Authenticité, esthétique et éthique dans les arts visuels chinois
Résumés
Éthique et esthétique étant intimement liées dans les arts chinois, la question de l’authenticité se présente comme une préoccupation centrale, dans la théorie comme dans la pratique, par le passé comme de nos jours. L’aporie dans l’art chinois, notamment en peinture, ne porte pas sur une opposition entre imitation et illusion, comme dans la peinture européenne, mais entre « ressemblance formelle » et « ressemblance spirituelle ». C’est pourquoi l’aspect matériel de l’œuvre, même s’il est pris en compte, apparaît moins fondamental que les valeurs que celle-ci véhicule ou qu’elle est censée véhiculer. L’authenticité porte alors principalement sur ces valeurs, rattachées à l’artiste et au processus créatif, plutôt que sur l’œuvre en tant qu’objet.
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Mots-clés :
authenticité en chinois, vérité (zhen), sincérité (cheng), rectitude (zheng), calligraphie chinoise, peinture chinoise, éthique de l’esthétiqueKeywords:
authenticity in Chinese, truth (zhen), sincerity (cheng), uprightness (zheng), Chinese calligraphy, Chinese painting, ethics of aestheticsPlan
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1Dans la langue chinoise moderne courante, on peut traduire l’authenticité par deux expressions : zhengshixing 正式性 (constitué de « correct, droit » 正 et de « forme » 式+ « nature de » 性) dans le cas d’une copie authentique, ou d’un document authentique, et zhenshixing 真實性 (« vrai, authentique » zhen 真 et « réel » shi 實) qui signifie conforme à la réalité, véritable. Quant à « œuvre authentique » ou « œuvre originale », on le traduit littéralement par yuanzuo 原作 (« origine, originel » 原 et « travail, faire » 作). Dans le domaine de la philosophie moderne, le terme occidental d’authenticité se traduit en général par zhenchengxing 真誠性, formé de « vrai, authentique » (zhen 真) et de « sincère » (cheng 誠). Cependant, dans la tradition philosophique chinoise, la question de l’authenticité en général n’est pas absente ; au contraire, elle est très débattue, en particulier autour du terme zhen 真 qui, aujourd’hui, a pour sens premier « vérité ». Ce terme est d’ailleurs celui qui se retrouve dans la majorité des traductions d’authenticité dans la langue moderne.
2Si le terme zhen 真 (dans sa graphie d’origine 眞) apparaît dans les formes d’écriture les plus anciennes, les inscriptions oraculaires, reste que ce terme est d’abord taoïste ; on le trouve en effet dans les textes fondateurs du taoïsme, le Laozi et le Zhuangzi. Pour les taoïstes, l’homme authentique, ou l’homme accompli, devient immortel par transformation, ce que rapporte le premier dictionnaire étymologique :
- 2 Yucai Duan, Shuowen jiezi zhu (Commentaire du Shuowen jiezi, 1815), compilé en 1776-1807, Taipei, L (...)
3Ce dictionnaire interprète donc la graphie comme celle d’un idéogramme constitué de 匕 « transformation » (une personne 人 à l’envers), de 目 « yeux, regard », de 乚 « couvrir, cacher », ce qui désigne l’immortel, et de 八 qui représente le moyen de transport vers le ciel. L’un des principaux commentateurs de ce dictionnaire, Duan Yucai (1735-1815), explique que zhen à l’origine décrivait un homme authentique taoïste et que le sens de ce terme fut étendu jusqu’à signifier cheng 誠 « sincère, honnête, vrai, réel ». Il explique d’ailleurs la composition idéographique en termes taoïstes : hua 匕 pour hua 化 « changer, transformation », 目 pour « le regard, la vision » dans les pratiques internes du taoïsme médicinal qui demandent un regard tourné ver l’intériorité, � « caché » pour l’invisibilité, et il note trois moyens de transports vers le ciel (par les souffles de nuages, par le fait de chevaucher les dragons et autres animaux fabuleux)2.
4Par conséquent, l’authenticité est conçue comme une transformation, c’est-à-dire comme un processus de changement incessant et non comme un état fixe ou immuable. L’« authenticité », aujourd’hui « vérité » zhen, ne se définit donc pas comme adéquation de l’idée et de la chose, mais comme le trajet, le parcours qui mène au ciel et à l’immortalité, à travers les multiples changements de formes. La vérité-authenticité est d’abord mutations, qui se produisent en accord avec les mutations incessantes de l’univers. Autrement dit, dans son étymologie ou ses sens les plus anciens, zhen ne se rapporte pas à une forme matérielle donnée ou déterminée a priori mais à une capacité, relevant du spirituel, d’adaptation à l’ordre plus général ou global du cosmos.
- 3 Xunwu Chen, Being and Authenticity, Amsterdam, New York, Rodopi B.V., 2004.
- 4 Ibid., p. 4. À ce sujet, voir aussi Dainian Zhang, Key Concepts in Chinese Philosophy, New Haven, L (...)
5Avant l’arrivée du bouddhisme en Chine, vers le iiie siècle de notre ère, zhen ne porte que le sens positif d’authenticité. Le sens de vérité par opposition au mensonge ou à la tromperie n’arrive qu’avec le bouddhisme. Dans son ouvrage consacré à l’être et à l’authenticité3, Chen Xunwu montre que la philosophie chinoise s’est interrogée sur la question de l’authenticité de la personne, qui garantit la vérité d’elle-même dans la réalité. L’inauthenticité est alors perçue comme négative car porteuse de mensonge et de tromperie sur la réalité. En ce sens, la paternité (authorship) va de pair avec l’authenticité mais aussi avec l’autonomie4.
