Avant-propos
Texte intégral
1Les textes ici rassemblés sont le fruit d’une initiative franco-britannique qui, sur une période de deux ans (2001-2003), et au cours de quatre séances de travail, se donna pour but, dans un esprit d’ouverture et de questionnement, d’analyser de près le rapport de la pensée de Heidegger aux sciences en général, et aux sciences de la nature en particulier. Le foyer de ce projet fut, en France, le Centre de Recherche en Histoire des Idées de l’Université de Nice Sophia-Antipolis et, en Angleterre, le département de philosophie de l’Université de Warwick, auquel se joignirent des chercheurs de l’Université de Manchester Metropolitan et du Staffordshire. Un tel projet n’aurait pu voir le jour sans le généreux concours du Centre National de la Recherche Scientifique et de la British Academy. Qu’ils en soient ici remerciés. Mais c’est avant tout vers Dominique Janicaud, cet esprit rare et fin, qui prit la tête de ce projet avec l’enthousiasme, l’humour et l’esprit d’organisation qui le caractérisaient, que vont notre reconnaissance et nos pensées affectueuses. Sa disparition, survenue avant notre ultime rencontre, qui devait porter, entre autres, sur son remarquable ouvrage, La Puissance du rationnel (1985), explique pourquoi nous n’avons pas pu inclure de texte de sa main. Ce recueil, tout entier traversé de son absence, lui est bien évidemment dédié, en hommage cordial. Nous souhaitons aussi exprimer notre gratitude à Noesis, qui a généreusement accepté d’accueillir ce collectif, ainsi qu'à Jean- François Lavigne pour son aide précieuse.
2En guise d’introduction, nous ne ferons que reprendre brièvement les termes de la problématique d’ensemble arrêtée au seuil de notre projet. Il s’agissait, pour nous, d’étudier sérieusement et de façon méthodique le rapport de la pensée heideggerienne aux sciences, et de soumettre à une analyse rigoureuse le consensus de fait qui semble s’être établi pour considérer cette pensée comme antirationaliste, antiscientifique, hostile à la technique moderne ou, au mieux, indifférente aux développements effectifs des sciences exactes. Tous les textes ici rassemblés démontrent, chacun à sa façon, qu’un tel consensus ne résiste pas à l’analyse, et que l’« explication » de Heidegger avec la science, loin de participer d’une ignorance envers ses orientations principales, et d’une indifférence à l’égard de son évolution, témoigne d’une réelle connaissance, toujours réactualisée, de ses concepts fondamentaux et de ses débats essentiels. Nous avons donc bien affaire à une appréciation de la science moderne qui est systématique, spécifique, et en évolution constante. Elle n’est ni monolithique ni hostile à la science, mais soucieuse d’entretenir avec elle un rapport questionnant. De bout en bout, il s’est agi pour Heidegger d’interroger la nature du rapport de la philosophie à la science, et de situer l’une par rapport à l’autre. C’est peut-être sous le signe d’un dialogue, mais d’un dialogue critique, qu’il convient le mieux d’envisager ce rapport. C’est dans le même esprit que nous avons nous-mêmes abordé notre lecture de Heidegger. Aussi, aux côtés d’exposés de la position heideggerienne, ne s’étonnera-t-on pas, sur tel ou tel point, de voir émises des réserves et formulées des objections.
3L’organisation de ce collectif découle tout naturellement du diagnostic que nous venons de formuler. Elle vise à saisir la singularité de l’approche heideggerienne en rendant compte, d’une part, de son évolution, des écrits de jeunesse à ceux contemporains du « tournant » et de la « pensée méditante », et, d’autre part, en analysant dans le détail les textes consacrés aux mathématiques, à la physique et à la biologie, ainsi qu’aux rapports des sciences à la Technique (sur lesquels devaient porter l’intervention principale de Dominique Janicaud). Dans un cas comme dans l’autre, bon nombre d’autres textes ou d’autres aspects de la pensée du maître de Fribourg auraient pu être abordés. Nous en sommes bien conscients et avons dû, avant chaque séance, effectuer des choix stratégiques qui, en se concentrant sur tel texte ou telle science, en délaissaient d’autres, parfois importants. En réalité, nous dûmes très vite décider de nous en tenir aux sciences exactes, remettant à plus tard l’analyse des textes portant sur les sciences dites de « l’esprit » (l’histoire et la psychopathologie au premier chef). Un tel compromis atteste non seulement des limites, temporelles comme humaines, auquel notre travail s’est vu astreint, mais aussi et surtout de la richesse de la pensée d’Heidegger s’agissant de cette question, trop souvent ignorée, et dont l’aspect décisif n’a fait, au fil des séances et des discussions, que s’imposer à nous avec plus de force. Aussi, et malgré le titre de ce collectif («Heidegger et les sciences»), les problèmes et les textes ici abordés n’épuisent pas la complexité de la problématique qui les gouverne. Nous espérons toutefois en donner un réel et solide aperçu, et ainsi combler une lacune.
Pour citer cet article
Référence électronique
Miguel de Beistegui, « Avant-propos », Noesis [En ligne], 9 | 2006, mis en ligne le 10 juillet 2007, consulté le 27 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/261 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.261
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page