« C’est beau un arbre dans un cimetière, on dirait un cercueil qui pousse. »
Pierre Doris
Ce travail a été possible grâce à une bourse postdoctorale de la fondation Fyssen ; qu’elle en soit ici remerciée. Je tiens également à remercier le Landesamt für Denkmalpflege du Bade-Wurtemberg, à Esslingen am Neckar, qui m’a permis de consulter la documentation originale de la nécropole de Viesenhäuser Hof, à Stuttgart-Mühlhausen.
1Saisir le temps funéraire est un défi pour l’archéologie qui, au travers des sépultures mises au jour, n’en perçoit bien souvent que l’instant de la mise en terre. De cet ensemble de cérémonies complexes ne nous parvient donc que la portion congrue. Néanmoins, malgré son caractère apparemment figé, ce témoin funéraire nous permet d’appréhender une partie des gestes réalisés en amont de l’inhumation, notamment la mise en bière. Préalable au dépôt du défunt dans son sépulcre, celle-ci est partie prenante de la préparation du corps, au même titre que la toilette et l’habillement. Si le terme de « bière » est dorénavant tombé en désuétude au profit du plus usuel « cercueil », l’un comme l’autre désignent un coffre allongé dans lequel on place le mort. L’étymologie du mot « bière » (du francique bera : civière) souligne en outre sa fonction première de moyen de transport.
2Le cercueil joue un rôle fonctionnel à différents moments du temps funéraire : en amont des funérailles, durant celles-ci et une fois le dépôt accompli. En amont des funérailles, la mise en bière constitue une cérémonie à part entière. Pendant les rituels qui précèdent l’enfouissement (veillées funèbres, dernier hommage rendu au mort…), il peut être le support de l’exposition du mort s’il est laissé ouvert, comme il est d’usage encore aujourd’hui dans la thanatopraxie nord ou sud-américaine (Thomas 1975). A contrario, il peut également dérober le cadavre à la vue des vivants et des proches pour des raisons de sensibilité. Qu’il soit en plomb et soudé (comme pour la plupart des défunts princiers de l’Occident des xive et xve siècles : Gaude-Ferragu 2005 : 127-128) ou en bois dont les fissures sont colmatées (par exemple chez les Thay du Vietnam : Bourlet 1998 : 172), le cercueil évite la vision et la perception de la corruption du corps. L’enfermement de la dépouille dans un contenant constitue ainsi l’une des étapes de séparation du mort d’avec les vivants : encore présent physiquement, mais déjà retranché de la communauté. Au cours des funérailles, il permet le transport du cadavre jusqu’à son lieu de dépôt, son rôle se limitant parfois à cette seule fonction. Alors que l’usage du cercueil de bois se généralise en Occident à partir du xiiie siècle, simultanément à l’importance prise par le convoi durant les funérailles (Ariès 1985 : 205), les plus pauvres sont simplement inhumés dans un linceul : le cercueil communautaire utilisé pour les transporter jusqu’à leur sépulture sera réemployé pour d’autres enterrements (Ariès 1985 : 169). Il en est de même parfois dans le monde islamique où le corps, enveloppé dans un linceul, est porté sur une civière ou dans un cercueil dont il est retiré pour être enterré (Sourdel & Sourdel 1996 : 586-587). Il joue également un rôle protecteur lors de l’enfouissement s’il est fermé, empêchant tout contact entre le corps et la terre. Outre ces fonctions matérielles, le cercueil en lui-même peut constituer un objet fortement signifiant, notamment par sa décoration aussi bien intérieure qu’extérieure (chez les Mongols contemporains par exemple : Ruhlmann 2009).
3La mise en évidence de contenants rigides et mobiles dans certaines sépultures du Rubané allemand implique la pratique de la mise en bière durant le Néolithique ancien. La position de dépôt des corps dans les sépultures de cette culture apparaît très stéréotypée : les corps sont déposés sur le côté ou sur le dos, les membres inférieurs fléchis principalement vers la gauche. L’inhumation est généralement conçue comme la plus simple qui soit : une fosse creusée aux dimensions du corps fléchi et remblayée immédiatement après le dépôt du défunt. Dans certaines nécropoles des régions rhénanes, quelques défunts ont néanmoins été inhumés sur le dos, en position allongée. L’analyse taphonomique de ces sujets permet de reconnaître que ces corps ont été initialement « mis en bière ». La mise en évidence de contenants mobiles constitue une donnée importante en soi, mais les déductions que l’on peut en tirer sur le déroulement des funérailles le sont bien plus encore.
