1Le quartier du Fort, qui s’étend au nord de Saint-Pierre entre les rivières Roxelane et des Pères, est le plus ancien de la ville : c’est là que s’est organisé le premier bourg, à partir de 1635. La partie orientale de ce quartier, occupée tardivement, est dénommée la Nouvelle Cité. D’une superficie de 2 500 m2, la fouille du site de l’Allée Pécoul rue Montnoël, réalisée par une équipe de l’Inrap en 2013, a précédé la construction d’un immeuble. Cette opération d’archéologie préventive, une des premières à avoir été conduites dans un quartier résidentiel périurbain de Saint-Pierre, apporte des informations de première qualité, tout en contribuant au développement de l’archéologie urbaine de la période contemporaine. Cet article présente une première analyse documentaire (cartographique et archivistique), les principaux résultats des données de terrain et des études de la céramique et de la faune, dans une perspective d’interprétation sociale de l’occupation.
2Sur le terrain, quatre phases ont été mises en évidence. La première correspond au jardin d’une vaste propriété, et la deuxième à l’urbanisation du secteur par la construction de bâtiments sur des parcelles délimitées par des murs. La troisième phase révèle de nouvelles constructions et l’installation d’un réseau de canalisations d’adduction et d’évacuation des eaux, vers la fin du xixe s. La quatrième et dernière phase renvoie à la destruction brutale du site par l’éruption de la Montagne Pelée, le 8 mai 1902. Des dépôts de cendres d’épaisseur variable (de 1 m jusqu’à 1,40 m) ont préservé le site, permettant des observations archéologiques précieuses puisqu’il n’a pas été réoccupé par la suite, ni pillé.
- 1 BnF. Département des Cartes et plans, GE SH 18 PF 156 DIV 2 P 17. Carte géométrique et topographiqu (...)
3La propriété 1, correspondant à la première phase d’occupation, est connue par un plan de 17701. Située en périphérie de la ville, un mur de clôture la coupait de son environnement urbain à l’ouest, tandis qu’une haie la séparait des champs qui s’étendaient à l’est. Sa résidence faisait face à une longue allée plantée ouvrant au nord sur le chemin royal menant à l’habitation La Montagne et à la Capesterre.
4Les jardins de cette grande propriété péri-urbaine sont caractérisés par une série de fosses de plantation au fond desquelles des graviers ou des tessons de céramique avaient parfois été déposés pour servir de drainage. Sauf conditions particulières de conservation, l’identification des végétaux plantés reste difficile en archéologie et elle n’a pu être menée à bien ici. Toutefois, un test réalisé sur trois échantillons donne des résultats positifs (présence de restes carpologiques et anthracologiques) mais souligne la nécessité de mettre en place une collection de référence pour les Antilles afin de mener à bien les identifications spécifiques (Ros 2016 : 403-410).
5La céramique permet de dater certaines de ces fosses de la fin du xviiie s., d’autres du début du xixe s. Les assemblages céramiques sont semblables à ceux que l’on retrouve sur les sites d’habitat aisé martiniquais de cette période : des faïences rouennaises, bordelaises, provençales, des céramiques glaçurées provençales et ligures (Albisola), des grès du Beauvaisis et de Rhénanie, des porcelaines chinoises de la compagnie des Indes et, enfin, des faïences fines anglaises ( fine earthenware et pearlware).
- 2 AD972 : 1MI 858. Notariat. Étude (Saint) Alexandre Théobald Durieu (Lamentin). Vente d’un terrain e (...)
6Un acte de vente de 1853 détaille les essences qui peuplaient alors le jardin de la propriété 1, amputée de sa partie nord. On y trouve « trente manguiers bordant l’allée qui conduit à la grille d’entrée de la maison et douze autres répandus dans le terrain, sept arbres à pain, six sapotilliers, douze cocotiers, sept pommiers d’acajou, quatre avocatiers, six abricotiers, quatre orangers, deux cerisiers »2. Bien que cet acte soit postérieur de 40 ou 50 ans à l’état fouillé, il démontre une grande attention portée au jardin et à ses arbres fruitiers.
