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Résumé

Le parcours que je me propose de faire par la pensée cartésienne passe par les moments suivants : d’abord, on essaie de découvrir dans la pensée médiévale tardive, en prenant comme référence non pas seulement Nicolas de Cues, mais aussi quelques aspects du nominalisme, l’émergence d’une métaphysique du pouvoir qui a, elle aussi, comme point de départ, le concept d’infini ; deuxièmement, on essaie de démontrer comment cette métaphysique du pouvoir passe, en Descartes, par sa théorie de la création des vérités éternelles, par les noms qu’il va privilégier pour parler de Dieu et par le concept de causa sui ; troisièmement, on voit comment cette métaphysique du pouvoir se réfléchit dans une anthropologie de la volonté qui réinterprète, d’une façon tout à fait particulière, le motif médiéval de l’homme en tant que « imago Dei » ; finalement, on voit comment l’essence de la pensée « sub specie machinae » peut être vue, en même temps, comme une affirmation du pouvoir de l’homme dans une anticipation du « verum ipsum factum » de Vico, déjà anticipé aussi dans la pensée cusaine et dans sa conception créatrice de la connaissance humaine.

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Texte intégral

1Il pourra paraître étrange d’essayer de faire une lecture de Descartes, connu comme le père du rationalisme, à partir de Nicolas de Cues dont la pensée est présentée comme une des expressions les plus significatives du mysticisme du xve siècle. En outre, les références du philosophe français à Nicolas de Cues ne sont pas fréquentes. En effet, on ne peut enregistrer qu’une seule référence explicite à propos de l’infinitude du monde, quand, dans une lettre à Chanut de 1647, Descartes dit à propos de l’infinitude du monde :

  • 1 Descartes, Lettre à Chanut 6 juin de 1647 (AT, V, p. 51, l. 18-22).

En premier lieu, je me souviens que le Cardinal de Cues et plusieurs autres Docteurs ont supposé le monde infini, sans qu’ils aient jamais été repris de l’Église pour ce sujet ; au contraire, on croit que c’est honorer Dieu, que de faire concevoir ses œuvres fort grands1.

  • 2 Cf. AT, III, p. 500-501 et 506-507.
  • 3 AT, VII, p. 239, l. 15-23.
  • 4 Cf. Heinrich Rombach, Substanz, System und Struktur. Die Ontologie des Funktionalismus und der ph (...)
  • 5 Cf. Inigo Bocken, « Menslijke autonomie en godsvoorstelling. Descartes en Cusanus over de bekenis (...)
  • 6 Cf. Kirstin Zeyer, « Cusanus und Descartes », dans Harald Schwaetzer et Kirstin Zeyer, Das Europä (...)

2Deux autres allusions implicites signalent la présence du Cardinal dans les écrits cartésiens : quelques considérations à propos de la docte ignorance dans une lettre à Regius de 16422 et un paragraphe dans les quatrièmes réponses où Descartes se réfère aux symbolismes géométriques3 qui, on le sait, sont privilégiés par le Cusain. Il faut toutefois considérer que la pensée d’un auteur n’est pas faite seulement de ce qu’il affirme explicitement, mais aussi des lignes profondes qui sont latentes dans ses discours sans une explicitation des filiations respectives. Des rapprochements ont été tentés en ce sens par quelques interprètes de la pensée du xve et du xviie siècle, tel Rombach4, à propos de la mathesis universalis et de la nature comparative de la connaissance, ainsi qu’Inigo Bocken5 et, plus récemment, Kirstin Zeyer6, sur l’importance de la conception de Dieu et du concept de substantia infinita pour penser l’essence de la connaissance humaine et sa subjectivité. En découvrant des parentés, ces interprètes soulignent, en même temps, ce qui sépare les deux penseurs. C’est en convergence avec ces essais, mais en entrant, je le crois, plus profondément dans le noyau essentiel de la pensée cartésienne, que je présente cet essai de lecture. Ainsi, le parcours que je me propose de faire à travers la pensée cartésienne passera par les moments suivants : premièrement, on essaiera de découvrir dans la pensée médiévale tardive – en prenant comme référence non pas seulement Nicolas de Cues, mais aussi quelques aspects du nominalisme – l’émergence d’une métaphysique du pouvoir qui a, elle aussi, comme point de départ, le concept d’infini, mais dans laquelle on perçoit encore une articulation équilibrée avec une métaphysique du logos ou de la raison ; deuxièmement, on essaiera de démontrer comment cette métaphysique du pouvoir passe, chez Descartes, par sa théorie de la création des vérités éternelles, par les noms qu’il va privilégier pour parler de Dieu et par le concept de causa sui ; troisièmement, on verra comment cette métaphysique du pouvoir se réfléchit dans une anthropologie de la volonté qui réinterprète, d’une façon tout à fait particulière, le motif médiéval de l’homme comme « imago Dei » ; finalement, on verra comment l’essence de la pensée « sub specie machinae » peut être vue, en même temps, comme une affirmation du pouvoir de l’homme dans une anticipation du « verum ipsum factum » de Vico, déjà anticipé aussi dans la pensée cusaine et dans sa conception créatrice de la connaissance humaine.

1. L’émergence d’une métaphysique du pouvoir à la fin du Moyen Âge

  • 7 Ockham, In Sententiarum, 1, Prol. Q. 2 [1), 1, 103.
  • 8 Ibid., I, d. 10, q. 2, G.
  • 9 Ibid., IV, 98-99 E.
  • 10 Cf. Jean-Luc Marion, Sur la théologie blanche de Descartes. Analogie, création des vérités éterne (...)

3À partir du xive siècle tout l’édifice aristotélico-scolastique commence à entrer en crise : l’un des mouvements qui a le plus contribué à cette crise a été, sans doute, le nominalisme d’Ockham. Un des principes fondamentaux de ce dernier, et celui que permet aussi une lecture rapprochant ses thèses et le mysticisme, réside justement dans le primat de la toute-puissance divine. Celle-ci est déterminante pour la résolution du problème des universaux et pour le réordonnancement des rapports entre entendement et volonté. En admettant qu’il y a, sans doute, des textes dans lesquels cet auteur semble établir une indistinction entre les facultés divines (« entre l’essence divine, dit-il, et l’intellect divin ou la volonté il n’y a aucune distinction, ni réelle, ni rationnelle »7), on peut trouver d’autres textes qui soutiennent clairement le primat de la volonté en tant que « première cause des choses »8. Dans les considérations sur le juste et l’injuste, le bien et le mal, il appert que c’est la volonté de Dieu qui établit les valeurs et non son entendement (« Dieu ne peut être obligé à aucun acte et donc ce que Dieu veut est ce qui est juste »9). Il nous semble même que la théorie de l’indistinction des facultés a surtout la fonction d’annuler le primat de l’entendement en vue de relever la toute-puissance de Dieu et de sa volonté, comme on peut le déduire de la distinction entre « potentia absoluta » et « potentia ordinata ». Selon l’opinion de Jean Luc-Marion10, cette distinction serait l’une des sources principales (bien que de façon indirecte) du Dieu cartésien. Le texte d’Ockham exprime clairement que Dieu ne doit pas se soumettre à des déterminations préalables de son entendement, surtout à propos de la réalisation de sa « puissance absolue » :

  • 11 Ockham, Quodlibet, VI, Q. 6 : « Dico quod quaedam Deus potest facere de potentia ordinata et quae (...)

Je dis que Dieu peut faire certaines choses par sa puissance ordonnée et d’autres par sa puissance absolue. Cette distinction ne doit pas s’entendre comme si […] Dieu faisait certaines choses avec ordre, et d’autres, sans ordre, absolument, parce que Dieu ne peut rien faire sans ordre. Il faut comprendre pouvoir faire quelque chose conformément à des lois ordinaires et instituées par Dieu – et on dit que Dieu peut le faire par sa puissance ordonnée. Parfois pouvoir s’entend comme pouvoir faire tout ce qui n’implique pas contradiction, que Dieu l’ait ordonné ou non11.