6La question de l’authenticité, de l’esthétique et de l’éthique dans les arts visuels chinois sera abordée en trois temps : le premier examinera la façon dont l’authenticité matérielle est conçue dans les arts chinois, montrant le lien avec le sens originel de zhen. Le deuxième portera sur l’authenticité de l’artiste, sur son éthique, et sur les valeurs attachées à l’authenticité, et le troisième sur la rencontre entre authenticités chinoise et occidentale.
1. L’authenticité matérielle
- 5 Voir Simon Leys (alias Pierre Ryckmans), « L’attitude des Chinois à l’égard du passé », Commentaire(...)
7Le problème de l’authenticité dans les arts chinois se pose depuis très longtemps. Il faut savoir en effet qu’il existe en Chine une tradition et un marché de l’art au sens d’échanges d’achats et de vente d’œuvres calligraphiques et picturales depuis le début de notre ère. En raison d’une demande abondante, alors que les œuvres originales, au sens d’authentiques, étaient en nombre limité, s’est développé un marché très florissant des copies, voire des faux. Des collectionneurs d’œuvres (calligraphies, peintures et documents) sont apparus dès les premiers siècles de notre ère, d’abord à la cour impériale, mais aussi chez les aristocrates, les marchands et les lettrés. L’exemple est venu d’en haut : la légitimité du pouvoir étant établie par la possession d’un certain nombre d’objets aux propriétés politico-religieuses, en particulier des bronzes inscrits, remplacés au début de notre ère par les calligraphies et peintures, la tradition de collecter et de transmettre ces objets au plus haut niveau de pouvoir était absolument essentielle, fondamentale5, afin de garantir sa légitimité. C’est pourquoi dès le début de notre ère, en même temps que les collections, sont apparus les copies et les faux, posant dès lors la question de l’authenticité matérielle des œuvres.
8Ainsi, dès le ive siècle, les annales nous rapportent des anecdotes touchant à la réalisation de faux. Par exemple, de son vivant, le plus célèbre calligraphe de l’histoire de Chine, Wang Xizhi (303-361), était déjà extrêmement connu et sa calligraphie, ainsi que celle de son fils Wang Xianzhi (344-386), était collectionnée par tous les amateurs et imitée. Aussi Yu He (ve siècle) nous rapporte-t-il dans son Mémoire sur la calligraphie :
- 6 Dans Yolaine Escande (éd.), Traités chinois de peinture et de calligraphie, t. I, Paris, Klincksiec (...)
À la fin [de leur vie] la calligraphie [de Wang Xizhi et de son fils, Wang Xianzhi] était à son sommet ; […] la cour impériale ne recherchait pas [leurs œuvres]. Elles furent gardées secrètes par les gens et les échanges allaient bon train ; le marquis Hui de Xinyu [Jiangxi] les appréciait et en faisait grand cas, il promettait de l’argent afin d’en acheter, peu lui importait le coût. Mais des disciples irresponsables [des deux Wang] se mirent à faire force d’imitations : avec de l’eau d’infiltration de huttes de chaumes, ils changèrent la couleur du papier, qu’ils usèrent également, en sorte que leurs calligraphies aient l’air anciennes ; les vraies et les fausses mélangées 真偽相糅, personne ne put faire la différence. C’est pourquoi, dans la collection que réunit le marquis de Hui, de nombreuses calligraphies n’étaient pas authentiques 多有非真 ; mais comme il s’y trouvait une grande quantité d’œuvres, certains manuscrits étaient de qualité […]6
9Ici, 真 porte à la fois le sens de « vrai » (les vraies et les fausses mélangées) et d’« authentique » (de nombreuses calligraphies n’étaient pas authentiques). Si, dans les premiers siècles de notre ère, des faux sont produits, ils se développent bien évidemment avec la demande, qui va de pair par la suite avec la diffusion des valeurs lettrées dans la société chinoise et avec le développement économique, en particulier des villes marchandes sous les dynasties Ming et Qing.
- 7 Voir Simon Leys, « L’attitude des Chinois à l’égard du passé », art. cit., p. 745.
- 8 Voir ce qui est rapporté à ce sujet par le théoricien Yanyuan Zhang (viiie siècle), dans Traités ch (...)
10D’une part, il apparaît que la tradition des faux et des copies était une véritable institution, car chaque famille lettrée se devait de posséder une collection d’œuvres de grands maîtres, que ce soit des calligraphies ou des peintures. Ces dernières étaient naturellement en nombre très limité et, pour la plupart, conservées dans la bibliothèque impériale ; hormis les très hauts fonctionnaires, ministres ou académiciens, la plupart des lettrés n’avaient jamais l’occasion de voir ces œuvres (y compris les théoriciens)7. Il en était donc fait des copies par les ministres ou fonctionnaires en question et il existait un marché de l’art de copies et de faux de plus ou moins bonne qualité. Quant aux familles qui avaient réussi à acheter des œuvres de grands maîtres, elles devaient tôt ou tard les remettre à la collection impériale8.
- 9 Voir Chu-tsing Li (éd.), Artists and Patrons : Some Social and Economic Aspects of Chinese Painting(...)
11D’autre part, avec l’augmentation du nombre des lettrés et la diffusion de leurs valeurs, avec l’enrichissement des villes côtières, dès les Song et les Yuan (xie-xive siècle), le nombre des collections privées et institutionnelles augmente grandement. Sous les Ming, les riches marchands ont les moyens d’acquérir des antiquités ou des œuvres onéreuses et leur apport financier tout comme leur goût influe sur le marché de l’art. Bien évidemment, les faux se développent à cette faveur et les techniques se diversifient9.
