durée qui a servi alors d’étalon officiel pour mesurer l’espace et, depuis 1983, « le mètre est la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299 792 458 seconde ». Comme la mesure de c, désignant la célérité de la lumière, est une constante absolue en « théorie de la relativité », elle peut servir d’étalon universel. Voilà une durée concrète, immanente et intensivement liée à la matière, qui mesure la forme abstraite de l’extensivité : l’espace métrique usuel.
17Leibniz avait bien compris Galilée, lorsqu’il dénonçait l’impossibilité du mouvement le plus rapide. La « relativité » d’Einstein a définitivement complexifié cette problématique. La valeur constante de la célérité de c, inatteignable par d’autres corps que des « photons » dépourvus de masse, entraîne un examen critique de l’idée de simultanéité absolue. Si Leibniz définit l’espace, à partir du temps, comme « l’ordre des simultanéités », est-ce à dire qu’il postule l’idée d’une simultanéité absolue ? Chez lui l’espace n’est place que pour ordonner des choses toujours discernables les unes des autres, et même « deux places ne sont pas la même place… si ce n’est qu’on les prenne abstraitement, en ce cas ils ne sont que des possibilités, discernables par les choses » (à Clarke, 149). À la vérité de raison s’ajoute cette vérité de fait connue grâce à l’observation de l’éclair et l’expérience pensée par Galilée : « les rayons de lumière ont besoin de temps, quelque petit qu’il soit » pour nous informer des objets les plus lointains. L’idée d’univers, comme ensemble en acte des phénomènes observables, est devenue problématique.
- 16 J.-M. Lévy-Leblond et F. Balibar, Quantique, Paris, Inter Éditions, 1984, p. 5.
18La célérité de la lumière est associée aujourd’hui à l’intensité d’un rayonnement électromagnétique, et l’idée de champ s’est substituée à celle, abstraite, d’espace. Galilée ne pouvait s’en faire la moindre idée ! En revanche il aperçoit quelque chose de l’énergie cinétique associée aux particules de lumière (qui, depuis 1905 se rattache à la fréquence ou pulsation, et non à l’intensité du rayonnement, « contrairement à une attente raisonnable »!)16 Les petits corpuscules (corpicelli) de lumière auraient des propriétés mécaniques apparentées à celles d’une percussion et imaginables dans la fusion de certains métaux ou l’incendie légendaire des navires romains par un miroir ardent, au temps d’Archimède. On pourrait parler d’un effet mécanique de la lumière à rapprocher du phénomène macroscopique de l’énergie cinétique dans l’étude des chocs. Encore une « expérience mentale » !
- 17 F. De Gandt, « L’analyse de la percussion chez Galilée et chez Torricelli », Cahiers du séminaire (...)
- 18 Lettres et opuscules inédits de Leibniz, Paris, éd. Foucher de Careil, 1854, p. 215 et 234.
19La balistique a pour but de percuter une cible. Le problème de la force de percussion va occuper Galilée, depuis son arrivée sur les terres de Venise, quelque vingt ans après la bataille de Lépante, jusqu’à ses derniers jours, sur les hauteurs d’Arcetri. Vers 1638, il cherche encore un passage rationnel de la statique à la dynamique. La percussion est une grandeur intensive que Galilée aurait voulu comparer au poids et à l’effet qu’entraîne son moment statique, produit de sa mesure par une distance. Galilée rappelle que le moment de la force « croît ou diminue selon la longueur du bras d’un levier » (VIII, 175). Quelle différence pourtant entre un marteau posé sur la tête d’un clou et la percussion du clou par le même marteau ! De la statique il faut passer au calcul de l’énergie cinétique. Pour évaluer l’intensité d’une percussion, il faut faire intervenir non le poids simplement mais la quantité de mouvement, produit de la masse par la vitesse et, pour estimer la variation d’intensité – Leibniz l’expliquera (PS, IV, 443) –, il faut considérer la force vive, produit de la masse par le carré de la vitesse, quitter l’analogie intuitive avec le poids et le levier, pour évaluer des intensités selon une autre dimension. Salviati s’aperçoit, avec ses partenaires de discussion, Aproino de Trévise et Antonini d’Udine, anciens élèves de Galilée à Padoue, que pour enfoncer un pieu ou pilot dans la lagune de Venise, il ne faut pas seulement le « poids mort » du mouton (berta) frappant à vitesse constante, car le sol résiste de plus en plus au cours du travail. Il faudrait que le poids de cet énorme maillet devienne « toujours plus grand » (maggiore e maggiore in immenso, VIII, 329) pour exercer une « pression » efficace toujours plus forte. L’erreur première vient ici de l’assimilation du choc à la pression. L’intensité de la percussion procède de l’« addition » d’une infinité de moments qui donnent autre chose qu’un résultat infini ou même « in immensum », par « amas » d’éléments de percussion. Torricelli a bien saisi que la notion de momento pouvait être entendue comme une intensité de percussion élémentaire et instantanée, susceptible d’une sommation17. La mathesis intensorum développée par Leibniz