- 1 Pour rappel, la radiographie (RX) reproduit une ombre en deux dimensions d’un objet 3D éclairé par (...)
1L’archéologue et le conservateur-restaurateur, spécialistes du mobilier métallique, sont amenés à travailler conjointement sur des objets généralement corrodés. La corrosion qui, au fil du temps, les a transformés jusqu’à les rendre méconnaissables, induit un problème de lisibilité immédiate et, par conséquent, de compréhension. Pour contourner cette difficulté, un des premiers gestes effectués en laboratoire consistait jusqu’alors à réaliser une couverture radiographique des objets prélevés. La radiographie (RX)1 constituait ainsi la méthode par excellence pour les examiner et les diagnostiquer ; elle représentait la seule ressource disponible pour évaluer l’état de conservation et la morphologie générale d’objets corrodés, estimer leur mode de fabrication et déterminer l’existence éventuelle de décors.
- 2 La tomographie à rayons X est une technologie de contrôle non destructif rendant possible l’analyse (...)
2Or, depuis quelques années, le développement des techniques d’imageries numériques 3D est progressivement venu toucher notre discipline, notamment dans le cadre de l’archéologie préventive, à travers l’étude d’ensembles funéraires exceptionnels et complexes comme, par exemple, les mobiliers funéraires de Warcq (Ardennes, milieu iie s. av. J.-C., Millet et al. 2019) ou de Lavau (Aube, début ve s. av. J.-C., Dubuis 2016). Parmi ces techniques d’imagerie, la tomographie2 axiale calculée par ordinateur (Taco), dite aussi tomodensitométrie ou scanographie (CT-Scan), a eu un impact non négligeable dans nos spécialités respectives. Son utilisation dans des cas bien spécifiques a modifié notre manière de comprendre un objet, complétant et prolongeant à travers son caractère tridimensionnel l’approche traditionnelle fondée en premier lieu sur l’examen radiographique (RX). Son efficacité et sa pertinence ont conduit à l’inscrire, en fonction des cas, au sein de la chaîne opératoire analytique du mobilier métallique, qui passe généralement de la micro-fouille en laboratoire d’un ensemble prélevé aux interventions de conservation-restauration (nettoyage pour étude ou restauration), à son analyse puis à sa valorisation.
3Cette technique de diagnostic non destructif est en constante évolution, les appareils gagnent en puissance, leur distance focale augmente ainsi que leurs résolutions. Encore onéreuse, on ne peut y faire systématiquement appel pour l’étude du mobilier métallique comme c’est aujourd’hui le cas avec la radiographie (RX). L’emploi de la tomographie doit être un choix réfléchi qui s’inscrit dans une problématique de recherche. Sa systématisation tous azimuts n’aurait d’ailleurs que peu d’intérêt, surtout dans le cas d’objets métalliques morphologiquement très simples.
4En proposant un retour d’expérience fondé sur plusieurs exemples concrets, l’objectif de cet article est de présenter en quoi la tomographie constitue aujourd’hui un support fondamental dans nos disciplines respectives et comment elle conditionne et oriente nos travaux d’analyse et de recherche sur le mobilier métallique.
- 3 Le prélèvement en bloc consiste à solidariser le ou les vestiges présentant des altérations mécaniq (...)
5L’intervention de l’archéologue ou du conservateur-restaurateur, spécialistes du mobilier métallique, doit se faire dès l’étape de la fouille. Une première expertise sur le terrain permet une identification sommaire ou globale d’un objet ou d’un ensemble ainsi qu’une évaluation de son état de conservation général. Dès lors, la décision de mettre en place un prélèvement en bloc ou en motte3 peut être prise. Cette intervention se situe à la base du processus scientifique dans l’analyse des mobiliers métalliques généralement complexes. Ainsi, en limitant la dissociation des objets de leur micro-contextes, le prélèvement rend possible un maintien optimal des informations. Il est de ce fait un support tout à fait adapté à l’emploi de techniques d’imagerie RX, comme la tomodensitométrie.
