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Scot Érigène et Nicolas de Cues : « processio et explicatio »

Agnieszka Kijewska
Traduction de Magdalena Sowa
p. 99-111

Résumé

L’article est consacré à la conception de processio et d’explicatio dans un contexte historique et doctrinal du néoplatonisme de l’école d’Athènes et puis dans le néoplatonisme chrétien médiéval (Jean Scot Érigène et Thierry de Chartres). C’est à Thierry de Chartres que le Cusain a emprunté les termes-clefs : complicatio-explicatio décrivant la relation de la Cause Première et de la multitude de ce qui en procède, aussi bien que expliquant la relation parmi l’immanence et la transcendance Divine.

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Texte intégral

  • 1 A. C. Lloyd, « The Later Neoplatonists », dans A. H. Armstrong (éd.), The Cambridge History of La (...)
  • 2 Cf. Stephen Gersh, From Iamblichus to Eriugena. An Investigation of the Prehistory and Evolution (...)
  • 3 Cf. Proclos, The Elements of Theology, 35, éd. E. R. Dodds, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 38- (...)
  • 4 Ibid., 26, p. 30-32 : Παν το πρακτικον αιτιον αλλων μενον αυτο εφ εαυτου παραγεο τα μετ αυτο και (...)

1La conception de processio et d’explicatio exige d’établir ces deux termes dans un contexte historique et doctrinal concret. La théorie de la causalité, basée sur le triple schéma de la structure de la réalité, a été élaborée dans la philosophie néoplatonicienne et avant tout dans l’école d’Athènes1. Le même processus de provenance des échelons successifs de la réalité, en commençant par le principe suprême, était décrit sous différents aspects par l’intermédiaire des triades adéquates. Dans l’aspect « objectif », c’est-à-dire celui qui cherche à saisir la réalité dans deux catégories de causalité, et non de connaissance (aspect subjectif), même si dans le néoplatonisme ces deux aspects sont étroitement liés, il est possible de désigner des triades suivantes : ousia-dynamis-energeia, ce qui ne peut pas participer – ce qui peut potentiellement participer – ce qui participe, ou bien mone-proodos-epistrophe 2. Cependant, en ce qui concerne particulièrement cette dernière triade, chacun des éléments peut être rapporté aussi bien à la cause qu’à l’effet dans le processus de causalité. La formulation classique de cet enseignement a été énoncée dans Éléments de théologie de Proclos, qui, dans la thèse no 35 affirme que chaque effet demeure dans sa cause, procède d’elle et se convertit vers elle3. Et la thèse 26 constate que toute cause agissante est la source des principes suivants tout en restant immobile et intacte4. Le terme processio est ainsi l’un des équivalents latins du mot grec proodos issu de proihmi/proeimi (envoyer/aller en avant, avancer).

  • 5 Ibid., 24, p. 28-29.
  • 6 Ibid., 27, p. 30-31.

2Dans la thèse 24, Proclos écrit que tout ce qui participe est inférieur par rapport à tout ce à quoi il participe, et ce dernier est à son tour inférieur à ce qui ne peut pas participer. Or, ce qui participe est imparfait avant la participation, celle-ci accomplissant sa perfection5. Et la thèse 27 des Éléments de théologie révèle que toute cause créatrice produit les êtres dérivés par sa perfection et par le surplus de puissance (dynamis)6. Il en résulte que, saisi sous l’aspect de sa transcendance, le principe suprême est absolument parfait, et donc il ne peut pas participer, il est inaccessible et il demeure immuablement en lui-même. Si nous considérons ce principe sous l’angle de son immanence, c’est-à-dire en tant que ce qui peut potentiellement participer, par l’excès de sa propre puissance (dynamis), il produit des effets qui, à leur tour, accompliront leur perfection tout en se dirigeant vers ce principe dans le processus de participation.

3Avant d’esquisser la position que la conception de la processio occupe dans le système d’Érigène, je voudrais rapporter la constatation de Stephen Gersh qui a signalé l’innovation significative du schéma « persistance – débordement – retour » dans le néoplatonisme chrétien :

  • 7 Stephen Gersh, From Iamblichus to Eriugena, op. cit., p. 217 : « the Christian doctrine of the th (...)

[…] la doctrine chrétienne de trois moments constitue l’incarnation d’au moins une innovation majeure par rapport au modèle païen : elle-même est non-émanatrice7.

  • 8 Ibid., p. 219-221.

4Ce changement apparaît déjà au niveau du premier élément de la triade, celui de la persistance mone-mansio. Si nous référons ce schéma à la cause, mansio indique alors que, dans le processus de création, la cause demeure intacte et immobile, tandis que par rapport aux effets, mone suggère que ce qui deviendra ultérieurement effet subsiste initialement dans sa cause avant de prendre existence en soi-même. Cependant, comme Gersh l’a démontré, dans le néoplatonisme chrétien, principalement à cause de Maxime le Confesseur, le moment de la persistance initiale a été remplacé par la persistance examinée en tant que l’étape finale du processus causal, celui-ci associé à la déification8. Dans ce contexte, le moment de la processio se présente aussi différemment : il peut être considéré comme le moment de la création de ce qui n’avait aucunement existé auparavant et ce qui devient la révélation de la Nature inaccessible de Dieu, soit la théophanie.

  • 9 Iohannis Scotti seu Eriugenae, Periphyseon liber primus (PP I), 441B-442A, éd. E. Jeauneau, CCCM  (...)
  • 10 Iohannis Scotti seu Eriugenae, Periphyseon liber tertius (PP III), 681A, BC, éd. E. Jeauneau, CCM (...)

