- 1 Article R 546-1 du Code du patrimoine : « […] Les données scientifiques d'une opération archéologiq (...)
1Gestionnaire de biens archéologiques mobiliers (Bam), voilà comment tend à être est désignée depuis quelques années la personne qui met en place et fait appliquer l’ensemble des mesures permettant l’accès aux données scientifiques des opérations archéologiques1, tant d’un point de vue matériel que scientifique.
- 2 Différents réseaux permettent l’échange autour des questions de gestion des Bam. Le réseau des agen (...)
2Depuis quelques années, des colloques, des réseaux de professionnels2, des articles ou des ouvrages entiers participent à la définition de ce « nouveau métier » (Deyber-Persignat 2000 ; Simon-Millot 2012 ; Païn 2015). Cette contribution se veut un modeste témoignage, une réflexion nourrie par la formation, la pratique et les échanges professionnels. Elle n’a pas pour objectif d’établir la fiche de poste exhaustive du gestionnaire de mobilier ni d’en déterminer le profil idéal mais de contribuer à l’écriture de cette discipline.
3Dans un premier temps, nous poserons la question des profils de postes et celle des carrières pour esquisser le portrait des gestionnaires de biens archéologiques mobiliers qui exercent en 2020. Nous décrirons ensuite leurs missions et les enjeux qu’elles représentent pour la recherche archéologique.
4La gestion des Bam est actuellement assumée successivement par différents acteurs, de la fouille au musée (Païn 2015 : 14). Il y a vingt ans, aux Assises de Bourges, les participant(e)s à l’atelier Compétences, formations et responsabilités avaient brossé à grands traits le profil du personnel en charge des dépôts (Deyber-Persignat 2000 : 419). Pour cette contribution, mon regard s’est porté sur les gestionnaires de Bam qui travaillent aujourd’hui sur l’ensemble de la chaîne opératoire dans des services archéologiques, quel que soit leur statut : services régionaux de l’archéologie (Sra) et Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) pour l’État, services de collectivités territoriales, opérateurs privés, Institut national de recherche en archéologie préventive (Inrap).
5Au cours de ma pratique et des rencontres professionnelles, j’ai plusieurs fois fait ce constat, confirmé lors de la rédaction de cet article : les gestionnaires de Bam sont majoritairement des femmes. Aussi, sans entrer dans une étude sociologique ou dans un débat sur l’égalité femme-homme, sujets ô combien passionnants, j’emploierai ici le féminin pour m’approcher le plus possible de la réalité du terrain. En effet, quand je réfléchis à ma profession, que je corresponds avec mes homologues et échange dans les réseaux professionnels, nous sommes entre femmes.
6Il n’existe pas à ma connaissance de statistique exhaustive sur cette profession ni de recensement de celles qui l’exercent. On peut compter une cinquantaine de personnes inscrites au réseau des gestionnaires de Bam des services de l’État, Sra et Drassm, dont une vingtaine (21 exactement) se consacre exclusivement à leur gestion. Les opérateurs privés et l’Inrap en comptent 35. Enfin, j’ai considéré que les 62 collectivités territoriales habilitées à effectuer des opérations archéologiques préventives bénéficiaient d’une gestionnaire de mobilier, au moins à temps partiel – soit un effectif total d’environ 120 personnes. J’en ai interrogé une centaine par l’intermédiaire des réseaux des gestionnaires du ministère de la Culture, du Rigma et de l’Aprévu, en leur demandant : « Pourriez-vous en quelques mots me donner un aperçu de votre formation et du temps que vous consacrez à vos missions de gestionnaires ? ». J’ai obtenu 36 réponses, dont le tiers provenait de gestionnaires travaillant dans des musées – je remercie mes interlocutrices d’avoir pris le temps de me répondre.
7Cette rapide enquête devrait évidemment être formalisée et prolongée pour obtenir une photographie véritablement « objective ». D’après les réponses, profils et parcours ne diffèrent guère entre celles qui travaillent dans les services archéologiques et celles qui œuvrent dans les musées. Compte tenu de mon propos, je n’ai toutefois pas intégré celles-ci dans mes rapides statistiques.
8Parmi les personnes m’ayant répondu, a priori moins de 20 % de la profession, 75 % disposent d’une formation en archéologie, 12 % sont diplômées en conservation-restauration et 12 % dans le domaine du patrimoine. Enfin, une poignée a suivi des formations plus atypiques. Pour la plupart, elles sont hautement diplômées, les trois quarts ayant un niveau master 2 et le quart restant étant titulaire d’un doctorat. Après leurs études, elles ont cherché un poste dans leur domaine puis, de contrat en contrat, elles ont fini par trouver un poste stable de gestionnaire de Bam. En apparence, la majorité d’entre elles n’envisageait pas cette profession au départ, mais son choix résulte plutôt d’une réorientation ou d’une adaptation intervenue faute d’obtenir un emploi au plus près de ses compétences.