- 3 Archives nationales d’outre-mer (Anom). 13DFC 550A : Plan topo-graphique de la ville et environs de (...)
7La deuxième phase d’occupation correspond à l’urbanisation de la moitié nord de la propriété 1, divisée et lotie en parcelles séparées par des murs. La fouille a permis d’observer deux nouvelles propriétés, dénommées 2 et 3, qui ont recouvert le jardin précité et présentent des organisations spatiales différentes (fig. 1). La confrontation des données de terrain et des plans anciens confirme l’urbanisation initiale de ce secteur au début du xixe s. En 18193, les plans des maisons coïncident avec les relevés archéologiques, tandis que leurs dépendances ne sont pas figurées (fig. 2).
Fig. 1 – Plan des principaux bâtiments des propriétés 2, 3 et 4. État de la fin du xixe siècle (topographe : P-Y Devillers, DAO : D. Billon, Inrap).
Fig. 2 – Plan topographique de la ville et environs de Saint-Pierre de la Martinique, dédié à son Excellence monsieur Le Comte Donzelot, Lieutenant Général Gouverneur, par Laroque Dufaut, ancien géomètre du cadastre, arpenteur général adjoint, levé l’an 1819 (© FR ANOM 13 DFC 550 A).
8La propriété 2, qui s’étendait sur la plus grande partie de l’emprise de la fouille, était desservie par une allée se prolongeant au nord, rappelant l’organisation spatiale de la demeure précédente (fig. 3). Large de 4,50 m et bordée de murets, cette allée a été observée sur 18 m de long. Elle séparait à l’est des jardins en terrasse et, à l’ouest, une cour sur laquelle ouvrait la maison et où se situaient les bâtiments à vocation domestique alignés contre le mur de clôture. Les limites nord et est du jardin ne sont pas connues. Trois escaliers le reliaient à la galerie de la demeure.
Fig. 3 – La propriété 2 et sa maison au premier plan. La montagne Pelée se devine derrière les nuages à l’arrière‑plan (© Inrap).
- 4 Une monnaie a été retrouvée à la base du poteau mitoyen du seuil de la façade orientale. Il s’agit (...)
9Deux habitations se sont succédé sur la propriété 2. La plus ancienne, dont le plan est en partie connu, avait une superficie minimale de 105 m2. Elle a été arasée et remplacée par un nouveau bâtiment très bien daté par une couche de cendres produite par l’éruption phréatique de la Montagne Pelée de 1851 (Lacroix 1902), piégée sous le sol en cours d’aménagement. La maison de 1851 possédait un module central rectangulaire de 11,80 x 10 m, qui reposait sur une série de 20 poteaux de bois reliés par un soubassement maçonné et solidement ancrés dans des piliers servant de calage4. Les éléments retrouvés permettent d’identifier du courbaril (Hymenaea courbaril ), un bois rouge très dur exploité localement. L’élévation devait être elle aussi en bois et peut-être ajourée, afin de donner à la pièce du milieu un maximum de lumière et de la ventiler au mieux.
10Le module central comprenait trois pièces en enfilade, flanquées à l’est et à l’ouest de deux pièces latérales et de galeries ouvertes. Face à l’allée, au nord, une porte à double battant ouvrait sur une première salle au sol couvert d’un carrelage provençal de terre cuite jaune. Il fut masqué plus tard par un plancher fabriqué avec du pin américain (Pinus sp.), probablement un pin rouge (Red Pine, Pinus resinosa) dont l’aire de répartition naturelle se trouve au sud du Canada (Mille 2016 : 411-415).