6Les investigations tomographiques peuvent être réalisées sur des artefacts variés, simples ou complexes et multiples. Elles deviennent essentielles dès lors que la complexité d’un objet ou d’un ensemble est révélée : dans ce cas, il peut s’agir d’un objet composé de divers matériaux métalliques et/ou organiques (objet composite), d’un assemblage de plusieurs pièces constituant un même objet (objet complexe), d’un ensemble cohérent d’objets, combinant par exemple ossements et objets portés (assemblage cohérent d’objets), d’une superposition hétérogène d’objets (complexité du dépôt). La complexité apparente d’un objet ou d’un ensemble, mais aussi sa fragilité et son état de conservation médiocre, ou encore, son intérêt scientifique ou son caractère exceptionnel, constituent autant de critères présidant au choix d’un prélèvement. Parfois, les délais d’intervention courts sur le terrain peuvent également justifier cette décision.
7La première étape de l’étude en post-fouille repose sur la tomographie du prélèvement. Cette technique non invasive révèle en 3D la présence d’artefacts invisibles conservés dans le bloc de terre. En réalisant un enregistrement systématique des densités des matériaux, elle rend possible une première évaluation de l’ensemble et apporte ainsi des informations quantitatives et qualitatives sur le (ou les) artefact(s) présent(s). Elle permet ainsi d’établir, par exemple, un diagnostic précis du bloc prélevé par l’identification des divers objets ou pièces le composant, leur nature (les types de matériaux présents), leur nombre, leur emplacement et agencement, leur mode d’assemblage, leur état de conservation (degré de minéralisation, présence d’altérations mécaniques). Elle donne l’opportunité d’effectuer des mesures précises d’objets au sein même d’un prélèvement et élimine les problèmes de chevauchement bien souvent visibles avec la radiographie (RX).
- 4 La fouille préventive a été réalisée en 2003 par la coopérative Ar/S Archeosistemi.
- 5 Dans le cadre d’un projet de recherche (2008) sur la nécropole lombarde de Ponte del Rio à Spilambe (...)
- 6 La micro-fouille et la restauration ont été réalisées par Renaud Bernadet, conservateur-restaurateu (...)
- 7 Cette intervention donnera lieu à un prochain article lors de la publication de la nécropole de Spi (...)
8Ainsi, le cas d’un assemblage cohérent d’objets analysé sous tomographie est illustré à travers l’exemple d’une tombe d’une fillette de haut rang, découverte dans la nécropole lombarde de Spilamberto (province de Modène, Italie)4. Dès la fouille, de très minces fragments de fils d’or sont apparus autour du crâne de la défunte (De Vingo 2010). Devant la complexité et la finesse du dépôt, un prélèvement en motte a été effectué afin de le fouiller ultérieurement en laboratoire (fig. 1). Une analyse par tomographie axiale a ainsi été réalisée5 pour un diagnostic : détermination ou précision de la nature des vestiges, quantification, localisation et évaluation de leur état de conservation. Dans le volume du prélèvement contenant le crâne de la défunte, la tomographie a révélé diverses hétérogénéités liées aux matériaux organiques (calotte crânienne, dents de la mandibule) et inorganiques (différents métaux) (fig. 2). Tout en servant de guide à la micro-fouille de l’ensemble6 (fig. 3), la tomographie RX est venue documenter la taphonomie du dépôt et les relations existantes entre les différentes éléments, une épingle en argent et un ensemble de fils d’or. En revanche, une difficulté s’est posée pour obtenir une image claire des restes osseux en raison de leur faible densité (crâne peu minéralisé d’un enfant de moins de cinq ans) par rapport à celle du bloc de terre. Illisible à la tomographie, le motif décoratif encore conservé par les fils d’or a pu être révélé lors de la micro-fouille (fig. 4), puis au moment de la restauration. Après analyse, sur la base de la quantification des fils et de leur localisation fournie par la tomographie, il a été néanmoins possible de restituer la présence d’une coiffe, probablement un voile fixé sur l’arrière du crâne par l’épingle et sur lequel était cousu un galon tissé d’or (ibid.)7.