5Ce changement d’optique est particulièrement visible dans l’œuvre d’Érigène : dans le système de Scot, Dieu saisi sous l’aspect de sa transcendance correspond à la quatrième nature, celle qui n’a pas été créée et qui ne crée pas elle-même, qui exprime l’aspect de ce qui ne peut pas participer de Dieu, ce dernier – absolument parfait – étant l’objectif de toutes les aspirations9. Par son aspect de ce qui ne peut pas participer, ou non-diffusif (mone) et à cause de son inaccessibilité cognitive, la Nature divine est désignée comme Néant – Nihil per excellentiam 10. Édouard Jeauneau fait une remarque :

  • 11 Édouard Jeauneau, « Néant divin et théophanie », dans id., « Tendenda vela ». Excursions littérai (...)

Érigène se montre fidèle disciple de l’Aréopagite. Dieu, étant cause de l’être, est au-delà de l’être, il n’est pas « être » à proprement parler. Mais Érigène innove, quand il applique cette notion du Néant divin à la doctrine de la création ex nihilo 11.

  • 12 Ce n’est pas par hasard qu’Érigène a choisi la forme du dialogue. Cf. sur l’importance d’autrui d (...)

6Dans le Periphyseon, au cours du dialogue12, le Disciple demande au Maître de lui expliquer ce que la théologie comprend par le terme nihilum. Le Maître lui répond :

  • 13 Érigène, De la division de la nature. Livre III, trad. F. Bertin, Paris, PUF, 1995, p. 170-171. C (...)

J’incline à croire que l’Écriture sainte désigne sous ce mot de néant la luminosité ineffable, incompréhensible et inaccessible de la Bonté divine, qui demeure inconnaissable pour toutes les intelligences humaines ou angéliques […] et qui, lorsqu’on la considère en elle-même, est non-être, a toujours été non-être et sera toujours non-être13.

  • 14 Iohannis Scotti seu Eriugenae, Periphyseon liber secundus (PP II), 589B, éd. E. Jeauneau, CCCM 16 (...)

7Érigène souligne la transcendance radicale de Dieu, aussi bien celle qui concerne l’être que celle qui se réfère à la connaissance : Dieu ne peut pas être connu non seulement des intellects créés, mais aussi de Lui-même. La connaissance n’est qu’une forme de délimitation intellectuelle, tandis que l’infinité reste la propriété de la Nature divine. C’est pourquoi le Maître interroge : si elle est rien, comment la Nature de Dieu peut-elle comprendre qu’elle représente quelque chose ? Dieu ne sait pas alors ce qu’Il est, parce qu’Il n’est pas quelque chose : Il subsiste ainsi inconcevable pour Lui-même et pour tout intellect14. Dieu devance (procedit) ce néant sublime et se manifeste par la constitution de la réalité créée comme ses théophanies :

  • 15 Érigène, De la division de la nature. Livre III, p171. Cf. PP III, 681 A, p. 88 : « At uero in (...)

Mais lorsque la Bonté divine commence à apparaître dans ses théophanies, nous pouvons alors dire qu’elle procède en quelque sorte du néant à l’être et que la Bonté divine, qui subsiste à proprement parler au-delà de toute essence, devient tout aussi à proprement parler connaissable dans toutes les essences, si bien que toute créature sensible ou intelligible peut être appelée une théophanie, c’est-à-dire une apparition divine15.

  • 16 Trouillard, Érigène et la théophanie créatrice, op. cit., p. 64.

8Sous cet aspect, Dieu, étant la cause de la réalité créée, est décrit comme la nature première – non créée, créatrice, ce qui ne signifie pas pourtant que Dieu « abandonne » sa transcendance, mais il s’exprime à l’ordre de l’intelligibilité16. Ces deux aspects coexistent et s’influencent mutuellement, ce qui est particulièrement visible dans le fragment de Periphyseon :

  • 17 Érigène, De la division de la nature. Livre III, op. cit., p89. Cf. PP III, 633 B, p. 22 : « Om (...)

Car tout ce que l’on peut concevoir par l’intelligence ou percevoir par le sens n’est rien d’autre que l’apparition de ce qui est non apparent, la manifestation de ce qui est caché, l’affirmation de ce qui est nié, la compréhension de l’incompréhensible, la profération de l’ineffable, l’accès de l’inaccessible, l’intelligibilité du non intelligible…17

9La réalité créée est ainsi la manifestation, la révélation et l’expression de Celui qui est secret, caché, inexprimable. Dans sa description de la Nature de Dieu, Érigène maintient une tension permanente entre l’aspect de transcendance et d’immanence, entre la théologie négative et positive, qui se rencontrent dans la théologie suprême se servant du langage hyperbolique, ce dernier étant par sa nature négatif.

10Si nous analysons la processio à travers le prisme des êtres créés, il nous faut constater que Dieu les fait créer à partir de l’état de non-être, de l’état d’absence, parce que si l’on se réfère aux effets, il n’y a pas de mansio initiale. Érigène constate que Dieu a fait vivre les choses de rien et, rappelant explicitement le Pseudo-Denys, il constate que ce n’est que sous cet aspect que l’on peut qualifier Dieu de beau – kalos, parce qu’Il appelle (kalei) les choses à l’existence du néant et ceci se réalise dans un certain ordre :

  • 18 [Traduction M. Sowa] PP II, 580 D – 581 A : « Quaedam nanque uocata sunt ut solummodo essentialit (...)