11La pièce centrale, d’une superficie de 38 m², était desservie par quatre ouvertures, une sur chacun de ses côtés, et avait un plancher identique. La troisième pièce, au sud, était carrelée. Elle communiquait par une porte à double battant sur un espace d’abord ouvert, qui fut transformé dans un second temps par l’ajout d’une galerie fermée. La galerie occidentale, légèrement en contrebas de la pièce centrale, a d’abord eu un sol carrelé en terre cuite puis un plancher identique aux autres planchers de la maison. Les galeries extérieures étaient couvertes de tomettes délimitées par des bordures en dalles de schiste importées et de calcaire coquillé local. Une petite pièce, installée dans la cour, contre le bâtiment dans l’angle sud-ouest, correspondait probablement à un cabinet d’aisance.
12À l’ouest, la maison donnait sur la cour où quelques structures ont été aménagées dans le premier quart du xixe s. Le comblement du puits (ou de la citerne) circulaire et maçonné, qui alimentait vraisemblablement un bassin rond, est daté par le verre du dernier quart du xixe s. (Kefi 2016 : 329-344).
13Cinq bâtiments à usage domestique, d’une superficie comprise entre 10 et 14 m², s’adossaient au mur ouest de la propriété. Tous s’ouvraient sur la cour à l’est et les trois pièces situées au nord communiquaient entre elles. La présence d’un caniveau indique que la pente du toit s’inclinait vers la cour et qu’une gouttière réceptionnait les eaux de pluie. La pièce sud, au sol de tomettes bien conservé, a été identifiée à la cuisine grâce à la présence d’un potager et des vestiges d’un four à pain (sole et voûte de briques effondrée). Les pièces suivantes, elles aussi dotées d’un sol de tomettes, n’ont pas livré d’aménagement particulier mais la troisième, située au milieu, contenait une grande quantité de bouteilles et pourrait correspondre à un cellier. Les deux autres avaient de larges portes sur la cour et l’une a pu servir à abriter une voiture hippomobile. Le mobilier mis au jour dans cet espace comporte un fer à cheval, un mors, un étrier et une pierre avec un anneau de fer permettant d’attacher un cheval devant le bâtiment (Baray 2016).
14La propriété 3 comprenait une maison au nord et un jardin bordé par des bâtiments. Elle occupait un terrain de 37,50 m sur une largeur de 10,50 m, soit un lot de presque 400 m². Le mur de clôture la séparant de la propriété 2 servait également de terrasse, puisqu’elle était à 1 m en contrebas.
15La maison a été observée dans sa quasi-totalité, à l’exception de son angle nord-ouest. Mise en place dès le début de l’urbanisation du quartier, dans le premier quart du xixe s., elle présentait une grande homogénéité architecturale. Le soin apporté à sa construction lui a permis de perdurer jusqu’en 1902 sans changement majeur, à l’exception de quelques réparations de sols.
- 5 Les solives qui le soutenaient étaient posées sur le rebord des murs qui délimitaient un vide sanit (...)
16L’accès sur la rue se faisait par le nord, en marge de l’emprise de la fouille. La porte, à double battant, ouvrait sur une pièce carrelée, sorte de vestibule desservant la salle de -réception dont le plancher, en planches de pin américain (Pinus sp.), reposait sur un vide sanitaire5. La superficie du rez-de-chaussée est de 73,50 m² (10,50 x 7 m). Dans l’angle sud-est, un escalier montait à l’étage. Son plancher était soutenu par une rangée de piliers dont subsistent les supports en pierre. Au sud, deux pièces séparées par une fine cloison de bois donnaient sur une galerie ouverte sur le jardin.
- 6 Cette poterie était l’une des plus importantes et des plus anciennes de l’Île. Située sur la commun (...)