Fig. 1. Vue zénithale du prélèvement en motte du crâne de la défunte provenant de la tombe 62 de Spilamberto (Italie). Différents fils d’or sont visibles sur le pourtour du crâne.
© Sabap-Bo / R. Bernadet.
Fig. 2. Capture d’écran de l’application de visualisation myVGL montrant les différents axes de coupes et leur emplacement sur la reconstruction 3D.
© Sabap-Bo / R. Bernadet.
Fig. 3. Micro-fouille et prélèvement des restes osseux et des fils d’or contenus dans le bloc de terre.
© Sabap-Bo / R. Bernadet.
Fig. 4. Non lisible à la tomographie, le décor du galon conservé par l’ondulation des fils d’or apparaît lors de la micro-fouille du bloc de terre.
© Sabap-Bo / R. Bernadet.
- 8 La fouille préventive a été effectuée en 2014 par l’Inrap et le Conseil départemental des Ardennes, (...)
- 9 Projet Imag’in Irma «Imagerie et interactions multimodales pour l’archéologie »/Umr Cnrs 6074 Irisa(...)
9L’amélioration des logiciels de post traitement d’images pour la tomodensitométrie permet aussi d’effectuer une segmentation. Cette opération consiste, par définition, à partitionner une image en zones homogènes ou régions. Dans le cas de la tomodensitométrie d’objets archéo-logiques, une région correspondant à un matériau est alors définie comme un ensemble de pixels qui partagent une caractéristique commune, comme par exemple une densité particulière. Cette segmentation peut-être arbitrairement définie par l’ingénieur en imagerie ou réalisée selon un procédé plus scientifique (détermination selon l’échelle de Hounsfield pour la tomodensitométrie). Elle permet alors, grâce à la caractérisation des matériaux, de visualiser aisément les différents types de ceux qui composent un objet ou un ensemble d’objets. À l’opposé d’une image tomographique « classique » en niveaux de gris, la segmentation donne une image parfaitement lisible et facile à appréhender : les matériaux se distinguent les uns des autres et on peut aisément cerner leurs limites. La pratique reste complexe dans le cas de matériaux possédant une densité équivalente et seule l’expérience de l’ingénieur, avec l’aide des informations fournies par le spécialiste du mobilier métallique et par le conservateur-restaurateur, permet d’obtenir des images précises et non erronées. Ainsi, par exemple, dans le cas de la tombe de Warcq8, la tomodensitométrie9 effectuée sur l’un des crânes de cheval porteur d’un mors en fer a révélé l’existence insoupçonnée d’un harnachement composé de passe-courroies et de lanières de cuir ornées de très petits rivets en fer et alliage cuivreux (fig. 5) (Millet et al. 2019). La documentation tomodensitométrique, où chaque élément a été segmenté, a eu un impact considérable puisqu’elle a permis, sur la base d’une distinction des matériaux, de guider les gestes du conservateur-restaurateur lors de la micro-fouille. Bien que celle-ci ait été réalisée sous microscope stéréoscopique, les petits rivets, dont le diamètre ne dépassait pas les 2 mm, étaient à peine perceptibles ; on comprend aisément l’importance qu’a pu jouer le support tomodensitométrique dans la compréhension de cet ensemble cohérent d’objets. En révélant l’existence de ces petites pièces, un ciblage des zones sensibles a alors été possible et a permis de concentrer les observations et d’accroître la précision lors de l’intervention ; le risque de détérioration, malgré les précautions prises, en a été amoindri. La micro-fouille d’un prélèvement étant nécessairement destructive, la tomographie constitue un moyen de sauvegarder en 3D de manière pérenne un instantané d’un ensemble prélevé, en « cartographiant » les artefacts (détermination de leur position relative) et en préservant virtuellement les relations et connexions existantes entre les pièces. Elle rend ainsi possible l’analyse taphonomique des artefacts et est un outil essentiel pour toute reconstitution fonctionnelle.