4On peut conclure que face à une métaphysique de la raison, qui se concrétisait dans une métaphysique de l’être et de la substance, commence à émerger une théologie du pouvoir à côté d’une métaphysique du pouvoir qui va impliquer naturellement une reformulation des capacités de réponse de l’homme à l’appel du divin, en ouvrant une direction spéculative d’implications existentielles à laquelle la mystique va essayer de donner une réponse significative et expressive.

5L’année dernière, Hervé Pasqua nous a proposé de réfléchir, dans cette ville de Nice, sur le concept d’infini et d’altérité chez Nicolas de Cues. Je vais commencer par essayer d’établir une articulation entre ce concept d’Infini, le concept de Maximum et le concept de Pouvoir qui sont développés, tous les trois, dans les premiers chapitres du De docta ignorantia.

  • 12 Cf. Mariano Alvarez-Gomez, Die verborgene Gegenwart des Unendlichen bei Nikolaus von Kues, Münche (...)
  • 13 Cf. id., « Zur Metaphysik der Macht bei Nikolaus von Kues », Mitteilungen und Forschungsbeiträge (...)

6Il est curieux (et peut-être ne s’agit-il pas d’une simple coïncidence) que l’interprète de la pensée cusaine qui a joué un rôle pionnier dans l’approfondissement du concept d’infinitude a été le même qui, autant que nous le sachions, a utilisé pour la première fois l’expression « métaphysique du pouvoir » pour souligner l’anticipation de quelques traits de cet auteur dans ces derniers écrits. Je fais allusion à Mariano Álvarez-Gómez qui a écrit sa première dissertation sur la présence cachée de l’infini dans l’œuvre de Nicolas de Cues12 et, quelques années plus tard, a publié un petit article intitulé « Zur Metaphysik der Macht bei Nikolaus von Kues »13.

  • 14 De docta ignorantia I, IV, 11 (trad. H. Pasqua, Paris, Rivages, 2011, p. 55).
  • 15 Ibid.

7En vue de l’articulation que nous voulons établir avec la pensée cartésienne, il faut retenir, d’une part, que toute la démarche initiale du De docta ignorantia identifie infini et maximum, les concepts privilégiés, ici, selon une herméneutique des noms divins, et, d’autre part, que le maximum, surdéterminé par la conception de l’infini, compris comme « ce qui ne peut être plus grand » et comme « étant plus grand que ce que nous pouvons comprendre »14 est défini comme « omne id quod esse potest »15. Je pense que l’on peut voir déjà ici le commencement d’une métaphysique du pouvoir qui sera présente, quelques années plus tard, dans le De beryllo, un texte qui donne une importance particulière à la volonté libre du Tout-Puissant. Ici, après avoir dit que Dieu « crée toutes choses de par sa volonté » il ajoute :

  • 16 De beryllo, 37 (trad. fr. M. Corrieras, Ipagine, 2010).

Mais ces choses qui sont faites par sa volonté, elles sont dans la mesure où elles sont conformées à sa volonté, et ainsi la forme de celles-ci est l’intention de celui qui ordonne […]. Donc toute créature est intention de la volonté toute-puissante16.

  • 17 Ibid., 51. On peut comparer ces affirmations à celles de Descartes quand il affirme dans la lettr (...)

8Et Nicolas poursuit avec une comparaison qui, significativement, est aussi privilégiée par Descartes dans une de ses lettres où il parle de la création des vérités éternelles : celle du roi qui établit des lois en son royaume comme Dieu établit celles de la nature dont il dispose de manière toute-puissante17.

  • 18 De principio, 8.
  • 19 De apice theoriae, 4. Le même thème avait été déjà énoncé dans le Compendium, mais pas de façon a (...)
  • 20 Cf. De apice theoriae, 10.
  • 21 Ibid., « Memoriale de apice theoriae », Prop. VII, 23.

9La transition de la volonté infinie du Tout-Puissant vers une affirmation plus claire du pouvoir comme fondement ultime de toutes les choses commence dans le De principio, où ce fondement est dynamisé par la reconnaissance du principe selon lequel sa force augmente à la mesure de son unité, ce qui permet l’attribution au principe d’une vigueur infinie passant de lui à toutes les choses qui trouvent en lui leur principe18. Une année après le De principio, Nicolas de Cues écrit le De possest, le premier texte où cette métaphysique du pouvoir est formulée de façon explicite. En proposant et en développant le possest comme nom divin, le Cusain voit dans le Principe le pouvoir qui assure la possibilité de toute l’actualité et l’actualité qui réalise toute possibilité, c’est-à-dire le pouvoir absolu en acte absolu ou l’acte de la toute-puissance. Mais si le possest apparaît comme l’expression permettant de concilier la puissance absolue avec l’acte absolu, la dernière œuvre du Cusain, le De apice theoriae, considère qu’il est superflu de joindre l’idée d’actualité à l’idée de pouvoir, parce que le posse ipsum ne peut être que le pouvoir qui s’affirme en acte et qu’il suffit de désigner ce principe par le simple nom de pouvoir. Il me semble que c’est une métaphysique du pouvoir qui est ici formulée, comme le démontre le recours aux concepts d’ « hypostase » ou de « subsistance » pour désigner ce pouvoir19, comme si une métaphysique de la substance commençait ici à être réécrite à partir de la notion de pouvoir. Tout ce qui existe n’est qu’une apparition ou manifestation du posse ipsum 20, lequel, rapporté à l’homme, trouve dans la volonté sa pleine expression, ouvrant la perspective d’une articulation implicite entre une métaphysique du pouvoir et une métaphysique de la volonté. En effet, dans le pouvoir choisir sont articulés les trois pouvoirs du monde de la contingence, c’est-à-dire le pouvoir d’être, le pouvoir de vivre et le pouvoir d’entendre21.

2. Une métaphysique du pouvoir et de la volonté dans la pensée cartésienne

  • 22 Descartes, Cogitationes Privatae, AT, X, p. 218, l. 19-20 : « Tria mirabilia fecit Dominus : res (...)

10Le projet philosophique de Descartes, dans son articulation avec la tradition, se trouve résumé dans une de ses pensées les plus significatives datée de 1620 : « Le Seigneur a fait trois choses admirables : les choses à partir du rien, le libre arbitre et l’homme-Dieu »22. Au-delà de la résonance commune avec l’affirmation de l’Asclepius sur l’homme, on peut considérer que les deux grands thèmes auxquels le philosophe dédiera tous ses efforts spéculatifs sont déjà présents ici : la toute-puissance divine et la liberté de la volonté humaine (la troisième chose admirable nous renvoie plutôt au champ strictement théologique).

11La toute-puissance divine est au centre des premières réflexions que Descartes désigne explicitement comme métaphysiques dans la lettre à Mersenne du 15 avril 1630 :

  • 23 Cf. Lettre à Mersenne, 15 avril 1630 (AT, I, p. 145, l. 5-13).

Mais je ne laisserai pas de toucher en ma Physique plusieurs questions métaphysiques et particulièrement celle-ci : Que les vérités mathématiques, lesquelles vous nommez éternelles, ont été établies de Dieu et en dépendent entièrement, aussi bien que tout le reste des créatures. C’est, en effet, parler de Dieu comme d’un Jupiter ou Saturne, et l’assujettir au Styx et aux Destinées, que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui23.

12L’articulation de ce fondement d’une métaphysique du pouvoir avec une ontologie de l’ « ens ut causatum » et aussi bien l’extension des vérités éternelles au-delà du domaine des mathématiques, en vue d’inclure les essences même de toutes les choses, apparaît dans une lettre au même destinataire datée de la fin mai de la même année :

  • 24 Lettre à Mersenne, 27 mai 1630 (AT, I, 151, l. 1-2 e 152, l. 1-9).