12Une des tâches primordiales de la bibliothèque impériale est d’expertiser et d’authentifier les œuvres de la collection impériale et ce, dès le début de notre ère. Ainsi, Zhang Yanyuan, auteur des monumentales Annales des peintres célèbres des dynasties successives (847), explique-t-il :
- 10 Dans Traités chinois de peinture et de calligraphie, t. 2, op. cit., p. 623-624.
Depuis l’Antiquité, les calamités causées par la guerre ont souvent détruit par le feu [les peintures] qui ont dû lutter, à maintes reprises, contre les lames des fleuves ; plus les années et les dynasties passent et s’éloignent, et plus nombreuses et immenses sont les pertes et les disparitions. Si les souverains n’en avaient pas fréquemment fait grand cas, leur recherche et leur examen auraient fait défaut, et si ce n’était pour l’appréciation et le plaisir des hommes accomplis, le gracieux (yan) et le disgracieux n’auraient pas été distingués. C’est pourquoi si « les os de coursier n’apparaissent pas » [si des peintures de grande qualité ne peuvent être obtenues], « des rats morts passent pour un jade non poli » [des œuvres de qualité inférieure peuvent passer pour des authentiques]10.
13Dans l’authentification des œuvres, la présence des sceaux sur le support matériel est essentielle. C’est cette présence qui permet de reconstituer la vie de l’œuvre. Dans ce processus, il n’est question ni d’esthétique, ni d’éthique.
2. Authenticité, éthique et valeurs
14La question de l’authenticité porte, comme en français, aussi bien sur l’œuvre que sur l’artiste. Jusqu’à la dynastie des Tang, authenticité et vérité en art se recouvrent. À partir du xe siècle, l’authenticité se distingue de la vérité : si l’authenticité porte sur l’aspect matériel de l’œuvre, la vérité concerne essentiellement l’artiste.
- 11 Sur l’origine de l’adage, je me permets de renvoyer à mon livre L’Art en Chine, Paris, Hermann, 200 (...)
15Dans le même temps, est également conçue l’authenticité au sens moral de « droiture » et au sens technique d’orthodoxie. Il s’agit alors d’un autre caractère, zheng 正, qui signifie « exact, droit, juste, correct ; régler, établir l’ordre, rectifier ». L’authenticité de l’artiste s’avère fondamentale dans les arts chinois et intimement liée à une éthique de vie, correspondant à l’idéal lettré : selon l’adage « à cœur droit, écriture droite », qui peut aussi être traduit par « à cœur authentique, écriture authentique », un tracé réussi dépend plus de l’attitude morale du scripteur que de sa maîtrise technique11. L’authenticité porte ici très clairement un sens moral, à tel point que c’est cette valeur morale qui détermine la qualité esthétique de l’œuvre. L’authenticité met alors en jeu deux – la première et la dernière – des six règles de la peinture chinoise, qui peuvent s’appliquer à d’autres arts.
16La première est en effet « la résonance des souffles qui donne vie et mouvement ». Elle a été édictée à la fin du ive siècle de notre ère. Or, à partir des Song (960-1279), la « transmission spirituelle » (chuanshen) s’oppose à la « transmission formelle » (chuanxing), elle-même fondée sur la copie. Voici ce qu’affirme le peintre et théoricien Deng Chun (xiie siècle) :
- 12 Propos divers de la Suite à [l’histoire des] peintres (Huaji Zashuo, 1167), dans Jianhua Yu (éd.), (...)
La peinture est l’apogée de la culture […] Grande est la fonction de la peinture. Des milliers d’existants entre ciel et terre, il n’en est aucun dont on ne puisse complètement décrire les attitudes en suçant le pinceau et mouvant ses pensées. La raison pour laquelle elle parvient à en décrire complètement les caractéristiques ne tient qu’à une règle, qui consiste à transmettre l’esprit, c’est tout. Les gens savent d’ordinaire que les hommes ont un esprit, mais ils ignorent que les choses en ont un aussi. À ce sujet, si [le théoricien Guo] Ruoxu [xie siècle], qui avait un profond mépris pour les artisans, disait [de leurs peintures] que même qualifiées de telles, elles n’en étaient point, c’était parce qu’ils ne savaient que transmettre leur forme et étaient incapables de transmettre leur esprit. C’est pourquoi la première règle de la peinture est celle de « la résonance des souffles qui donne vie et mouvement »12.
17Cet extrait est extrêmement instructif : l’auteur, un lettré, insiste sur le fait que, tout d’abord, les seules personnes véritablement capables de peindre sont les lettrés et gens de qualité, par opposition aux artisans. Ensuite, il relie leur capacité à peindre à celle de savoir transmettre l’esprit et à la première des règles de la peinture. L’aspect formel de la peinture est rejeté, parce qu’il se rattache à l’artisanat, autrement dit au travail des mains, contrairement au mouvement de l’esprit prôné par Deng Chun et les lettrés.
18En d’autres termes, la capacité à savoir « transmettre l’esprit » est liée à l’appartenance à une classe sociale, celle des lettrés, c’est-à-dire les gens qui possèdent la maîtrise de l’écriture (et non l’aristocratie). Néanmoins, l’appartenance à la classe des lettrés ne garantit pas d’avoir cette capacité ; encore faut-il être remarquable d’un point de vue moral et incarner les valeurs que vénèrent les lettrés, dont notamment l’intégrité, la sincérité, ou l’authenticité.
