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Respect et inviolabilité du corps humain

Paul-Antoine Miquel
p. 239-263

Texte intégral

Introduction

1Entre le 1er et le 30 juillet 1994, la France s’est dotée de nouvelles lois. La première s’intitule :

  • Loi relative au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé.

2Les deux suivantes :

  • Loi relative au respect du corps humain.

  • Loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

3Le droit, si l’on s’en tient à la conception positiviste de Hans Kelsen (Théorie pure du droit1) se caractérise fondamentalement d’abord par la notion d’imputabilité. Une action peut être imputée à quelqu’un qui en est à ce titre responsable. Il est sujet de droit.

4Cela se manifeste par le fait qu’il peut agir de manière licite, dans les limites de ce qui est autorisé par le droit et des lois que nul n’est censé ignorer. Mais à la norme primaire qui définit ce qui est licite, s’associe une norme secondaire qui rapporte ce qui est illicite à une sanction. Il n’y a donc pas de droit sans droit pénal et l’ordre juridique repose ainsi sur la coercition ou contrainte externe.

5Le positivisme de Kelsen rejoint sur ce point la position transcendantale de Kant qui définit le concept pur et a priori de droit (Doctrine du droit2), par la coexistence de la liberté de chacun avec la liberté de tous, sachant que cette coexistence ne peut être assurée que par la subsomption du droit privé en droit public. L’État est donc là pour faire respecter les lois, pour transformer la possession en propriété et pour punir tous ceux qui violent ce principe fondamental de coexistence, qui à rebours prend aussi la forme d’un principe de publicité, dans le Traité de paix perpétuelle.

6Un autre trait caractéristique de la position de Kant et de Kelsen est le fait que la norme juridique qui m’érige en sujet de droit ne m’érige pas pour autant en sujet moral. La personne sujet de droit doit donc être distinguée de la personnalité morale, par un trait fondamental : je ne suis pas obligé par moi-même de respecter les normes juridiques. La norme juridique ne peut prendre la forme d’un impératif, d’une obligation interne. Elle prend plutôt la forme d’une contrainte externe. Si je suis libre, en tant que sujet de droit, c’est parce que je suis forcé à être libre. La justice, comme le note aussi Rousseau, repose donc nécessairement sur un certain usage de la force.

7Le droit civil français se prête assez volontiers à ces distinctions. Il repose en effet tout entier sur une opposition fondamentale entre ce qui est sujet de droit (la personne) et ce qui peut être l’objet d’un droit (les biens matériels ou immatériels). Précisons un moment ce point et voyons notamment ce que le droit français traditionnel appelle une personne. Pour ce faire, nous allons nous aider d’un remarquable petit livre écrit par Jean-Pierre Baud : L’Affaire de la main volée3. Nous prendrons appui également sur le livre que Marie-Angèle Hermitte consacre à l’affaire du sang contaminé4. Jean-Pierre Baud montre comment la doctrine française héritée de la distinction des choses et des personnes (venant du droit romain) connaît une évolution spécifique. Elle tend à accentuer à l’envi le dualisme ou la dualité entre ce qui est sujet de droit et ce qui est l’objet d’un droit, par le fait que la personne est pour elle une entité absolument immatérielle dont nous ne pouvons pas — à ce titre — devenir propriétaires. Il montre qu’il y a là un point d’inflexion caractéristique corollaire de ce dualisme : la désacralisation du corps humain.

8La personne, d’abord, peut exister avant sa naissance. L’enfant conçu est en effet considéré comme né par le droit français lorsque c’est son intérêt. Elle peut aussi survivre à l’être humain. Il y a par exemple présomption de l’éternité d’un absent dont on ne peut prouver la mort physique. Inversement et d’une manière non dénuée de contradiction, la personne peut mourir alors que le corps est bien en vie. Depuis la loi française du 28 décembre 1977, le jugement déclaratif d’absence peut signifier la mise à mort d’une personne pourtant vivante. Elle autorise ainsi la transmission du patrimoine aux héritiers et le conjoint ou la conjointe à se remarier. La réattribution d’une personnalité juridique à l’absent qui revient est nommée d’une manière hautement significative : résurrection. La personne peut aussi être une personne morale. Mais il ne faut entendre par l’usage de ce terme aucune allusion à la personnalité de Kant. Une personne morale est un sujet de droits représentant un ensemble d’individus (une société, une association), voire une masse de biens (une fondation). L’État lui-même, dans Le Contrat social de Rousseau est alors doté d’une personnalité morale et collective, afin de pouvoir édifier la fiction de la volonté générale.

9Qu’en est-il alors du corps ? Dans le cadre de la loi sur les coups et blessures (Code pénal, article 309), ce qui est fait à mon corps est puni en tant que par son intermédiaire, on a porté atteinte à ma personne. Mais fondamentalement le corps ne peut être considéré que comme une chose, ce qui pose un problème fondamental : une chose en effet est un objet de droit. Il n’y a pas de raison par conséquent que l’on ne puisse pas traiter une chose comme un bien. Il faut une distinction juridique supplémentaire pour faire alors la différence entre un bien et le corps humain. Si cette distinction juridique n’apparaît pas, la sacralisation de la personne et la désacralisation du corps peuvent très bien conduire à la justification de l’esclavage. Si je possède mon corps comme une chose, rien ne m’interdit donc de le vendre. Je peux aussi à ce titre vendre les produits, voire les parties de mon corps. Rien ne m’interdit dans le droit français de vendre mes cheveux. Mais comment justifier l’interdiction de la vente du sang ou du sperme ? Comment justifier l’interdiction de la vente d’un rein ou d’un poumon ? Comment justifier l’interdiction de la prostitution ? Si je possède mon corps comme une chose, pourquoi ne serait-il pas enfin « civilement normal » de mourir de faim ?

10Jean-Pierre Baud montre ici clairement l’antagonisme entre la doctrine du droit civil et la tradition religieuse chrétienne, notamment la tradition franciscaine. Du point de vue du droit français les aliments sont une catégorie de choses susceptibles d’être acquises. Le fait qu’un indigent meure de faim est donc parfaitement légal. La personne ne connaît donc pas la faim. La propriété, dans la foulée exprime ainsi la relation entre la personne et les choses. De ce point de vue, le fait de s’approprier des aliments pour survivre est nécessairement un vol. C’est contre cet état de chose que la doctrine franciscaine revendique un droit d’usage de fait (usus factis) qui n’a rien à voir avec les droits de la personne en tant que sujet de droit.

11C’est l’objet de droits qui revendique ce droit, puisque ce droit d’usage est celui du corps. C’est aussi cet objet de droit, le corps, qui va pourtant devenir sujet de soins dans l’Europe industrielle du dix-neuvième siècle. Jean-Pierre Baud montre notamment l’évolution de la doctrine selon laquelle l’accident du travail (1898) et la maladie professionnelle (1919) sont reconnus et indemnisés « en l’absence d’une faute démontrée ».