Fig. 5. Tomodensitométrie d’une des têtes de cheval et localisation des objets constituant l’harnachement. Warcq, La Sauce (Ardennes).
© R. Bernadet / E. Millet – Inrap – Image ET – Imag’in Irma.
10Le nettoyage pour étude consiste en une intervention partielle d’abrasion des couches de corrosion recouvrant la surface de l’objet à étudier. Cette intervention peut se faire sous forme de fenêtres ponctuelles, de quelques centimètres, ouvertes sur les parties de l’objet susceptibles d’être porteuses des informations recherchées ou par le biais d’un nettoyage sommaire de toute sa surface. Le choix se fait toujours conjointement avec le spécialiste chargé de l’étude du matériel (Bernadet 2013). Dans cette réflexion, dépendante du type de l’objet (armement, parure, outil, etc.), et donc des informations recherchées, la tomographie permet un ciblage précis des zones dignes d’intérêt. Elle facilite ainsi le choix d’un nettoyage partiel sous la forme de fenêtres tests ou précise s’il est nécessaire d’effectuer un nettoyage complet.
- 10 La première frette du moyeu et la clavette, en alliage cuivreux, avaient été identifiées lors de la (...)
- 11 La micro-fouille a été réalisée par Floriane Hélias ; Arc-Nucléart (Grenoble).
11Dans d’autres cas généralement sensibles, l’imagerie numérique 3D constitue l’outil par excellence qui aide les divers intervenants à décider de la stratégie et du protocole de dégagement, de nettoyage et de conservation. Le cas du char à deux roues de Warcq en est un bon exemple. Selon leur position dans la tombe et pour des raisons logistiques (taille, volume), différentes parties du char ont été prélevées à part : les bandages, les moyeux de la roue, le montant de la caisse recouvert de feuilles d’or, les ridelles, etc. (Millet 2019). La tomodensitométrie du montant latéral de la caisse a révélé, outre l’existence de deux agrafes en fer participant au maintien des pièces de bois, la présence inattendue de la seconde frette du moyeu de la roue10, piégée dans le sédiment du fond de la chambre, sous le montant (fig. 6). Après la micro-fouille de l’ensemble11, la frette a volontairement été laissée en place. En effet, l’ensemble dégagé du montant n’est pas manipulable (fig. 7), il est maintenu en l’état grâce au sédiment argileux avec lequel il a été prélevé, conservé en milieu humide et en chambre froide afin d’éviter tout dessèchement. Du fait de son caractère instable et de son extrême fragilité, la frette de moyeu n’aurait pas pu en être extraite sans compromettre sa géométrie et sa stabilité mécanique. Outre le fait de constituer une sauvegarde documentaire virtuelle pour cet objet unique, le support tomodensitométrique est employé pour évaluer les priorités dans les actions de micro-fouille et de nettoyage, dans une démarche volontairement peu interventionniste.
Fig. 6. Tomodensitométries, vues zénithale et de face du montant latéral de la caisse du char et des pièces masquées dans le prélèvement (frette de moyeu, agrafes).
© Inrap – Image ET – Imag’in Irma.
Fig. 7. Vue oblique du montant du char en cours de nettoyage pour étude.
© Inrap / R. Bernadet.
- 12 Cf. note 9.
- 13 Les décors incisés sur les fourreaux en fer, même nettoyés, ne sont pas toujours lisibles à la radi (...)
- 14 La question de l’appareillage employé se pose dans le cas d’un tel décor. Une microtomographie pour (...)
- 15 La Reflectance Transformation Imaging (RTI) produit une image dynamique à partir d’une série de pho (...)