19D’un autre côté et parallèlement, les lettrés établissent l’idéologie lettrée, opposant les valeurs matérielles à celles d’un ordre plus spirituel ou moral. En effet, les choses matérielles sont vouées à une disparition inéluctable, alors que les valeurs spirituelles, en particulier celles qui répondent à une éthique, par contraste, sont transmises. Voici ce que l’homme d’État, savant, prosateur et historien Ouyang Xiu (1007-1072) rapporte. Il le fait au sujet de l’inscription de la tombe de Wang Jun, un fonctionnaire des Han (206 avant J.-C. - 220 après J.-C.) :
- 13 Deux rois légendaires parangons de vertu.
- 14 Recueil sur ma collection d’antiquités (Jigulu), dans Siku quanshu (Bibliothèque impériale en quatr (...)
Tout ce qui présente une forme matérielle est destiné à disparaître un jour. C’est pourquoi le Dao de l’homme de bien ne disparaît pas mais se transmet de génération en génération, aussi infini que le ciel et la terre. Yan Hui [521-490, disciple de Confucius] vivait retiré dans une ruelle misérable et pourtant son renom est aussi éclatant que celui de Yao et Shun13. En quoi aurait-il dépendu des choses matérielles pour être transmis après sa disparition ? Sa reconnaissance repose-t-elle sur des actions remarquables ? C’est pourquoi on dit que ce qui ne disparaît pas matériellement est le Dao et ce qui est d’abord caché mais ensuite évident est l’intégrité (cheng). C’est ce dont l’homme de bien fait grand cas. Wang Jun des Han a tenté de se faire un renom à partir des choses matérielles ; mais une fois disparu, en quoi le métal ou la pierre diffèrent-ils de tuiles brisées ?14
20On ne peut connaître de Wang Jun en effet que son nom et sa fonction, visibles dans le titre de l’inscription car, à l’époque d’Ouyang Xiu, l’inscription était déjà illisible et son auteur comme celui dont elle célébrait les actions étaient tombés dans l’oubli. L’intégrité, aussi parfois traduite par sincérité, est un autre terme qui désigne l’authenticité au sens chinois. Ces considérations n’ont pas empêché Ouyang Xiu d’être l’un des plus grands collectionneurs de son temps.
21Un peu plus tard encore, le célèbre peintre des Yuan, Yang Weizhen (1296-1370), relie la capacité à transmettre des peintures de qualité au statut social de leur auteur :
- 15 Weizhen Yang, Préface au Miroir précieux pour l’examen de la peinture (Tuhui baojian) de Wenyan Xia (...)
La valeur bonne ou médiocre en peinture dépend de l’élévation ou de la bassesse de la qualité humaine [de l’artiste], qu’il s’agisse des princes ou des membres de la famille impériale, des hauts fonctionnaires ou des ermites, des moines taoïstes ou des femmes, s’ils ont cette qualité naturelle, ils peuvent surpasser le commun et devenir des saints pour être en tête de leur époque et célèbres pour la postérité15.
22En d’autres termes, la qualité d’une œuvre dépend moins du statut social de celui qui l’a réalisée que de sa valeur morale, du moins en théorie.
- 16 Ibid.
Mais s’ils ne l’ont pas, même s’ils parviennent à réaliser des copies de modèles qui correspondent aux normes et procédés, ils ne parviennent absolument pas à transmettre les intentions qu’ils saisissent d’eux-mêmes dans leur cœur. C’est pourquoi, lorsqu’on discute de la bonne ou de la mauvaise qualité d’une peinture, il est question soit de la transmission formelle (chuanxing), soit de la transmission spirituelle (chuanshen). Celle-ci est précisément la résonance des souffles qui donne vie et mouvement (qiyun shengdong)16.
23La transmission formelle, selon Yang Weizhen, porte sur la capacité à transmettre les modèles acquis par la copie, qui correspond à la sixième des règles de la peinture. Quant à la qualité spirituelle, comme ses prédécesseurs, il la relie à la première des règles de la peinture.
24Dans cette conception, la première fonction de la copie, loin de se limiter à la transmission des formes, tient essentiellement à la transmission de normes morales, de « vertus », réelles ou supposées telles. Elle consiste donc à transmettre des valeurs qui, elles, garantissent l’authenticité matérielle. Cela est vrai en peinture aussi bien qu’en calligraphie.
25Selon la croyance inculquée par l’apprentissage traditionnel des arts du pinceau, le praticien façonne sa personnalité par la copie des modèles, dont il n’intègre pas seulement les formes mais surtout les qualités à travers le geste revécu et réactualisé, comme l’explique le peintre et calligraphe Fu Shan (1606-1685) des Ming :
- 17 Poème montrant à mes enfants et petits-enfants comment faire des caractères (Zuozishi ersun), dans (...)
Jeune, j’ai étudié la régulière des maîtres des Jin et des Tang mais je n’arrivais pas à leur ressembler. Puis j’entrai en possession d’un autographe de Zhao Songxue [Zhao Mengfu, 1254-1322, ill. 1] dont la rondeur et la grâce coulantes me séduisirent ; je m’exerçai à le copier et parvins à en faire des imitations à s’en méprendre, mais je fus ensuite saisi par un sentiment de honte : n’étais-je pas dans le cas de quelqu’un qui, ayant voulu s’inspirer d’un homme intègre mais n’ayant pas eu la force d’égaler la hauteur de son caractère, se laissait aller et s’associait à des coquins, s’encanaillait au point de trouver leur compagnie naturelle ? Je me mis alors à l’école de Yan Lugong [Yan Zhenqing, 708-785, ill. 2] et je compris que j’avais été trompé par Songxue [Zhao Mengfu] pendant trente ans ; je ne me suis pas encore débarrassé de la vulgarité contractée chez lui, mais si j’en guéris, le mérite en reviendra aux Annales de l’Immortelle de Yan Zhenqing17.