9En dehors de celles qui ont complété leur formation en archéologie (licence minimum) par une formation initiale en conservation-restauration, la moitié des gestionnaires de mobiliers complète leurs connaissances en conservation, régie, physique et chimie des matériaux par le biais de la formation continue, des colloques et des réseaux. Les autres, en nombre égal, se sont formées « sur le tas », à travers la pratique professionnelle quotidienne ou par des lectures.
10Statutairement, elles sont contractuelles à durée déterminée (Cdd), contractuelles à durée indéterminée (Cdi) ou fonctionnaires. Les missions qu’elles exercent sont en effet des missions relativement pérennes ou appelées à le devenir rapidement et qui généralement occupent tout leur temps de travail. Dans la fonction publique, elles occupent des postes de catégorie A, B ou C, sans cohérence systématique avec leurs fonctions ni les responsabilités qu’elles assument.
11La profession se caractérise donc par une grande diversité, aussi bien dans la formation initiale que dans les types et catégories d’emploi. Cependant, les gestionnaires de Bam sont toutes hautement diplômées et qualifiées et le fait que leur profession ne « rentre pas dans les cases » de l’administration ne suffit pas à justifier la diversité des emplois. Les quelques fiches de postes consultées en ligne3 au moment de la rédaction de cet article reflètent cette disparité. On constate en particulier un très grand flou concernant les diplômes requis :
- « Dut, Bts4 ou Baccalauréat et 2 années d’expérience professionnelle. Avec des diplômes idéalement obtenus dans le domaine de la conservation préventive ».
- « licence d’archéologie des périodes historiques »
- « Master Conservation ou licence / Master d’archéologie avec une expérience positive sur des fonctions similaires ».
- « Archéologue protohistorien ou antiquisant de niveau master 2 ou équivalent disposant d’une forte sensibilité pour les études de mobilier, toutes catégories confondues (céramique, métal...) »
- « bac +3 ou +5 en archéologie ou Crbc5 ou expérience équivalente. »
12Si l’on veut rapidement dresser le portrait-robot du gestionnaire de Bam en 2020, on dira qu’il s’agit d’une femme, ayant un master en archéologie, formée à la conservation préventive ainsi qu’à la régie, ayant acquis des connaissances sur les matériaux et les altérations par le biais de la formation professionnelle continue, contractuelle à durée indéterminée ou fonctionnaire dans un service archéologique public ou privé.
13Afin de déterminer le plus exhaustivement possible les différentes missions effectuées par les gestionnaires de Bam, je me suis appuyée sur les réponses de mes consœurs et sur ma pratique, mais aussi sur les offres d’emplois consultées en ligne, car la variété des missions dont elles font état est très représentative de la réalité du terrain. Je me suis aussi penchée sur leurs intitulés de poste et sur ceux qui apparaissent dans les signatures des courriels de mes consœurs.
14Dans les offres d’emploi, ces intitulés de poste sont homogènes : on recherche en générale « un/une gestionnaire de mobilier archéologique », parfois encore « un/une gestionnaire de collection ». Certaines annonces, un peu plus disertes, précisent la mission, comme celle-ci : « Gestionnaire de mobiliers archéologiques, vous assurerez une mission de gestion, d’étude et de valorisation du mobilier archéologique confié au Service par l’État ». Qu’il s’agisse de gestion semble faire l’unanimité !
15Les signatures de mes consœurs sont plus variées puisqu’il y a presque autant d’intitulés que de réponses. Certaines précisent le corps de la fonction publique auquel elles appartiennent. Dans ces signatures, il est question d’archéologie, de centre de conservation et d’étude (Cce), de régie, de conservation-restauration, de gestion de collections, de biens archéologiques ou de données scientifiques, de responsabilité. Cette hétérogénéité est-elle le reflet de la diversité des profils, des statuts, des carrières ou des pratiques ? Elle est peut-être révélatrice d’une manière « personnelle » de se définir dans une profession qui commence à peine et depuis peu à « faire corps ». Elle explique sans doute les difficultés que nos collaborateurs rencontrent pour appréhender nos fonctions.
- 6 Très souvent, en effet, ces professionnelles ont aussi en charge la documentation.
