1Le système utilisé par la mission française pour la fouille et l’enregistrement des données de terrain du site de Khirokitia (1976-2009), l’informatisation entreprise à partir de 1986 pour la gestion et l’analyse de ces données ainsi que le programme de numérisation des archives (fig. 1) et leur diffusion sur le Web (2008-2009) répondent à une même volonté : mettre l’ensemble de la documentation recueillie à la disposition des chercheurs participant aux recherches conduites sur ce site et, plus largement de la communauté archéologique intéressée, et en faciliter ainsi l’exploitation scientifique, l’interprétation et la réinterprétation ainsi que la valorisation.
Fig. 1 – Khirokitia. Les archives de fouille du fonds A. Le Brun, conservées au Service des archives de la Maison Archéologie & Ethnologie René-Ginouvès, Nanterre (Mission archéologique française).
- 1 Mis au point pour la fouille de sites préhistoriques en Israël, ce système été utilisé à Suse par l (...)
2Le système de fouille et d’enregistrement utilisé et développé à Khirokitia (Daune-Le Brun à paraître) a été mis au point à la fin des années 1950 par Jean Perrot (1920-2012)1. Il a été conçu dans le souci de distinguer, autant que possible, les données brutes (faits observés), enregistrées d’une manière systématique, et leur interprétation par le fouilleur, interprétation susceptible d’être remise en question par celui-ci ou par tout autre chercheur, au cas où il n’aurait pas été en mesure d’assurer la publication.
3Son originalité réside dans les modalités d’application de ce principe de séparation, données brutes/interprétation, dans la préférence accordée à la description graphique par rapport à la description textuelle, plus subjective, et à une gestion centralisée de l’enregistrement sur le terrain : afin d’obtenir et de maintenir, au fil des campagnes, une vision d’ensemble de la zone fouillée et plus de cohérence dans l’observation et la description, c’est une seule et même personne qui assure la transcription du déroulement de la fouille.
4L’enregistrement repose principalement sur l’association de deux documents, le journal graphique et le catalogue de fouille :
– Le journal graphique est un plan quotidien du chantier sur lequel figurent les structures (ou locus) ainsi que la surface (hachures) et l’altitude d’arrêt de chaque zone fouillée (ou levée) dans les limites du même locus ; y sont également portés sous forme graphique des observations stratigraphiques, les relevés faits ainsi que les photo-graphies prises. Locus et levée font chacun l’objet d’une numérotation continue mais indépendante l’une de l’autre.
– Le catalogue de fouille comprend, pour chaque numéro de zone fouillée (levée), une description des sédiments et le décompte du matériel ainsi que le numéro du locus (structure domestique, mur, construction, espace extérieur, sondage…) auquel il appartient.
5Le système de collecte et de gestion des données de terrain est organisé autour de la relation entre le locus (considéré comme un contenant) et la levée (sédiment et matériel contenus dans un locus). En 1986, pour faire face au développement de la fouille et à l’augmentation du volume des informations recueillies, sa structure, conçue comme un modèle logique de données, a servi de base à la construction d’un système d’information.
6L’objectif était double : améliorer et faciliter l’acquisition, la gestion, l’interrogation et l’analyse des données de terrain et mettre à la disposition des participants aux recherches conduites à Khirokitia une base de données regroupant l’ensemble de la documentation recueillie au cours de la fouille, ainsi que celle issue des recherches spécifiques des chercheurs. Il ne s’agissait pas d’élaborer une base documentaire réunissant une série d’inventaires mais de s’appuyer sur la structure du modèle de données pour concevoir un système de gestion efficace et dynamique qui permette des requêtes d’analyse croisée ainsi que l’analyse statistique et spatiale des données rattachées aux différentes phases de l’occupation du site.
7Le système d’information mis en place devait être adapté aux problématiques et aux usages des membres de l’équipe, pour la plupart peu familiers de la pratique de l’outil informatique. Pour suivre au plus près l’évolution des besoins de la recherche, de l’acquisition des données sur le terrain à leur gestion et à leur traitement ultérieur, il devait pouvoir être développé et contrôlé en interne et en toute autonomie, y compris durant la fouille. Il devait enfin respecter et s’appuyer sur la structure du modèle de données du site.
8Ces considérations ont déterminé le choix de confier à l’ingénieur archéologue de l’équipe, responsable de l’enregistrement de terrain, la conception d’une base de données privilégiant l’utilisation d’outils simples et souples permettant à un utilisateur non informaticien de gérer lui-même des évolutions fonctionnelles. La mise en place s’est faite pas à pas, soutenue dès 1985 par la formation permanente du Cnrs.
9Mis au point et testé dans un premier temps sous Excel, le système de gestion des données alphanumériques, quantitatives et qualitatives, a été développé à partir de 1990 sous FileMakerPro, application ayant l’avantage d’être simple d’accès et rapide et de fonctionner dans un environnement Mac ou PC. La base a été construite et développée au cours des années en veillant à ce que sa structure facilite l’exportation des données vers d’autres applications et permette son portage vers des systèmes de gestion de base de données relationnelle (Sgbdr) plus performants.