12Mais nous assistons, avec l’arrivée de ces nouvelles lois bioéthiques, avec cette montée de la bioéthique au biodroit à un niveau de complexité supplémentaire : c’est mon sang ou mon sperme qui sont susceptible d’être utilisés par le pouvoir médical à des fins de recherche, à des fins thérapeutiques, mais aussi à des fins commerciales. Ce sont mes organes que je peux vendre. Il n’est plus possible alors d’ignorer que ce corps, traditionnellement objet de droit, est pourtant en même temps « Mon Corps. » Le problème philosophique du « corps propre » fait ainsi irruption dans la doctrine juridique. Voyons comment celle-ci le traite.

13Avant même d’en examiner le traitement, notons tout de suite les implications directes que peut avoir cette montée de la bioéthique au biodroit. Revenons pour ce faire sur la doctrine de Kelsen (1881–1973). On sait en effet que, pour le juriste suisse, une fois établie la distinction statique entre normes primaire et secondaire, ce qui caractérise la dynamique normative du droit, la normativité juridique, est qu’elle puisse prendre une forme cohérente et hiérarchique de telle sorte que tout l’édifice repose sur une norme fondamentale (Urnorm) qui n’est autre que la Constitution politique d’un pays. La légitimité de cette norme originaire ne repose alors que sur sa validité logique et sur son efficacité. Nous sentons ici l’évidente influence de l’empirisme logique sur la doctrine de ce juriste. Il se donne les moyens de penser le problème de la souveraineté dans des termes interne au droit, par exclusion de l’éthique et de la politique. C’est supposer d’abord qu’une réflexion politique sur la norme de justice ne sert à rien pour penser le droit et pour penser la légitimité de l’ordre juridique — ce qui lui a été reproché de bonne heure.

14Mais c’est supposer ensuite que le fondement du droit ne peut en rien reposer sur l’éthique. La norme éthique et la norme juridique n’ont rien en commun. Nous allons donc devoir nous interroger ici sur un double cadre. Il ne faut pas simplement nous demander de quelle façon le corps propre fait irruption dans le droit avec les lois françaises de 1994. Il faut également nous demander pourquoi cette irruption remet en question la séparation traditionnelle fondamentale entre les niveaux éthique et juridique.

Le nouveau code pénal doit exprimer les valeurs de notre société. Les indications qu’il formule, les peines qu’il comporte doivent être en harmonie avec la conscience collective5.

15Plutôt que de nous demander ici seulement comment cette irruption du corps propre transforme le droit, nous allons surtout nous interroger sur la manière dont elle transforme l’éthique et sur la manière dont elle nous oblige à repenser les relations entre l’éthique et le juridique. C’est ce qui sera au centre de cette intervention.

1. Dignité, inviolabilité et respect

16Les textes nationaux français statuent d’abord sur le traitement des données ayant pour fin la recherche en matière de santé et non le statut thérapeutique des patients. Ils sont soumis au principe de confidentialité d’une part et au principe de consentement des personnes d’autre part. Il sont soumis à l’autorisation de la C.N.I.L.

17Ils statuent ensuite sur la notion de corps humain :

Article 16 . La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dés le commencement de la vie.

16-1 Chacun a droit au respect de son corps.
Le corps humain est inviolable.
Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial.

16-3 Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne.
Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement6.

18Nous voyons clairement apparaître la notion de personne au centre du biodroit. Nous retrouvons ici la même disposition dans la Convention pour la Protection des Droits de l’homme et de la dignité de l’être humain prononcée le 4 avril 1997 par le Conseil de l’Europe :

Art. 1. Les parties protègent l’être humain dans sa dignité et son identité et garantissent à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard des applications de la biologie et de la médecine.

Art. 2. L’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science7.

19Il y a évidemment une importante différence. Le Conseil de l’Europe n’a pour vocation que de promouvoir les droits de l’homme. L’objectif est d’énoncer des principes, des droits fondamentaux vis-à-vis desquels les États ont des obligations à respecter. L’intégration de tels articles à l’intérieur du texte français revient donc à une forme nationale de judiciarisation des droits de l’homme et ainsi à une dépositivisation du droit. Le système judiciaire prévoit ainsi l’application de peines en cas de non respect de ces droits fondamentaux. La morale fait donc bien irruption dans le droit français, d’une manière tout à fait contraire au modèle préconisé par Kelsen.

20Cette notion de respect de l’être humain apparaît également au centre de la loi Weil de 1975.

La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi8.

21Elle est garantie ensuite par les différents avis du C.C.N.E. (22 mai 1984) qui définissent l’embryon comme une personne humaine potentielle :

L’embryon ou le fœtus doit être reconnu comme une personne humaine potentielle qui est ou a été vivante et dont le respect s’impose à tous9.

22Le fait marquant pour nous à l’intérieur de ces textes concerne le glissement qu’ils opèrent entre le respect dû à la personne et le respect dû au corps. Cette notion de respect dû au corps repose sur un double principe. D’un côté l’inviolabilité qui suppose qu’aucune atteinte ne peut être faite à l’intégrité du corps humain.

23D’un autre côté le fait que le corps humain ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial au sens où il est hors commerce et où il ne peut faire l’objet de conventions. Ce serait autrement traiter le corps humain comme une chose susceptible d’appropriation. Nous pourrions nous estimer propriétaires de notre corps.

24Mais en quoi le fait que nous soyons propriétaires de notre corps pose-t-il un problème ? En quoi ce fait pourrait-il venir heurter un principe, qui n’est pas seulement une règle de droit, mais un principe fondamental des droits de l’homme ? La question se pose du point de vue même du droit : comment une personne pourrait-elle être propriétaire de son corps ? Si elle est propriétaire, il est objet de droit en effet. Mais s’il s’agit de son corps, ce qui est objet de droit devient ipso facto sujet, tant il est vrai que ce corps est en même temps le mien. Il nous faut donc plutôt renverser la formule ici.

  • a) Nous allons démontrer en effet que la perspective conduisant à faire d’une personne la propriétaire de son corps revient immanquablement à nier son statut de personne. Il y a une tension interne dans cet énoncé, y compris si nous prenons le mot personne au sens de personne juridique et non au sens de personnalité morale. Cette tension vient de l’usage de la notion de propriété d’un côté, mais d’une mauvaise conception de la notion de sujet humain de l’autre, comme s’il fallait entendre par « sujet » un principe métaphysique ou une entité immatérielle autonome au sens où elle pourrait manifester son indépendance par rapport au corps.

  • b) Le problème qui est posé par ces textes est donc inversement plutôt de comprendre, comment mon corps peut-il être sujet de droit ? Comment cela peut-il être une définition de la dignité du corps, et comment au nom de cette dignité, celui-ci peut-il avoir un droit fondamental au respect, un droit érigé jusqu’à la hauteur d’un droit de l’homme ? Le renversement de la question conduit évidemment à modifier de fond en comble l’usage de la catégorie de « sujet » en philosophie pratique.