Vous me demandez in quo genere causae Deus disposuit aeternas veritates ? Je vous réponds que c’est in eodem genere causae qu’il a créé toutes choses, c’est-à-dire ut efficiens et totalis causa. Car il est certain qu’il est aussi bien auteur de l’essence comme de l’existence des créatures : or cette essence n’est autre chose que ces vérités éternelles ; lesquelles je ne conçois point émaner de Dieu comme les rayons du soleil. Mais je sais que Dieu est auteur de toutes choses, et que ces vérités sont quelque chose, et par conséquent qu’il en est l’auteur24.

  • 25 Cf., pour le tableau de l’occurrence de la thèse de la création des vérités éternelles, Jean-Luc (...)
  • 26 Cf, à ce propos, Lettre à Mersenne, 15 avril 1630 (AT, I, p. 146, l. 14-19), Lettre à Mersenne, 6 (...)
  • 27 Descartes, Meditationes, III (AT, VII, p. 47, l. 19-20) : « Deum autem ita iudico esse actu infin (...)
  • 28 Ibid., III (AT, VII, p. 45, l. 26-29) : « Nam contra manifeste intelligo plus realitatis esse in (...)
  • 29 Id., Quintae responsiones (AT, p. 365, l. 6-8) : « Nec verum est intelligi infinitum per finis si (...)
  • 30 Cf. Jean-Luc Marion, Sur le prisme métaphysique de Descartes, Paris, PUF, 1986, p. 241-242.
  • 31 Ce contact a été bien documenté par Étienne Gilson dans La liberté chez Descartes et la Théologie(...)
  • 32 Pierre de Berulle, Discours de l’État et des Grandeurs de Jésus, dans Étienne Gilson, La liberté (...)
  • 33 Cf. Descartes, Lettre à Mesland, 2 mai 1644 (?) (AT, IV, p. 118, l. 6-12).

13Soulignons, pour l’instant et sans nous attarder, deux aspects : premièrement, ce topique du pouvoir infini ou de la volonté toute-puissante de Dieu ne se restreint pas aux lettres de 1630, mais, comme l’a démontré Jean-Luc Marion, est transversal à toute l’œuvre de Descartes, étant présent en particulier dans le Discours de la Méthode, dans les Méditations, dans les Cinquièmes et sixièmes réponses aux objections, dans les Principes de la Philosophie et aussi dans d’autres lettres de 1644, 1648 et 1649 25 ; deuxièmement, il y a pratiquement dans tous ces textes une indissociabilité entre le thème du pouvoir divin et le thème de l’infinitude, comme le démontre une analyse du détail des trois lettres de 1630, lesquelles voient dans la difficulté de concevoir un Dieu infini l’obstacle principal à une acceptation de la liberté radicale et du pouvoir sans limites du Dieu créateur26. Dans les Méditations, l’infinitude est une des caractéristiques, ou même la principale caractéristique, de Dieu27, mais cette infinitude est vue avec une positivité qui l’approche de toute l’ « élaboration conceptuelle proche du mysticisme néoplatonicien et de la mystique de Nicolas de Cues, parce qu’on reconnaît l’antériorité de l’infini28 qui, comme le réfèrent les Réponses aux cinquièmes objections et au contraire d’une lecture littérale du mot, ne doit pas être comprise comme la négation de la fin, alors que c’est justement le fini qui contient la négation de l’infini29. En dernière analyse, ici l’infini est vu comme une condition transcendantale de la possibilité du fini et de son expérience30, mais en même temps, par l’incompréhensibilité qui lui est associée, on suppose sa non-objectivité et, donc, son dépassement des limites humaines du connaître. Il me semble qu’on peut découvrir les vestiges et de la Théologie Négative et de la Mystique du Logos dans cette conception de Dieu et, alors, si la conception de l’infinitude accompagne et surdétermine la conception du suprême pouvoir de Dieu, on peut dire que Descartes répète, au xviie siècle, un parcours identique à celui que Nicolas de Cues a fait au xve siècle, quand il va d’une métaphysique de l’Infinitude à une Métaphysique du Pouvoir. Et si on ne peut pas parler d’une filiation directe, on peut trouver dans les rapports de Descartes des liens qui peuvent justifier cette convergence. Il n’est pas difficile de percevoir que la rencontre de Descartes, pendant les années 1628 et 1629, avec le Cardinal de Bérulle, fondateur de la Congrégation de l’Oratoire, prolongée par le contact avec Gibieuf dans les années suivantes31, peut avoir joué un rôle important dans la conception de Dieu, si on retient que les idées de Bérulle sont profondément marquées par des traits augustiniens et néoplatoniciens, en intégrant l’infinitude comme l’une des caractéristiques fondamentales de la nature divine. Soulignons simplement que le père fondateur des oratoriens, dans une proximité claire avec la pensée cusaine, compare à un cercle « l’activité divine qui va de soi-même à soi-même par soi-même » ; c’est lui aussi qui établit une analogie, aussi très cusaine, entre Dieu et une « sphère intellectuelle qui comprend tout et qui ne peut pas être comprise » et « dont le centre est partout et la circonférence nulle part » ; et, finalement, c’est lui qui définit, par conséquent, Dieu comme « infini, non mensurable et incompréhensible »32. Ce rapprochement avec le Dieu cusain a aussi une autre base : ce Dieu est, en même temps, étant donné sa puissance, un Dieu qui est antérieur au principe de non-contradiction, c’est-à-dire, qui se situe au-delà de ce principe et qui devient, de cette façon, source de l’opposition des opposés comme le révèle la lettre à Mesland, datée du 2 mai 1644, en articulant la liberté logique de Dieu avec une puissance qui ne peut avoir aucune limite33.

  • 34 Cf. Étienne Gilson, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartés (...)
  • 35 Cf. Jean-Luc Marion, Sur le prisme métaphysique de Descartes, op. cit., p. 250.
  • 36 Descartes, Primae responsiones (AT, VII, p. 110, l. 24-31).
  • 37 Ibid. (AT, VII, p. 110, l. 31 et p. 111, l. 1-8).
  • 38 Ibid. (AT, VII, p. 119, l. 11-16).
  • 39 Cf. Jean-Luc Marion, « Entre analogie et príncipe de raison : la causa sui », dans J.-M. Beyssade (...)

14Cette supposition d’une parenté entre le Cusain et Descartes se voit confirmée par le contexte dans lequel, dans les Réponses aux objections, émerge le concept de « causa sui ». Il nous semble évident que la notion de causa sui, avec toute l’attention et toutes les réserves qui la caractérisent dans la pensée cartésienne, est indissociable du concept de Dieu en tant que pouvoir suprême, et c’est pourquoi Étienne Gilson croit voir en Descartes « une nouvelle idée de Dieu »34 de même que Jean-Luc Marion voit dans ce topique la plus ancienne et la plus constante idée cartésienne de Dieu35. Cela apparaît déjà clairement dans les Réponses aux premières objections, où la positivité de la causa sui découle de l’affirmation de l’existence de Dieu per se, c’est-à-dire de la reconnaissance de l’immensité de sa puissance. Les affirmations suivantes, retirées de ces réponses, le démontrent avec évidence : 1) « Mais si nous avons recherché avant la cause par laquelle il est ou pourquoi il ne cessa pas d’être, et considérant l’immense et incompréhensible puissance qui est contenue dans son idée, la reconnaissons si pleine et si abondante qu’en effet elle soit la cause par laquelle il est et ne cesse d’être, et ne pouvant pas avoir autre que celle-ci, on dit alors que Dieu est par soi, non négativement, mais, au contraire, d’un mode maxime positivement »36 ; 2) « Parce que, quoiqu’il ne soit pas nécessaire de dire qu’il est la cause efficiente de soi-même, en craignant d’entrer en dispute des mots, toutefois, parce qu’on voit que ce qui fait qu’il soit par soi ou qu’il n’ait pas une cause différente de soi-même ne procède du rien mais de la réelle immensité de sa puissance, on peut penser qu’il fait par rapport à soi-même la même chose que la cause efficiente fait par rapport à son effet, et, donc, qu’il est par soi positivement »37 ; 3) « Après, parce que nous ne pouvons pas penser que son existence soit possible à moins que, en considérant en même temps sa puissance infinie, on connaît qu’il peut exister par sa propre force, on en conclura qu’il existe réellement et qu’il a existé dès toute l’éternité »38. On voit, à l’intérieur de ses affirmations, l’immense puissance de Dieu par rapport à son essence et à son existence, de telle façon que cette essence ne peut être conçue que comme existante, exclusivement par soi. Jean-Luc Marion a présenté, dans un colloque commémoratif des 350 ans de la publication des Méditations, une synthèse du développement du concept de cause de soi dans la pensée cartésienne et une référence à quelques occurrences dans la scolastique et chez d’autres penseurs médiévaux39. La scolastique (surtout saint Thomas et même Suarez, bien qu’avec une tonalité différente) refuse ce concept en raison de la contradiction interne qu’il implique, mais il y a quelques penseurs mystiques qui considèrent qu’une telle notion pourrait désigner davantage l’absence de cause qu’une cause au sens effectivement positif.