Certaines choses n’ont été appelées que pour exister dans leur essence, d’autres pour exister et vivre ; d’autres encore, à part la vie substantielle, ont été dotées de sens ; dans d’autres la vie sensorielle s’accompagne de la raison ; et à certaines, pour la perfection de mouvements naturels mentionnés, s’ajoute l’intellect. [Et le premier mouvement se trouve dans les corps naturels ; le deuxième, dans cette forme de la vie grâce à laquelle vivent et poussent les arbres et l’herbe ; le troisième, dans les êtres vivants déraisonnables ; le quatrième, il se laisse proprement percevoir dans la nature humaine ; et le cinquième, dans la nature angélique.] Et à travers ces cinq niveaux de la création des choses de rien, la Bonté de la Sainte Trinité se laisse saisir et son activité inexprimable se révèle18.

  • 19 Agnieszka Kijewska, « The Conception of the First Cause in Book Two of John Scottus Eriugena’s “P (...)
  • 20 Carlo Riccati, « Processio » et « explicatio ». La doctrine de la création chez Jean Scot et Nico (...)
  • 21 Jean Trouillard, « La “Virtus Gnostica” selon Jean Scot Érigène », dans id., Jean Scot Érigène. É (...)

11La sphère des causes primordiales est la première et parfaite forme de l’existence des créatures, harmonisée conformément à la triade néoplatonicienne : être – vie – pensée. La substance a aussi été créée dans cette sphère des causes primordiales. La conception des causes constitue un élément difficile de l’enseignement d’Érigène parce qu’il soutient que les causes sont à la fois factae et aeternae. À cause de ces idées, il s’est exposé au reproche de subordinationisme, car c’est la Parole de Dieu qui constitue le « lieu » de création des causes19. Les causes sont créées parce qu’elles représentent des êtres créés dans leur état le plus parfait et idéal. Mais comme elles ont été créées en dehors du temps et sont le reflet de l’intellect de Dieu, elles sont en même temps éternelles. La création a été planifiée par Dieu, elle a été voulue, entourée de la providence. C’est pourquoi les autres noms des causes primordiales, telles les idées, les expressions de la Volonté Divine ou de la providence, ont la même source. Dans ce sens, contrairement à ce que soutient Riccatti, la doctrine d’Érigène n’est pas un émanationisme20. Cet aspect intellectuel de la doctrine de la création a été aussi mis en exergue par l’égalisation de l’Acte Divin de création et de la vue, et par la constatation que la création se réalise par l’intermédiaire de la Virtus Gnostica de Dieu21.

12Jean Trouillard affirme :

  • 22 Jean Trouillard, « Les puissances divines selon Érigène », dans id., Jean Scot Érigène. Études, o (...)

Ces causes primordiales forment la deuxième sorte de nature, d’après la célèbre classification qui ouvre le Periphyseon, la nature qui est créée et créatrice subordonnée à la nature créatrice et non créée qui est Dieu en lui-même. Ces causes sont déjà créées comme les lois et les semences de la création tout entière. Et puisque Dieu produit toutes choses dans son Verbe ou sa sagesse, elles sont le Verbe même de Dieu diversifiant sa plénitude dans l’immensité de l’univers. Elles sont pour ainsi dire le passage de la simplicité divine à la multitude de ses participations à travers la prolifération des sources créatrices22.

  • 23 Cf. PP I, 489D-490A, p. 66 ; Ricatti, « Processio » et « explicatio », p. 52-53.

13Les causes primordiales représentent donc l’ « état » le plus parfait des êtres créés, soit « la multiplicité dans l’unité », parce que la multiplicité qu’elles contiennent a un caractère intentionnel. Érigène instaure deux types principaux de différenciation : ratione – différentiation mentale, intentionnelle, qui s’opère par exemple parmi les causes –, et actu et opere – différentiation qui établit l’individualité et la multiplicité, cette dernière étant la cause des partages. Parmi les causes primordiales, il y a également la substance qui s’y réduit à ses composants idéaux. La différentiation matérielle commence réellement à émerger – actu et opere – au niveau de la troisième nature quand la forme qualitative rejoint la forme substantielle23.

14Ce qui attire l’attention dans la conception d’Érigène, c’est la transformation originale des sources dont il s’inspirait. Grâce au Pseudo-Denys, à Maxime le Confesseur, Grégoire de Nysse et Grégoire de Nazianze, il avait accès à la pensée néoplatonicienne et, d’une manière particulière, il a modulé cette pensée aux exigences de la doctrine du créationnisme chrétien sans perdre en même temps le trait nettement intellectuel.

  • 24 David Albertson, Mathematical Theologies. Nicholas of Cusa and the Legacy of Thierry of Chartres, (...)
  • 25 Frédéric Vengeon, Nicolas de Cues : Le monde humain. Métaphysique de l’infini et anthropologie, G (...)

15Dans la philosophie de Nicolas de Cues, la description du principe suprême par rapport à la multiplicité de la réalité créée est soumise à une modification continue, avant tout par l’intermédiaire de Thierry de Chartres24. C’est à lui que le Cusain a emprunté les termes clefs : complicatio-explicatio décrivant la relation de la Cause Première et de la multitude de ce qui en procède25 :

  • 26 Nicolas de Cues, La docte ignorance II, 3, 105 tr. H. Pasqua, Paris, Payot/Rivages, 2008/2011 ; c (...)

Il en résulte que l’unité infinie est la complication de toutes choses. C’est bien ce que signifie l’unité, qui unit toutes choses. Mais elle n’est pas maximale seulement au sens où l’unité est complication du nombre, elle l’est au sens où elle complique tout. Et de même que dans le nombre, qui est l’explication de l’unité, on ne trouve que l’unité, de même dans toutes les choses qui sont, on ne trouve que le maximum26.