dépasse d’emblée le niveau intuitif, en mathématisant le concept galiléen de moment sous forme de différentielles de puissance. Le travail effectué par la chute de l’engin sur son pilot est proportionnel au produit de la masse par le carré de la vitesse qui elle-même dépend de la hauteur de chute. L’algorithme infinitésimal s’offre comme un ensemble cohérent de signes, parfois considérés comme de simples « fictions utiles » pour évaluer des vitesses et les élever au carré18. La puissance de percussion, oublié le « poids mort », intègre des forces vives. Qu’en est-il de l’impact, de la pénétration des projectiles sur une cible, en balistique ? Galilée voudrait l’évaluer, détaché de la pression, en rapport, entre autre, avec la force de gravité (VIII, 292). Ces recherches ultimes ont donné l’ébauche de quelques « considérations fort éloignées des opinions ordinaires », dictées à son élève Marco Ambrogetti (VIII, 321 sq.) où l’on voit que la fréquentation de l’Arsenal de Venise inspirait au « philosophe géomètre » des réflexions théoriques (flottaison, chocs, résistances des matériaux, facteurs d’échelle) et non pas seulement, maugrée Descartes, de « lancer des boulets de canon ». Le complexe militaire/industrieux de l’Arsenal de Venise tenait en puissance d’autres soucis, théoriques autant que pratiques.
20La notion de virtualité se substitue, à partir de Galilée, à la notion aristotélicienne de puissance (dynamis), jusqu’à changer complètement le sens du mot puissance pour l’associer à l’idée de force. Alors que chez Aristote la puissance est en attente de l’acte (energéia) qui la révèlera comme puissance active, comme le marbre attend le talent du sculpteur, Galilée découvre de « la puissance, une capacité (talento), de l’énergie » présentes dans la matière en mouvement virtuel (VIII, 215). Ce qu’il considère comme moment virtuel contient déjà la force qui pousse à agir et n’a besoin d’aucune assistance, mais seulement d’une suppression de l’obstacle, comme on le voit par l’exemple d’un corps pesant suspendu à la corde qui le soutient, ou par la pierre qui tend la fronde que l’on fait tourner dans sa main. Comment se manifeste donc la force ? Chez Descartes elle se mesure par le travail ou la quantité de mouvement, sans appel à aucune virtualité cachée, même dans la durée, puisqu’ « une chose qui dure, c’est une chose qui cesse à tout moment d’être » (AT, VII, 370) : l’idée d’être en puissance est repoussée comme un retour aux facultés occultes. Galilée, au contraire, garde l’idée de puissance, mais lui donne un sens nouveau. Lorsqu’il imagine un dispositif pendulaire aussi simple que la géométrie qui le décrit, il veut dire que « tout moment acquis par la descente d’un arc est égal à celui qui peut faire remonter le même mobile le long du même arc » (VIII, 206-207). On dirait aujourd’hui que la somme de l’énergie potentielle et de l’énergie cinétique reste constante dans un système mécanique isolé, si l’on fait abstraction des frottements. Chez Galilée, le repos n’est plus le contraire du mouvement, c’est un mouvement infiniment retardé, comme un équilibre statique qui abrite des forces « embryonnées » (Leibniz) et des « vitesses virtuelles » (Lagrange) infiniment petites et prêtes à s’actualiser en chaque point matériel, si les obstacles qui les retiennent disparaissent. Il peut arriver qu’un système en équilibre soit modifié par une charge additionnelle, si petite soit-elle. Ce que nous appelons solides « indéformables » abritent des éléments actifs qui pourraient libérer de l’énergie si nous intervenions sur leurs forces de liaison. En relisant La puissance du rationnel on comprend pourquoi l’idée de puissance allait complètement changer de sens. Elle ne sera jamais plus « faculté nue », car « les facultés sans quelque acte, dit déjà Leibniz, en un mot les pures puissances de l’École ne sont que des fictions », comme « le repos ou absolu ou respectif des parties d’un tout entre elles » (PS, V, 100). Il y a partout et toujours une disposition particulière à l’action, une tendance qui n’est jamais sans quelque effet, comme en chaque sujet une infinité de possibilités concrètes qui commencent toujours à passer à l’action. La matière elle-même, loin d’être masse inerte, pure passivité sans pensée comme chez les cartésiens, se révèle grosse d’énergie latente, comme une pensée sans sujet, avec plus ou moins d’intensités latentes, mens momentanea. La matière « dure au présent ». Il existe aussi des inerties actives, des intensités résistantes qui renvoient à ce que Leibniz veut appeler, en grec, la diffusion d’une antitypie ou impénétrabilité. Cette conception du virtuel qui s’oppose au possible abstrait, tout autant qu’à la puissance pure, dépasse le concept classique de changement et celui, anthropomorphique, de mouvement comme processus téléologiquement orienté, à situer entre une origine et une destination, deux termes qui voudraient signifier deux sortes de repos, comme si le repos devait être l’origine et le but de tout mouvement.