2. La personne propriétaire de son corps

25Revenons sur la première direction de pensée que nous venons de définir. Pour y revenir convenablement, il convient de préciser d’abord le sens qui peut être donné à la notion de personnalité morale, à partir de Kant, d’abord, mais aussi des positions théoriques du philosophe américain néokantien : Tristam Engelhardt.

262.1. Nous savons que chez Kant, c’est la possibilité d’obéir à la loi morale qui fait de tout être humain un être raisonnable et qui est à ce titre respectable. Le respect n’est pas une condition préalable à la caractérisation de la norme éthique, c’est plutôt l’obéissance à la loi éthique qui est pour ma volonté, la condition transcendantale à la possibilité de la liberté morale. Cette obéissance n’est fondée pour Kant que sur la Raison et non sur le sentiment ou l’émotion. Le respect, en tant que mobile de la Raison pratique peut simplement venir accompagner l’énoncé des conditions transcendantales de possibilité de ma liberté morale qui sont aussi celles de l’autonomie de la volonté. Il n’est au fondement d’aucune maxime de la Raison pratique. Pour le philosophe allemand, en effet, la loi morale est un commandement de la Raison, ce que nous pouvons repérer par le fait que nous pouvons soumettre nos maximes à une condition purement formelle et indépendamment du contenu matériel de celles-ci : sont-elles ou non universalisables ? Le fait que nous puissions agir de telle sorte que la maxime de nos actions soit susceptible de valoir comme principe d’une législation universelle est seul constitutif de notre personnalité morale.

  • a) Selon Kant en effet tout d’abord, la Raison est ramené ainsi par le caractère non empirique de la règle qu’elle se donne à une pure sphère d’immanence. La volonté trouve le fondement transcendantal de la moralité de ses maximes à l’intérieur d’elle-même, c’est ce que traduit le concept « d’intention morale » (p. 89). Le Ciel est par-dessus le toit. Mais c’est en moi qu’est la loi morale. Il s’agit alors d’un pur « en moi » idéalisé, possibilisé, qui ne peut être affecté par rien. Cet « en moi » n’a pas de corps. Il n’est pas soumis aux contraintes empiriques propres aux corps. Il n’est pas observable comme un phénomène, il est au contraire la marque que c’est le sujet transcendantal, en tant que noumène qui est au fondement de mes maximes. Il est la marque du caractère intelligible du sujet transcendantal, qui, quoiqu’il soit une chose en soi, ne peut être réduit au statut d’une simple chose, au sens d’un objet = x qui est déterminable, qui constitue une « matière » susceptible de détermination et de représentation. Ce sujet transcendantal est au contraire une Fin en soi, une Intelligence. Et nous voyons ainsi comment cette caractérisation de la Raison repose sur un socle de croyance, puisqu’elle suppose que nous acceptions l’usage régulateur des Idées transcendantales de Monde, d’Âme et de Dieu. Elle suppose que la personnalité n’est pas construite par la Raison. Par l’usage de la Raison, nous découvrons son essence, comme un Fait qui n’est pas empirique, mais qui nous transporte au contraire au-delà de l’expérience :

Ce n’est pas autre chose que la personnalité, c’est-à-dire la liberté et l’indépendance à l’égard du mécanisme de la nature entière. (p. 91)

27Il faut donc absolument qu’en posant cette condition formelle d’universalisation, nous manifestions le caractère désintéressé de la personnalité morale. Cette condition formelle d’universalisation de nos maximes n’est donc pas le produit anthropologique de la Raison, mais plutôt ce qui fait signe vers le statut intelligible de notre condition d’être raisonnable.

  • b) Puisque c’est dans cet « en moi » idéalisé qu’est la loi morale pour Kant et que cet « en moi » n’a pas de corps, il n’est pas non plus l’objet d’une connaissance. Ce n’est pas par la connaissance que nous pouvons accéder aux conditions rendant possibles notre liberté morale. Il faut donc supposer que tout critère technique ou scientifique est neutre moralement. La morale se situe à un autre niveau, puisque la Raison a un usage « en lui-même » pratique et que la volonté qui lui obéit n’obéit qu’à la loi qu’elle se donne à elle-même, et non aux lois de la nature. Les lois de la nature et l’usage technique que l’on peut en faire ne sont plus d’aucun ressort dans ce nouveau « domaine » de la Raison pure pratique. En aucune manière la connaissance de l’être humain ne peut venir influer sur la moralité de nos actions. L’éthique ne saurait trouver son fondement dans une anthropologie et il est impossible de la naturaliser. Ce que nous faisons à notre corps par la technique ou par la science n’est donc susceptible a priori d’aucune condamnation morale. Certes, notre corps n’est pas une simple chose, puisqu’il est un corps vivant et qu’il n’y a pas encore de Newton du brin d’herbe susceptible de nous éclairer sur le statut causal de cette force formatrice à l’origine de la vie. Mais cette tranquillité intérieure toute négative qui est à l’origine du sentiment moral « est l’effet d’un respect pour quelque chose qui est tout-à-fait autre que la vie et auprès duquel au contraire, en comparaison et en opposition, la vie avec tout son charme (Annehmlichkeit) n’a aucune valeur » (p. 93). Il n’y a donc pas de droit de la vie qui trouve son fondement dans la loi morale. L’idée que le vivant ait droit au respect est une aberration pour Kant, puisque le vivant, n’est pas, en tant que vivant, soumis à des obligations qu’il se donne. Nous pouvons, sur ce fondement, discuter de ce que nous entendons par « être raisonnable ». Un enfant est déjà un être raisonnable, puisque la raison n’est pas une potentialité, mais bien une faculté dont il dispose indépendamment de toute condition spatio-temporelle. On peut sans doute user de cet argument pour se demander dans quelle mesure l’embryon humain ne dispose pas déjà de cette faculté. C’est la direction de pensée de Vincent Bourguet (L’Être en gestation). Mais en aucune manière notre corps ne l’est. Le principe de l’intégrité du corps est donc une condition biologique de viabilité, qui n’a rien à voir avec une condition de moralité. Ce n’est pas sur le fondement de la morale kantienne que l’on peut défendre l’idée de l’intégrité et de l’inviolabilité du corps. Encore moins peut on revendiquer à ce titre un droit sur les produits de notre corps, comme le sang ou comme le sperme, puisque notre corps n’est pas une personne et qu’il ne dispose pas d’une personnalité. Il n’y a aucune raison de ne pas pouvoir faire commerce des produits de son corps et de vendre son sang et son sperme. Le principe qui empêche ce commerce vient d’ailleurs. Cette position radicale pose un problème évident : qu’est-ce en effet qu’un être moral qui n’est pas viable ? Qu’est-ce qu’un être moral dont on ne respecterait pas les conditions de viabilité ? Ce point vient du fait que la personnalité morale est immatérielle chez Kant, qu’elle ne peut ni se toucher, ni s’éprouver, comme tel est pourtant le cas concernant notre corps. Il est « notre corps », mais il peut se toucher et s’éprouver. Ce point vient du fait que l’énoncé formel de la possibilité que nous avons d’universaliser nos maximes autorise la croyance en la thèse, selon Kant, que l’être moral est un sujet transcendantal idéalisé, dont l’être ne dépend pas de ce qui m’affecte. Mais ce point nous empêche réciproquement de statuer éthiquement sur tout ce qui concerne notre corps.

