L’humanisme christologique de Nicolas de Cues. L’anthropologie religieuse du « De ludo globi »
Résumé
C’est peu de temps avant sa mort que Nicolas de Cues a redigé Le jeu de la boule, un dialogue à caractère pédagogique, où par une amusante métaphore il aborde presque tous les sujets difficiles de sa spéculation antérieure, se référant au tout de l’élaboration philosophique complexe à laquelle il s’est livré les années précédentes et dont il présuppose la connaissance. Dans ce dialogue, il y a une abondance de symboles, de métaphores, d’énigmes : après la mathaphore du jeu de la boule, qui par son élan représente la vie de l’homme microcosme lancé vers le Christ-Dieu, il reprend toute une symbologie mystique très riche et intéressante qu’il développe dans une perspective d’anthropologie christologique en employant aussi la métaphore de la richesse (pecunia) de Dieu qui forge les valeurs, Valeur des valeurs et de l’homme qui mesure dans son esprit mathématique toutes les valeurs.
Texte intégral
1La réflexion christologique de Nicolas de Cues n’a pas fait l’objet de recherches très approfondies, à quelques exceptions près, parmi les très nombreuses études consacrées à son œuvre. Les spécialistes se sont davantage intéressés aux implications idéalistes, panthéistes, existentialistes, ou nihilistes, qu’aux développements théoriques de sa pensée religieuse. Très souvent, on a voulu séparer l’ontologie et la métaphysique du Cusain de son fondement religieux et de la foi chrétienne. Dans le sillage de l’interprétation élogieuse faisant autorité d’Ernst Cassirer, Nicolas de Cues aurait été exclusivement l’initiateur de la philosophie moderne et le précurseur entre autre du néokantisme.
2Les principes de la philosophie christologique sont clairement énoncés dans le troisième livre de la Docte ignorance consacré à Jésus-Christ, le Médiateur. L’homme peut prier Dieu, resté longtemps inconnu et inaccessible en soi, parce que Dieu s’est révélé dans l’Homme-Christ : telle est la signification essentielle du message évangélique. Toutefois, c’est à l’intérieur de lui-même, ainsi que le soutenait saint Augustin, que l’homme peut saisir Dieu, s’approcher de Lui, et trouver son bonheur dans son propre perfectionnement intérieur. C’est en partant de lui-même et de sa propre mens que l’homme saisit Dieu en lui-même non pas immédiatement, mais par l’intermédiaire du Christ dont il est l’image. Le Christ est l’exemplaire ineffable, unique, absolu, qu’est Dieu. Il est le maximum absolu maximalement contracté dans la nature humaine. C’est en partant de soi-même, de sa propre mens, que, par l’intermédiaire du Christ et non à travers le monde, l’homme appréhende Dieu : humanisme christologique, par conséquent, et non cosmologique.
3Dans le De mente le Cusain soutient que l’esprit de l’homme a été créé à l’image du Verbe divin. C’est pourquoi, de même que Dieu crée les étants et la beauté du monde, l’homme peut créer la « peinture » du monde à partir de sa propre mens, laquelle est « le lieu de la proportion », il peut créer les notions des choses, leurs nombres et leurs mesures. L’homme est donc le créateur de la science et de l’art, le peintre de l’Univers, comme Dieu est le créateur de sa réalité.
4Le mystère de l’union du divin et de l’humain dans la nature du Christ est explicité par la distinction entre trois concepts de l’infini : 1) Dieu, infini inconnaissable en soi parce qu’il est le maximum absolu où le maximum et le minimum coïncident, est une notion qui, étant incompréhensible, exprime l’infini négatif ; 2) l’Univers, maximum contracté indéterminé, c’est-à-dire sans limite ou détermination, exprime l’infini privatif ; 3) le Christ, Fils de Dieu, maximum contracté maximalement dans son humanité, est l’infini contracté.
5Alors que la contraction de l’univers est indéterminée et non absolue, en Jésus-Christ l’humanité est contractée, à savoir déterminée sur le mode absolu et maximal, et c’est la maximité de sa contraction humaine qui en assure l’union avec Dieu qui est Maximité absolue et infinie.