4Lorsqu’ils sont constitués de matériaux périssables, cercueils ou civières se conservent rarement en milieu tempéré. De manière plus neutre, l’archéologue parle donc de contenant rigide et mobile, cette dénomination pouvant englober des types morphologiques très différents, du simple tronc évidé au cercueil constitué de planches équarries et assemblées. Cette appellation ne préjuge pas du caractère fermé ou ouvert du contenant. Quant à son aspect mobile, c’est sans doute le caractère le plus délicat à affirmer sans ambiguïté.
5Malgré leur non-préservation, il est possible de reconnaître la présence de contenants rigides par le biais de l’analyse taphonomique du cadavre et de la sépulture (Duday 1995, 2009 ; Duday et al. 1990). L’identification de la décomposition du corps en espace vide constitue la première étape de cette reconnaissance, mais elle n’est pas suffisante. Ce sont les dispositifs architecturaux et les aménagements internes de la sépulture, induits par le milieu de décomposition du corps, qu’il importe de restituer. La présence de contraintes sur tout ou partie du squelette est indispensable à la mise en évidence d’un contenant. Elles doivent en outre suggérer la rigidité et affecter suffisamment de parties anatomiques du squelette pour que l'on puisse conclure que le corps entier était à l’origine « contenu ». Ainsi, une compression transversale sur les épaules ou un bloc crânio-facial redressé peuvent résulter de la disposition du corps dans un contenant rigide et étroit, mais sont insuffisants pour l’affirmer. Ces contraintes peuvent en effet traduire des dispositifs bien différents (une enveloppe souple comme un linceul, un vêtement enserrant les épaules, un appui-tête…). Si la présence d’un effet de paroi longitudinal sur l’un des côtés du corps apparaît comme la caractéristique la plus pertinente, la mise en évidence d’un contenant rigide repose en définitive sur l’interprétation de différents critères convergents.
6Il en va de même du caractère fermé ou ouvert du contenant. Ce distinguo est loin d’être anecdotique : dans le premier cas, il suppose que le contenant a pu assurer seul le maintien d’un espace vide autour du corps ; dans le second, un autre dispositif a été nécessaire et implique la présence d’aménagements supplémentaires dans la fosse sépulcrale. La présence d’un contenant ouvert est avérée notamment lorsqu’une ou plusieurs régions anatomiques outrepassent des effets de paroi encadrant le corps, par exemple lorsqu’une contrainte longitudinale s’exerce depuis l’épaule jusqu’au pied, mais que la disposition du membre supérieur franchit cette limite (par exemple, dans la sépulture 130B de Vignely « la Porte aux Bergers » : Chambon & Lanchon 2003, fig. 3). A contrario, la démonstration de la présence de montants hauts de part et d’autre du corps peut être mise en relation avec un contenant fermé. D’autres caractéristiques, pour intéressantes qu’elles soient, ne permettent pas de trancher entre contenant fermé ou ouvert. Ainsi, l’écrasement du bloc crânio-facial ou la fracturation de certains ossements peut résulter aussi bien de l’effondrement du couvercle d’un contenant que de celui d’un système de fermeture de la fosse. De la même manière, la présence de mobilier dans le comblement d’une sépulture, au-dessus du squelette, peut signifier un dépôt originel sur le couvercle du cercueil ou sur la couverture de la fosse.
7Le caractère mobile du contenant est, plus que tout autre élément, difficile à démontrer (Chambon et al. 2007 : 451). Hormis les cas exceptionnels de conservation de vestiges ligneux sous le squelette (par perminéralisation au contact d’objets métalliques par exemple, Hunot 1996), seuls des indices indirects nous permettent de discuter ce point (Duday 2009 : 48-49). L’étroitesse d’un contenant suggère la mobilité, dans la mesure où il apparaît plus aisé à manipuler et à transporter que s’il était large. Néanmoins, sans doute est-ce le tassement du corps contre l’un de ses montants longitudinaux qui constitue le critère le plus pertinent car il peut traduire son glissement à l’intérieur lorsqu’on le descend dans la fosse.