  • c) Notons un dernier point enfin qui est fondamental. Il y a une distinction essentielle pour Kant entre la personne juridique et la personnalité éthique. Le passage transcendantal de la morale au droit, nous l’avons noté, est caractérisé par le fait que la liberté de chacun doit coexister avec la liberté de tous. Mais les sujets de droit ainsi caractérisés sont tout autre chose que des sujets moraux. Ce devoir en effet n’est pas une obligation interne qui me ramène à la sphère de pure immanence de la Raison « en elle-même » pratique. Il faut faire la différence entre la « contrainte interne» (SelbstZwang, innere Nöthingung) que le sujet moral s’impose à lui-même et qu’il impose à ses désirs d’une part, et la contrainte externe que la loi juridique fait subir aux sujets de droit. N’oublions pas que la justice n’est pas fondée sur la loi morale. Elle est fondée sur le respect de la loi qui dépend directement de la possibilité d’appliquer la force. La personne juridique n’a donc rien à voir directement avec la personne morale. Le fait que je sois sujet de droit signifie simplement que je dois respecter les lois, compte non tenu du fait que ces dernières soient ou non légitimes. Rappelons que pour Kant, il n’y a aucun droit de révolte des citoyens contre leur souverain, ce dernier fût-il le pire des tyrans. Le fait donc que la personne juridique ait droit au respect en tant que personne morale, ne concerne justement plus le droit. Cela concerne l’histoire et les mécanismes providentiels qui se mettent à l’œuvre en elle.

282.2. Il est possible alors de s’engouffrer dans cette direction de pensée pour enfoncer le clou. Pourquoi quelque chose sur le plan éthique viendrait-il s’opposer au fait que la personne est propriétaire de son corps ?

    a) C’est ainsi par exemple que Tristam Engelhardt décline d’une manière libertarienne, dans The Foundations of Bioethics10, un dualisme méthodologique fort proche de la position kantienne, mais visant en même temps à rendre celle-ci compatible avec une conception lockéenne du corps propre, comme possession de soi-même. L’idée d’Engelhardt est de poser qu’il y a un accomplissement de soi humain qui ne s’effectue que par la possession de soi. On sent, derrière cet accomplissement, la liberté fondamentale de disposer de soi comme on le souhaite, qui n’est évidemment pas une liberté kantienne. Cette possession de soi n’est plus une essence, mais le produit d’une activité. C’est à travers cette activité que s’accomplit notre autonomie:

Il n’est aucun lieu que nous saisissions, formions ou utilisions plus complètement que nous-mêmes. Nous rendons les choses nôtres en les mangeant, en les dévorant et en les incorporant à nous-mêmes. Il en résulte qu’elles deviennent une part de nous-mêmes […]. Notre corps, nos talents et nos capacités sont identiquement et primordialement notre propre. Comme l’affirme Locke, « chaque homme a une propriété en se propre personne : sur cela personne n’a aucun droit sinon lui-même11.

29De ce point de vue nous sommes propriétaires des produits et des parties de notre corps, mais aussi de l’embryon que nous portons. Certes c’est au sens lockéen de la propriété de soi-même (property in) en tant qu’elle justifie la propriété des choses (property on). Mais la propriété de soi est pensée sur le modèle de la propriété des choses, de sorte que le droit de propriété devient une expression fondamentale de notre liberté. Dans les termes de Rawls, nous dirions qu’il s’agit d’une intuition de base. Nous n’avons donc pas notre corps, comme nous avons une chose, nous ne pouvons pas agir sur notre corps, mais c’est paradoxalement parce que la possession de soi nous rend libres en étant conçue sur le modèle de la possession des choses. Quoique notre corps ne soit pas un instrument, il faut le penser par analogie avec un instrument, comme s’il n’était qu’une machine. C’est bien ainsi que Engelhardt le pense, au reste, puisqu’il le dévitalise et le réduit au statut d’un simple phénomène naturel.

30Mais cette expression de la liberté n’est pas éthique et Engelhardt n’est pas utilitariste. Sa violente critique des tentatives de calcul du Q.A.L.Y., de la qualité de vie humaine, proposé par A. Williams en atteste12. Il n’est pas question pour Engelhardt de juger de l’affectation des ressources en matière de dépense de santé selon de simples considérations d’utilité (même si elles doivent intervenir), parce que nous ne pouvons pas instrumentaliser la personnalité morale. Celle-ci est, comme chez Kant, la marque de notre entrée dans une communauté d’être raisonnables. Elle n’est simplement pas là de toute éternité, comme une faculté. Elle résulte du pouvoir que nous avons d’exercer notre raison comme une sorte de phénomène émergent. Elle est le produit de cette activité rationnelle, qui se manifeste par l’usage du principe de bienfaisance : « faire aux autres leur propre bien ». Un enfant ne peut donc pas avoir de personnalité et encore moins un embryon. Celui-ci doit donc être traité comme une chose que nous pouvons acquérir ou dont nous pouvons nous séparer en vertu de notre recherche humaine d’accomplissement à travers la possession de nous-mêmes. Dans cette perspective, il est clair que l’embryon n’a pas droit au respect. On ne voit pas non plus en quoi notre sang, nos ovules ou notre sperme pourraient avoir droit au respect, puisqu’il faut désacraliser le corps pour mieux sacraliser la personnalité. Mais on ne voit même pas en quoi notre corps entier ne serait pas susceptible d’être acheté, si nous le désirions. Nous sentons derrière cette marchandisation du corps qui peut aller jusqu’à l’esclavage, la tension entre le fait d’être soi-même et le fait de pouvoir disposer de soi comme d’une chose. Comment ce que je suis moi-même pourrait-il être pensé sur le modèle de ce que je ne peux pas être moi-même ?