1. Zhao Mengfu (1254-1322), Annales du monastère Miaoyan à Huzhou (Huzhou Miaoyansi ji), papier, Princeton University Art Museum.

2. Yan Zhenqing (708-785), Annales de l’Immortelle Magu, 771, détail d’un estampage des Song, Pékin, musée de l’Ancien palais.

26Si la transmission picturale (ou calligraphique ou encore poétique) est basée sur la copie et l’imitation des œuvres des anciens, le but n’est pas la reproduction de formes à l’identique mais l’appropriation par chaque artiste des qualités morales des anciens, incarnées dans leurs peintures ou calligraphies. La copie correspond aux premiers pas du novice dans l’apprentissage et, même pour un artiste confirmé, elle demeure un très bon exercice. Intégrer les qualités d’un maître demande des années et provoque l’acquisition d’automatismes et d’habitudes dans le tracé qui sont ensuite difficiles à modifier lorsqu’on veut passer à l’apprentissage d’un autre maître. La « transmission par la copie », matérielle, ne parvient à une « transmission spirituelle » réussie qu’à la condition que le copiste ait le « cœur droit » (zheng 正), qui est un principe tout autant technique, impliquant la tenue verticale de la hampe du pinceau, que morale, c’est-à-dire intègre (cheng 誠). La transmission est alors authentifiée par les sceaux du collectionneur (le sceau n’est pas une signature) qui donne à voir son regard en rouge sur le support de l’œuvre.
27Cette conception de la transmission de la peinture chez les lettrés a eu des conséquences assez immenses. Bien sûr, à la cour, étaient transmises des œuvres réalisées par des artisans et des professionnels. Reste que le prestige des lettrés et la diffusion de leur système de valeurs dans la totalité de la société chinoise entre les xve et xixe siècles font que leurs idées sont progressivement acceptées par tous.
28La question de la rencontre de l’authenticité telle qu’elle est conçue par les Chinois et de l’authenticité telle qu’elle est entendue en Occident actuellement se pose en termes concrets.
3. Authenticité et authenticité
- 18 Voir Judith G. Smith et Wen C. Fong (éd.), Issues of Authenticity in Chinese Painting, New York, Th (...)
- 19 Ibid., p. 7 : « to support our belief in the veracity of the painting ».
29Même si l’art chinois possède sa propre tradition de collections et d’appréciation des œuvres, celui-ci est en général étudié, défini, apprécié, classé et présenté dans les institutions européennes et américaines selon des principes considérés comme universels, tels que ceux qui régissent l’histoire de l’art en Occident : l’objet matériel prime, son aspect visuel constitue son élément essentiel d’étude, au détriment notamment de sa valeur emblématique, voire politique, ou de ses prolongements sur les autres sens que celui de la vision. Le critère de l’« authenticité » est alors considéré comme essentiel18 : celle-ci sert à « étayer notre croyance dans la véracité de la peinture »19. Il est intéressant de constater que l’authenticité est abordée sous l’angle de la « croyance », qui désigne en l’occurrence la crédibilité accordée à la réalité existentielle d’une œuvre. Concrètement, celle-ci dépend de la détermination de l’âge, de la technique, des matériaux, de l’auteur de l’œuvre. À l’origine, l’authenticité des œuvres d’art chinois, peintures et calligraphies, conservées dans les musées du monde entier, avait été établie par la tradition chinoise, et en particulier selon les critères des lettrés, notamment du grand artiste, expert et théoricien Dong Qichang (1555-1636). Ces critères furent progressivement stigmatisés par les spécialistes occidentaux de l’art chinois et considérés comme erronés et non crédibles.
30Cependant, l’authenticité ne se conçoit pas selon les mêmes valeurs en Europe ou aux états-Unis et en Chine. Alors qu’en Occident, elle porte sur ce dont l’origine, la réalité, l’auteur sont certifiés au sens légal, en Chine, on l’a vu, l’authenticité ne se définit pas en termes légaux, mais selon des normes morales, à des fins de transmission. Appliquée aux œuvres d’art, l’authenticité recouvre deux problèmes distincts, qui peuvent parfois se recouper : d’une part celui de l’inauthenticité des œuvres, c’est-à-dire des faux véritables, réalisés sur commande et qui sont mis sur le marché de l’art avec la volonté de tromper l’acheteur, et d’autre part celui des œuvres attribuées à tel ou tel maître de la tradition et qui s’avèrent produites par un atelier de peinture ou par un artiste anonyme, à des fins de transmission. Ces dernières œuvres ne sont pas considérées comme inauthentiques, bien au contraire. C’est à leur sujet qu’esthétique et éthique se rejoignent.
- 20 Voir Yao-ting Wang (éd.), The Tradition of Re-Presenting Art : Originality and Reproduction in Chin (...)
- 21 Richard Barnhart, Painters of the Great Ming. The Imperial Court and the Zhe School, Dallas, The Da (...)
- 22 Voir par exemple la série des ouvrages publiés par Xu Jianrong sur l’authentification des peintures (...)