8La mise en évidence d’un contenant rigide par le biais de contraintes implique néanmoins que celui-ci était à l’origine suffisamment étroit pour imprimer sa trace sur la disposition des ossements. Si tel n’a pas été le cas, la reconnaissance d’une décomposition en espace vide en l’absence de contraintes sur les ossements ne permettra pas de mettre en évidence sa présence. La sédimentation et le comblement de la fosse sépulcrale pourront éventuellement pallier cette absence d’indices.
9La présence de défunts en position allongée demeure rare dans les nécropoles rubanées ; N. Nieszery en dénombrait moins de 5 % en Europe centrale (Nieszery 1995 : 82). Ils se rencontrent principalement dans celles du bassin du Rhin supérieur et moyen et dans quelques ensembles funéraires de Bavière orientale. Dans la plupart de ces nécropoles, à l’exception notable de l’Alsace où ils peuvent constituer près de la moitié des défunts (par exemple, 41 des 111 corps à Vendenheim : Boës et al. 2007), ils représentent une minorité. C’est le cas à Viesenhäuser Hof (Stuttgart, Bade-Wurtemberg) où l’on ne compte que 10 sujets en position allongée pour 177 sépultures (6 %). Cette nécropole s’étend au nord de la ville actuelle de Stuttgart, sur une butte de lœss et à proximité d’un habitat en partie contemporain. Elle a connu une très longue durée d’utilisation, depuis le Rubané ancien jusqu’au Rubané récent (Kurz non publié ; Price et al. 2003).
10Cette sépulture contient les restes de deux individus, un sujet adulte allongé sur le dos et un nouveau-né, dont la position n’est pas restituable, déposé sur l’épaule droite de l’adulte (fig. 1). La fosse telle qu’elle a été définie par les fouilleurs est de forme ovalaire et étroite, mesurant environ 1,70 sur 0,40 m. Les fragments d’un vase décoré ont été découverts dans le remplissage de la tombe, environ 0,20 m au-dessus du défunt.
Fig. 1
Dislocations et sorties du volume initial du corps impliquent une décomposition en espace vide du défunt de la sépulture 65 de Viesenhäusen Hof
(Dao C. Thevenet, d’après photographie)
11Le crâne de l’adulte est redressé et recouvre l’épaule gauche. Les membres supérieurs sont en flexion maximale. Les membres inférieurs sont en extension et parallèles, la partie distale du pied gauche se trouvant sous le pied droit. Bien que le squelette témoigne d’une bonne cohérence générale, il n’en présente pas moins plusieurs distorsions par rapport à l’ordre anatomique, dont certaines de grande ampleur. La plupart sont concentrées sur le côté gauche du corps : mise à plat et ouverture de l’hémi-thorax, les côtes venant recouvrir le coude gauche ; mise à plat de l’os coxal gauche, entraînant une ouverture du bassin ; dislocation des tibia et fibula gauches et surtout rupture de la cheville gauche due à la rotation médiale du pied. Sur le côté droit du corps, les déplacements sont plus rares (« verticalisation » de la clavicule dont l’extrémité latérale sort du volume initial du cadavre, affaissement général du pied), mais l’un est important : l’ensemble du membre supérieur droit, fléchi, a migré de près de 15 cm en direction du bassin. Ce déplacement, ainsi que l’axe oblique suivi par les premières vertèbres thoraciques, est vraisemblablement à mettre sur le compte de la pression exercée par le corps du nouveau-né.
12Ces nombreux déplacements outrepassent le volume initial du cadavre et impliquent une décomposition du corps en espace vide. Plusieurs parties anatomiques sont néanmoins demeurées dans une position instable après la disparition des contentions ligamentaires, tandis que d’autres témoignent de contraintes. Le crâne fortement redressé recouvre l’épaule gauche et les membres supérieurs fléchis sont en pendage. L’extrémité distale de l’avant-bras gauche se trouve 6 cm plus haut que l’extrémité proximale, sans que rien de pérenne n’ait assuré leur maintien. Une compression s’est exercée sur l’hémi-thorax droit dont la fermeture s’est accrue (certaines côtes recouvrent la colonne vertébrale), ainsi que sur l’épaule gauche (clavicule « verticalisée », scapula sur chant et humérus « latéralisé »). La position du pied gauche implique une forte contrainte car son déplacement est inverse du mouvement anatomique attendu (rotation latérale). Par ailleurs, on remarque que l’ensemble des ossements sur le côté droit dessine un effet de paroi rectiligne, depuis le membre supérieur jusqu’au pied. Il est à noter que l’important déplacement du membre supérieur a respecté cet alignement.