17Ce dernier occupait une grande partie de la propriété (28 x 10,50 m) et comprenait les bâtiments à usage domestique. Au nord, la cuisine de 14 m², au sol couvert de carreaux de terre cuite, disposait d’un potager installé contre le mur nord. À côté, se trouvait un placard où ont été retrouvées une pile d’assiette, une soupière et une marmite en fer. De nombreux fragments de jarres à eau jonchant le sol complètent ce mobilier typique. Le fournil, au sol couvert d’une chape de ciment rouge, abritait dans son angle sud-est le four à pain semi-circulaire, à la sole constituée de briques portant l’inscription « Poterie Du Chaxel »6. À l’extérieur du bâtiment, une construction semi-circulaire et peu soignée s’adossait au mur sud. Son comblement organique et lité témoignerait de sa fonction de latrines.
18De part et d’autre de l’allée pavée du jardin, des lambis ou des tuiles délimitaient plusieurs parterres et un grand bac maçonné bordait le mur de clôture oriental, au nord de la cuisine. Un tuyau de plomb évacuait l’eau d’un petit bassin rectangulaire vers un déversoir situé légèrement en contrebas, avant de rejoindre la canalisation qui traversait la maison en longeant son mur occidental.
19La stratigraphie et les datations céramiques d’un appentis fouillé dans l’angle sud-est de la propriété nous permettent de situer sa construction vers 1865. Au sud du fournil, les déchets domestiques ont été enfouis dans la partie méridionale du jardin. Les premiers dépotoirs sont datés des environs de 1840. Une fosse a notamment livré de nombreux matériaux (tomettes, briques, tuiles écailles) provenant de la démolition d’un bâtiment. Le mobilier et les restes fauniques, très abondants dans ces dépotoirs datés entre 1845 et 1865, donnent des indications précieuses sur le niveau social des habitants.
20Le mobilier céramique provenant de ces structures illustre des pratiques de consommation aisées. Les services de table sont ceux qui prévalent dans la bourgeoisie métropolitaine (fig. 4). Au xixe s., le goût est aux services en faïence fine et, dans une moindre mesure, en porcelaine. Les services à thé, à café et à desserts sont nombreux et variés. Ils proviennent de la manufacture bordelaise de J. Vieillard & Johnston et des faïenceries de Creil & Montereau près de Paris. La céramique culinaire est presqu'exclusivement provençale, issue des ateliers de l’arrière-pays marseillais pour les récipients de table et de cuisine et de ceux de Vallauris (Alpes-Maritimes) pour l’essentiel des récipients de cuisson, marmites et poêlons. De Biot (Alpes-Maritimes) venaient aussi les jarres glaçurées stockées dans la cuisine comme réservoirs à eau. D’autres récipients, des saloirs en grès bourguignons, des pots à beurre en grès de Haute Normandie, mais aussi un pot à sel anglais témoignent d’une alimentation soignée et riche. La vaisselle utilisée pour la toilette était en faïence fine et comprenait surtout des pots à pommades, des brocs et cuvettes à eau pour la toilette. Les habitants disposant de latrines, les pots d’aisances, peu nombreux, étaient sans doute réservés à la domesticité. Ils étaient en terre glaçurée, produits dans l’arrière-pays marseillais. Toutes ces céramiques étaient acheminées à Saint-Pierre depuis les grands ports de Marseille, de Bordeaux et du Havre.
Fig. 4 – Assiette en faïence fine retrouvée dans la propriété 2, dans les niveaux correspondant à l’état de la fin du xixe siècle. Bordeaux, Manufacture de Bacalan. Service aux papillons, marque J.V. & Cie, vers 1865-1895 (© F. Ravoire).
- 7 Au regard des spectres ichtyologiques, les propriétés 2 et 3 possèdent un large fonds commun. Seule (...)