6Entre le troisième livre de la Docte ignorance et le De mente, l’humanisme christologique s’approfondit et s’enrichit de suggestions nouvelles, et durant les cinq dernières années de sa vie, l’analyse de Nicolas s’étend à tous les recoins de la nature humaine aboutissant à une véritable anthropologie religieuse. C’est à ce moment qu’il éprouve le besoin de consacrer un dialogue en deux livres à ce sujet : le De ludo globi. C’est une période d’intense activité spéculative, qui concerne tous les ouvrages écrits sous le pontificat de Pie II, malgré la complexité des tâches politiques, ecclésiastiques et diplomatiques qui lui sont confiées : les négociations avec les Hussites, les controverses avec les Chevaliers de l’ordre teutonique, son conflit avec le Duc du Tyrol, les difficultés rencontrées en tant que légat urbis de Pie II pour réconcilier les grandes familles romaines, la croisade contre Mahomet II. Et, pourtant, c’est durant ces mêmes années tourmentées que sa remarquable capacité spéculative, loin de baisser, le conduit – après le tournant linguistique du De non aliud en 1461 – à repenser et à réorganiser toutes ses élaborations précédentes sous une forme différente, plus claire et plus facile à comprendre. Ainsi, en 1462, le Cusain écrit le De venatione sapientiae, en 1463, le De ludo globi et le Compendium, puis, en 1464, le De apice theoriae, en se servant avec beaucoup d’imagination de certaines métaphores, comme par exemple celle de la « chasse » pour la recherche de la sagesse ou celle du « jeu de la boule », ce qu’il avait déjà fait dans le De visione dei en développant la métaphore de l’Icône.
7Dans le Jeu de la boule, le Cusain expose une doctrine philosophique de la nature humaine, assez mûre et articulée d’un point de vue ontologique et métaphysique, au moyen de laquelle il distingue nettement deux niveaux étroitement connectés entre eux : l’un est religieux-philosophique, fondé sur la vérité révélée de la nature humaine et divine de Jésus-Christ dont l’homme est l’image ; l’autre est entièrement ontologique et métaphysique, il est consacré aux multiples voies de l’expérience de la foi de la part de l’âme, en fonction de son entité constitutive.
8Autrement dit, dans le De ludo globi, le Cusain, après avoir traité de la mens en tant qu’image de Dieu, reprend l’idée platonico-néoplatonicienne selon laquelle elle est essentiellement une âme aux multiples potentialités diverses en tant que vie, volonté, énergie psychique. Son entité ne consiste pas dans la pure et simple contemplation du visage de Dieu, inaccessible comme le Cusain l’a expliqué dans son De visione dei (le traité qu’il a rédigé à l’intention des moines de Tegernesee), mais elle a en elle-même la conscience de la transcendance, en tant que conscience de la limite de ses possibilités et de sa faillibilité, ce qui encourage son effort d’auto-dépassement en vue d’atteindre les formes les plus hautes de l’esprit, jusqu’à Dieu qui en lui-même est inatteignable alors que, grâce à sa révélation en Jésus-Christ, il ne l’est plus.
9Dans les Dialogues de l’Idiot sur la sagesse la doctrine anthropologique de la mens est entièrement centrée sur l’idée de sa créativité cognitive en tant qu’énergie compliquante, créatrice de concepts, et activité mesurante. La mens est mensura de l’univers : en tant qu’image de Dieu créant les entités, elle mesure et crée des nombres et des proportions et construit la science du monde. Dans Le jeu de la boule, ouvrage de sa maturité, tout en restant cohérent avec les principes de la Docte ignorance, le Cusain s’engage dans une opération spéculative aboutissant à une sorte de « métaphysique » de la disjonction entre le plan ontologique de Dieu donnant l’être (appelant à l’être) et le plan gnoséologique de la connaissance humaine énonçant les concepts sans autre médiation logique que celle purement nominale des symboles, des métaphores, des images, des noms, comme il l’expose dans le Compendium rédigé la même année que le De ludo globi.
10Les noms dont on use en parlant (métaphores, exemples, images) ne sont rien d’autre que les différents et multiples modes de connaître et d’être d’une réalité déjà établie, appelée par Dieu à être saisie et qui pour nous reste inconnaissable.
11À mon avis, le Cusain recompose le thème de la disjonction entre le plan de l’être et celui du connaître de manière à confirmer l’exclusion de toute interprétation immanentiste, par/avec l’idée de la qualité métaphorique, modale, de la connaissance de l’homme, envisagée aussi sous l’aspect de sa condition cosmique, liée aux possibilités diverses et variées de connaître et de vivre de chaque homme dans le monde et avec ses semblables. Par la métaphore du lancer de la boule (symbolisant l’élan de la vie de chacun), en citant d’abord la diversité de la vitesse initiale de chaque mouvement (à savoir de l’énergie que chaque homme possède dans sa vie), le Cusain reprend, sous un angle différent, l’idée de l’âme de l’homme comme étant une réalité originaire projetée dans la transcendance et une conscience polyédrique de la transcendance elle-même, selon les différences entre la multiplicité des individus humains, qu’il présente en faisant appel au concept philosophique de la contraction, qui distingue la nature humaine de la nature divine, ainsi qu’il l’avait déjà annoncé dans la Docte ignorance, et des individus entre eux.