31Penser le corps propre sur le modèle du corps ne permet pas de reconnaître des droits du corps et ne peut plus freiner aucune tentative visant à traiter celui-ci comme un objet manipulable. Pourquoi un enfant pauvre ne vendrait-il pas ses reins ? Pourquoi une population pauvre ne vendrait-elle pas son sang ? Pourquoi ne pas venir freiner le désir de vivre d’un homme par l’affaiblissement, la diminution de ses ressources biologiques ? Comment ne pas reconnaître le fait que la diminution de ses ressources biologiques est une atteinte fondamen-tale à sa liberté et à sa dignité d’homme ? Comment même ne pas comprendre que l’exploitation systématique des hommes qui vendent leur sang et leurs reins, ou encore qui meurent tout simplement de faim constitue une atteinte fondamentale à leur dignité d’homme, une preuve qu’ils cessent d’être respectés ? Mais en quoi donc consistent ce respect et cette dignité là ? Si je n’agis pas sur mon corps comme j’agis sur les corps, comment puis-je donc penser ma relation à mon corps, sur le modèle de la relation aux corps, sur le modèle de la possession ? N’y a-t-il pas là quelque chose comme une confusion fondamentale de genres ? Si d’autre part j’admets que l’acceptation délibérée de la diminution de mes ressources biologiques par l’exploitation de l’homme par l’homme est une atteinte à ma liberté et à ma dignité, c’est que les conditions de viabilité d’un être humain en tant qu’il est humain deviennent à présent un problème fondamental pour l’éthique. C’est mon corps qui est touché, qui est maltraité quand je crève de faim ou quand je vends mon rein, mon corps vulnérable qui devient alors sujet de préoccupation éthique. Mais ce corps n’est plus un immatériel transcendantal. Ce qu’il est et la manière dont on doit respecter ses droits n’est plus pensable à travers le modèle kantien de la personnalité morale.

  • b) Nous retrouvons le même type de difficulté derrière la position de Jean-Pierre Baud qui vise à résoudre le problème du corps propre dans le droit avec l’esprit du positivisme juridique et sans aucun recours au concept de la personnalité morale. L’idée de Baud est d’examiner dans quelle mesure on ne peut pas en effet penser la personne, au sens du sujet de droit, comme ce qui s’approprie son corps et en dispose à sa guise. Il prend une série d’exemples particulièrement suggestifs dont le principal est une expérience de pensée : l’affaire de la main volée.
    Supposons en effet un accidenté du jardinage qui se coupe une main avec sa tondeuse. Il perd connaissance. Un passant la lui prend. Est-ce un vol ? Si l’on suit le droit français et le principe de l’inviolabilité et de l’intégrité du corps humain, la réponse est négative. Ce morceau de corps ne fait plus partie du jardinier. Il n’est donc plus rien d’autre qu’une chose. À ce titre un passant qui la prend, peut revendiquer sur elle le droit du premier occupant et en devenir propriétaire. Il faut donc, selon l’auteur, estimer d’une manière ou d’une autre que la personne est propriétaire de son corps pour trouver une solution. Cependant, il propose à la fin de l’ouvrage de distinguer deux formes de propriétés en prenant appui sur l’article 1128 du Code civil : la propriété que j’ai sur un bien pourtant inaliénable et la propriété que j’ai sur un bien aliénable que je peux acheter ou vendre. C’est ainsi, selon lui que l’on peut asseoir la réalité du corps en estimant que l’homme peut en être propriétaire au nom de sa liberté et de sa dignité. L’affaire de la main volée n’est en effet qu’une fiction pour parler d’autre chose : au nom de quoi les cellules appropriées sur le corps d’un homme pourraient-elles à son insu devenir des biens ayant une valeur marchande et sur lesquels il serait possible de déposer des brevets ?

32Mais comment au nom du concept juridique de propriété est-il possible de justifier l’exigence de rendre la distinction entre bien aliénable et inaliénable opératoire en ce qui concerne mon corps ? Qu’est-ce qui permet de garantir qu’il est illégitime que mon corps soit un bien inaliénable et pourquoi en va-t-il de ma dignité ? Le juriste ne peut fournir aucune réponse pour justifier l’irruption de ce vocabulaire éthique dans le domaine du droit.

3. Le corps sujet de droit et objet de respect

333.1. Nous avons besoin d’interpréter l’énigme du corps propre dans une nouvelle direction. Et c’est, selon nous, cette direction de pensée qui est déjà à l’œuvre dans les lois de 1994. Nous nous en sommes expliqué naguère dans un article publié en 1995. Comment interpréter en effet le fait que moi, c’est encore mon corps, comment l’interpréter dans un sens qui soit véritablement éthique, c’est-à-dire en acceptant le principe kantien de l’universalisation de la règle éthique ? Nous allons répondre à présent à cette question. Empressons-nous d’ajouter en préambule que nous souscrivons au principe d’Engelhardt selon laquelle cette règle d’universalisation est une propriété qui en traduit pas la présence d’un sujet transcendantal, mais bien au contraire une propriété émergente. Notre conception de l’éthique entre ainsi en résonance avec nos travaux en épistémologie. Mais, selon nous, cette règle d’universalisation englobe la prise en compte du corps propre comme étant mon corps, sujet de droit irréductible à un corps quelconque qui serait objet de droit, ou à une marchandise dont on pourrait définir à l’avance la valeur d’utilité. Il nous faut pour cela, modifier en profondeur la notion de sujet.

34Selon notre conception des choses tout d’abord, il n’est pas possible d’isoler la volonté du corps pour en faire une réalité indépendante de celui-ci et qui serait autonome à ce titre. Nous pensons tout au contraire d’abord en un sens proche de ce que voulait indiquer Foucault à travers son concept de souci de soi que la liberté s’acquiert en affrontant nos désirs et non pas contre ceux-ci. Ce n’est que par et à travers mon corps que je puis être moi-même, à travers ce que fait mon corps. Le pouvoir qu’ont mes maximes d’être universalisables n’est donc pas donné a priori en une intention, il est construit, constitué à travers l’action. C’est en répondant de mes actes, moi qui suis sujet désirant et objet de désir, que j’examine si je suis libre au sens moral ou non — ce qui est un premier point. Je ne puis être libre qu’en « m’occupant de Moi », ce qui est l’explicitation du concept de « souci de soi ». Je ne suis pas Moi a priori et immatériellement. Je le deviens, comme dit Foucault13, « à travers un certains nombre de pratiques, de jeux de vérité, de jeux de pouvoir, etc. »

35Je ne suis donc rien. Je n’ai pas de substance. Je fais ce que je suis. La norme éthique est donc référée à son agent, c’est ainsi que mon corps devient en même temps ma personne. Tel est le principe de l’autonomie éthique. Contrai-rement à Foucault, alors, nous affirmons que cette exigence éthique se cristallise, à l’intérieur de ce qu’il nomme les jeux de vérités, par la connaissance d’un critère qui est celui de l’universalisation des maximes. C’est pour nous un critère formel et technique qui ne qualifie et n’exprime rien d’autre qu’une recherche de rationalité et que le rejet d’un relativisme individualiste des valeurs, comme dans l’éthique néo-nietzschéenne. Il est une garantie rationnellement construite, que la norme éthique est référée à son agent, en tant qu’agent. Je suis moi, non parce que j’obéis à une loi, mais parce que je me fais loi. J’obéis à une loi qui vient de ma raison, que j’ai rationnellement construite. C’est la pratique de la raison qui a donné lieu à l’existence de cette raison pratique.