15Ce que je veux maintenant démontrer est que, sans pouvoir affirmer que le concept de causa sui est présent dans les textes de Nicolas de Cues, on peut toutefois, en analysant les textes, conclure que, d’une part, il y a un texte de Descartes où, quand il affirme la positivité de l’existence per se de Dieu, il se sert d’un exemple qui renvoie incontestablement à Nicolas de Cues, et, d’autre part, que Nicolas de Cues, sans entrer dans la contradiction de l’affirmation d’une causa sui à propos de Dieu, a aussi, en des termes qui sont très proches de Descartes, une conception très positive de l’existence per se de Dieu.

  • 40 Cf. Descartes, Quartae responsiones (AT, VII, p. 235 sq.).
  • 41 Ibid. (p. 236, l. 10-13) : « Cumque illa inexhausta Dei potentia, sive essentiae immensitas sit q (...)

16Dans les Réponses aux quatrièmes objections, Descartes reprend le thème de la causalité en Dieu40, en même temps qu’il nie que le concept de causa sui soit compris de façon univoque en tant que causalité efficiente, en vue de réaffirmer la positivité de l’existence de Dieu41. Il cherche alors un autre modèle afin de penser la positivité de cette existence et sa subsistance per se de façon telle que la cause ne soit pas antérieure à l’effet, mais simultanée, pour que l’impossibilité du recours au concept de cause efficiente ne conduise pas exclusivement à l’absence de causalité (nulla causa). Il va trouver ce nouveau modèle dans une symbolique qui, directement ou indirectement, a sa source justement dans les textes cusains :

  • 42 Ibid. (AT, VII, p. 239, l. 15-23) : « Ut autem apposite ad ipsam respondeatur, existimo necesse e (...)

Mais pour répondre de façon pertinente, je crois qu’il faut démontrer que entre la cause efficente au sens propre et aucune cause il y a quelque chose d’intermédiaire, c’est-à-dire l’essence positive d’une chose à laquelle on peut étendre l’idée ou le concept de cause efficiente de la même façon qu’on a l’habitude en géométrie d’étendre le concept d’une ligne circulaire, la plus grande qu’on peut imaginer, au concept d’une ligne droite, ou le concept d’un polygone rectiligne, qui a un nombre indéfini de côtés, au concept de cercle42.

  • 43 Cf. De docta ingorantia, I, III, 9 (pour le polygone et le cercle) et I, XIII, 36 (pour la ligne (...)
  • 44 De docta ignorantia, I, XXI, 64 : « Vides, quomodo totum maximum perfectissime est intra omne sim (...)
  • 45 Cf. Descartes, Lettre à Mersenne, 27 mai de 1630 (AT, I, 151, l. 1-2 e 152, l. 1-9) : « Vous me d (...)

17Deux observations préalables s’imposent ici : premièrement, l’approximation de la ligne courbe à la droite et l’approximation du polygone au cercle sont des exemples utilisés par Nicolas de Cues dans le De docta ignorantia 43 ; deuxièmement, la simultanéité et la coïncidence de la cause avec l’effet que Descartes prétend expliquer sont, elles aussi, assumées par Nicolas de Cues à partir de l’idée d’un cercle infini, dans lequel le centre, la circonférence et le diamètre coïncident dans l’unité divine infinie elle-même, qui, en tant que telle, est le principe, la fin et le milieu de toutes les choses et en même temps que sa cause efficiente, finale et formelle44 (dans une parenté, qui ne me semble pas forcée, avec la cause efficiente et totale dont parle Descartes45).

18Mais pour pouvoir établir une articulation plus significative avec la pensée et le discours cusain, je dirai que, dans le De principio, un texte profondément marqué par la pensée néoplatonicienne de Proclus, cet auteur n’affirmant pas explicitement la causa sui en Dieu, admet toutefois un contenu très positif dans l’affirmation de Dieu per se et per se subsistens. En effet, en refusant que les choses puissent être causa sui parce qu’elles ne sont pas per se subsistentes, dit le Cusain :

  • 46 De principio, 15 : « Omnia, quer per se non subsistunt, cum non sint ipsius causa neque a casu et (...)

Toutes les choses qui ne subsistent pas par soi, n’étant pas causes d’elles-mêmes, ni par hasard ni par fortune, lesquelles ne sont causes que par accident et non par soi et par essence, il faut qu’elles soient par une cause qui est la raison d’être subsistante par soi des choses46.

19Je crois entrevoir dans cette conception de Dieu comme raison d’être subsistant par soi une pensée qui s’approche de la pensée cartésienne. Et cette interprétation est aussi confirmée, dans la théologie et la métaphysique du pouvoir développée dans le De principio, par les affirmations qui se suivent sur le Principe et sur la nécessité de penser aussi une cause du principe, que Nicolas de Cues préfère ici appeler principe du principe :

  • 47 De principio, 13 : « Diceres : turbat audientem, quando dicis principii esse principium ; hoc eni (...)

Tu me diras : quand tu affirmes qu’il y a un principe du principe, celui qui t’écoute se trouble. Aucun philosophe, en effet, ne l’admet, car il faudrait procéder ainsi à l’infini et toute recherche de la vérité serait abandonnée, puisque le premier principe ne pourrait être atteint. Je te répondrai qu’il n’y a pas d’inconvénient à dire qu’il y a un principe du principe dans l’éternité47.

20C’est peut-être pour éviter la contradiction du concept de causa sui que Nicolas de Cues ne dit pas cause du principe, mais principe du principe ; toutefois, il me semble que la positivité de cette existence per se du principe est ici clairement affirmée.

21Ceci dit, je pense que l’idée cartésienne de Dieu, caractérisée par une nouveauté et une radicalité qui déconcertent ses contemporains, prolonge dans un certain sens une pensée s’articulant avec l’émergence d’une réflexion sur la positivité du pouvoir divin dans la mystique du haut Moyen Âge et que, outre, quelques concepts cartésiens ne peuvent être pensés que dans le cadre de cette mystique, laquelle offre la possibilité de penser un principe du principe en même temps que la possibilité de penser la coexistence de l’effet avec la cause en recourant à une logique de la coïncidence des opposés.

  • 48 Jean-Luc Marion, Sur le prisme métaphysique de Descartes, op. cit., p. 112-113.