12L’homme a été racheté par la passion, la mort et la résurrection du Christ, mais si la rédemption du Christ dans l’enseignement médiéval signifiait libération et refus du monde, pour le Cusain elle signifie récupération du monde terrestre, avec toutes ses contradictions. On peut dès lors, à juste titre, voir en lui un représentant de l’Humanisme du xve siècle et, proprement, un humanisme christologique. Le cadre du discours sur la foi gagne en amplitude et en profondeur, par rapport au domaine strictement philosophique, grâce à la complexe élaboration du thème métaphysique de l’unité infinie, non contractée, de Dieu, se compliquant dans le Posse infini de Dieu, et de l’unité contractée finie de l’homme qui en caractérise la différence.
13Ainsi, dans le Jeu de la boule, le Cusain expose à nouveau le thème de la contraction en développant une anthropologie qu’on pourrait définir : une métaphysique de la contraction humaine. Par l’intermédiaire de ce concept, qu’il emprunte à l’école néoplatonicienne albertiste, le Cusain explicite la différence entre l’absolu pouvoir faire de Dieu (Posse est, Posse), le pouvoir faire (fieri) de l’homme et le pouvoir être fait (factum) lorsqu’il se réalise, en expliquant la différence entre le posse divin et le posse humain, mais surtout la différence des hommes entre eux qui ne réalisent pas tous de la même manière le posse fieri. C’est ainsi qu’il introduit dans ce dialogue le problème de la liberté, du mal, de l’erreur, du hasard et de la contingence : la différence entre Dieu et l’homme s’établit sur la base du Posse absolu de Dieu, où son entité coïncide avec son unité, et du Posse fieri de l’homme qui est énergie, activité, force contractée, élan de mouvement, en qui néanmoins l’entité ne coïncide jamais avec l’unité. L’égalité absolue indivisible n’appartient qu’à Dieu où le maximum et le minimum coïncident, alors que chez l’homme son entité qui est en devenir et se fait sans cesse tend à l’unité qui est perfection sans jamais l’atteindre.
- 1 Cf. Le don du père des lumières, dans Opuscules, éd. H. Pasqua, Rennes, Publications du Centre de (...)
14Si, en Dieu, il y a identité entre être et se connaître (cette égalité de la proportion d’identité absolue est le point indivisible, l’atome spirituel par lequel le Cusain désigne ici l’Absolu), dans l’âme humaine, il y a un décalage qui fait en sorte qu’il n’y ait ni coïncidence ni identité entre l’unité de l’âme humaine et son entité. L’entité humaine en général est la complication de toutes les possibilités, mais aussi en même temps, par son individualité, elle est contraction selon le libre arbitre qui peut être limitant. Dans ce dialogue apparaissent avec un certain relief le thème de l’importance de la liberté pour les actes humains et celui du conditionnement imposé par sa matérialité. Le Père des lumières nous donne l’illumination que chacun reçoit selon sa contraction individuelle, c’est-à-dire selon ses possibilités libres : c’est ainsi que cette illumination devient une force participée d’explication (à savoir de développement et de réalisation)1.
15Dans le De ludo globi le Cusain présente un classement intéressant des étants distingués selon leur complication. Ils sont contenus dans l’étant en général qui complique en lui-même les existants selon trois ordres, à savoir : 1) le Christ, intellect éternel ; 2) les intelligences perpétuelles, à savoir les anges et l’âme du monde ; 3) les raisons temporelles de ce qui sur la terre s’écoule : le temps et la mort.
16Chez l’homme, cette complication se contracte selon la symbologie numérique des quatre régions quaternaires du sens, de l’imagination, de la raison et de l’intelligence.