31Dans la transmission des peintures, qui nécessairement subissent les dommages du temps, les copies sont essentielles, car sinon n’en subsistent que les titres ou des évocations. Les copies peuvent donner une idée de l’original plus ou moins fidèle20. En ce qui concerne la question des œuvres attribuées à de grands maîtres, jusqu’à très récemment, les musées du monde entier, y compris le Musée national du Palais à Taipei (Taiwan), dont la collection sert de référence car elle a été constituée par la dernière dynastie (1644-1911), présentaient des œuvres attribuées à de grands artistes des Tang (618-907) ou des Song (960-1279). Selon les spécialistes occidentaux tel James Cahill, ces peintures sont en réalité généralement dues à des artistes professionnels des Ming (1368-1644), passés sous silence, parce que professionnels. Un travail de réattribution de ces œuvres, commencé dans les années 1990, se poursuit aux États-Unis, au Japon21, en Chine populaire22 et, depuis quelques années, à Taiwan. Dans nombre de cas, les œuvres sont au mieux réattribuées à des artistes professionnels, au pire elles sont imputées à des auteurs anonymes, ce qui annihile une grande part de leur légitimité aux yeux des Chinois, étant donné l’importance qu’ils accordent à la transmission spirituelle d’un maître à un autre, au détriment de la transmission formelle des objets.
- 23 Fu Shen, dans Traces of the Brush. Studies in Chinese Calligraphy, New Haven, Londres, Yale Univ. P (...)
- 24 Voir Simon Leys (alias Pierre Ryckmans), La forêt en feu. Essais sur la culture et la politique chi (...)
32L’œuvre en tant qu’objet matériel n’a de valeur à leurs yeux que dans la mesure où elle contribue à perpétuer une mémoire, tant technique que spirituelle. En d’autres termes, une œuvre est authentique, au sens chinois, si celui qui l’a réalisée ou qui l’a copiée était intègre, sincère et authentique, autrement dit, si elle était réalisée à des fins morales de transmission. L’authenticité dans ce cas porte moins sur l’œuvre matérielle que sur celui qui la crée ou qui la transmet. Même si les artistes savent que, selon la tradition, l’œuvre n’est pas véritablement de la main du maître en question, si elle en transmet les qualités spirituelles, si elle a été réalisée selon une certaine éthique, elle mérite néanmoins de porter son nom23. Faire tomber l’œuvre d’un maître dans l’anonymat, c’est lui ôter sa légitimité et lui faire quitter la chaîne de transmission : une œuvre anonyme ne peut être appréciée selon les critères de la tradition esthétique chinoise, qui s’intéresse à l’artiste plus qu’à l’œuvre, à son comportement éthique plutôt qu’à sa seule technique. N’étant plus dépositaire de l’esprit d’un maître, elle perd tout intérêt. Elle est alors considérée comme inauthentique ou illégitime. L’œuvre d’un maître, en outre, n’a pas seulement la tâche de conserver le lien entre les générations, mais aussi et surtout de contribuer à un système global de correspondances, chargé de maintenir la cohésion de l’univers, qui garantit l’harmonie entre les hommes et le monde. La création artistique parachève en effet l’œuvre de la création de la nature24. Remettre en cause une filiation, c’est ébranler la totalité du système de pensée et d’unité avec l’univers. Celui-ci commence bien entendu par la légitimité politico-religieuse du pouvoir.
- 25 Richard Barnhart, Painters of the Great Ming, op. cit., p. 11.
33Or il se trouve qu’une collection impériale, comme celle qui fut constituée par la dernière dynastie, fonde la caution politico-religieuse du pouvoir. En outre, elle renferme les chefs-d’œuvre de la peinture et de la calligraphie, que tout artiste se doit d’avoir examinés, voire copiés. Chaque dynastie s’octroyant le pouvoir commence par établir son autorité en reprenant certains attributs de transmission légitime. Il n’est pas fortuit que les deux pôles politiques revendiquant la légitimité du pouvoir sur la Chine depuis 1949 possèdent chacun une « collection impériale », conservées respectivement au Musée de l’ancien Palais à Pékin, la Cité interdite, et au Musée national du Palais à Taipei. Cependant, cette dernière collection est précisément celle qui fut établie par la dernière dynastie, puis transférée à Formose (aujourd’hui Taiwan) par Chiang Kai-shek lors de son repli sur l’île en 1949. Après l’avènement du communisme en Chine continentale, pour remédier à la disparition de ces trésors, et surtout à la disparition de la légitimité du pouvoir détenue grâce à ce transfert par Chiang, les autorités communistes reconstituèrent dès 1952 une « collection impériale ». Par conséquent, désattribuer la collection de Taiwan, pour le pouvoir communiste du continent, revient à lui ôter toute authenticité, c’est-à-dire toute légitimité politique. Ce à quoi il a intérêt. Ainsi, le souci de déterminer les œuvres « authentiques » des historiens de l’art occidentaux, et américains en particulier, a des conséquences inattendues en ce qu’elles soulèvent des problèmes esthétiques et politiques qui dépassent la stricte histoire de l’art. Ainsi, l’historien de l’art Richard Barnhart, utilisant les méthodes occidentales, estime que la collection constituée par les Qing au xviiie siècle fut longtemps considérée comme « correcte » 正, c’est-à-dire authentique, alors que pourtant les acquisitions faites par l’empereur comportaient de nombreuses « erreurs »25 : ce qui compte aux yeux de Barnhart, ce sont les « erreurs » qui doivent être corrigées, alors que pour les conservateurs du musée de Taipei, c’est la cohérence et la caution politique que confèrent ces œuvres qui priment. Longtemps, l’attitude des conservateurs du musée de Taipei a été considérée comme passéiste et rétrograde. Mais la raison en est profonde et complexe : cette collection symbolise la possession du pouvoir légitime et l’ordre du monde. Dès lors, il n’est guère étonnant que le musée de Taipei ait d’abord rechigné à procéder à ces réattributions alors que les spécialistes américains et ceux de Chine populaire n’y voyaient aucun inconvénient, même s’ils le font pour des raisons très différentes.
- 26 Au sujet de la fabrication des faux en peinture et sur leur description par Xigu Zhao, voir Robert (...)
- 27 Voir J. Cahill, The Painter’s Practice, op. cit.