12Bien que la tomographie rende accessible de nombreuses informations morphologiques et techniques sur les objets, leur analyse complète ne peut généralement pas se départir d’un nettoyage pour étude. Celui-ci permet d’accéder à des données non perceptibles en imagerie 3D, comme c’est le cas pour des traitements de surface ou de fins décors. L’exemple de Spilamberto le démontre bien puisqu’il n’a pas été possible d’identifier par la tomographie le décor formé par les fils d’or (cf. supra). C’est le cas également des feuilles d’or appliquées sur le montant latéral en bois de la caisse du char de Warcq (cf. supra), dont l’épaisseur est évaluée entre 5 et 10 microns, et que seules la micro-fouille et le nettoyage pour étude ont pu mettre en évidence (Millet et al. 2019). Dans la même optique, dans le cadre du projet Imag’in Irma, afin de déterminer les limites de l’appareil12, un test a été effectué sur un fourreau d’épée gaulois du ve s. av. J.-C. (fig. 8), découvert à Ymonville (Eure-et-Loir), dont la face avers, ornée de motifs incisés complexes, avait bénéficié d’un nettoyage intégral13 (Josset 2012). Malheureusement, en raison de la finesse des incisions et de la superposition des constituants (tôle et épée), le test n’a pas donné de résultats concluants14 – ce qui nous a conduit à développer et mettre en place d’autres procédés d’analyses et de relevés grâce à la technologie d’imagerie RTI (Reflectance Transformation Imaging)15.
Fig. 8. Détail du décor incisé (une grande esse) sur la plaque avers du fourreau d’épée d’Ymonville, Les Hyèbles (Eure-et-Loir).
© Inrap / R. Bernadet.
- 16 Étude réalisée par Thierry Lejars, directeur de recherche au Cnrs, Umr 8546 AorOc ; travaux de rest (...)
- 17 N° 1936 de la tombe IV-V.
- 18 La tomographie RX a été effectuée par le laboratoire Tec Eurolab s.r.l.
13Si le nettoyage pour étude est une stratégie d’intervention réservée en général à l’étude des objets métalliques dans le cadre de l’archéologie préventive, la restauration permet de les comprendre entièrement en leur redonnant toute leur lisibilité, par exemple lors d’une fouille programmée, d’un projet de recherches ou d’une exposition. Dans ces contextes, l’étude préalable d’un objet en vue de sa restauration peut nécessiter l’emploi de la tomographie afin d’élaborer un constat d’état précis et définir un protocole d’intervention. Le recours à l’imagerie 3D doit s’inscrire dans une problématique de recherche, comme ce fut par exemple le cas pour l’analyse typo-chronologique et technique des casques en fer (ive-iiie s. av. J.-C.) de la nécropole de Montefortino à Arcevia16 en Italie (Bernadet, à paraître). Lors de l’étude préalable d’un de ces casques17 (fig. 9), un premier diagnostic de son état de conservation par radiographie (RX) avait montré la présence de matériaux hétérogènes (fig. 10), employés lors d’une précédente restauration vraisemblablement réalisée au début du xxe siècle. L’emploi de la radiographie (RX) ne pouvant empêcher le chevauchement des parois de la calotte du casque, et afin d’obtenir une vision claire de l’ensemble, il a paru opportun d’effectuer une nouvelle analyse, cette fois par tomographie axiale calculée par ordinateur18 (fig. 11). La tomographie et le rendu 3D du casque et de ses paragnathides (fig. 12) ont mis en évidence son importante fragmentation, l’étendue des comblements précédemment réalisés et les différents matériaux employés à cette occasion, masqués sous d’épaisses couches de plâtre (tiges, plaques et grillages métalliques). Devant le caractère extrêmement lacunaire du casque et de ses paragnathides, il nous a semblé préférable de nous en tenir à une vision 3D de la structure métallique de l’objet plutôt que de tenter une nouvelle restauration. Il y a quelques années, avec le seul appui de la radiographie (RX), les travaux de restauration auraient été entrepris et auraient inévitablement conduits à un démantèlement définitif de l’objet, ce dernier ayant été reconstitué à partir de fragments ne provenant pas nécessairement de l’original. Même si le caractère factice de ce casque est incontestable, il représente un parfait exemple de l’histoire des collections du début du xxe siècle où l’objet n’était pas une source d’étude mais un témoignage du passé qu’il fallait présenter au public.
Fig. 9. Casque en fer de la tombe 4/5 de Montefortino à Arcevia (Italie) dans son état actuel.