10Le traitement automatique des données cartographiques a été mis œuvre à partir de 1991, sous Autocad puis sous Vectorworks, application qui associe des fonctions avancées de dessin 2D et 3D et une base de données permettant d’attribuer tout type d’information à tout objet du dessin. Cette application fonctionne, elle aussi, dans un environnement Mac ou PC.
11La photographie numérique a été utilisée dans l’enregistrement des données dès 1994 pour faciliter et accélérer les relevés de terrain (tombes et petites structures) : une procédure a été mise au point en 1995, associant image numérique et logiciel de redressement géoréférencé (Aérophoto puis Didger) ; les photographies prises avec une perche puis par cerf-volant (2006-2007) ont permis de l’appliquer à plus grande échelle. L’achat d’un appareil numérique de meilleure qualité et d’un prix abordable a conduit, au début des années 2000, à abandonner progressivement l’enregistrement photographique traditionnel.
12Mise à la disposition des chercheurs de l’équipe, la base de données de Khirokitia s’est enrichie au fur et à mesure des progrès de la fouille et des études spécifiques effectuées sur le matériel lithique et osseux, botanique, anthropologique, zoologique, géoarchéologique, etc. Toutefois, l’intégration de l’image numérique dans le processus d’exploitation scientifique des données restait limitée et la numérisation de l’ensemble des archives de terrain a constitué une étape importante dans le développement de la base.
- 2 http://archives.mae.u-paris10.fr/index.php/fouilles-khirokitia-1977- 2007.
- 3 http://archives.mae.u-paris10.fr/index.php/alain-le-brun-n-olithique-de-chypre-cap-andreas-kastros- (...)
13Le fonds des archives de fouille du site de Khirokitia – Chypre, fonds Alain Le Brun3 –, a été versé en 2000 au service des archives de la Maison Archéologie & Ethnologie (Mae) René-Ginouvès ; il rassemble la documentation de terrain issue des travaux conduits par la mission archéologique française : journaux graphiques, relevés, catalogues et carnets de fouilles, dessins, fiches objets, diapositives, négatifs, planches-contacts. Les archives ont été classées, triées, analysées (décrites et indexées), conditionnées et cotées selon les règles archivistiques, dans le respect de l’organisation du fonds. Les analyses ont été enregistrées dans une base de données diffusée sur le Web. Le travail préalable à la numérisation de documents ayant été réalisé, ce fonds a été choisi par le service des archives pour développer et tester la méthodologie d’archivage électronique alors en cours d’élaboration.
- 4 Aujourd’hui fusionné dans la « très grande infrastructure de recherche » Tgir-Huma-Num, Adonis avai (...)
14Le programme de numérisation et de mise en ligne de ce fonds a été entrepris et piloté par le service des archives entre 2007 et 2009. Financé par le « très grand équipement » Tge-Adonis (Cnrs)4, il a été réalisé en collaboration avec la mission archéologique française de Khirokitia, le service Systèmes d’information et le service photographique de la Maison René-Ginouvès. La numérisation des documents a été réalisée par une entreprise spécialisée et validée par le service des archives de la Mae qui a établi les liens entre les fiches d’analyse d’archi-ves et les images diffusées sur le Web (logiciel AtoM). Ces archives sont consultables en ligne depuis 2009.
15Les objectifs fixés pour ce programme ont été atteints, à savoir :
– assurer, par la numérisation, la conservation pérenne des archives physiques ;
– faciliter, par la mise en ligne des documents numérisés (près de 18 000 fichiers), leur exploitation scientifique et leur valorisation par les membres de la mission française et, plus généralement, par la communauté archéologique ;
– réunir à Chypre le matériel archéologique conservé dans les musées de Nicosie et de Larnaca, la documentation issue des fouilles du département des Antiquités (1936-1946) et celle issue des fouilles françaises, conservée, elle, en France.
16Ce dernier objectif a été réalisé en 2011 : lors d’une cérémonie officielle organisée à Nicosie, un disque dur contenant les 18 000 fichiers numériques (en format TIFF et JPG) a été remis au directeur du département des Antiquités de la République de Chypre, permettant ainsi de rassembler en un même lieu le matériel archéologique et les documents de terrain et de renforcer la coopération avec les institutions de ce pays. À cette occasion, un cycle de quatre conférences a été organisé par l’Association des archéologues chypriotes et le département des Antiquités afin de présenter le programme de numérisation des archives de Khirokitia ainsi que les outils et les méthodes d’information utilisés ou développés par des ingénieurs Cnrs pour la gestion et l’analyse des données du site (voir la listes des conférences infra).
17Si la mise en ligne des archives a été réalisée rapidement grâce au travail du service des archives et du service Systèmes d’information de la Mae, le projet entrepris par la mission archéologique d’intégrer les documents numérisés dans le processus d’exploitation de la base de données de Khirokitia s’est révélé beaucoup plus long.