16Dans son commentaire, Théodoric a observé qu’il a appliqué les termes complicatio-explicatio dans le domaine de théologie là où l’ensemble des choses est envisagé dans sa simplicité, c’est-à-dire en Dieu. Il fait nettement comprendre que l’objectif est d’analyser ces termes sous l’aspect de la cause première. Comment le Cusain a-t-il exploité ces termes dans sa philosophie ? Riccatti le caractérise de la manière suivante :

  • 27 Carlo Riccati, « Processio » et « explicatio »…, op. cit., p. 115.

Et si « l’explication » représente la « procession », la « complication » représente l’existence de toute multiplicité en Dieu dans la forme de l’absolue unité, et représente aussi « l’être contenu » de tout, de la multiplicité même, dans l’unique quiddité universelle. C’est en dépendance de cela que le couple complicatio-explicatio, dans sa dialectique même, exige le reflux, l’ascensus 27.

17Se référant à la triade de Proclos, il est possible de constater que la complicatio correspond au moment de la persistance (mone/mansio), tandis que l’explicatio équivaut à la processio complétée par l’ascensus. En tant que complicatio omnius Dieu est l’Unité suprême, le Maximum, et en même temps il est le Minimum, l’Identité (Idem), la Non-Individualité (Non-Aliud). Il peut être décrit de la manière suivante :

  • 28 Nicolas de Cues, Dialogue sur la Genèse 144, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, Rennes, Publications (...)

Il est nécessaire, en effet, que l’identique soit éternel, car il ne peut être l’identique de rien d’autre. Il est donc sans terme, puisque éternel. De même, il est infini et inaltérable. Car l’altérabilité dérive de ce qui est autre. Mais l’identique se dit par soi inaltérabilité et nie la multiplicabilité qui ne peut être sans altération28.

  • 29 Agnieszka Kijewska, Etymology and Philosophy : God as Videns and Currens, in Eriugena-Cusanus, éd (...)

18Pareillement à Érigène, le Cusain insiste sur la transcendance divine en qualifiant Dieu de Néant. Dans un beau fragment du Dieu caché, le Cusain fait référence à l’étymologie du mot grec Dieu – theos, connue aussi d’Érigène29. Il la déduit du verbe voir – theoro et, sur cette base, il compare Dieu à la vue et la réalité créée au monde de couleurs. La vue qui définit la couleur ne peut pas être la couleur, ce qui signifie que dans le monde de couleurs elle est rien :

  • 30 Nicolas de Cues, Le Dieu caché 14, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit., p. 50-51. Cf. Nicolai (...)

Le mot « Dieu » vient du grec « theoro » qui signifie « je vois ». Dieu lui-même, en réalité, est vis-à-vis de nous comme la vue vis-à-vis de la couleur. La couleur, en effet, n’est pas saisie autrement que par la vue et, à cette fin, la vue en elle-même est sans couleur afin de pouvoir saisir librement toute couleur. La vue ne se trouve donc pas du côté de la couleur, la vue est plutôt rien que quelque chose30.

19Il faut pourtant garder à l’esprit que les termes de ce type ne peuvent pas être considérés comme un essai de définition de Dieu, mais ils révèlent la transcendance radicale de Dieu qui invalide toute forme d’expression verbale. La cause première est innommable, car elle dépasse toutes les limites de définition. Le langage de la contradiction exprime le mieux cette situation. De telles contradictions suggèrent que la réalité dont il est question anticipe et transgresse les paradigmes conceptuels des humains qui, dans son cas, s’avèrent inadéquats. Prenons l’exemple du Principe « Toi, qui es-tu ? » :

  • 31 Nicolas de Cues, Le principe « Toi, qui es-Tu ? » 19, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit., p. (...)

C’est pourquoi, si tu y prêtes attention, le Principe de tout ce qui est nommable, ne pouvant être aucun des principiés, est innommable et c’est pourquoi il ne peut pas non plus être nommé Principe, mais il est le Principe innommable du Principe nommable précédant tout ce qui est nommable, quel qu’il soit. Tu vois alors que les contradictoires sont niés de lui, en sorte que ni il est ni il n’est pas, ni il est et n’est pas, ni il est ou n’est pas, mais toutes ces expressions ne l’atteignent pas, car il précède tout ce qui est exprimable31.

20Cette réalité divine, qui est inaccessible, innommable et qui ne peut pas participer, devient accessible à cause d’explicatio – l’instauration de la multiplicité des choses créées, qui deviennent théophanie, l’image et l’incarnation de Dieu caché. Le fragment ci-dessous emprunté à La filiation de Dieu illustre la nature de ce processus grâce auquel Dieu se montre accessible dans les choses tout en gardant entièrement sa transcendance :

  • 32 Nicolas de Cues, La filiation de Dieu IV, 72, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit, p. 106-107. (...)

Néanmoins, cet Un, bien qu’il demeure inaccessible, est le même Un qui est atteint dans toutes les choses accessibles. L’Un sera donc aussi toutes les choses, et en même temps ce même Un inaccessible sera atteint dans toutes les choses, comme si l’on disait que la monade non nombrable est cependant tout nombre et qu’en tout nombre est nombrée la monade non nombrable elle-même32.

  • 33 Nicolas de Cues, La filiation de Dieu, op. cit., notes, p. 347.

21Si nous voulons rapprocher ce processus sous l’aspect de ce qu’il fait produire, c’est-à-dire du point de vue de l’effet, il convient d’observer que la réalité créée est appelée par Dieu du néant et elle est entièrement dépendante de Dieu tout en étant sa ressemblance et son image. À part son enracinement évident dans le Livre de la Genèse, les dénominations de ce type portent une nette empreinte de l’influence de la langue de Boèce et de l’école de Chartres. Comme le remarque Hervé Pasqua, le rappel, l’assimilation (assimilatio) ou bien l’émergence (surgere) sont synonymes du processus de la création33. Dans ce processus, ce qui ne peut pas participer – l’Idem transcendantal de Dieu – devient accessible :

  • 34 Nicolas de Cues, Dialogue sur la Genese 149-150, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit., p. 176- (...)