36Mais voici un second point tout aussi fondamental pour la compréhen-sion du débat bioéthique qui est selon nous en même temps un débat de biopolitique : en répondant de mes actes, je ne mets pas seulement en jeu mon autonomie, je mets en même temps en jeu l’humanité toute entière. Que faut-il entendre par là ? La question de savoir si ma norme d’action est univer-salisable ou non ne peut pas être jugée simplement au niveau de l’agent éthique, car elle ne trouve plus son fondement a priori dans un sujet transcendantal. Le pouvoir que j’ai d’universaliser mes maximes ne se réfère plus à aucun sujet transcendantal. Il est facile de le vérifier au reste. Ce pouvoir est limité bien sûr. Que faire des dilemmes moraux reposant sur des conflits de maximes également universelles ? Que faire d’une morale qui ne prend appui que sur le fondement de l’universalisation de la maxime sans prendre la peine d’examiner les conditions d’application de celle-ci. L’éthique repose sur une pratique de la raison, certes. Mais elle ne trouve pas dans la raison son fondement transcendantal. Une question essentielle pour la pratique de la raison qui donne lieu à l’existence de la raison pratique concerne l’application de cette norme d’universa-lisation. Nous pensons en effet que son application vient compléter la description de toute norme morale, elle ne s’ajoute pas simplement à celle-ci. Le fait qu’une telle norme soit universalisable, ce « fait de la raison », ne suffit donc pas à la rendre rationnelle. La réponse à la question du contexte d’application d’une norme universalisable ne se trouve dans aucun sujet transcendantal substantiel. Elle se trouve au niveau, non seulement de ce que font les agents, mais de ce que fait la communauté humaine des maximes éthiques. C’est à travers ce qu’opère la communauté humaine, à travers la manière dont elle édicte, pratique et respecte les droits fondamentaux de chacun que les obligations que nous avons envers nous-mêmes s’éclairent. Et ce sont ces droits fondamentaux que j’appellerai des Droits de l’homme. Ceux-ci quoiqu’ils soient universaux au sens d’universalisables, susceptibles d’être valables pour chacun d’entre nous, ne sont pourtant plus ni transcendantaux, ni atemporels. Ils deviennent au contraire historiques et politiques. Notons que Foucault, dans la fin de son œuvre, passe tout prêt de la reconnaissance du caractère crucial de ces droits :

C’est un devoir de citoyenneté internationale de toujours faire valoir aux yeux et aux oreilles des gouvernements les malheurs des hommes dont il n’est pas vrai qu’ils ne sont pas responsables. Le malheur des hommes ne doit jamais être un reste muet de la politique. Il fonde un droit absolu à se lever et à s’adresser à ceux qui détiennent le pouvoir14.

37Si c’est par la pratique de la raison que mon corps devient une personne, le fait qu’il soit une personne ne signifie pas qu’il cesse de se préoccuper de lui-même. Cette personne n’est plus en effet une autre chose que mon corps, même si elle ne coïncide pas exactement avec ce dernier. Donc la question de ce qu’elle fait de son corps, de sa viabilité, du souci qu’il a de lui, devient cependant déjà une préoccupation éthique fondamentale pour la personne. On ne peut se sculpter soi-même qu’en éprouvant la manière dont on sculpte son corps. Mais ce que chacun de nous fait de son corps dépend en même temps au premier chef de ce que la communauté politique fait de lui, et donc de ce qu’elle fait de sa viabilité. La communauté politique a des devoirs à respecter, face à ces droits fondamentaux cristallisant l’autonomie de la personne. Elle a le devoir de ne pas laisser les gens sans travail. Elle a plus fondamentalement le devoir de ne pas les laisser crever de faim, de ne pas les laisser vendre leur rein pour nourrir leur famille. Nous voudrions retenir ici deux illustrations de ce que nous venons de dire.

    a) La première sort du cadre général des lois de 1994. Elle consiste en un retour préalable à l’analyse de la loi kantienne. Dans les Fondements de la métaphysique des mœurs15, Kant donne en effet une version qui n’est pas encore expurgée et abstraite de la loi morale. Habermas l’a noté dans L’Avenir de la nature humaine16. Mais nous allons l’interpréter dans un sens profondément opposé aux conclusions d’Habermas. Il affirme en effet :

Agis de telle sorte que tu traites à travers ta personne ainsi que celle de tous les autres l’humanité non pas seulement comme moyen, mais toujours également comme une fin.

38C’est avouer qu’il est impossible de traiter l’humanité comme fin en dehors d’un cadre où les autres hommes existent aussi, du cadre de la communauté politique. Pour nous, cette communauté politique n’est pas la trace visible d’un « Nous » transcendantal intersubjectif et communicationnel, d’un nouveau « Nous » Immatériel ! C’est là que nous nous séparons d’Habermas, tout comme Foucault. Dans la communauté politique, l’humanité est forcément instrumentalisée par la relation de pouvoir selon laquelle certains hommes décident en lieu et place d’autres hommes ce qui doit être fait. Je ne suis libre que dans ces jeux de vérité qui sont aussi des jeux de pouvoir. Le pouvoir n’est donc pas mauvais en soi. Il peut tout au contraire être l’expression de notre liberté.

39Que signifie alors la formule de Kant ? Rien d’autre que le fait que la relation de pouvoir qui apparaît dès que le peuple est représenté par un souverain, puis par les formes d’assujettissement qui font que l’humanité est aujourd’hui un produit du développement bio-techno-scientifique, cette relation de pouvoir peut prendre une forme fermée ou ouverte. Elle se donne une forme fermée que Foucault appelle « violence », si le souverain en tant que représentant du peuple s’inscrit dans des institutions qui ne l’autorisent pas à prendre des décisions permettant à l’autonomie de chacun de s’exprimer librement17. Quand donc inversement a-t-elle une forme ouverte18 ? Quand l’instrumentalisation de l’action individuelle par la décision collective rend pourtant en même temps celle-ci plus autonome. Ce terme d’ouverture signifie que la description de la norme collective de justice dépend de ce que les agents individuels font et décident au sujet de cette norme. Elle prend une forme qui n’est plus tyrannique, mais démocratique.

40Nous avons donc ici une double inversion, un double renversement et cela doit pouvoir se repérer au niveau même du statut du corps propre. D’un côté, ce que je suis est construit par les relations d’assujet-tissement qui désignent ce que la communauté fait de moi. Il faut entendre par « assujettissement », le fait que nous sommes « rendus sujets » par ces relations et non pas simplement aliénés par elles. Donc la rationalité de mes maximes éthiques ne trouve pas son fondement que dans la personne, mais dans la manière dont ces relations peuvent être appliquées au sein d’une communauté politique. Mais d’un autre côté la description de la norme de justice dans cette communauté politique doit elle-même être essentiellement incomplète. Elle dépend de l’autonomie des personnes. Elle dépend donc de cet « effet looping », concernant ce que les personnes font et décident au sujet de ces relations d’assujettissement qui les constituent comme telles, et plus fondamentalement concernant le pouvoir qu’elles ont, grâce à ces relations, de suivre leurs propres biens individuels, qu’il soit de nature hédoniste, religieuse, ou autre. Le peuple n’est donc pas un sujet transcendantal, il est plutôt ce que l’humanité composée d’une communauté d’agents individuels fait de ce qu’elle est et exprime ainsi la relation de pouvoir. Cette relation ne passe pas que par la souveraineté politique. Elle passe aussi par les échanges économiques et par la manière dont l’humanité de demain est façonnée aujourd’hui par les outils bio-techno-scientifiques. Mais elle est d’abord et fondamentalement politique.