13L’hypothèse la plus simple serait une fosse fermée par un couvercle, maintenant ainsi le volume sépulcral vide durant la décomposition du corps. Néanmoins, les contraintes et les effets de butée sur le squelette nécessiteraient une fosse particulièrement étroite, dispositif difficile pour installer l’adulte et le nouveau-né. Une seconde hypothèse est la présence d’une construction à l’intérieur de la fosse, assurant non seulement l’espace vide, mais rendant compte des nombreuses butées sur le squelette (fig. 1). Les parois d’un contenant rigide étroit peuvent expliquer ces différentes caractéristiques. En outre, l’effet de paroi unilatéral suggère un tassement du corps, tel qu’il peut se produire lorsque l’on descend le contenant dans la fosse. Le crâne redressé et les poignets situés 0,15 m au-dessus du fond de la fosse impliquent des montants relativement hauts et plaideraient en faveur d’un contenant fermé.
14L’analyse taphonomique permet donc de restituer la présence d’un contenant rigide et mobile alors que rien n’en est conservé. Dans la sépulture 65, les traces fugaces supposées être des limites de fosses apparaissent cependant incompatibles avec de tels dispositifs. Par ailleurs, elles ne sont jamais perceptibles en surface de décapage, ni au cours de la fouille, mais uniquement en profondeur, au niveau des ossements. Elles encadrent strictement le défunt et concordent avec les parois du contenant telles que l’on peut les restituer d’après les contraintes et les effets de paroi sur le squelette. Il est ainsi vraisemblable que ces traces, perceptibles uniquement sur le fond des fosses, constituent en réalité le dernier vestige d’un contenant en matériaux organiques, plutôt que les limites des fosses sépulcrales.
- 1 « (…) die mittelbraun-lehmige Verfüllung weist zum gelben Lehm scharfe Grenzen auf, die eine Befe (...)
15La sépulture 107 est l’une des rares tombes présentant des « limites de fosse » nettes, à tel point que les auteurs ont envisagé un renforcement de ses parois (Kurz non publié)1. Elles ne sont toutefois apparues qu’au niveau du squelette : irrégulières et grossièrement quadrangulaires à l’extrémité orientale, elles dessinent un rétrécissement important à l’ouest, au niveau des pieds (fig. 2). Elles délimitent ainsi un espace de 2 m de long pour une largeur comprise entre 0,65 et 0,30 m (au niveau des pieds).
16Le défunt repose en décubitus dorsal. Les membres supérieurs sont fléchis, les mains réunies sur l’épaule droite ; les membres inférieurs sont en extension, les chevilles se jouxtant. La sépulture comprend une lame d’herminette au sud de la hanche gauche et sur le fond de la fosse, et un outil en os à la droite du corps, environ 10 cm au-dessus du fond de la fosse.
Fig. 2
La sépulture 107 de Viesenhäusen Hof. La disposition des épaules et du pied gauche et les traces sombres sur le fond de la fosse permettent de restituer un contenant rigide
(Dao C. Thevenet, d’après relevé et photographie)
17La décomposition du corps en espace vide est attestée par les nombreuses dislocations suivies d’une sortie du volume initial du cadavre : la mandibule, l’épaule et le coude gauches, l’ouverture du bassin ou la rupture de la cheville droite. L’étalement du bloc crânio-facial fragmenté témoigne également d’une sortie du volume initial du corps et s’accompagne de ruptures au niveau des vertèbres cervicales (entre l’occipital et l’atlas, ainsi qu’entre les trois premières vertèbres cervicales). De plus, la fermeture totale du segment formé par l’humérus et le radius gauches ainsi que la localisation des carpiens droits directement sur la scapula gauche impliquent une infiltration différée du sédiment dans l’espace libéré par la décomposition. Outre ces éléments, la disposition et les dislocations au niveau des épaules suggèrent la présence d’éléments aujourd’hui disparus de part et d’autre. Une compression transversale est perceptible à droite : la scapula est latéralisée, la clavicule est « verticalisée » et l’humérus, en vue latérale, est légèrement remonté. À gauche, au contraire, l’épaule et le membre supérieur se sont mis à plat, entraînant la dislocation de l’articulation entre la scapula et l’humérus, l’extrémité distale de l’avant-bras et le carpe s’étant intercalés entre les deux. La disposition des ossements implique que la main entourait à l’origine l’épaule gauche, l’avant-bras reposant sur le bras, disposition difficile à maintenir sans le recours à un élément quelconque (lien, enveloppe, support…). La disposition du pied gauche suggère qu’il a buté contre un élément lorsqu’il s’est affaissé. Contrairement au tarse postérieur droit qui a basculé latéralement, le talus et le tarse antérieur gauches se sont affaissés en direction distale, dans l’axe du corps.