[…] quand l’entité absolue, qui est identité absolue, appelle le non-étant à l’identique, alors, puisque le non-étant ne peut atteindre l’entité absolue non multipliable, le non-étant émerge en se tournant vers l’entité absolue, c’est-à-dire en s’assimilant à l’identique lui-même. […] Quand donc l’identique absolu, qui est aussi étant, un et infini, appelle à soi le non-identique, l’assimilation surgit dans les (étants) multiples qui participent diversement du même identique. La multiplicité, l’altérité, la variété, la différence et les choses semblables surgissent donc de ce que l’identique identifie. De là aussi (surgit) l’ordre qui est la participation de l’identique à la variété, de là l’harmonie qui représente l’identique de manière variée34.

22Dans l’esprit de la doctrine chrétienne, mais non dans l’esprit de l’exemplarisme, le Cusain écrit que la réalité créée a été fondée dans Jésus, le Verbe, conformément à l’ordre imposé par la triade néoplatonicienne, être – vie – pensée :

  • 35 Nicolas de Cues, Le principe « Toi, qui es-tu ? » 8, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit., p.  (...)

Je pense que le Christ a nommé l’Un nécessaire, parce que toutes choses sont nécessitées, unies ou liées entre elles par l’Un, pour qu’elles soient et pour que, tant qu’elles sont, elles ne tombent pas dans le néant. Certaines sont unies pour être, d’autres sont en revanche plus unies pour être et pour vivre, d’autres sont encore plus étroitement unies pour être, vivre et intelliger35.

  • 36 Christophe Erismann, L’homme commun. La gènese du réalisme ontologique durant le haut Moyen Âge, (...)
  • 37 Ibid., p. 85-89.
  • 38 Cf. PP II, 528 D, p. 8 : « [] in hac secunda inquisitione maxime intentionis nostrae propositum (...)
  • 39 Erismann, « Alain de Lille, la métaphysique érigénienne et la pluralité de formes », dans J.-L. S (...)
  • 40 Christophe Erismann, L’homme commun, op. cit., p. 205.

23La position d’Érigène et du Cusain quant au rapport de la relation de l’Unité de Dieu à la multiplicité des choses créées semble se ressembler en plusieurs points, parce qu’elle s’appuie sur le fondement commun de la doctrine néoplatonicienne que les deux auteurs adaptent aux besoins du christianisme. Leur approche présente néanmoins une dissemblance particulière qui apparaît au niveau de l’analyse de la structure du monde créé et sa provenance de Dieu. Comme l’a noté Erismann, Érigène représente la position métaphysique que l’on pourrait qualifier de réalisme de l’immanence36. Parmi les principaux traits de cette position, on trouve la thèse d’universalisme, c’est-à-dire la conviction que la hiérarchie des espèces et des genres est réelle, et que l’échelle ontologique du monde englobe aussi bien ce qui est général que ce qui est singulier. Il en résulte que ce qui est singulier n’est pas un fait, mais une donnée à expliquer et, dans ce contexte, la question sur le principe d’individuation n’est pas privée de sens37. Dans le système d’Érigène, la scala entis incluant ce qui est général et ce qui est singulier se réalise au niveau de la troisième nature : celle qui a été créée et qui ne crée pas, qui comprend la réalité définie par le temps et par l’espace38. Ce qui est populaire (ousia/generalis essentia) existe dans ses partages et est la cause de ceux-ci, et l’individuation s’opère grâce à une singularité (accidents)39. C’est pourquoi Christophe Erismann a constaté : « Jean Scot n’est pas un philosophe fervent de particularisme ontologique et d’individuation »40.

  • 41 Johannes Hoff, The Analogical Turn. Rethinking Modernity with Nicholas of Cusa, Grand Rapids, Mic (...)
  • 42 Christophe Erismann, L’homme commun, op. cit., p. 205.
  • 43 Alain de Lille, La somme « Quoniam homines », 56, éd. P. Glorieux, AHDLMA, 1953, p. 200 : « Ad ho (...)

24Cependant chez le Cusain, l’individualité est ce qui se meut déjà dans l’acte même de création et n’a pas de caractère de particularité. L’individualité n’est pas l’effet de partage, mais elle est quelque chose de primitif 41. Il se peut que le Cusain fût plus proche de la conception porrétaine de la conformitas et du pluralisme ontologique, associé à celle-ci et divulgué aussi par Alain de Lille42. Conformément au pluralisme ontologique, toute chose est individuelle dans sa substance et les particularités révèlent seulement cette singularité, mais elles ne sont pas sa cause43.

  • 44 Nicolas de Cues, La docte ignorance II, 5, 117, p. 164, tr. H. Pasqua.