17Dans un ouvrage de jeunesse, Les conjectures (1441-1444), qui lui avait valu l’accusation de panthéisme de la part de Jean Wenck, le Cusain avait conçu la contraction de l’activité des étants selon la théorie néoplatonicienne hiérarchique d’après laquelle la contraction est une détermination et une limitation, une individuation du supérieur dans l’inférieur. Dans le Jeu de la boule, il abandonne cette conception rigide de la contraction qu’il ouvre à tous les êtres vivants, dans toutes les directions, parce qu’au centre du monde il y a l’homme, en tant qu’âme et force de vie mentale et spirituelle, donnant réalité au monde qui l’entoure. Il est un microcosme, un dieu occasionné ; par la force de la mens, il attribue la « valeur » – qui est nombre est mesure – à ce qui l’entoure. Voilà donc que, dans le Jeu de la boule, le Cusain reprend l’idée fondamentale de la Docte ignorance de la capacité distinctive de la raison comme précision mathématique et puise aussi, dans le dialogue De mente, l’idée que l’esprit est le lieu de la proportion en y ajoutant l’idée de son énergie compliquante et expliquante, qui crée des images, invente les arts, le jeu, et la capacité d’attribuer de la valeur – comme la beauté – au monde. Aussi, l’homme est-il différent du reste du monde et le Cusain le place au centre du monde comme s’il en était le « géographe ». L’homme est le microcosme puisant en lui-même le macrocosme qui n’existe pas en soi, mais dans sa mens qui le reconstruit en agissant comme le ferait le géographe. Celui-ci dresse la carte d’un monde, qu’il ne connaît pas, d’après les messages qu’il reçoit de l’extérieur. Il est comme une ville pourvue de cinq portes – à savoir les cinq sens – par lesquelles entrent les ambassadeurs du monde entier qui lui annoncent comment le monde est fait, et lui il dresse sa carte selon les descriptions qui lui ont été annoncées. Et de même que la carte renvoie au monde, l’homme-géographe renvoie au Créateur.
18L’homme est un étant qui renferme en lui tout contraire et toute contradiction, c’est pourquoi lorsqu’elle s’élève jusqu’à la contraction de la vision intellectuelle, sa mens ayant dans une mesure non éminente la vision du tout est une sorte de perspective et sur le tout et du tout. Cette ouverture, cette dilatation, dépendant de l’impulsion donnée au lancer de la boule par chacun de nous, fait que chaque joueur de notre monde se rapporte au tout selon le mode de la distinction du plus et du moins, relative certes, mais toujours proportionnelle, de sorte que l’harmonie règne entre tous les participants au jeu. Avec l’exemple du jeu de la boule (dont on sait qu’il était à la mode), le Cusain introduit l’importance des règles du jeu et de leur respect (de la « discipline ») parce que l’homme joue toujours avec les autres hommes et que, par conséquent, le jeu de la vie représenté par le jeu de la boule est aussi relation, communication, socialité avec tous les autres joueurs jouant dans le monde. Or, l’un des arguments les plus importants de ce dialogue est représenté par l’illustration du motif pour lequel plusieurs individus, ou bien ne se lancent pas avec le même élan vers le même but – qui est Jésus-Christ –, ou bien retombent sur eux-mêmes et n’atteignent jamais le plus ultime des cercles du jeu. C’est par cette métaphore que le Cusain introduit le thème du mal, de l’erreur, en usant de la terminologie traditionnelle de la philosophie de l’école de son temps, évoquant la vertu, la nécessité, la contingence, la possibilité, ou la matière, la chance, le hasard. Mais il explique toutes ces notions d’une façon originale, sur la base de sa propre doctrine de la toute-puissance divine qui, définie d’abord Posse est dans l’un de ses derniers ouvrages – La cime de la contemplation – devient tout simplement Posse sans aucune adjonction. Autrement dit, Dieu est toute-puissance manifestant partout son pouvoir, même si c’est dans la forme participée des êtres multiples, finis et limités. En d’autres mots, plus simples et accessibles, le Cusain vise à exclure la réalité du mal, du mal absolu, métaphysique, dans la mesure où d’un point de vue philosophique Dieu, qui est toute-puissance absolue, en tant qu’égalité absolue indivisible de soi-même, exclut hors de lui-même l’autre, le divers, le divisé, en termes bibliques le Démon, et a envoyé dans le monde son Verbe qui a racheté tous les hommes en leur donnant la possibilité du salut éternel, la conversio Dei.
19Aussi, la toute-puissance divine est reçue d’une façon différente et non identique par chacun grâce au don de la liberté : ce qui signifie que l’homme participe de cette toute-puissance d’après un pouvoir qui peut ou ne peut pas être plus ou moins important selon ses propres dispositions et selon les circonstances constituées par la multiplicité finie à laquelle il appartient. Ainsi, lorsque l’individu se lance comme une boule dans l’activité de la vie, sa volonté intervient en le poussant vers le haut ou bien en le faisant tomber en bas, si sa force est plus faible.