- 19 D. Janicaud, La puissance du rationnel, op. cit., p. 195.
21Ainsi les modèles qu’appelle la dynamique galiléenne sont souvent plus leibniziens que newtoniens. Juchés sur les épaules d’Einstein, nous comprenons la critique qu’ils impliquent d’un espace et d’un temps absolus. À écouter Leibniz, nous aurions plus appris de Galilée et de Descartes que de toute l’Antiquité réunie ; il faut réfléchir aux principes de cet héritage. La révolution scientifique fut aussi Renaissance d’Euclide, de Pappus et d’Archimède. La puissance du rationnel montre qu’avec Galilée « la théorie mathématique potentialise du fait même qu’elle investit a priori une nature envisagée de manière opératoire ». Au lieu de rester tournées vers les idéalités, les mathématiques se donnent « un nouveau contenu, le temps et le mouvement avec le calcul de cet élément si essentiel à la physique moderne, la vitesse »19. Les mathématiques constituent la vraie logique de l’invention et la rigueur démonstrative offre la victoire (temporaire) des certitudes apodictiques. Dans un texte important (VII, 202-203), Galilée entend encore l’adverbe latin intensive (« intensivement ») au sens d’une qualité logique de certitude et de « perfection » pour les démonstrations. La « Puissance intensive du rationnel » consiste à dépasser l’impression sensible vers l’intensif logique. L’intensif mathématique désigne une qualité logique de certitude et de nécessité, une fécondité riche de conséquences qui s’oppose à la « trivialité » de certaines propositions qui ne mènent nulle part. Ceci vaut d’abord pour le mouvement pris avec la vitesse, et cet ensemble cohérent de concepts, cette « langue bien faite », de rigueur et d’univocité, que va devenir la mécanique rationnelle classique. L’intensif d’entendement exprime une sorte de concentration logique, un raccourci, une « économie de pensée », avec la promesse d’une rapidité de plus en plus grande dans les opérations.
- 20 Ibid., p. 199.
- 21 Husserl, La crise…, op. cit., p. 57.
22La révolution galiléenne est une conversion à l’intelligible, mais non point aux idéalités transcendantes. La puissance du rationnel montre bien que le savoir positif ne s’oppose pas à l’intelligence ontologique. Penser l’être du mouvement, comme y invite constamment la recherche galiléenne, c’est « envisager l’être d’une nouvelle manière » et reconnaître ce qui rapproche fondamentalement, historialement, Galilée de Descartes et de Leibniz. En parlant d’une « révolution dans la raison »20, Dominique Janicaud montre que le potentiel mathématique « tourné jusqu’ici vers les idéalités, trouve d’un coup une nouvelle portée (physique) et un nouveau contenu (le temps qui était absent de tout le schématisme euclidien) ». Il devient alors difficile de soutenir que Galilée aurait « substitué un monde mathématique des idéalités au monde qui nous est donné vraiment comme perceptible »21, jusqu’à réduire le monde de la vie à ce monde d’idéalités. Dominique Janicaud ne dit jamais cela. Il sait ce qu’est le choix de l’immanence. Les « expériences sensibles », selon Galilée, sont l’origine et l’aboutissement de notre connaissance. Nous vivons, et la Terre avec nous, dans un état de mouvement qui persévère dans son être, sans être éternel. Il est une forme de notre appartenance à l’être dans le temps. Il se dévoile à présent avec la vitesse, vita in motu. La maison-univers révèle, par une chrono-géométrie « relativiste », la certitude de « transformations » grâce auxquelles Galilée sauvait déjà, avec les premiers invariants de notre connaissance sensible, notre participation physique à la réalité du monde. Certes, il faut savoir se distancer de ces conquêtes et de ce mode tout nouveau de dévoilement. Analyser une telle révolution fut un aspect majeur de la puissance critique du rationnel qui s’est développée, ici, sur des fondements galiléens.