- 28 Voir les exemples donnés par Wen Fong, « The Problem of Forgeries in Chinese Painting », Artibus As (...)
- 29 Voir Yao-ting Wang (éd.), The Tradition of Re-Presenting Art, op. cit.
34Enfin, la question des faux touche à un autre problème, qui perdure en Chine depuis que l’art est théorisé. On a vu qu’il existait un marché de l’art et la réalisation de faux en peinture et calligraphie depuis au moins le ive siècle. Au xiiie siècle, le traité de Zhao Xigu (1170-1242), Recueil des purs registres de la grotte céleste (Dongtian qinglu ji), explique même comment on peut fabriquer des faux bronzes ou leur donner l’aspect de l’or, selon des techniques très établies, l’application de mercure mélangé à d’autres minéraux notamment26. En calligraphie, les faux se rapportaient à des artistes célèbres, dont les « traces d’encre » étaient déjà recherchées de leur vivant. Les faussaires qui imitaient les œuvres de leurs contemporains de renom étaient la plupart du temps des lettrés moins connus, qui cherchaient à améliorer leur quotidien, ou des artistes professionnels, agissant la plupart du temps sur commande27. Mais parfois, de très grands lettrés se sont livrés ouvertement avec une malicieuse jubilation à la réalisation de faux d’œuvres anciennes, tels les célèbres Mi Fu (1052-1107) et, plus près de nous, Zhang Daqian (1899-1983)28. Leur but était à la fois ludique – ils avaient ainsi le plaisir de tromper de soi-disant experts –, économique – ils se faisaient prêter des œuvres originales qu’ils n’auraient jamais eu les moyens de se procurer, qu’ils copiaient, puis ils rendaient les faux à la place – et technique – ils avaient alors la possibilité de démontrer leur achèvement artistique. Des œuvres soupçonnées d’être des faux se trouvent ainsi dans bien des collections, y compris les plus prestigieuses, et même en Occident : le New York Metropolitan Museum of Art a connu une querelle très importante en 1997, lorsqu’il a acquis une collection de peintures chinoises remarquables, qui lui ont été offertes par une famille de lettrés chinois réfugiés aux États-Unis. Parmi les œuvres, La berge (Riverbank), que le musée considère comme un authentique rouleau datant des Cinq Dynasties (xe siècle), est soupçonné par de nombreux savants et experts contemporains d’être de la main de Zhang Daqian. La polémique n’est pas close. Bon nombre des experts ne sont pas encore convaincus qu’il s’agit bien d’un authentique et véritable rouleau des Cinq Dynasties. Reste que, si un faux ancien est réalisé par un très grand artiste contemporain, sa valeur peut tout à fait être inestimable. D’ailleurs, certains chefs-d’œuvre ont pu être transmis parce qu’ils étaient des faux d’excellente qualité réalisés par de grands maîtres29.
- 30 Voir Yan Li, « Sur les faux en peinture », Meishu guancha (Art Observation), no 7, juillet 1999, p. (...)
35De telles pratiques de faux ne se sont jamais totalement interrompues en Chine. Au point qu’en 1999 a été mise en place une commission gouvernementale chargée d’examiner la question des faux en peinture, en recrudescence depuis le début des années 1990, et de proposer des solutions légales, qui finalement n’ont pas pu être appliquées. Elle comprenait des membres de l’Académie centrale des Beaux-Arts, comme Li Yan, peintre reconnu30. Tous les artistes qui ont un peu de notoriété voient en effet de nos jours leurs œuvres imitées et vendues sur le marché de l’art chinois (les principaux ateliers sont à Hangzhou, Shanghai et Hong Kong). Néanmoins, à cause de la corruption généralisée et de la demande croissante, il semble extrêmement difficile de remettre de l’ordre dans ces pratiques. La tradition de la copie est tellement installée et développée que tout artiste reconnu sur le plan national ou international doit passer un temps infini à rechercher ou à faire rechercher les copies ou les faux qui lui sont attribués et à authentifier ses propres œuvres ! C’était le cas notamment pour Wu Guanzhong (1919-2010), Chu Teh-chun (1920-) et Zao Wou-ki (1920-2013).
36Pour conclure, s’il existe plusieurs caractères pour désigner ce que les Chinois entendent par « authenticité », reste que son acception porte finalement sur une capacité immatérielle de transformation et d’adaptation. Le développement et la démocratisation des reproductions sur support papier, puis les copies numériques, n’ont pas supplanté dans la Chine contemporaine la tradition des copies d’œuvres de grands maîtres – Chinois ou Occidentaux de nos jours – par des artisans ni par des artistes. Cela s’explique par le fait que l’éthique de l’authenticité porte essentiellement sur les artistes – fussent-ils insincères, intéressés et non-originaux, donc inauthentiques, lorsqu’ils se comportent en faussaires – plutôt que sur les œuvres, dont l’esthétique est déterminée par des critères moraux, les considérations techniques (artistiques) passant au second plan.
Notes
1 Shen Xu (30-124), Shuowen jiezi (litt. Théorie des graphies primitives et explications des graphies dérivées, 100), Pékin, Zhongghua shuju, 1987, p. 168.
2 Yucai Duan, Shuowen jiezi zhu (Commentaire du Shuowen jiezi, 1815), compilé en 1776-1807, Taipei, Liming wenhua, 1990, juan 8.
3 Xunwu Chen, Being and Authenticity, Amsterdam, New York, Rodopi B.V., 2004.
4 Ibid., p. 4. À ce sujet, voir aussi Dainian Zhang, Key Concepts in Chinese Philosophy, New Haven, Londres, Yale University Press, 2002, p. 479-480.