22Pour pouvoir affirmer que toutes ses démarches ne configurent pas seulement une théologie du pouvoir, mais aussi une métaphysique du pouvoir, il faut retenir, également avec Jean-Luc Marion, qu’une métaphysique de l’ens ut cogitatum n’est pas le dernier mot de Descartes. Ce que l’émergence de la notion de causa sui démontre est l’élaboration d’une autre métaphysique qui a justement l’ens ut causatum comme protagoniste et centre de la réflexion48.

  • 49 Descartes, Primae responsiones (AT, VII, p. 108, l. 18-22) : « Dictat autem profecto lumen natura (...)
  • 50 Id., Secundae responsiones (AT, VII, p. 164, l. 28-29 et p. 165, l. 1) : « Nulla res existit de q (...)

23Si déjà, dans ce sens, les Réponses aux premières objections établissaient le principe selon lequel « la lumière naturelle nous dit qu’il n’y a aucune chose dont on ne peut demander pourquoi elle existe ou dont on ne peut pas chercher la cause efficiente, ou, ne l’ayant pas, postuler pourquoi elle n’en a pas besoin »49, les Réponses aux deuxièmes objections, en radicalisant cette position, établissent comme premier axiome qu’ « aucune chose existe dont on ne peut pas demander quelle est la cause par laquelle existe et que cela même on peut le demander de Dieu »50. À cette demande, Descartes prétend répondre avec l’idée de causa sui et que l’on peut conclure qu’elle donne la clef d’une métaphysique de l’ens qua causatum chez Descartes, laquelle n’est, en somme, qu’une métaphysique du pouvoir.

3. Le motif de l’homme imago Dei

24Le traitement que Descartes, dans le contexte de cette métaphysique du pouvoir, donne au motif de l’homme comme imago Dei, permet d’entrevoir l’inflexion de cette métaphysique du pouvoir dans le sens d’une anthropologie du pouvoir et de la volonté qui me semble, au moins, parallèle à la dynamisation que Nicolas de Cues, avec sa conception de la mens comme imago Dei, introduit aussi dans ce motif.

25On peut se demander : quelle est, dans l’homme, selon Descartes, la marque spécifique du divin ? Dans une lettre à Mersenne apparaît la réponse, en toute clarté :

Le désir que chacun a d’avoir toutes les perfections qu’il peut concevoir, et par conséquent toutes celles que nous croyons être en Dieu, vient de ce que Dieu nous a donné une volonté qui n’a point de bornes.

26Et il ajoute en des termes très significatifs :

  • 51 Descartes, Lettre à Mersenne, 25 décembre 1639 (AT, II, p. 628, l. 3-9).

Et c’est principalement à cause de cette volonté infinie qui est en nous, qu’on peut dire qu’il nous a créés à son image51.

27Descartes nous dit ici que par l’expérience de ma finitude je m’expérimente, en même temps, dans mon infinitude et l’expérience de mon infinitude est l’expérience de l’infinitude de ma volonté, dans laquelle je trouve l’image de Dieu. Tout devient clair : si Dieu est avant tout infini et si son infinitude se manifeste dans l’immensité de son pouvoir, il s’ensuit que l’homme ne peut rassembler à Dieu que par quelque chose d’infini et qui se rapporte à ce pouvoir. Cet infini existant dans l’homme est justement sa volonté. Dans la quatrième méditation ce motif est repris :

  • 52 Descartes, Meditationes, IV (AT, VII, p. 57, l. 11-15) : « Sola est voluntas, sive arbitrii liber (...)

Il n’y a que la volonté ou le libre arbitre que j’expérimente être en moi si grande que je ne conçois point l’idée d’aucune autre plus ample, en sorte que c’est elle principalement qui me fait connaître que je porte en moi l’image et la ressemblance de Dieu52.

  • 53 On peut citer Saint Bernard, Guillaume de La Terry et Richard de Saint Victor ; voir à ce propos (...)
  • 54 Idiota de mente, XIII, 149 ; (trad. fr. de H. Pasqua, Dialogues de l’Idiot, Paris, PUF, coll. « É (...)
  • 55 Sur la liberté chez Nicolas de Cues cf., parmi d’autres références, Klaus Kremer, « Gottes Vorseh (...)

28Le même thème est repris aussi dans une lettre à Christine de Suède, dans les Principes et dans les Passions de l’âme. Cette reconnaissance de la volonté comme étant la marque de la similitude avec Dieu a des sources mystiques et néoplatoniciennes53 ; elle me semble converger avec l’inflexion que Nicolas de Cues, dans le De mente, par exemple, introduit dans l’approfondissement de ce thème. Je crois avoir démontré dans une communication présentée au colloque à Rennes, en 2009, organisé aussi par Hervé Pasqua, que la conception cusaine de la mens est décisivement marquée par le concept de vis ou de potentia, c’est-à-dire de force ou de pouvoir, comme le démontre la métaphore du tableau vivant, dont la vie, implicitement, est la force de la volonté humaine dans l’acte de se rapprocher de son modèle54. On peut voir une claire anticipation du traitement cartésien de ce motif, dans le De visione Dei, un des textes où apparaît le thème de la liberté55 et où Nicolas de Cues affirme explicitement :

  • 56 De visione Dei, VI, 11 ; (trad. fr. H. Pasqua, L’Icône ou la vision de Dieu, Paris, PUF, coll. «  (...)

Tu m’as donné l’être, Seigneur, et un être tel qu’il peut se rendre toujours plus capable de ta grâce et de ta bonté. Et cette force que je tiens de toi, dans laquelle je garde l’image vivante de ta force toute-puissante, est la volonté libre par laquelle je peux ou augmenter ou diminuer la capacité de recevoir ta grâce56.

29Et on pourrait dire que l’inflexion décisive dans le sens d’une métaphysique du pouvoir qui caractérise le dernier texte du cusain vient confirmer cette possibilité de lecture. En effet, déjà dans le De possest, mais surtout dans le De apice theoriae avec l’interprétation de Dieu en tant que Posse, on peut voir aussi l’interprétation de l’homme et de sa mens en tant que imago Dei qui est déterminée par un principe profondément dynamique, de telle façon qu’elle sera définie comme image du pouvoir même :

  • 57 De apice theoriae, « Memoriale apicis theoriae », prop. VIII, 24 ; (trad. fr. H. Pasqua, La cime (...)

L’esprit (mens), donc, se voit. Et comme il voit que son pouvoir n’est pas le pouvoir de tout pouvoir, parce que beaucoup de choses lui sont impossibles, il voit à partir de là qu’il n’est pas le pouvoir lui-même (posse ipsum), mais l’image du pouvoir lui-même. Et ainsi comme il voit dans son pouvoir le pouvoir lui-même et qu’il n’est que son pouvoir être, il voit alors qu’il est un mode d’apparition du pouvoir lui-même57.

30On peut donc conclure que si la définition de Dieu comme pouvoir est le sommet de la spéculation cusaine sur les noms divins, la définition de la mens humaine comme mode d’apparition (non absolu, mais fini et limité) de ce même pouvoir est aussi le sommet de la spéculation cusaine concernant le dynamisme humain et le pouvoir de la mens.

31Avec ses considérations, je ne veux pas dire que la conception de la volonté, du pouvoir humain et de la liberté soit exactement la même chez Nicolas de Cues et chez Descartes. Je dis seulement qu’on peut constater chez eux un rapprochement entre la toute-puissance de Dieu et la volonté comme marque de Dieu en nous de même qu’un mouvement parallèle dans le sens de la valorisation de l’homme. Mais, ici, s’arrêtent les convergences parce que l’homme cusain reste encore inscrit dans une pensée profondément mystique et théologique.

4. Conception créatrice de la connaissance humaine et pensée sub specie machinae

32Cette valorisation du pouvoir de l’homme a une première manifestation dans la conception de la connaissance et nous permet un ultime rapprochement entre Nicolas de Cues et Descartes, tout en gardant à l’esprit ce qui les distingue.