© Pôle muséal des Marches (Italie) / R. Bernadet.
Fig. 10. Sur la radiographie RX du casque de Montefortino, le chevauchement des parois de la calotte et des paragnathides n’apporte qu’une lecture sommaire des anciennes restaurations.
© Fabio Milazzo, Sabap des Marches (Italie).
Fig. 11. Le casque de Montefortino placé dans l’appareil tomographique industriel (NSI X7500 CT System).
© R. Bernadet.
Fig. 12. Différentes vues de la reconstruction 3D de la tomographie du casque. Celle-ci permet une localisation précise des fragments originaux et des matériaux de consolidation.
© Cnrs Umr 8546 AOrOc / R. Bernadet.
14Le spécialiste chargé de l’étude du mobilier métallique intervient à chacune des étapes précédemment décrites, du terrain au laboratoire. L’analyse passe par une étroite collaboration avec le conservateur-restaurateur dans le choix du prélèvement in situ, sa micro-fouille et le nettoyage pour étude ou la restauration des mobiliers, puis par les moyens de conservation mis en œuvre. Dans ce déroulé, l’emploi de la tomographie permet de gagner en efficacité et précision lors des différentes interventions en laboratoire. Elle permet l’accès illimité à une sauvegarde virtuelle des connexions existantes entre diverses pièces, parfois vouées à disparaître, dans les cas complexes d’assemblages cohérents ou d’objets composites. Cette documentation tomographique facilite ainsi la compréhension des artefacts dans l’espace et favorise leur analyse fonctionnelle. Le cas du joug composite de la tombe de Warcq en est un bon exemple. Écrasé et dégradé lors de sa découverte, cet objet, formé d’un long manchon métallique obtenu par l’assemblage de différents éléments enserrant une pièce de bois et surmonté de six anneaux passe-guides (fig. 13), offrait l’opportunité de documenter pour la première fois les différentes pièces en position fonctionnelle comme leurs modes d’assemblages. La tomographie du prélèvement a permis de s’interroger en particulier sur la manière dont les anneaux passe-guide étaient disposés sur le joug. Deux types ont ainsi pu être déterminés en fonction de leur mode de fixation sur le joug : les anneaux dont le socle épousait le manchon métallique et ceux dotés d’une bélière insérée dans le bois. Jusqu’alors, on ne les connaissait que sous une forme lacunaire ou incomplète ; l’existence de ces deux socles n’avait pas trouvé d’explication concrète et leur combinaison sur un même objet n’avait pas été envisagée (Millet et al. 2019). L’observation virtuelle au cœur d’un artefact complète les informations morphologiques et techniques préalablement acquises. En effet, dans le cas du manchon métallique, la possibilité de « naviguer » et d’effectuer des coupes virtuelles au sein du support tomographique permet d’accéder à sa structure interne sans destruction. Le nombre de pièces nécessaires à sa fabrication est ainsi déterminable : neuf éléments en alliage cuivreux ont été mis en forme par martelage, fixés entre eux et maintenus à la pièce de bois par de nombreux petits clous en fer (fig. 14).
Fig. 13. Vue du joug encore en position au niveau de l’encolure des deux chevaux harnachés dans la tombe de Warcq, La Sauce (Ardennes).
© Inrap /R. Bernadet.
Fig. 14. Tomodensitométries réalisées sur le joug avant sa micro-fouille : vues générale, inférieure et transversale du manchon
et des anneaux passe-guide.
© Inrap /E. Millet – Image ET – Imag’in Irma.
- 19 L’exposition Mutina splendidissima. La citta romana e la sua eredità au Foro Boario de Modène a été (...)
- 20 Sous la direction de Sylvia Pellegrini, Musée civique archéologique et ethnologique de Modène (Ital (...)
- 21 L’étude Tec Eurolab s. r . l. a révélé la présence de défauts d’intégrité assimilables à des retrai (...)
- 22 N° 6401.