5 Voir Simon Leys (alias Pierre Ryckmans), « L’attitude des Chinois à l’égard du passé », Commentaire, X, 1987 (p. 447-454), p. 450-451, rééd. dans Essais sur la Chine, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 745 (p. 739-756).
6 Dans Yolaine Escande (éd.), Traités chinois de peinture et de calligraphie, t. I, Paris, Klincksieck, 2003, p. 233.
7 Voir Simon Leys, « L’attitude des Chinois à l’égard du passé », art. cit., p. 745.
8 Voir ce qui est rapporté à ce sujet par le théoricien Yanyuan Zhang (viiie siècle), dans Traités chinois de peinture et de calligraphie, t. 2, Paris, Klincksieck, 2010, p. 625-632.
9 Voir Chu-tsing Li (éd.), Artists and Patrons : Some Social and Economic Aspects of Chinese Painting, Kansas, University of Kansas, Nelson-Atkins Museum of Art, University of Washington Press, 1989.
10 Dans Traités chinois de peinture et de calligraphie, t. 2, op. cit., p. 623-624.
11 Sur l’origine de l’adage, je me permets de renvoyer à mon livre L’Art en Chine, Paris, Hermann, 2001, p. 93.
12 Propos divers de la Suite à [l’histoire des] peintres (Huaji Zashuo, 1167), dans Jianhua Yu (éd.), Traités chinois sur la peinture par catégories (Zhongguo hualun leibian, 1957), 2 vol., Pékin, Renmin meishu chubanshe, rééd. 1977, vol. 1, p. 75.
13 Deux rois légendaires parangons de vertu.
14 Recueil sur ma collection d’antiquités (Jigulu), dans Siku quanshu (Bibliothèque impériale en quatre sections), éd. Qing, 1773, section histoire 14, juan 3, f. 16vo-17ro.
15 Weizhen Yang, Préface au Miroir précieux pour l’examen de la peinture (Tuhui baojian) de Wenyan Xia (xiie siècle), dans Jianhua Yu (éd.), Traités chinois sur la peinture par catégories, op. cit., vol. 1, p. 93.
16 Ibid.
17 Poème montrant à mes enfants et petits-enfants comment faire des caractères (Zuozishi ersun), dans Wenzheng Hou (trad. et comm.), Fu Shan lun shuhua (Propos sur la peinture et la calligraphie de Fu Shan), Taiyuan, Shanxi renmin chubanshe, 1986, p. 1.
18 Voir Judith G. Smith et Wen C. Fong (éd.), Issues of Authenticity in Chinese Painting, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1999.
19 Ibid., p. 7 : « to support our belief in the veracity of the painting ».
20 Voir Yao-ting Wang (éd.), The Tradition of Re-Presenting Art : Originality and Reproduction in Chinese Painting and Calligraphy, Taipei, National Palace Museum, 2007.
21 Richard Barnhart, Painters of the Great Ming. The Imperial Court and the Zhe School, Dallas, The Dallas Museum of Art, 1993, p. 9-11.
22 Voir par exemple la série des ouvrages publiés par Xu Jianrong sur l’authentification des peintures des Song, des Yuan, des Ming et des Qing, Shanghai, Shanghai guji chubanshe, entre 1997 et 2001.
23 Fu Shen, dans Traces of the Brush. Studies in Chinese Calligraphy, New Haven, Londres, Yale Univ. Press, 1977, p. 3-20, montre bien comment la transmission des œuvres maîtresses de la tradition calligraphique chinoise s’est faite par des copies de manuscrits d’excellente qualité et finalement par assez peu d’originaux.
24 Voir Simon Leys (alias Pierre Ryckmans), La forêt en feu. Essais sur la culture et la politique chinoises, Paris, Hermann, 1983, p. 22-23.
25 Richard Barnhart, Painters of the Great Ming, op. cit., p. 11.
26 Au sujet de la fabrication des faux en peinture et sur leur description par Xigu Zhao, voir Robert H. van Gulik, Chinese Pictorial Art as Viewed by the Connoisseur, Rome, Istituto Italiano per il Medio ed Estremo Oriente, 1958, p. 89, 100-101, 411, 459-460, 489.
27 Voir J. Cahill, The Painter’s Practice, op. cit.
28 Voir les exemples donnés par Wen Fong, « The Problem of Forgeries in Chinese Painting », Artibus Asiae, vol. 25, no 2/3, 1962, (p. 95-140) p. 96-97.
29 Voir Yao-ting Wang (éd.), The Tradition of Re-Presenting Art, op. cit.
30 Voir Yan Li, « Sur les faux en peinture », Meishu guancha (Art Observation), no 7, juillet 1999, p. 68, p. 68-71 ; voir aussi Meishu guancha, février 2001, p. 62-63.
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Titre | 1. Zhao Mengfu (1254-1322), Annales du monastère Miaoyan à Huzhou (Huzhou Miaoyansi ji), papier, Princeton University Art Museum. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/docannexe/image/1903/img-1.jpg |
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Titre | 2. Yan Zhenqing (708-785), Annales de l’Immortelle Magu, 771, détail d’un estampage des Song, Pékin, musée de l’Ancien palais. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/docannexe/image/1903/img-2.jpg |
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Pour citer cet article
Référence papier
Yolaine Escande, « Authenticité, esthétique et éthique dans les arts visuels chinois », Noesis, 22-23 | 2014, 219-235.
Référence électronique
Yolaine Escande, « Authenticité, esthétique et éthique dans les arts visuels chinois », Noesis [En ligne], 22-23 | 2014, mis en ligne le 15 juin 2016, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/1903 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.1903
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