25À l’aide d’une terminologie légèrement différente, le Cusain situe la genèse de l’individualité au niveau de l’acte même de la création. Toute chose dans l’Univers, mais aussi l’Univers en tant que totalité, reflètent Dieu selon leur propre et singulière manière, en accord avec une mesure individuelle qui leur est propre, à savoir le principe de contraction (contractio). Le niveau de contraction propre à chaque chose, c’est-à-dire la manière dont ladite chose – dans le processus d’explicatio – représente l’image de l’être absolu (quidditas absoluta), décide de l’identité et de l’individualité de cette chose. Cependant dans le monde, il n’y a pas deux êtres pareils : à sa manière propre et individuelle, toute chose reflète Dieu, l’Univers en tant que totalité et chaque chose qui en fait partie, suivant le principe d’Anaxagore « tout est dans tout »44. La comparaison de la conception de la processio de Scot et de la conception de l’explicatio du Cusain montre la manière dont Nicolas de Cues a puisé dans l’œuvre de ses prédécesseurs. Tout en exploitant une théorie, il remonte maintes fois à sa source, dans ce cas-là à la philosophie néoplatonicienne, et il interpose le patrimoine des différents penseurs tout en créant un tout exceptionnel, propre à lui-même.

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Notes

1 A. C. Lloyd, « The Later Neoplatonists », dans A. H. Armstrong (éd.), The Cambridge History of Later Greek and Early Medieval Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1967, p. 314 sq.

2 Cf. Stephen Gersh, From Iamblichus to Eriugena. An Investigation of the Prehistory and Evolution of the Pseudo-Dionysian Tradition, Leiden, E. J. Brill, 1978, p. 27 sq. Cf. Carlos Steel, Proclus, dans L. P. Gerson (éd.), The Cambridge History of Philosophy in Late Antiquity, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, vol. II, p. 639 sq.

3 Cf. Proclos, The Elements of Theology, 35, éd. E. R. Dodds, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 38-39 : Παν το αιτιατον και μενει εν τη αυτου αιτια και προεισιν απ αυτησ και επιστρεφει προσ αυτη.

4 Ibid., 26, p. 30-32 : Παν το πρακτικον αιτιον αλλων μενον αυτο εφ εαυτου παραγεο τα μετ αυτο και τα εφεξησ.

5 Ibid., 24, p. 28-29.

6 Ibid., 27, p. 30-31.

7 Stephen Gersh, From Iamblichus to Eriugena, op. cit., p. 217 : « the Christian doctrine of the three moments embodies at least one major innovation in comparison with its pagan model : it is essentially non-emanative ».

8 Ibid., p. 219-221.

9 Iohannis Scotti seu Eriugenae, Periphyseon liber primus (PP I), 441B-442A, éd. E. Jeauneau, CCCM 161, Turnhout, Brépols, 1996, p. 3-4 : « Videtur mihi diuisio naturae per quattuor differentias quattuor species recipere, quarum pruma est in eam quae creat et non creatur, secunda in eam quae et creatur et creat, tertia in eam quae et creatur et creat, tertia in eam quae creatur et non creat, quarta quae nec creat nec creatur ».

10 Iohannis Scotti seu Eriugenae, Periphyseon liber tertius (PP III), 681A, BC, éd. E. Jeauneau, CCM 163, Turnhout, Brépols, 1999, p. 88-89 ; Jean Trouillard, « Érigène et la théophanie créatrice », dans id., Jean Scot Érigène. Études, Paris, Hermann Éditeurs, 2014, p. 65-66.

11 Édouard Jeauneau, « Néant divin et théophanie », dans id., « Tendenda vela ». Excursions littéraires et digressions philosophiques à travers le Moyen Âge, Tournhout, Brepols, 2007, p. 140.

12 Ce n’est pas par hasard qu’Érigène a choisi la forme du dialogue. Cf. sur l’importance d’autrui dans le dialogue : Emmanuel Falque, Passer le Rubicon. Philosophie et théologie : Essai sur les frontières, Bruxelles, Éditions Lessius, 2013, p. 144 : « Le témoin ou le reporter (relatoris), c’est-à-dire mon frère, révèle à moi-même ce qu’il en est de l’effectivité du Révélé ».

13 Érigène, De la division de la nature. Livre III, trad. F. Bertin, Paris, PUF, 1995, p. 170-171. Cf. PP III, 680D-681A, p. 88 : « Ineffabiliem et incomprehensibilem divinae bonitatis inaccessibilemque claritatem omnibus intellectibus sive humanis sive angelicis incognitam – superessentialis est enim et supernaturlis […]. Dum ergo incomprehensibilis intelligitur, per excellentiam nihilum non immerito vocitatur ».

14 Iohannis Scotti seu Eriugenae, Periphyseon liber secundus (PP II), 589B, éd. E. Jeauneau, CCCM 162, Turnhout, Brépols, 1997 : « Deus itaque nescit se quid est, quia non est quid, incomprehensibilis quipped in aliquot et sibi ipsi et omni intellectui ».

15 Érigène, De la division de la nature. Livre III, p171. Cf. PP III, 681 A, p. 88 : « At uero in suis theophaniis incipiens apparere, ueluti ex nihilo in aliquid dicitur procedere ; et quae proprie super omnem essentiam existimatur, proprie quoque in omni essentia cognoscitur. Ideoque omnis uisibilis et inuisibilis creatura theophania (id est diuina apparitio) potest appellari ». Cf. Hilary Anne-Marie Mooney, Theophany. The Appearing of God According to the Writings of Johannes Scottus Eriugena (Beiträge zur historischen Theologie 146), Tübingen, Mohr Siebeck, 2009, p. 53-60.

16 Trouillard, Érigène et la théophanie créatrice, op. cit., p. 64.

17 Érigène, De la division de la nature. Livre III, op. cit., p89. Cf. PP III, 633 B, p. 22 : « Omne enim quod intelligitur et sentitur nihil aliud est nisi non apparentis apparitio, occulti manifestatio, negati affirmatio, incomprehensibilis comprehensio, ineffabilis fatus, inaccessibilis accessus, inintelligibilis intellectus… ».