Notes
1 D. Janicaud, La puissance du rationnel, Paris, Gallimard, 1985, p. 192-196.
2 E. Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, traduit de l’allemand et préfacé par G. Granel, Paris, Gallimard, 1976, p. IV.
3 M. Henry, La barbarie, Paris, PUF, 1987, p. 73, p. 129-130 et passim.
4 Salviati déclare avoir des raisons « de douter que les corps lourds se meuvent sur une ligne droite et verticale » (VII, 60) et de complexifier la première loi de chute des graves, du fait que la Terre tourne.
5 Salviati : « Entre la fabrication d’une statue (par ex. chez Michelangelo Buonarroti) et la formation d’un homme vivant, voire la formation d’un misérable ver, il y a une distance infinie » (VII, 202).
6 S. Drake, Galileo at work, his scientific biography, Chicago, Chicago University Press, 1978, p. 127-133, p. 130.
7 D. Janicaud, La puissance du rationnel, op. cit., p. 192.
8 A. Einstein, cité par F. Balibar dans Galilée, Newton, lus par Einstein, Paris, PUF, 1984, p. 33.
9 Galilée (VII, 96) et Descartes (VII, 155) s’inspirent du même texte de Pappus Coll., VII, 1 (cf. T.E. Heath, Euclid’s Elements, t. I, p. 138), mais le lisent différemment, Descartes en mathématicien, Galilée en physicien. Descartes résout en quelques semaines le problème de Pappus en généralisant sa solution, cf. Géométrie (Livre I), 1637. Leibniz admire (PS, IV, 316).
10 E. Mach, La mécanique, op. cit., p. 125.
11 D. Janicaud, Chronos, Paris, Grasset, 1997, qui renouvelle l’inspiration bergsonienne en France.
12 Cf. Revue d’histoire des sciences, XLV, 1992, p. 269-280.
13 M. Clavelin, La philosophie naturelle de Galilée, Paris, Armand Colin, 1968, p. 304.
14 Ben sento tirarmi dalla necessità, subito che concepisco una materia o sostanza corporea, a concepire insieme che…[je sens bien que je suis nécessairement amené, dès que je conçois une matière ou substance corporelle… à concevoir en même temps…] : voilà une « expérience de pensée » qu’on peut rapprocher de l’inspectio mentis cartésienne (AT, VII, 3I). Toutes deux visent à abstraire (de la perception) des « conditions » (cotali condizioni) de possibilité ou des « propriétés premières et réelles » (primi e reali accidenti) d’ordre physico-mathématique. Galilée dit parfois en latin : mente concipio [je conçois mentalement] et plus souvent en italien : mi si rappresenta all’intelletto’ [je me représente intellectuellement]…ou parfois figurandomi, si « je me figure » quelque chose mentalement, abstraction faite de mon corps animal sensitif (rimosso l’animale), alors il résulte logiquement, au terme de cette « expérience mentale »…
15 Le possible pensé (non-contradictoire) n’équivaut pas à la puissance de reprise et d’actualisation dont parle La puissance du rationnel. Galilée pense parfois des expériences que d’autres réaliseront pour lui. Celle, légendaire, de la tour penchée de Pise fut-elle de l’ordre des Gedankenexperimente, faites « par la pensée » seulement, ou fut-elle pensée pour être réalisée, mais par qui ? L’expression allemande peut désigner les deux, selon le contexte, cf. Ueber Gedankenexperimente, Ernst Mach, La mécanique, 1887, op. cit., p. 126.
16 J.-M. Lévy-Leblond et F. Balibar, Quantique, Paris, Inter Éditions, 1984, p. 5.
17 F. De Gandt, « L’analyse de la percussion chez Galilée et chez Torricelli », Cahiers du séminaire d’épistémologie et d’histoire des sciences, no 16, 1981, p. 19.
18 Lettres et opuscules inédits de Leibniz, Paris, éd. Foucher de Careil, 1854, p. 215 et 234.
19 D. Janicaud, La puissance du rationnel, op. cit., p. 195.
20 Ibid., p. 199.
21 Husserl, La crise…, op. cit., p. 57.
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Référence papier
Jean-Paul Larthomas, « La puissance du rationnel sur les terres de Galilée », Noesis, 29 | 2017, 101-122.
Référence électronique
Jean-Paul Larthomas, « La puissance du rationnel sur les terres de Galilée », Noesis [En ligne], 29 | 2017, mis en ligne le 15 juin 2019, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/3612 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.3612
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