  • b) Si nous revenons à présent aux lois de 1994, la question qu’elles posent n’est pas celle de savoir si la biologie et la technologie risquent ou non d’instrumentaliser le corps des sujets de droit. La question est plutôt de savoir dans quelle condition, en instrumentalisant les sujets de droits, les normes juridiques, biologiques et technologiques prennent ou non une forme véritablement démocratique, au sens où elles permettent d’accorder davantage d’autonomie aux personnes. Comment la relation de pouvoir bio-techno-scientifique permet-elle de donner davantage d’autonomie aux sujets de droits, de telle sorte que ce qui est juste dépende de ce qu’ils décident et font de ce qui est juste ? Le fait que le corps des sujets de droits ait lui-même des droits, le fait qu’on ne réduise pas le corps des citoyens à de simples objets de droit apparaît bien comme l’une de ces conditions fondamentales, mais elle n’est telle que si en même temps cette condition peut prendre une forme politique exprimable dans le cadre démocratique. Or tel est bien le cas à travers les lois de 1994.

41Nous allons voir en effet d’abord que l’expression de cette condition ne se fait pas à travers l’application d’un principe normatif, mais plutôt à travers le couplage entre plusieurs principes distincts. D’un côté en effet nous avons reconnu que l’élément fondamental était l’inviolabilité du corps qui passait par le respect de son intégrité. Mais la loi prévoit en même temps des conditions qui font pourtant que le corps a des droits, quoiqu’il soit instrumentalisé. Mais les lois de 1994 correspondent exactement ainsi à ce que nous appellons une relation de pouvoir ouverte. Elles rappellent d’abord comme un principe que la personne est assujettie à son corps. Ce n’est donc pas la personne. C’est lui qui est objet de respect et de dignité. Comme une chose au milieu des choses, à la manière de ce qui est représenté dans le grotesque pictural des romains, il est pourtant paradoxalement objet de respect. Il s’agit bien d’une chose en effet, puisque quoiqu’il soit inviolable et qu’il faille respecter son intégrité, une atteinte au corps humain est en effet rendue possible par la loi, dans des conditions qui sont cependant précisément déterminées. Un homme ou une femme peuvent donner leurs reins à leurs enfants. Ils peuvent donner leur sang, leur ovule ou leur sperme. On peut exploiter les embryons surnuméraires. Il y a donc bien un corps qui souffre et qui sent, qui est assujetti à des jeux de vérité et des jeux de pouvoir et dont nous avons à nous occuper. Il n’y a pas qu’une personne immatérielle. Mais ce sont ces conditions d’assujet-tissement qui le rendent pourtant en même temps sujet ayant droit au respect, car ce sont elles qui font du corps une chose qui n’est pas comme les autres. Ses conditions stipulent en effet qu’il faut coupler l’usage licite de l’atteinte médicale au corps humain avec d’autres principes : le consentement des personnes, d’abord. Mais aussi le projet théra-peutique de l’intervention et enfin et surtout le fait que l’échange prenne la forme d’un don. Un don appelle un contre don. Le contre don n’est ici rien d’autre que la reconnaissance juridique d’un principe de solidarité des personnes exprimé par la communauté politique. Mon corps est ainsi assujetti à des jeux de pouvoir qui le recon-naissent comme un corps ayant le droit d’exister, le droit de rester viable et non pas à une simple marchandise. Il n’est plus un simple corps.

423.2. On peut à présent contester sur plusieurs points ces lois. Nous allons montrer que cela ne remet pas en question mes analyses. Nous allons prendre appui ici sur un article d’A. Fagot-Largeault intitulé « Embryons, cellules souches et thérapies cellulaires »19.

  • a) On peut critiquer d’abord le type de solidarité auquel ce principe fait appel, au motif que l’État décide par lui, qu’il n’est plus possible de vendre des éléments de son corps. Au lieu de laisser ce principe suspendu à la libre décision de chacun, il est décidé d’en haut, dans un esprit plus républicain que libéral. Nous sommes contraints d’accepter le principe du don. Mais il en est de même de toute forme de loi qui exprime forcément le fait que la liberté ne consiste pas dans le fait de décider seuls de tout ce que nous faisons, que la clé de la morale n’est pas que dans le sujet moral, mais dans le traitement démocratique des problèmes éthique. La liberté de décider seul de ce que nous faisons a un lourd prix politique à payer susceptible d’en étioler le sens éthique. Est-ce que le chômeur de la banlieue de Liverpool qui décide de vendre son sang a vraiment les moyens de faire autrement ? Est-il vraiment rendu plus libre par cette décision ? Est-ce que les parents d’un enfant du Tiers Monde qui décident de vendre son rein manifestent la pleine expression de leur liberté propre et de celle de leur fils ou de leur fille ?

    b) On peut estimer, comme le fait A. Fagot-Largeault20, que, si nous prenons l’exemple du don d’organes, ce principe de solidarité entre en contradiction avec le constat que le nombre des accidentés de la route diminue en France, de telle sorte que la liste d’attente pour les transplantations s’allonge. Le droit à la vie et à recevoir des soins n’est-il pas lui aussi un droit fondamental ? Sachant que les xéno-greffes fonctionnent mal et comportent le risque d’une infection virale d’une part, et d’autre part que les procédés mécaniques ne sont pas satisfaisants (dialyse rénale, pompe cardiaque), l’argument a un certain poids. Ajoutons que plus les normes juridiques sont difficiles à appliquer et plus elles suscitent des transgressions. N’est-il pas légitime de rechercher des principes qui diminuent le risque de transgression ? Mais cela peut-il justifier que des personnes soient conduites à vendre leur rein et à diminuer leur espérance de vie pour des raisons économiques ? Où est la limite de l’instrumentalisation dans un tel cas. Pourquoi ne pas légaliser le fait d’accepter de mourir et de vendre son cœur pour la survie de sa famille ? Cela peut-il justifier plus généralement qu’on accepte une instrumentalisation du corps propre jusqu’au point de le concevoir sur le modèle de la possession ? Où est la vraie liberté : dans le fait de décider de pouvoir vendre son rein, ou dans le fait d’être défendu par la loi contre le risque d’une atteinte par le pouvoir médical à la viabilité de la personne ?