33On trouve chez Nicolas de Cues la conception de la mens comme vis dans le Idiota de mente, ainsi que le démontre la comparaison entre le pouvoir de la mens divina dans le procès de l’explicatio de ce qui en elle est compliqué, auquel correspond la création, et le pouvoir de la mens humana dans le procès de l’explicatio de ce qui en elle est aussi compliqué, auquel correspond la connaissance. On constate également une conception du sujet humain comme créateur du monde et des conjectures postulant Dieu comme créateur du monde des choses. Toutes ces idées soulignent une vision très dynamique de la connaissance qui a permis a d’autres auteurs, comme Ernst Cassirer par exemple, de faire, à la limite, une lecture de Nicolas de Cues comme précurseur de Kant. Sans entrer dans une interprétation de la pensée cusaine aussi surdéterminée par la pensée du xviiie siècle, il me paraît possible de souligner une certaine convergence entre les principes gnoséologiques de la méthode cartésienne et la conception créatrice de la connaissance développée par Nicolas de Cues.

  • 58 Cf. Arno Baruzzi, Mensch und Maschine. Das Denken sub specie machinae, Munich, Wilhelm Fink, 1973 (...)
  • 59 Ibid., p. 58 : « In der Maschine deutete sich für den neuzeitlichen Menschen so etwas an wie ein (...)
  • 60 Georges Gusdorf, La révolution galiléenne, I, Paris, Payot, 1969, p. 236.
  • 61 Ibid., p. 239.
  • 62 Cf. le développement de cette idée dans Giambattista Vico, De antiquissima italorum sapientia, ca (...)
  • 63 Cf. Jean-Luc Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes, Paris, J. Vrin, 1993, spécialement les p (...)

34En effet, selon la lecture faite d’Arno Baruzzi à propos de l’essence de la pensée sub specie machinae, la machine apparaît comme le modèle qui montre la pensée dans son propre devenir objectif à partir de soi-même58. Le principe de la machine, en des termes physiques et corporels, réside dans sa factibilité59 et c’est cette factibilité qui est transférée à la pensée et devient modèle de la pensée. C’est aussi dans ce sens que la machine devient modèle de tout ce qui peut être défini par la transparence que sa visibilité présente aux yeux de l’esprit. En convergence avec cette interprétation, Georges Gusforf affirmait que, dans la pensée méchaniste, « le programme de toute explication sera de démonter et de remonter un domaine donné de la connaissance, de définir les parties constituantes, et de ressaisir le jeu d’action réciproque entre ces parties »60. Ainsi, dans cet âge mécaniste, dit Gusdorf, « la vérité est d’abord recherche d’une vérité, qui n’est pas donnée d’avance » et, pour ce motif, ajoute-t-il, « la connaissance, œuvre humaine, doit se conquérir et se justifier par les seuls moyens de la pensée »61. Le principe épistémologique qui est à la base et de l’interprétation de Baruzzi et de l’interprétation de Gusdorf pourrait être traduit par l’expression que Giambattista Vico nous offrira quelques années plus tard : « Verum et factum convertuntur », exposée dans De nostri temporis studiorum ratione, ou, selon l’autre version du De antiquissima itsalorum sapientiae, « Verum ipsum factum »62. C’est-à-dire l’homme ne connaît vraiment que ce qu’il construit lui-même. La méthode cartésienne développée par l’auteur dans les Regulae ad directionem ingenii, par son inspiration mathématique, va dans cette direction, comme l’a démontré Jean-Luc Marion en explicitant ce qu’il nomme l’ontologie grise63 et qui, devant le réel, se traduit dans une déconstruction de ce même réel dans son immédiateté et dans sa reconstruction à partir de la primauté des « natures simples » qui résultent de l’intuitus mentis. En effet, ce qu’on peut désigner comme l’essence du construit mathématique correspond à l’essence du construit mécanique : on ne connaît vraiment que ce que l’on construit par soi-même.

  • 64 Karl-Otto Apel, Die Idee der Sprache in der Tradition des Humanismus von Dante bis Vico, Bonn, Ar (...)
  • 65 Isaiah Berlin, Vico and Herder. Two studies in the History of Philosophy, Londres, The Hoggart Pr (...)
  • 66 Cf. Eugenio Garin, « Vico e Cusano », Bolletino del Centro di Studi Vichiani, VII, 1977, p. 138-1 (...)
  • 67 Cf. Giovanni Santinello, « Cusano e Vico a propósito di una tesi di K. O. Apel », Bolletino del C (...)
  • 68 Ibid., p. 146.
  • 69 De beryllo, 56 (voir trad. fr. de M. Corrieras, Le traité du béryl, Paris, Ipagine, 2010).
  • 70 De possest, 43 (trad. fr. H. Pasqua, Le pouvoir-est, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 2014).

35Sans prétendre voir dans le sujet cusain une pleine anticipation du sujet cartésien ou même du principe de Vico, il me semble que la présence, dans la conception cusaine de la mathématique, d’un critère proche du verum ipsum factum, bien que modulée par la référence à Dieu dont l’homme est l’image et qui constitue la vraie mesure de l’homme, peut justifier un rapprochement de la pensée cusaine et la pensée cartésienne découlant de tout ce que nous avons présenté jusqu’ici. Sous cet aspect, plusieurs auteurs se sont dédiés à la convergence de Nicolas et de Vico, les uns pour l’affirmer, comme Karl Otto Appel64 ou Isaiah Berlin65, les autres pour la nier ou l’atténuer, comme E. Garin66 ou G. Santinello67. La parenté peut être fragile mais même Santinello, tout en critiquant Appel, n’hésite pas à affirmer que « le voisinage entre la pensée de Vico et celle de Descartes sur ces points est indéniable et c’est le mérite d’Apel de l’avoir relevé et accentué »68. En effet, aussi bien le De beryllo, quand il affirme que les entités mathématiques sont entium rationis quarum nos sumus conditores 69, que le De possest, quand il dit que les entités mathématiques ex nostra ratione procedunt et que nous les savons avec précision, c’est-à-dire praecisione tali rationali a qua prodeunt 70, nous offrent, pour l’excellence de la connaissance mathématique, la même base qui est requise et par Descartes et aussi par Vico, en présupposant le pouvoir créateur de l’esprit humain.

36On peut finalement conclure que cette lecture de Descartes à partir de Nicolas de Cues, qui n’est pas une lecture de l’influence directe de l’un sur l’autre, sans prétendre voir chez Nicolas de Cues une anticipation de Descartes, nous aide à modérer les traditionnelles interprétations de la pensée cartésienne. S’il est vrai que l’on ne trouve pas encore chez Nicolas de Cues l’affirmation d’une pleine autonomie du sujet, on peut se demander s’il y a effectivement chez Descartes ce qu’on appelle d’habitude l’autonomie cartésienne du sujet. Il est possible que le sujet cartésien soit davantage déterminé par sa conception de Dieu, et par une conception de Dieu du haut Moyen Âge, que ne le croient beaucoup d’interprètes, et que son rationalisme partage encore, malgré l’évidence et la clarté avec lesquelles il se présente, quelques traits de mysticisme.

37Paradela da Cortiça, mars de 2014

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Notes

1 Descartes, Lettre à Chanut 6 juin de 1647 (AT, V, p. 51, l. 18-22).

2 Cf. AT, III, p. 500-501 et 506-507.

3 AT, VII, p. 239, l. 15-23.

4 Cf. Heinrich Rombach, Substanz, System und Struktur. Die Ontologie des Funktionalismus und der philosophische Hintergrund der modernen Wissenschaft, Freiburg/München, K. Alber, 1965, I, p. 400 sq.

5 Cf. Inigo Bocken, « Menslijke autonomie en godsvoorstelling. Descartes en Cusanus over de bekenis van de godsgedachte voor de constitutie van de subjectiviteit », dans id., Waarheid en Interpretatie. Perspectieven op het conjecturele denken van Nicolaus Cusanus 1401-1464, Maastricht, Shaker Publishers, 2002, p. 129-146.