15La capacité à pénétrer au cœur de la matière dans une interface tridimensionnelle fait de la tomographie un outil analytique absolument performant pour l’analyse. Grâce à cette technique, l’accès à des données masquées, indécelables à l’œil nu, est possible, comme le montre également l’exemple du lit triclinaire en bronze d’époque romaine (fig. 15), découvert en 1967 à Modène (Italie) (Bernadet et al. 2017). Dans le cadre d’une exposition réalisée en 201719, un nouveau projet de restauration et d’étude des pieds du lit20, visait à améliorer leur lisibilité en vue de leur présentation au public et à enrichir leur connaissance (fig. 16). Reposant sur la tomographie, l’analyse a ainsi montré que les pieds avaient été réalisés par un procédé indirect de fonte à la cire perdue21. La tomographie a également révélé l’existence de deux réparations antiques sur l’un d’entre eux22. Au niveau du fût, il est en effet possible de constater une jonction probablement réalisée grâce à un tenon en fer et une brasure au plomb, révélée par sa forte densité (fig. 17). La seconde réparation est visible à l’extrémité du pied, par l’insertion d’une tige terminale (fig. 18). Rien ne nous indique en revanche si ces réparations ont été simultanées, mais il semble probable que la rupture est intervenue un certain laps de temps après la fabrication de l’objet.
Fig. 15. Reconstruction du lit triclinaire de Modène (Via Università) après sa restauration.
© Sabap-Bo / Musée civique archéologique et ethnologique de Modène (Italie) / R. Bernadet.
Fig. 16. Vue des différents éléments métalliques composant le lit triclinaire.
© Sabap-Bo / Musée civique archéologique et ethnologique de Modène (Italie) / R. Bernadet.
Fig. 17. Capture d’écran montrant les différentes coupes et la reconstruction 3D de l’un des pieds
sur lesquels est visible le goujonnage antique.
© Musée civique archéologique et ethnologique de Modène (Italie).
Fig. 18. La tomographie Rx du pied permet d’observer les deux réparations réalisées.
© Musée civique archéologique et ethnologique de Modène (Italie).
16L’emploi de la tomographie doit constituer un acte réfléchi, dépendant d’une problématique de recherche. Il s’inscrit au sein d’un protocole d’intervention ou d’une chaîne opératoire technique, définie par l’archéologue spécialisé et le conservateur-restaurateur : la bonne succession des différentes étapes se déployant de la fouille au laboratoire de restauration conditionne la qualité des analyses.
17Sur les dossiers délicats et complexes, cet emploi constitue un enjeu absolument décisif. La tomographie est particulièrement performante lorsqu’elle est effectuée sur des objets prélevés peu dissociés de leur micro-contexte. La qualité des observations possibles sous tomographie est ainsi corrélée à un bon prélèvement, permettant d’accéder virtuellement aux objets conservés et de poser un premier diagnostic. Selon l’importance de la découverte archéologique (ensemble complexe et/ou exceptionnel), les prélèvements en bloc ou en motte doivent être ainsi privilégiés et effectués par un conservateur-restaurateur spécialisé, éprouvé à ces techniques ; ils conditionnent en effet la chaîne opératoire de l’exploitation scientifique des données, qui passe de la micro-fouille au nettoyage pour étude ou à la restauration ainsi qu’aux analyses archéo-logiques spécialisées (morphologie, technique, stylistique, typo-chronologie, matériaux, etc.). Le prélèvement des artefacts, tout en préservant leurs relations, rend ainsi accessible une documentation archéologique virtuellement analysable et exploitable par les spécialistes à travers les techniques d’imagerie numérique 3D. Le potentiel scientifique de la méthode, étroitement lié aux capacités « analytiques » de la tomographie, offre des perspectives de recherche innovantes, induisant une approche nécessairement pluridisciplinaire. L’évolution des techniques d’imagerie 3D ouvre la voie à la création de supports analytiques de plus en plus performants dont la portée est mixte, scientifique et pédagogique : l’impression 3D (Nicolas et al. 2018) ou encore le couplage entre la modélisation 3D et la tomodensitométrie en constituent quelques exemples
d’applications récentes.