18La disposition de l’épaule droite et du pied gauche suggère la présence d’éléments périssables contre ces régions anatomiques ; mais si, à elles seules, ces observations sont insuffisantes pour en déduire l'existence d'un contenant rigide, elles en suggèrent fortement la présence quand on les associe aux traces sombres visibles sur le fond de la fosse au niveau des pieds, le long du membre inférieur droit et à l'est du crâne, qui peuvent correspondre aux limites de ce même contenant. La trace méridionale irrégulière et le basculement du membre supérieur gauche suggèrent, quant à eux, l’effondrement de sa paroi, tandis que l’écrasement du bloc crânio-facial implique la chute d’un élément rigide, tel un couvercle. La localisation originelle du mobilier est alors incertaine : l’outil en os découvert sur du sédiment de remplissage était vraisemblablement à l’extérieur du contenant. En revanche, il est impossible de préciser si la position de la lame d’herminette est la conséquence de l’effondrement de la paroi méridionale ou si elle a été déposée à l’extérieur du contenant.
19Malgré l’absence d’effet de paroi, la convergence de plusieurs indices (la décomposition du corps en espace vide, les contraintes sur le squelette, les traces sombres du sédiment, l’écrasement du bloc crânio-facial) indique que le dépôt du corps s’est fait dans un contenant rigide fermé. Ses dimensions étroites suggèrent sa mobilité.
20La sépulture individuelle 41 présente un jeune adolescent en position allongée (fig. 3). Les limites de la fosse n’étaient pas visibles au premier niveau de fouille et seule une trace brun clair, de forme ovalaire et allongée, est apparue au niveau du squelette. Le fond de la fosse présente un pendage de 10 cm d’ouest en est. Le défunt repose dans une position intermédiaire entre le décubitus latéral gauche et le décubitus dorsal. Les membres supérieurs sont fléchis en avant du thorax, les mains situées au niveau de la face ; les membres inférieurs sont très légèrement fléchis, le gauche reposant sur le droit.
21Les ruptures articulaires sont nombreuses, certaines outre-passant les limites du cadavre : dislocation de la mandibule ou rupture du coude gauche. En outre, un glissement de la partie inférieure du corps est perceptible en deux régions anatomiques. Au niveau de la colonne, les articulations entre les vertèbres thoraciques sont distendues, tandis qu’une rupture nette apparaît entre les deux premières vertèbres lombaires. Le membre inférieur droit présente, quant à lui, des dislocations importantes au niveau de la hanche et du genou. Il se présente par sa face latérale, tandis que le pied est en vue latérale et dorsale. En outre, la localisation des phalanges droites, disloquées sous les métatarsiens, suggère que le membre inférieur droit a glissé en direction distale. Il s’est également effondré médialement entraînant sa latéralisation et la rupture du genou, celui-ci étant à l’origine redressé à l’instar du genou gauche. Le pied droit n’a que partiellement accompagné ce mouvement.
Fig. 3
Restitution du contenant rigide et mobile de la sépulture 41
(Dao C. Thevenet, d’après photographie)
22Si la décomposition du corps en espace vide est évidente, quelques régions anatomiques restées en équilibre suggèrent toutefois l'existence d'un contenant (fig. 3). C’est le cas de la scapula droite, sur chant, et surtout du genou gauche demeuré surélevé, bien que l’articulation soit rompue. La présence du fémur droit en dessous ne suffit pas à expliquer ce maintien. De nouveau, on observe que l’essentiel du pied gauche a glissé par-dessus les phalanges, ce qui indique que la jambe a légèrement migré vers l'est. En outre, la disposition en éventail des métatarsiens droits suggère que ces derniers ont été bloqués par un obstacle. Bien que les limites de la fosse ne soient guère perceptibles, les quelques traces qui en subsistent sur le fond permettent d’exclure l’hypothèse d’une fosse étroite maintenue vide au moyen d’un système de couverture. La présence d’effets de butée à la périphérie du corps, alors que celui-ci s’est décomposé en espace vide, implique celle d’un contenant relativement étroit. Quant à la légère déclivité du fond de la fosse, associée au glissement d’une partie du cadavre, elle suggère un contenant mobile déposé sur un sol irrégulier. La présence d’un cercueil constitue une des explications possibles aux différentes caractéristiques observées.