6 Cf. Kirstin Zeyer, « Cusanus und Descartes », dans Harald Schwaetzer et Kirstin Zeyer, Das Europäische Erbe im Denken des Nikolaus von Kues. Geistesgeschichte als Geistesgegenwart, Münster, Aschendorff, 2008, p. 325-338. Je remercie Kirstin Zeyer et Cecilia Rusconi qui m’ont permis d’obtenir non seulement la référence de ce texte, mais aussi celle de deux autres textes de difficile accès : « Sehen und Laufen Theorie und Verfahren der Wahrheitssuche bei Cusanus und Descartes » et « Licht und Dunkel. Cusanische und cartesische Sehtheorie im Vergleich ».

7 Ockham, In Sententiarum, 1, Prol. Q. 2 [1), 1, 103.

8 Ibid., I, d. 10, q. 2, G.

9 Ibid., IV, 98-99 E.

10 Cf. Jean-Luc Marion, Sur la théologie blanche de Descartes. Analogie, création des vérités éternelles et fondement, Paris, PUF, 1981, p. 331-332.

11 Ockham, Quodlibet, VI, Q. 6 : « Dico quod quaedam Deus potest facere de potentia ordinata et quaedam de potentia absoluta. Haec distinctio […] nec est sic intelligenda quod aliqua potest Deus facere ordinate, quia Deus non potest facere inordinate. Sed est sic intelligenda quod posse aliquid aliquando accipitur cesundum leges ordinatas et institutas a Deo et illa Deus dicitur posse facere de potentia ordinata. Aliter accipitur posse pro posse facere illud omne quod non includit contradictionem fieri, sive Deus ordinavit se hoc factum, sive non ».

12 Cf. Mariano Alvarez-Gomez, Die verborgene Gegenwart des Unendlichen bei Nikolaus von Kues, München, Anton Pustet, 1968.

13 Cf. id., « Zur Metaphysik der Macht bei Nikolaus von Kues », Mitteilungen und Forschungsbeiträge der Cusanus-Gesellschaft, no 14, 1980, p. 104-112.

14 De docta ignorantia I, IV, 11 (trad. H. Pasqua, Paris, Rivages, 2011, p. 55).

15 Ibid.

16 De beryllo, 37 (trad. fr. M. Corrieras, Ipagine, 2010).

17 Ibid., 51. On peut comparer ces affirmations à celles de Descartes quand il affirme dans la lettre à Mersenne du 15 avril de 1630 (AT, I, p. 145, l. 13-16) : « Ne craignez point, je vous prie, d’assurer et de publier partout que c’est Dieu qui a établi ces lois en la nature, ainsi qu’un roi établit des lois en son royaume ».

18 De principio, 8.

19 De apice theoriae, 4. Le même thème avait été déjà énoncé dans le Compendium, mais pas de façon aussi explicite comme dans le De apice theoriae (Cf. Compendium, 29).

20 Cf. De apice theoriae, 10.

21 Ibid., « Memoriale de apice theoriae », Prop. VII, 23.

22 Descartes, Cogitationes Privatae, AT, X, p. 218, l. 19-20 : « Tria mirabilia fecit Dominus : res ex nihilo, liberum arbitrium et Hominem Deum ».

23 Cf. Lettre à Mersenne, 15 avril 1630 (AT, I, p. 145, l. 5-13).

24 Lettre à Mersenne, 27 mai 1630 (AT, I, 151, l. 1-2 e 152, l. 1-9).

25 Cf., pour le tableau de l’occurrence de la thèse de la création des vérités éternelles, Jean-Luc Marion, Sur la théologie blanche de Descartes…, op. cit., p. 270-271.

26 Cf, à ce propos, Lettre à Mersenne, 15 avril 1630 (AT, I, p. 146, l. 14-19), Lettre à Mersenne, 6 mai 1630 (AT, I, p. 150, l. 4-7), et Lettre à Mersenne, 27 mai 1630 (?) (AT, I, p. 152, l. 10-13).

27 Descartes, Meditationes, III (AT, VII, p. 47, l. 19-20) : « Deum autem ita iudico esse actu infintum, ut nihil eius perfectione addi possit ». Et encore : Descartes, Meditationes, IV (AT, VII, p. 55, l. 19-23) : « Cum enim iam sciam naturam meam esse valde infirmam et limitatam, Dei autem naturam esse imensam, incomprehensibilem, infinitam, ex hoc satis etiam scio innumerabilia illum posse quorum causas ignorem ».

28 Ibid., III (AT, VII, p. 45, l. 26-29) : « Nam contra manifeste intelligo plus realitatis esse in substantia infinita quam in finita, ac proinde priorem quodammodo in me esse perceptionem infiniti quam finiti, hoc est Dei quam mei ipsius ».

29 Id., Quintae responsiones (AT, p. 365, l. 6-8) : « Nec verum est intelligi infinitum per finis sive limitationis negationem, cum et contra omnis limitatio negationem infiniti contineat ». Nous ne sommes pas loin de Nicolas de Cues quand il affirme dans le De visione Dei (cap. 13, h VI, n. 53) : « Finis igitur qui est sui ipsius finis, est infinitus ; et omnis finis, qui non est sui ipsius finis, est finis finitus. Tu domine, qui es finis omnis finiens, ideo es finis cuius non est finis ; et sic fionmis sine fine seu infinitus ».

30 Cf. Jean-Luc Marion, Sur le prisme métaphysique de Descartes, Paris, PUF, 1986, p. 241-242.

31 Ce contact a été bien documenté par Étienne Gilson dans La liberté chez Descartes et la Théologie, Paris, J. Vrin, 1982, p. 157-210.

32 Pierre de Berulle, Discours de l’État et des Grandeurs de Jésus, dans Étienne Gilson, La liberté chez Descartes et la Théologie, op. cit., p. 169-170.

33 Cf. Descartes, Lettre à Mesland, 2 mai 1644 (?) (AT, IV, p. 118, l. 6-12).

34 Cf. Étienne Gilson, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, Paris, J. Vrin, 1930, p. 224-233.

35 Cf. Jean-Luc Marion, Sur le prisme métaphysique de Descartes, op. cit., p. 250.

36 Descartes, Primae responsiones (AT, VII, p. 110, l. 24-31).

37 Ibid. (AT, VII, p. 110, l. 31 et p. 111, l. 1-8).

38 Ibid. (AT, VII, p. 119, l. 11-16).

39 Cf. Jean-Luc Marion, « Entre analogie et príncipe de raison : la causa sui », dans J.-M. Beyssade et J.-L. Marion, Descartes. Objecter et répondre, Paris, PUF, 1994, p. 304-334. Cf. spécialement, pour les sources du concept de causa sui les p. 308-312, 319-324, la note 1 aux p. 308-309 et la note 1 à la p. 312.

40 Cf. Descartes, Quartae responsiones (AT, VII, p. 235 sq.).

41 Ibid. (p. 236, l. 10-13) : « Cumque illa inexhausta Dei potentia, sive essentiae immensitas sit quammaxime positiva, idcirco dixi rationem sive causam ob quam Deus non indiget causa, esse positivam ».

42 Ibid. (AT, VII, p. 239, l. 15-23) : « Ut autem apposite ad ipsam respondeatur, existimo necesse esse ostendere inter causam efficientem proprie dictam et nullam causam esse quid intermedium, nempe positivam rei essentiam, ad quam causae efficientis conceptus eodem modo potest extendi, quo solemus in Geometricis conceptum lineae circularis quammaximae ad conceptum lineae rectae, vel conceptum polygoni rectilinei, cuius indefinitus sit numerus laterum, ad conceptum circuli extendere ».

43 Cf. De docta ingorantia, I, III, 9 (pour le polygone et le cercle) et I, XIII, 36 (pour la ligne courbe et la ligne droite).