20Les aspérités du terrain et de la surface extérieure de la boule, représentant les facteurs casuels et contingents du mouvement de la vie, dépendent des possibilités du devenir (fieri) humain qui se renouvellent continuellement. Elles jaillissent des heurts et des rencontres de tous les mouvements des individus différents, ce qui signifie qu’ils participent différemment de la Lumière divine vers laquelle ils doivent s’élancer, selon les quatre contractions dont le Cusain avait parlé aussi dans les Conjectures, et selon la figure mystique de la décade. Elle exprime par métaphore la vision de Dieu, qu’on ne peut atteindre que par l’effort de dégagement des quatre modes de la contraction, ou d’une participation limitée. Par conséquent, le Cusain n’exclut pas complètement le hasard et la chance de la sphère de l’activité de la vie, qui dépend de la communication, des rencontres ou des heurts avec les autres joueurs. Toutefois, le lancer de la boule peut être correctement dirigé si la vertu prévaut toujours, si la boule a été bien éduquée, bien élevée et si on l’a bien instruite sur la capacité réelle et le but de l’activité humaine. Elle vise à atteindre la connaissance et le savoir, qui est la « saveur » de l’intellect. On comprend aisément le caractère pédagogique et religieux attribué à ce dialogue, par-delà les pages théoriquement les plus engagées pour expliquer le mal et la faiblesse de l’être, dans la mesure où l’enseignement véritable consiste dans la connaissance suprême de Dieu. Il est l’un des éléments premiers et fondamentaux, afin que le mouvement du lancer de la boule soit bien orienté vers son centre, qui est le Christ. L’importance de la volonté, de l’éducation, de l’engagement dans la vie de l’homme est fondamentale dans cet ouvrage du Cusain, et représente une articulation philosophique de sa christologie et de son idée de l’homme-microcosme. Toutefois, il nous semble que l’enseignement de Nicolas de Cues ait une signification autre que la très célèbre exaltation du De dignitate hominis de Jean Pic de la Mirandole, auquel sa conception de l’homme a été comparée. Pic, tout en insistant lui aussi sur la liberté de l’homme, en fait un être polyédrique, multiforme, un « caméléon » chez qui la possibilité de « se faire bête » est placée sur le même plan métaphysique que la possibilité de « se faire ange ». Par contre, il apparaît que le concept cusain de la dignité de l’homme-microcosme exclut la possibilité que ses possibilités polyédriques permettent à l’individu de franchir la limite de la bestialité, de se faire le Dieu-Démon, parce que la christologie du salut défendue positivement par Nicolas de Cues sur la base de l’idée du Christ triumphans met des limites en deçà de la bestialisation du mal aux possibilités intrinsèques de la nature humaine. En d’autres termes, l’anthropologie christologique du Cusain est foncièrement positive et confiante dans les possibilités de réalisation de la fin éthique et religieuse des entreprises humaines, soustraites à toute conception religieuse magique dualisto-gnostique de ce même pouvoir humain.
21Dans ce dialogue, en exaltant les possibilités de la nature humaine rachetée par la maximité de l’humanité de la nature du Christ, le Cusain se place du point de vue de la confiance en l’homme et dans ses plus hautes possibilités cognitives et créatives, telles que la science et l’Art. C’est pourquoi on peut le considérer comme étant l’un des représentants de premier plan de la nouvelle philosophie de l’Humanisme et de la Renaissance.
Notes
1 Cf. Le don du père des lumières, dans Opuscules, éd. H. Pasqua, Rennes, Publications du Centre de recherche de l’Institut catholique de Rennes, 2011, p. 124-152, Le principe, ibid., p. 290-378. [Dans le dialogue sur la Génèse le Cusain applique la définition d’Albert le Grand pour qui la participation advient « selon la disposition du recevant », en particulier : Le principe, Le don du père des lumières].
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Référence papier
Graziella Federici-Vescovini, « L’humanisme christologique de Nicolas de Cues. L’anthropologie religieuse du « De ludo globi » », Noesis, 26-27 | 2016, 125-133.
Référence électronique
Graziella Federici-Vescovini, « L’humanisme christologique de Nicolas de Cues. L’anthropologie religieuse du « De ludo globi » », Noesis [En ligne], 26-27 | 2016, mis en ligne le 15 juin 2018, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/2636 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.2636
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