18Certes, à partir de 2010, une fonction simple de FileMaker Pro a permis de lier une table (KH_catalogue de fouille) de la base de données (KH_BDD) et les images des journaux graphiques (840 fichiers numériques) stockées en externe dans un dossier. Elle ne permettait toutefois pas de gérer un lot d’environ 18 000 fichiers numériques et d’établir des liens avec l’ensemble des tables de la base. Cette difficulté a été résolue, en 2015, par l’application d’une procédure de référencement développée par l’informaticien Jean-Pierre Loison (Rci Informatique SA) pour des bases de données développées par Jérôme Haquet (Cnrs - Umr 8167 Orient et Méditerranée, textes - archéologie - histoire). La procédure comprend la création d’une table externe, KH_images, liée aux différentes tables de la base KH_BDD et contenant la référence, c’est-à-dire le chemin vers chacune des images stockées dans un dossier en externe. Le nom de chaque fichier électronique a été attribué lors de la numérisation et conservé pour la mise en ligne sur internet de la Mae. Le système de nommage uniforme a été défini par le service des archives, en cohérence avec le plan de classement des archives de Khirokitia.
19Le référencement de chaque fichier numérique dans la table KH_images qui est en cours de réalisation – il devrait être achevé fin 2016 –, représente un travail long et fastidieux, mais le jeu en vaut bien la chandelle : dans la pratique, chaque fiche de chaque table de KH_BDD (locus, catalogue de fouille, objets) se trouve automatiquement illustrée, sous forme de vignettes, par une ou plusieurs images (dessins, relevés, plans, journaux graphiques, photographies, fiches) et, inversement, chaque vignette sélectionnée dans KH_BDD peut être directement lisible, en moyenne ou haute définition, dans KH_images, où elle est automatiquement documentée par les tables de KH_BDD. Les liens permettent de naviguer facilement et rapidement entre les tables de la base de données et la table externe, selon les objectifs de la recherche.
20Lorsque ce travail sera achevé, les chercheurs de l’équipe n’auront, dès lors, plus besoin de consulter les archives physiques de Khirokitia : l’ensemble de la documentation recueillie dans les fouilles est accessible sous forme numérique depuis 2009 par la recherche en ligne sur le site du service des archives de la Mae et elle le sera également, à partir de 2017, par l’interrogation de la base de données.
21Les archives numériques sont régulièrement sollicitées pour présenter les résultats des recherches conduites sur le site de Khirokitia dans le cadre de colloques, de séminaires et de publications. Elles le sont également pour des actions de valorisation du patrimoine archéologique (conférences, expositions, dépliants à l’attention des visiteurs du site), parmi lesquelles il faut tout particulièrement mentionner le plan d’aménagement du site, Khirokitia Management Plan, entrepris par le département des Antiquités de Chypre avec la collaboration du Cyprus Institute et de la mission archéologique française en tant que responsable scientifique.
- 5 Une conférence et une exposition photographique bilingue grec-anglais : Αναπαράσταση του Νεολιθικού (...)
22De très nombreuses images numériques ont servi à différentes étapes du projet, pour sa préparation (Départment of Antiquities 2012), sa présentation officielle en 2012 à l’occa-sion de la « Journée des monuments et des sites », consacrée cette année-là à Chypre à Khirokitia5, site majeur du Néolithique précéramique récent de l’île, inscrit depuis 1998 par l’Unesco au Patrimoine mondial. Elles ont été plus encore utilisées pour la réalisation d’un important volet du programme : la signalétique de deux parcours pédagogiques créés à l’intention des visiteurs (environ 45 000 touristes, scolaires et étudiants par an), l’un archéologique sur l’histoire et la vie du village néolithique, l’autre environnemental sur l’histoire du paysage et des espèces végétales et animales. Une vingtaine de panneaux, abondamment illustrés par des images d’archives (fig. 2), et présentant également les outils et les méthodes de la recherche archéologique, a été officiellement inaugurée en 2014.
Fig. 2 – Khirokitia. Le parc archéologique aménagé en 1994 au pied de la colline, à l’extérieur du site. Deux répliques d’habitation, présentées en écorché, ont été ajoutées pour abriter des panneaux explicatifs, l’une consacrée à l’architecture (au premier plan), l’autre à la vie quotidienne. (Mission archéologique française). Vue aérienne des reconstitutions (Th. Sagory).
23Les images seront aussi utilisées dans un programme de création de parcours virtuels interactifs, en collaboration avec le Cyprus Institute/Science and Technology for Archaeology Research Center et l’University of Illinois at Urbana-Champaign / Illinois School of Architecture, programme qui débute cette année.
24Inscrit lui aussi dans la suite du programme de numérisation des archives de Khirokitia, un autre projet réalisé avec l’aide d’un géomaticien apportera à la base de données une dimension nouvelle : la cartographie dynamique et interactive. L’objectif est de développer un véritable système d’information archéologique qui s’appuiera sur la base de données et sa structure ainsi que sur la cartographie vectorielle du site puis, dans un deuxième temps, de proposer une consultation de la base par navigateur internet.
25À suivre.