16Voici maintenant rassemblées les différentes missions assumées par les gestionnaires de Bam. Elles sont ordonnées par grandes thématiques qui représentent l’ensemble de leurs activités au sein d’un service archéologique : gestion administrative, gestion scientifique et matérielle des Bam et de la documentation6, traitement scientifique et matériel des Bam et de la documentation, diffusion, formation, coordination, veille juridique.
17La gestion administrative de la documentation scientifique des opérations archéologiques regroupe le classement et l’archivage de l’ensemble des documents administratifs liés aux objets et vestiges. De manière non exhaustive, ils peuvent concerner le règlement de leur statut et de leur propriété, les conventions de prêt ou de mises à disposition pour étude, les documents liés aux mouvements, mais aussi les protocoles de versement ou tout type de formulaires qui participe à la normalisation et l’harmonisation des pratiques ainsi qu’à l’évolution des outils de suivi. Cette gestion administrative concerne aussi les lieux de conservation, dépôts, Cce, musées, et donc les actes en lien avec ces structures, parfois la gestion même de ces lieux. Cette mission implique une gestion transversale des dossiers, la coordination et la tenue de réunions de travail, la rédaction de comptes rendus de réunions, de notes de synthèse et de la correspondance nécessaire au suivi administratif des Bam.
18Les gestionnaires de Bam ont en charge la gestion scientifique et matérielle des données scientifiques des opérations archéologiques. Il s’agit d’en garantir l’accessibilité, l’étude, la traçabilité, la conservation et la documentation. On touche ici à l’intangible, la production scientifique, et au tangible, l’objet et la documentation. Il s’agit de rendre la première tangible pour qu’elle ne reste pas enfermée, et donc inexistante, dans des cahiers ou disques durs, et de permettre la conservation matérielle de l’objet à travers le temps, grâce aux études, mouvements et expositions, mais aussi grâce à la documentation générée tout au long de la « vie archéologique » de l’objet, plus étendue que la chaîne opératoire. Cette « vie archéologique » commence à la rédaction des arrêtés d’opérations : l’objet n’est pas encore sorti du sédiment qu’il faut déjà veiller à sa conservation. Dans cet objectif, la gestionnaire de Bam dans un service de l’État peut participer à la rédaction des arrêtés d’opération quand elle est « prescriptrice », intervenir avant l’opération archéologique et participer alors à la gestion du « flux ». Ainsi, même quand elle n’est plus sur le terrain, elle reste étroitement liée à la production des données scientifiques des opérations archéologiques dont elle assure par la suite la gestion. Sa casquette d’archéologue la rend parfaitement légitime dans ces fonctions et, si sa formation initiale est davantage tournée vers la conservation, cela est un plus. La gestion scientifique et matériel touche donc : aux arrêtés d’autorisation, au contrôle scientifique et technique, à la relecture des rapports finaux d’opération (Rfo), à la rédaction d’avis ou de notes de synthèse, aux versements, à l’inventaire, bien souvent aussi à l’inventaire rétrospectif des ensembles mobiliers issus d’opérations anciennes, à la coordinations des prestations extérieures (radiographie, conservation-restauration, analyse, etc.), au suivi ou à la production d’expositions temporaires, à la diffusion des connaissances.
19Le traitement scientifique et matériel des données scientifiques des opérations archéologiques est intimement lié à la gestion administrative et scientifique. En effet, les différentes tâches énumérées précédemment impliquent tôt ou tard que les Bam et la documentation arrivent entre les mains d’une gestionnaire habilitée (Besson & Chaoui-Derieux 2012). Celles qui sont formées en conservation-restauration ont toujours en tête un double objectif commun aux deux pratiques : mettre en évidence les informations scientifiques dont le vestige est porteur, tout en stabilisant sa matérialité, mécaniquement et chimiquement, dans l’environnement aérien (Méthivier & Proust 2019). En fonction de sa formation, de son lieu d’exercice, de ses collègues, des moyens ou encore de la politique culturelle du moment, la gestionnaire de Bam devra alors superviser, coordonner, effectuer (ou participer à) une très grande diversité de travaux : fouille, prélèvement, lavage, séchage, nettoyage, tamisage, tri, marquage, inventaire, étude, dessin, prise de vue, analyse, conditionnement, transport, versement, chantier des collections, constat d’état, état sanitaire, conservation préventive, conservation-restauration, archivage, classement, numérisation, exposition, estimation des valeurs d’assurance, convoyage, gestion de Centre de conservation et d’étude (Cce), plan de conservation préventive, plan d’urgence, évaluation des dépôts, récolement, etc. Bien que les missions puissent varier en fonction des conditions d’exercice, celle qui s’est initialement formée en conservation-restauration et en conservation préventive bénéficie d’une méthode de travail éprouvée : analyse scientifique et historique, établissement d’un constat d’état et d’un diagnostic suivi d’une proposition de traitement, documentation des interventions. Cette méthodologie indispensable au traitement matériel des Bam se révèle extrêmement efficace pour gérer les ensembles à conserver dans les services archéologiques.