21L’assemblage faunique se compose essentiellement d’ossements de poissons natifs de la Caraïbe et d’animaux domestiques introduits après la colonisation européenne de l’île (triade domestique et animaux de basse-cour). Exceptés quelques ossements de morue (Gadus morhua), l’ensemble des poissons osseux et cartilagineux identifiés dans ces dépôts est présent à proximité des côtes du nord de la Martinique. La majorité d’entre eux est inféodée aux milieux rocheux et coralliens (barbarin, poisson-soldat, gorette, labre, poisson-perroquet…), qui se développent entre Saint-Pierre et la commune du Prêcheur. Les individus annuels en eau de surface (balaous, pisquettes et aiguillettes), ou pélagiques saisonniers en eaux profondes (thons, marlins), peuvent, quant à eux, être pêchés au large de Saint-Pierre ou à quelques encablures, dans le canal de la Dominique. Ainsi, bien que de nombreux textes historiques évoquent la « suprématie » de la morue salée importée dans l’alimentation quotidienne à l’époque coloniale (Garaud 1892 ; Hearn 1931), les espèces locales semblent également jouer un rôle important dans les pratiques alimentaires7. Les traces de découpes, observées exclusivement sur les ossements de thon (Thunnus sp.) et de marlin (Istiophoridae), attestent par ailleurs de la vente et de la consommation de morceaux sous forme de darnes.
- 8 La faiblesse numérique des assemblages des propriétés 2 et 4 ne permet pas de discuter objectivemen (...)
22Concernant les espèces domestiques8, les résultats obtenus pour les bovins sont conformes à la recherche de viande de « premier choix » : présence de jeunes animaux et prévalence des morceaux à haute valeur nutritive (macreuse, rumsteck, jarrets…). La découpe des carcasses, réalisée quasi exclusivement à l’aide d’une scie, semble standardisée. Quant à l’absence de traces de brûlure sur les ossements, elle indiquerait que les pièces de viandes étaient majoritairement fumées, salées ou bouillies, plutôt que cuites à la flamme. La distribution des parties squelettiques des caprinés montre à l’inverse un déficit des membres à viande. La présence d’éléments crâniens associés à des éléments du rachis et de l’autopode semblerait toutefois attester de la mise à mort et de la découpe de ces animaux sur la propriété. Une fameuse recette créole appelée « choubou salade de sang frit » utilise d’ailleurs du sang cuit de mouton pour sa préparation (Levillain 2002 : 48). Enfin, concernant les suidés, il semble que l’accent ait été mis sur la production charcutière puisque, à l’instar des caprinés, les membres à viande sont très peu représentés. Compte tenu des âges obtenus pour les cochons individualisés, il semble d’ailleurs curieux que les occupants de cette propriété n’aient pas profité de cette viande de premier choix. Ceci laisse à penser que les fosses dépotoirs de cette habitation n’ont pas toutes été circonscrites.
23Le caractère élitaire de la propriété 3 est manifeste d’après les données documentant les us et coutumes alimentaires. En effet, au regard des prix en vigueur au xixe s., seule une minorité pouvait se permettre une alimentation aussi variée et riche en protéine. Ce caractère élitaire transparaît également dans les objets de la vie quotidienne mis au jour, au vu notamment de la qualité d’exécution des manches d’ombrelles (fig. 5) (Tomadini et al. 2017).
Fig. 5 – Manche d’ombrelle taillé et sculpté dans un os de mammifère (© Noémie Tomadini).
- 9 Les tuyaux de plomb ont fortement subi l’action de la chaleur et seuls des fragments tordus ont été (...)
- 10 Les canalisations sont constituées de tuyaux de terre cuite de 52,50 cm, scellés par un ciment fin (...)
24Vers la fin du xixe s., de nouveaux bâtiments à usage domestique (nommés propriété 4) ont été construits contre les murs de clôture sud des propriétés 2 et 3. Au même moment ont été installés des tuyaux de plomb d’amenée de l’eau9, qui s’évacuait par des canalisations enterrées10 desservant aussi la propriété 2.
25La propriété 4 n’a pu être observée que sur une bande large de quelques mètres, à la limite sud de l’emprise de la fouille. Un espace ouvert (cour ou jardin) se situait dans le prolongement sud de la maison de la propriété 2 voisine, avec laquelle une porte permettait une communication directe.
- 11 AD972 : 1MI 869. Notariat. Étude Henry Albert Durieu (Saint-Pierre). Vente par M elle Reynal de Sai (...)