18 [Traduction M. Sowa] PP II, 580 D – 581 A : « Quaedam nanque uocata sunt ut solummodo essentialiter subsitant, quaedam ut subsistant et uiuant, in quibusdam substantiali uitae sensus est additus, in quibusdam uitali sensui ratio cumulatur, in quibusdam ad praedictorum naturalium motuum perfectionem intellectus supponitur. [Et est primus motus in corporibus naturalibus, secundus in ea vita qua ligna herbaeque et vivunt et crescent, tertius in irrationabilibus animantibus, quartus proprie in humana, quintus in angelica conspicitur natura.] Et his quinque gradibus in condendis de nihilo rebus summae ac sanctae trinitatis bonitas perspicitur ineffabilisque operatio manifestatur ».

19 Agnieszka Kijewska, « The Conception of the First Cause in Book Two of John Scottus Eriugena’s “Periphyseon” », Anuario Filosófico, vol. 44, no 1, 2011, p. 36 sq.

20 Carlo Riccati, « Processio » et « explicatio ». La doctrine de la création chez Jean Scot et Nicolas de Cues, Napoli, Bibliopolis, 1983, p. 80.

21 Jean Trouillard, « La “Virtus Gnostica” selon Jean Scot Érigène », dans id., Jean Scot Érigène. Études, op. cit., p. 186 sq.

22 Jean Trouillard, « Les puissances divines selon Érigène », dans id., Jean Scot Érigène. Études, op. cit., p. 274.

23 Cf. PP I, 489D-490A, p. 66 ; Ricatti, « Processio » et « explicatio », p. 52-53.

24 David Albertson, Mathematical Theologies. Nicholas of Cusa and the Legacy of Thierry of Chartres, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 12-17.

25 Frédéric Vengeon, Nicolas de Cues : Le monde humain. Métaphysique de l’infini et anthropologie, Grenoble, Éditions Million, 2011, p. 73 : « Le couple complicatio/explicatio décrit un processus universel que Nicolas de Cues retrouve dans toute genèse, selon une homologie profonde. Ce couple désigne la structure de toute apparition. Les processus d’enveloppements et de développements doivent nous faire comprendre le mouvement premier qui a lieu depuis l’unité absolue ».

26 Nicolas de Cues, La docte ignorance II, 3, 105 tr. H. Pasqua, Paris, Payot/Rivages, 2008/2011 ; cf. De docta ignorantia II, 3, éd. K. Bormann, P. Wilpert, E. Hoffmann, dans Philosophisch-Theologische Werke, bd. 1, Hamburg, 2002, p. 22 : « Unitas igitur infinita est omnium complicatio. Hoc quidem dicit unitas, que unit omnia. Non tantum ut unitas numeri complicatio est, est maxima, sed quia omnium. Et sicut in numero explicante unitatem non reperitur nisi unitas, ita in omnibus quae sunt non nisi maximum reperitur ». Cf. Nikolaus Häring, Commentaries on Boethius by Thierry of Chartres and His School, Toronto, Institute of Mediaeval Studies, 1971, p. 155.

27 Carlo Riccati, « Processio » et « explicatio »…, op. cit., p. 115.

28 Nicolas de Cues, Dialogue sur la Genèse 144, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, Rennes, Publications du Centre de recherche de l’Institut catholique de Rennes, 2011, p. 170-171. Cf. Nicolai de Cusa, De Genesi 144, éd. P. Wilpert, dans Opuscula I, Hamburgi, 1959, p. 105 : « Necesse est enim idem esse aeternum, quia a nullo alio esse potest idem. Interminum est igitur, quia aeternum. Sic infinitum, inalterabile. Nam alterabilitas ab altero est. Idem autem per se dicit inalterabilitatem, sic et immultiplicabilitatem, [et negat multiplicabilitatem,] quae sine alteratione esse non posset ».

29 Agnieszka Kijewska, Etymology and Philosophy : God as Videns and Currens, in Eriugena-Cusanus, éd. A. Kijewska, R. Majeran, H. Schwaetzer, Lublin, KUL Publishing House, 2011, p. 117 sq.

30 Nicolas de Cues, Le Dieu caché 14, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit., p. 50-51. Cf. Nicolai de Cusa, De deo abscondito 14, dans Opuscula I, p. 9 : « Deus dicitur a theoro, id est video. Nam ipse deus est in nostra regione ut visus in regione coloris. Color enim non aliter attingitur quam visu, et ad hoc, ut omnem colorem libere attingere possit, contrum visus sine colore est. In regione igitur coloris non reperitur visus, quia sine colore est. Unde secundum regionem coloris potius visus est nihil quam aliquid ».

31 Nicolas de Cues, Le principe « Toi, qui es-Tu ? » 19, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit., p. 304-305 ; cf. Nicolai de Cusa, De Deo unitrino principio : Tu quis es, 19, éd. C. Bormann, A. D. Riemann, dans Opera Omnia, X/2b, Felix Meiner, Hamburgi, 1988, p. 26-27 : « Unde si attendis, tunc principium omnium nominabilium, cum nihil possit principiatorum esse, est innominabile, et ideo etiam non nominari principium, sed esse principii nominabilis innominabile principium omne qualitercumque nominabile antecedens sicut melius. Tunc vides contradictoria negari ab ipso, ut neque sit neque non sit neque sit et non sit neque sit vel non sit, sed omnes istae locutions ipsum non attingunt, qui Omnia dicibilia antecedit ».

32 Nicolas de Cues, La filiation de Dieu IV, 72, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit, p. 106-107. Cf. Nicolai de Cusa, De filiatione Dei IV, 72, dans Opuscula I, p. 53 : « Unum igitur erit quod et Omnia, simul id ipsum inattingibile unum in omnibus attingitur, quasi si quis diceret monadem innumarabilem, quae tamen est omnis numerous, et in omni numero numerator innumerabilis ipsa monas ».