20La diffusion et la valorisation de la recherche passent par la formation, la communication et la médiation auprès des publics, l’accueil et l’orientation des chercheurs et étudiants, la mise en place de partenariats avec des chercheurs dans le cadre d’études ou avec des musées pour des projets d’expositions. Ces missions de diffusion et de valorisation peuvent prendre la forme de récolements et de préparation du mobilier en vue des recherches ou des expositions, ou encore de l’accueil et l’assistance des étudiants et stagiaires. Les gestionnaires de Bam peuvent aussi être sollicitées pour alimenter les supports de communication avec du contenu scientifique ou iconographique. Leur connaissance globale du fond patrimonial leur permet d’être force de proposition pour des reprises d’études, des expositions ou de nouvelles analyses sur des fonds anciens.
21Les missions de formation des gestionnaires de mobiliers sont liées à leurs connaissances propres et au type de structure dans lequel elles exercent. Elles peuvent donc être formatrices en conservation préventive auprès de leurs collègues ou des usagers des Cce. Impliquées dans des formations universitaires, elles peuvent assurer des cours ou l’encadrement scientifique d’étudiants dans la rédaction de leurs mémoires de master ou de doctorat. Sans même parler de formation au sens propre, toutes agissent pour sensibiliser aux enjeux de la conservation des Bam. On attend aussi d’elles des conseils sur la conservation et le traitement du mobilier pendant la fouille (conditionnement, prélèvements d'artefacts, etc.). C’est donc avec de solides compétences en conservation qu’elles assument les missions qui sont les leurs.
22Les gestionnaires de Bam dans les services archéologiques coordonnent l’accès des données scientifiques des opérations archéologiques aux étudiants, chercheurs et spécialistes. Quand elles travaillent pour des opérateurs privés ou des collectivités territoriales, elles sont les intermédiaires entre les responsables d’opérations et les gestionnaires de mobilier des services de l’État. Dans des services conséquents, elles peuvent encadrer l’ensemble des personnels qui œuvrent à la gestion des données scientifiques et des Bam : documentalistes, service d’archives et service logistique (transport et réception de mobilier, commandes de matériel, etc.).
23L’ensemble des activités énoncées précédemment impose une veille juridique permanente et un suivi de l’actualité dans le domaine de l’archéologie au sens large mais aussi de la protection du patrimoine, des politiques publiques en matière d’archéologie, des normes de conservation et des questions de sécurité et de sureté des bâtiments, des méthodes de conservation-restauration ou encore des techniques d’analyse.
24Toutes les gestionnaires de Bam n’exercent pas l’ensemble des missions évoquées précédemment. Nous constatons qu’elles occupent presque toutes un poste sur mesure, au sens où chacune assume des missions spécifiques, en plus du lot constant de tâches à accomplir, en fonction du service où elle travaille, des chemins empruntés pour arriver à ce poste, de ses expériences. Il n’en reste pas moins qu’une grande palette de compétences est nécessaire. Nous l’avons vu, la gestion des Bam ne s’arrête pas à leur classement ni à leur archivage ni à celui de la documentation qui leur est associée. La question du diagnostic est toujours centrale, et celui-ci repose sur une compréhension approfondie de la discipline archéologique dans sa globalité, sa singularité et son histoire. Il ne faut donc pas uniquement des gestionnaires pour produire des documents de normalisation et autres formulaires mais aussi des scientifiques qui ont une connaissance intime de la discipline et des compétences solides dans différents domaines. Nous l’avons vu, les gestionnaires de Bam sont en général hautement diplômées. Elles assument leurs fonctions avec compétence, déontologie et méthode, et font un travail remarquable de diversité et de qualité. Toutefois, les archéologues sont des chercheurs (spécialistes) et doivent le demeurer (Dufaÿ 2000 : 236). Il faut être vigilant et ne pas en faire des gestionnaires quand ils arrivent en fin de carrière. On trouve aussi beaucoup de jeunes archéologues qui, faute de poste d’archéologue, s’orientent en désespoir de cause vers la gestion. Au-delà de la frustration que peuvent ressentir ces professionnelles à ne plus être aussi proches du terrain, se pose évidemment la question de leur formation. Les gestionnaires de Bam doivent avoir un regard transversal