26Le mobilier recueilli dans la stratigraphie situe la construction de ces bâtiments à la fin du siècle. Les actes notariés11 précisent cette chronologie : c’est en 1896 que ces terrains furent lotis, dans une nouvelle opération de morcellement de la propriété 1.
27Un partage de la propriété 2 a pu également intervenir, c’est du moins ce que suggèrent les adresses des différents propriétaires identifiés : d’abord rue Montnoël puis rue Saint-Denis, celle précisément sur laquelle ouvrait la propriété 3 et qui, en 1819, s’achevait en impasse sur la propriété 2 (on accédait alors à celle-ci par une entrée située au nord de l’allée en partie observée sur la fouille). Ce nouveau lotissement identifié par les sources documentaires et les données archéologiques montre une économie de la rente foncière et révèle également l’importance de la pression urbaine qui s’exerçait dans ce secteur résidentiel pierrotain.
28L’éruption de la Montagne Pelée, le 8 mai 1902, détruisit totalement la ville, faisant près de 30 000 victimes en l’espace de quelques minutes. Rien n’a protégé la plaine de la Consolation et le quartier du même nom qui étaient situés au plus près du volcan. Malgré la violence du souffle, la fouille réalisée sur le site de l’Allée Pécoul nous a permis de restituer une partie de la vie quotidienne de ses habitants, parfois de définir la fonction des pièces où ils vivaient et leur aménagement interne.
29C’est pour cette phase, correspondant à la dernière occupation du site, que le mobilier est le plus abondant. Toutefois, comme pour les périodes précédentes, il provient très largement de la propriété 3, probablement grâce à la protection du mur de terrasse.
30Les objets recueillis dans le jardin peuvent illustrer des activités quotidiennes, comme un mortier pour piler les herbes et les épices ; des matériaux de construction – pierres, briques, tuiles, poutres ou éléments de charpente plus ou moins calcinés – apportent des informations précieuses sur l’architecture locale. Dans la maison, le niveau de destruction couvrait directement le sol. Le mobilier recueilli comprend plusieurs plaques de marbre provenant du revêtement de meubles et des services de table ou de toilette en faïence fine, à la mode du temps, dans le style naturaliste (Bordeaux, Gien) ou à simple décor de filet bleu (Bordeaux, Gien, Lunéville).
31La propriété 2, située un peu plus haut à la lisière des champs, n’a pas bénéficié de la protection d’une terrasse. Les niveaux de destruction couvrant l’allée et la galerie orientale de la maison ont essentiellement livré des pots horticoles provençaux, peut-être posés sur les murets bordant l’allée. La demeure paraît étonnamment vide et n’a livré que de très rares objets : un bouton, quelques céramiques fines, une casserole émaillée, une boîte de clous. C’est sur les galeries ouvertes et surtout dans la cour que les objets étaient les plus nombreux, peut-être déplacés par le souffle. On y trouve notamment une table de toilette en marbre, un élément de lampe à pétrole, des outils dont une houe. Ainsi, l’éparpillement n’est pas systématique. Le départ des occupants n’est pas à exclure ; il pourrait expliquer l’absence de certains éléments (argenterie, effets personnels), mais aussi d’une voiture, dont aucun élément n’a été retrouvé. La maison a été maintenue fermée les jours qui ont précédé l’éruption, comme l’atteste la présence d’une fine couche de cendres sur les sols des galeries extérieures. Cette couche, que l’on ne retrouve pas à l’intérieur, est le témoin des pluies de cendres qui ont anticipé la catastrophe et ont atteint la ville dès la fin avril.
32La fouille de l’Allée Pécoul a permis d’étudier un terrain exceptionnellement préservé des reconstructions et des pillages. Grâce à la conservation des structures mais aussi du mobilier, l’évolution de l’habitat et des modes de consommation d’une catégorie sociale aisée a pu être appréhendée, entre la fin du xviiie s. et le début du xxe s.