44 De docta ignorantia, I, XXI, 64 : « Vides, quomodo totum maximum perfectissime est intra omne simlex et indivisibile, quia centrum infinitum ; et extra omne esse omnia ambiens, quia circunferentia infnita ; et omnia penetrans, quia diameter infinita. Principium omnium, quia centrum ; finis omnium, quia circunferentia ; medium omnium, quia diameter. Causa efficiens, quia centrum ; formalis, quia diameter ; finalis, quia circunferentia. Dans esse, quia centrum ; gubernans, quia diameter ; conservans, quia circunferentia. Et horum similia multa ».

45 Cf. Descartes, Lettre à Mersenne, 27 mai de 1630 (AT, I, 151, l. 1-2 e 152, l. 1-9) : « Vous me demandez in quo genere causae Deus disposuit aeternas veritates ? Je vous répond que c’est in eodem genere causae qu’il a crée toutes choses, c’est-à-dire ut efficiens et totalis causa. Car il est certain qu’il est aussi bien auteur de l’essence comme de l’existence des créatures : or cette essence n’est autre chose que ces vérités éternelles ; lesquelles je ne conçois point émaner de Dieu comme les rayons du soleil. Mais je sais que Dieu est auteur de toutes choses, et que ces vérités sont quelque chose, et par conséquent qu’il en est l’auteur ».

46 De principio, 15 : « Omnia, quer per se non subsistunt, cum non sint ipsius causa neque a casu et fortuna, quae non sunt nisi causae per accidens et non per se et essentiales, oportet quod a causa sint, quae est per se subsistens essendi rerum ratio […] » (trad. de H. Pasqua, Opuscules, Rennes, Institut catholique de Rennes, 2011, p. 301).

47 De principio, 13 : « Diceres : turbat audientem, quando dicis principii esse principium ; hoc enim nullus philosophorum admittit, ne procedatur sic in infinitum et sublata sit omnis veritatis inquisitio, quando ad primum principium pertingi non posset. Dico enim inconveniens principium esse principii in aeternitate » [trad. de H. Pasqua, Opuscules, op. cit., p. 299]. Et quelques lignes après l’auteur ajoute dans une articulation de ces idées avec la notion d’infinitude en acte (15) : « Ideo non plus inconvenienter dicitur principium principii quam principium principiati, neque transire in infinitum hoc impedit, cum hoc sit in infinito actu ; aeternitas enim, quae est tota simul, non est nisi infinitas actu ».

48 Jean-Luc Marion, Sur le prisme métaphysique de Descartes, op. cit., p. 112-113.

49 Descartes, Primae responsiones (AT, VII, p. 108, l. 18-22) : « Dictat autem profecto lumen naturae nullam rem existere, de qua non licreat petere cur existat, sive in eius causam efficientem inquirere, aut, si non habet, cur illa non indigeat, postulare ».

50 Id., Secundae responsiones (AT, VII, p. 164, l. 28-29 et p. 165, l. 1) : « Nulla res existit de qua non possit quaeri quaenam sit causa cur existat. Hoc enim de ipso Deo quaeri potest […] ».

51 Descartes, Lettre à Mersenne, 25 décembre 1639 (AT, II, p. 628, l. 3-9).

52 Descartes, Meditationes, IV (AT, VII, p. 57, l. 11-15) : « Sola est voluntas, sive arbitrii libertas, quam tantam in me experior, ut nullius maioris ideam apprehendam ; adeo ut illa praecipue sit, ratione cuius imaginem quandam et similitudinem Dei me referre intelligo ».

53 On peut citer Saint Bernard, Guillaume de La Terry et Richard de Saint Victor ; voir à ce propos Jean-Luc Marion, Sur la théologie blanche de Descartes, op. cit., p. 407-409.

54 Idiota de mente, XIII, 149 ; (trad. fr. de H. Pasqua, Dialogues de l’Idiot, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 2011).

55 Sur la liberté chez Nicolas de Cues cf., parmi d’autres références, Klaus Kremer, « Gottes Vorsehung und die menschliche Freiheit », Mitteilungen und Forschungsbeiträge der Cusanus-Gsellschaft, no 18, 1989, p. 227-252, et Norbert Herold, « Die Willensfreiheit des Menschen im Kontext sittlichen Handelns bei Nikolaus Von Kues », Mitteilungen und Forschungsbeiträge der Cusanus-Gesellschaft, no 26, 2000, p. 145-179.

56 De visione Dei, VI, 11 ; (trad. fr. H. Pasqua, L’Icône ou la vision de Dieu, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 2016).

57 De apice theoriae, « Memoriale apicis theoriae », prop. VIII, 24 ; (trad. fr. H. Pasqua, La cime de la contemplation, Paris, Manucius, 2014).

58 Cf. Arno Baruzzi, Mensch und Maschine. Das Denken sub specie machinae, Munich, Wilhelm Fink, 1973, p. 57-60.

59 Ibid., p. 58 : « In der Maschine deutete sich für den neuzeitlichen Menschen so etwas an wie ein neues Lebensprinzip : das Prinzip der Machbarkeit ».

60 Georges Gusdorf, La révolution galiléenne, I, Paris, Payot, 1969, p. 236.

61 Ibid., p. 239.

62 Cf. le développement de cette idée dans Giambattista Vico, De antiquissima italorum sapientia, cap. I, dans Opere filosofiche (éd. de Paolo Cristofolini), Florence, Sansoni Editore, 1971, p. 62-74.

63 Cf. Jean-Luc Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes, Paris, J. Vrin, 1993, spécialement les p. 185-190 dans lesquelles se condensent les conclusions d’un parcours profond à l’intérieur des Regulae et autour de cette « ontologie grise » et des éléments qui la fondent et qui justifient une telle désignation.

64 Karl-Otto Apel, Die Idee der Sprache in der Tradition des Humanismus von Dante bis Vico, Bonn, Archiv für Begriffsgeshichte, Bd. VIII, 1963, avec traduction italienne L’idea della lingua nella tradizione dell’umanesimo da Dante a Vico, Bologne, Il Mulino, 1975.

65 Isaiah Berlin, Vico and Herder. Two studies in the History of Philosophy, Londres, The Hoggart Press, 1976, p. 142.

66 Cf. Eugenio Garin, « Vico e Cusano », Bolletino del Centro di Studi Vichiani, VII, 1977, p. 138-141.

67 Cf. Giovanni Santinello, « Cusano e Vico a propósito di una tesi di K. O. Apel », Bolletino del Centro di Studi Vichiani, VII, 1977, p. 141-150.

68 Ibid., p. 146.

69 De beryllo, 56 (voir trad. fr. de M. Corrieras, Le traité du béryl, Paris, Ipagine, 2010).

70 De possest, 43 (trad. fr. H. Pasqua, Le pouvoir-est, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 2014).

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Pour citer cet article

Référence papier

Joao Marie André, « Relire Descartes à partir de Nicolas de Cues »Noesis, 26-27 | 2016, 135-153.

Référence électronique

Joao Marie André, « Relire Descartes à partir de Nicolas de Cues »Noesis [En ligne], 26-27 | 2016, mis en ligne le 15 juin 2018, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/2646 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.2646

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Auteur

Joao Marie André

João Maria André, professeur de philosophie à l’Université de Coimbra (Portugal) et membre du conseil scientifique de la Société Cusaine. Il a fait sa thèse de doctorat sur Nicolas de Cues (« Sens, symbolisme et interprétation dans le discours philosophique de Nicolas de Cues ») et publié plusieurs études sur la pensée cusaine, spécialement sur sa philosophie et théologie du langage (par exemple, Nikolaus von Kues und die Kraft des Wortes, Trier, 2006). Il a traduit aussi en portugais les œuvres de Nicolas de Cues De visione Dei, De pace fidei, De docta ignorantia, De non aliud.

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