pour appréhender l’ensemble de la chaîne opératoire et donc changer d’échelle en permanence. Toutes n’ont pas les connaissances requises en conservation préventive, qui est pourtant au cœur de leurs missions, ainsi définies par le Comité international pour la conservation du Conseil international des musées ou Icom-Cc7 selon l’acronyme anglais : « L’ensemble des mesures et actions ayant pour objectif d’éviter et de minimiser les détériorations ou pertes à venir […] s’inscrivent dans le contexte ou l’environnement d’un bien culturel, mais plus souvent dans ceux d’un ensemble de biens, quel que soient leur ancienneté et leur état. Ces mesures et actions sont indirectes, elles n’interfèrent pas avec les matériaux et structures des biens. Elles ne modifient pas leur apparence ». La conservation préventive n’est pas qu’une question d’humidité ou lumière, il s’agit d’une démarche globale pouvant s’appliquer à bien des domaines. En 1997, Gaël de Guichen, évoquant le changement d’échelle induit par la conservation préventive, illustrait les sept aspects principaux du changement des mentalités par des exemples pris dans le domaine des musées (Guichen 1997). Une gestionnaire de Bam doit reprendre à son compte ces sept « mantras » de la conservation préventive :
25« Qui pensait objet doit penser collection » – elles, qui ont bien souvent en charge des ensembles de plusieurs milliers de Bam, pourraient également dire : « Qui pensait inventaire doit penser base de données ».
26« Qui pensait salle doit penser bâtiment ». Il ne s’agit plus aujourd’hui de gérer une salle de réserve ni même un dépôt, puisque nous sommes entrés dans l’ère des Centres de conservation et d’étude (Cce) en réseaux. On ajoutera alors : « Qui pensait dépôt archéologique doit penser réseaux de Cce ».
27« Qui pensait individu doit penser équipe ». Pour mettre en place un processus d'amélioration, il est indispensable de regrouper les différents intervenants. On gardera en tête « qui pensait individu doit penser ensemble des professionnels de l’archéologie » : archéologue, gardien, photographe, gestionnaire de la donnée scientifique, dessinateur, secrétaire, géomaticien, palynologue, conservateur-restaurateur, etc. L’objectif est d’adopter des « plans de conservation préventive » dans tous les services archéologiques. Se réunir autour d'un projet et définir, collégialement, l’objectif que l’on se donne, les raisons qu’on a d’agir, ou de ne pas agir, ou d’agir indirectement.
28« Qui pensait court-terme doit penser long terme ». Les gestionnaires de Bam ont en charge les mobiliers et la documentation des opérations – passées, présentes et à venir –, qu’elles doivent anticiper. On dira alors : « Qui pensait fouille doit penser programmation » – au niveau d’un service archéologique de l'État, pour nos consœurs qui sont aussi « prescriptrices », mais aussi national : à quand l’adoption d’un axe 16 : Recherche et développement en conservation par le Conseil national de la recherche archéologique ?
29« Qui pensait professionnel doit penser public ». Gestionnaires de Bam, nos missions sont des missions de service public. La loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (Lcap) votée en 2016 confère un nouveau régime de propriété des biens archéologiques mobiliers. À terme, ils appartiendront majoritairement à l’État ou à des collectivités territoriales ; en tout état de cause leur appartenance au domaine public est renforcée. Il est nécessaire de se concentrer sur la transmission du patrimoine aux générations futures et ne pas œuvrer uniquement pour nos pairs.
30« Qui pensait secret doit penser communication ». Nous connaissons toutes, aujourd’hui encore, des archéologues qui, de peur de voir leurs données publiées par d’autres ou de manquer le « buzz » archéologique, ne rendent pas leur rapport final d’opération. Ou parfois, débordé(e)s par le quotidien administratif et les dossiers qui s’empilent, éparpillent les données chez les spécialistes ou les égarent dans des disques durs. Il faut les encourager à rendre les rapports ou, en dernier recours, à transmettre leurs cahiers de fouilles, minutes de terrains et toute la documentation générée au cours de la « vie archéologique » de l’objet. Il est nécessaire de penser à la transmission de la donnée scientifique, qui n’est aucunement une propriété privée.
31« Qui pensait “comment” doit penser “pourquoi” ». Pour finir, je reprendrai mot pour mot Gaël de Guichen : « le jour où l’on aura compris pourquoi on fait de la conservation préventive, tout deviendra plus simple ».