33 Nicolas de Cues, La filiation de Dieu, op. cit., notes, p. 347.

34 Nicolas de Cues, Dialogue sur la Genese 149-150, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit., p. 176-177. Cf. Nicolai de Cusa, De Genesi 149-150, p. 109 : « [] cum absoluta entitas, quae est idem absolutum, vocat non-ens ad idem, tunc, quia non-ens non potest attingere immultiplicabilem absolutam entitatem, hoc est in assimilatione ipsius idem. […] Dum igitur ipsum dem absolutum, quod est et ens et unum et infinitum, ad se vocat non-idem, surgit assimilatio in multis ipsum idem varie participantibus. Pluralitas igitur, alteritas, varietas et diversitas et cetera talia surgunt ex eo, quia idem identificat. Hinc et ordo, qui est participatio ipsius idem in varietate, hinc harmonia, quae idem varie repraesentat ».

35 Nicolas de Cues, Le principe « Toi, qui es-tu ? » 8, tr. H. Pasqua, dans Opuscules, op. cit., p. 294-295 ; cf. Nicolai de Cusa, De Deo unitrino principio : Tu quis es, 8, p. 7-8 : « Arbitror autem Christum ipsum unum nominasse necessarium, quia Omnia necessitantur seu uniuntur sive constringuntur, ut sint, et dum sunt, ne defluant in nihil. Quaedam autem, ut sint, uniuntur, quaedam vero magis uniuntur, ut sint et vivant ; adhuc strictius uniuntur quaedam, ut sint, viant et intelligent ».

36 Christophe Erismann, L’homme commun. La gènese du réalisme ontologique durant le haut Moyen Âge, Paris, Vrin, 2011, p. VIII, p. 193 sq.

37 Ibid., p. 85-89.

38 Cf. PP II, 528 D, p. 8 : « [] in hac secunda inquisitione maxime intentionis nostrae propositum deo largiente constitutum est quaedam dicere de processione creaturarum ab una ac prima omnium causa per primordiales essentias ante omnia ab ea in ea per eam conditas in diversa rerum genera diversasque formas numerosque in infinitum ».

39 Erismann, « Alain de Lille, la métaphysique érigénienne et la pluralité de formes », dans J.-L. Solère, A. Vasiliu, A. Galonnier (éd.), Alain de Lille, le docteur universel. Philosophie, théologie et littérature au xiie siècle, Turnhout, Brépols, 2005, p. 22, 28.

40 Christophe Erismann, L’homme commun, op. cit., p. 205.

41 Johannes Hoff, The Analogical Turn. Rethinking Modernity with Nicholas of Cusa, Grand Rapids, Michigan, W. B. Eerdmans Publishing Company, 2013, p. 163-164 : « In contrast to this rationalist tradition, Cusa’s ontology of oneness is incompatible with all analytic accounts of the phenomena of individuality and plurality. Cusa certainly agrees with Leibniz that, on the level of rational comparisons, nothing can occur in our world twice in the same way. Every individual has unique attributes ».

42 Christophe Erismann, L’homme commun, op. cit., p. 205.

43 Alain de Lille, La somme « Quoniam homines », 56, éd. P. Glorieux, AHDLMA, 1953, p. 200 : « Ad hoc enim ut aliquod nomen proprie sit appellativum, oportet ut illud sit plurium suppositorum appellatum in una communi natura, una dico non unitate sed unione et conformitate ; unde hoc nomen homo plura appellat et in una communi natura, id est in natura conformi et uniente ; nam humanitas Socratis dicitur una, id est uniformis et uiens humanitate Platonis ; nec enim alia est hec, alia illa humanitas ; tamen dicuntur una et propter unionem et conformitatem effecuum ».

44 Nicolas de Cues, La docte ignorance II, 5, 117, p. 164, tr. H. Pasqua.

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Pour citer cet article

Référence papier

Agnieszka Kijewska, « Scot Érigène et Nicolas de Cues : « processio et explicatio » »Noesis, 26-27 | 2016, 99-111.

Référence électronique

Agnieszka Kijewska, « Scot Érigène et Nicolas de Cues : « processio et explicatio » »Noesis [En ligne], 26-27 | 2016, mis en ligne le 15 juin 2018, consulté le 27 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/2609 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.2609

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Auteur

Agnieszka Kijewska

Agnieszka Kijewska, professeur de philosophie ancienne et médiévale à l’Université catholique de Lublin Jean Paul II à la faculté de philosophie. Elle a publié des monographies en polonais : Neoplatonizm Jana Szkota Eriugeny (Lublin, 1994) ; Księga Pisma i księga Natury. Hexaemeron Eriugeny i Teodoryka z Chartres (Lublin, 1999) ; Eriugena (Warszawa, 2005) ; Św. Augustyn (Warszawa, 2007) ; Filozof i jego muzy. Antropologia Boecjusza – jej źródła i recepcja (Kęty, 2011). Elle a publié des articles en polonais, anglais (« Eriugena’s Idealistic Interpretation of Paradise », dans Eriugena, Berkeley and the Idealist Tradition, éd. S. Gersh, D. Moran, Notre Dame, 2006, 168-186 ; « Eriugena and the Twelfth Century : The Concept of Ratio », dans Eriugena and Creation, éd. M. Allen, W. Otten, Instrumenta Patristica et Mediaevalia 68, Brepols, Turnhout, 2014, 393-426), espagnol (« El fundamento del sistema de Eriugena », Anuario Filosofico XXXIII (2000)/ 2, 505-532) et en russe.

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