43Prenons l’exemple du don du sang qui a été débattu largement depuis l’affaire du sang contaminé (1981–1985). Il est d’usage de dire que, si la France a tant tardé à chauffer son sang, c’est que le problème venait de son système de dons trop pesant et trop lié à la tutelle étatique. L’argument a une certaine valeur. D’un côté en effet ce système aboutirait à une « survalorisation du donneur » qui conduit à négliger toute prévention (Hermitte, Le Sang et le droit). D’un autre côté, le lien trop fort avec l’État induirait l’existence d’institutions non transpa-rentes à la fois juges et parties. Enfin les limites difficiles à fixer entre le sang et ses produits industriels dérivés créeraient un mixte de gratuité et de non gratuité dans lequel il est difficile de se repérer. Rappelons aussi à ce sujet le scandale lié à l’association France-Hypophyse. Le même principe de gratuité conduisit à ce que les anatomo-pathologistes refusèrent de prélever les hypophyses sur les cadavres pour recueillir l’hormone de croissance nécessaire au traitement d’une certaine forme de nanisme. Ils se délestèrent de cette charge sur des aides de laboratoire ne prenant pas les mêmes précautions sanitaires. Certains enfants traités contractèrent la maladie de Creutzfeld-Jacob. Mais si nous examinons de près ces arguments, nous pouvons noter plusieurs points :

  • Tout d’abord, le sang n’est pas un organe du corps. Il est régénéré. Son statut n’est donc pas le même que celui du rein ou du cœur. Il est important à ce sujet que, loin d’un laisser faire généralisé, des limites puissent être fixées par des institutions administratives, voire politiques. On peut estimer ainsi que ce qui peut être vendu dans un cas ne peut pas nécessairement l’être dans un autre.

  • Ensuite, il est possible de régler le problème de la transparence des institutions sans nécessairement revenir sur le principe de gratuité. C’est au reste ce qui a été fait, grâce notamment à la création de l’Agence Française pour le Sang en 1992 qui est autonome, par rapport aux Centres de Transfusion.

  • Enfin rappelons que dans le cadre de la position que nous défendons, il n’y a pas de solution éthique définitive à de tels dilemmes. Il est donc très important qu’un débat politique soit rendu possible et qu’il aboutisse à des lois qui fixent les limites, de telle sorte que l’on puisse demander aux citoyens ce qu’il veulent et non pas simplement ce que le marché dicte. Tel a bien été le cas en France en 1994 à travers les lois promulguées. C’est selon nous une victoire de la démocratie sur le marché qui s’est manifestée, même s’il n’y a peut-être pas de démocratie réelle sans marché libre.

  • Précisons que les lois ne sont pas tout. De même que trop de justice tue la justice, trop de loi rend les lois inapplicables. On ne peut demander aux lois ce qu’il faut demander à d’autres organes de régulation et de Conseils d’expertise, ou ce qu’il faut demander au législateur qui a pour tâche de réformer le cadre trop rigide de l’expression initiale de la souveraineté politique. Comment ne pas noter d’abord à ce sujet que cet effort de démocratisation institutionnelle de la démocratie passe en bioéthique par l’action du C.C.N.E., des comités locaux de protection des personnes et des associations de la société civile. Comment le scandale du sang contaminé aurait-il pu être levé sans le rôle joué par les associations d’hémophiles ? Comment ne pas remarquer ensuite, que c’est le statut juridique français problématique de l’embryon comme personne humaine potentielle qui induit l’interdiction, dans les lois de 1994, de concevoir in vitro des embryons humains à des fins d’étude et d’expérimentation. Insistons un moment sur ce point pour finir. Puisque la personne ne saurait être la personnalité abstraite, il n’y a aucune raison de refuser que l’embryon, en tant que corps vivant puisse être conçu à des fins expérimentales et thérapeutiques avant qu’il se construise lui-même comme personne. L’état de personne n’est plus pour nous une essence transcendantale et atemporelle. Elle est le résultat d’un processus matériel temporel, même si ce résultat émergent n’a plus les mêmes propriétés que celles du système biologique dans lequel il s’origine.

44La question essentielle consiste alors uniquement dans l’art politique de fixer les limites à partir desquelles le corps propre se transforme en personne. Ce n’est pas seulement au médecin d’en décider. C’est au peuple, c’est au citoyen, tant il est vrai que les valeurs politiques ne sont pas seulement des valeurs d’experts, mais des valeurs communes.

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Notes

1 Théorie pure du droit, 2e éd. trad. par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962.
2 Paris, Vrin, 1971.
3 Paris, Seuil, 1993.
4 Le Sang et le droit. Essai sur la transfusion sanguine, Paris, Seuil, 1996.
5 R. Badinter, Code pénal, Paris, Dalloz, 1987.
6 Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 , Code civil, art. 16.
8 Loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse.
9 Ibidem.
10 New York, Oxford University Press, 1986.
11 Foundations of Bioethics, op. cit., p. 128.
12 A. Williams, « Measuring the Effectiveness of Health Care Systems ». British Journal of Preventive and Social Medicine, 28 (3) 1974, p. 196–202.
13 Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1984, p. 1537.
14 Libération, 30 juin 1984, p. 1527.
15 Paris, Vrin, 2000.
16 Paris, Gallimard, 2002.
17 « Une relation de violence agit sur un corps, sur des choses : elle force, elle plie, elle brise, elle détruit : elle referme toutes les possibilités ; elle n’a donc auprès d’elle d’autre pôle que celui de la passivité ; et si elle rencontre une résistance, elle n’a d’autre choix que d’entreprendre de la réduire » (DE, 2, p. 1055).
18 « Une relation de pouvoir, en revanche, s’articule sur deux éléments qui lui sont indispensables : que l’autre (celui sur lequel elle s’exerce) soit bien reconnu et maintenu jusqu’au bout comme sujet d’action ; et que s’ouvre, devant la relation de pouvoir, tout un champ de réponses, réactions, effets, inventions possibles » (DE, 2, p. 1055).
19 « Embryons, cellules-souches et thérapies cellulaires », p. 39–50 dans Éthiques d’aujourd’hui, dir. par M. Canto-Sperber, Paris, E.N.S./P.U.F., 2004.
20 Id., ibid.
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Pour citer cet article

Référence papier

Paul-Antoine Miquel, « Respect et inviolabilité du corps humain »Noesis, 12 | 2007, 239-263.

Référence électronique

Paul-Antoine Miquel, « Respect et inviolabilité du corps humain »Noesis [En ligne], 12 | 2007, mis en ligne le 28 décembre 2008, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/1383 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/noesis.1383

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Auteur

Paul-Antoine Miquel

Maître de conférences, habilité à diriger les recherches en philosophie à l’université de Nice – Sophia Antipolis, rattaché au Centre de recherches d’histoire des idées de cette université et membre du Centre Cavaillès de l’E.N.S, Paul-Antoine Miquel a publié divers ouvrages parmi lesquels on peut citer Comment penser le désordre ? (Fayard, 2000), Qu’est-ce que la vie ? (Vrin, 2007), Bergson ou l’imagination métaphysique (Kimé, 2007), et dirigé la publication de Concepts et problèmes fondamentaux de la biologie contemporaine, préfacé par Denis Noble (De Boeck, à paraître en mars 2008).

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Droits d’auteur

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