23La mise en évidence de contenants rigides a plusieurs conséquences sur notre perception des pratiques funéraires du Néolithique ancien rubané, en premier lieu sur la position des corps inhumés, sur la fonction des mobiliers, sur la structure des tombes, mais aussi sur le déroulement des funérailles.
24Déposer le défunt fléchi sur le côté ou allongé sur le dos répond à des prescriptions funéraires différentes, mais cette différence dépasse la simple question du choix de la position de dépôt s’il peut être mis en relation avec la présence de contenants rigides et mobiles. C’est ce que suggèrent les défunts allongés de la nécropole de Viesenhäuser Hof (Bade-Wurtemberg). Cette nouvelle position de dépôt au sein du Rubané semble bien témoigner de l’apparition de la mise en bière dans ces premières sociétés agropastorales, essentiellement dans la plaine supérieure du Rhin.
25La présence de contenants questionne également le statut des différents mobiliers découverts dans les sépultures. Leur répartition entre les différents volumes de la sépulture peut ainsi éclairer les différents moments des funérailles (pratiques présépulcrales, sépulcrales, postsépulcrales). À Viesenhäuser Hof, les mobiliers n’ont vraisemblablement pas été déposés dans le contenant avec le défunt, qu’il s’agisse de céramique (sépulture 65) ou d’outils (sépulture 107). Le vase et l’outil en os ont pu être déposés sur le couvercle des cercueils ou sur le système de fermeture des fosses sépulcrales.
26Les limites des fosses constituent un problème récurrent dans les substrats lœssiques de la plaine du Rhin supérieur. Elles sont rarement observables en surface de décapage et, le plus souvent, seules des traces fugaces sont visibles au niveau du squelette. L’exemple des trois sépultures analysées ici suggère que ces traces ne correspondent pas au creusement de la fosse, mais au contenant rigide dans lequel le corps a été inhumé. Dans ces conditions, on ignore tout de la forme et des dimensions des fosses sépulcrales, mais le cas de la sépulture 107 – témoignant de l’effondrement de l’une des parois du cercueil – implique que la fosse sépulcrale est elle-même maintenue vide autour du contenant.
27L’apparition de la position allongée et de contenants durant le Néolithique ancien rubané pourrait suggérer une complexification des pratiques funéraires. Toutefois, cette simplicité première est peut-être illusoire et pourrait témoigner avant tout de notre méconnaissance des dispositifs architecturaux accueillant les défunts en position fléchie dans cette région. Ainsi, les premières analyses taphonomiques de sujets fléchis de la nécropole de Viesenhäuser Hof témoignent également de l’existence d’agencements ayant assuré un espace vide dans la sépulture (Thevenet en préparation). Quant au Bassin parisien, il a été montré que les défunts rubanés en position fléchie ont été inhumés dans des sépultures à la structuration complexe, ménageant une niche et maintenant aussi un espace vide autour du corps (Thevenet 2004, 2010 ; Bonnabel et al. 2003 ; Allard et al. 1997). Si l’invention du cercueil signe une innovation, elle s’inscrit vraisemblablement dans la continuité de préserver le corps du contact de la terre. Seuls les moyens diffèrent, par le biais de la fosse uniquement dans le cas de sujets en position fléchie, du moins dans le Bassin parisien, par celui du cercueil lorsque le défunt est allongé. Cette position pouvant apparaître comme la plus appropriée au transport du corps, ce nouvel usage pourrait traduire une part accrue des pratiques présépulcrales et une plus grande importance accordée au transport du défunt et aux processions durant les funérailles.
28Si la présence du cercueil peut être mise en relation avec des considérations pratiques, comme protéger le cadavre, elle a nécessairement des implications sur la durée et le déroulement des funérailles. Partie prenante de la préparation du corps, le cercueil peut participer de son exposition et tient un rôle fonctionnel évident lors de son transport. Par la création et le maintien de différents espaces à l’intérieur de la sépulture, il constitue également un moyen de mettre en œuvre des politiques variées de dépôt mobilier. Aussi, son apparition au sein des sépultures du Néolithique ancien du bassin supérieur et moyen du Rhin accompagne vraisemblablement une modification des funérailles pour certains individus.