1Ce numéro spécial consacré à la conservation-restauration en archéologie est né d’une proposition originale que nous ont faite Aline Averbouh et Claudine Karlin, à la suite de l’article signé par deux d’entre nous au nom de la Fédération française des professionnels de la conservation-restauration (Ffcr) pour les 40 ans des Nouvelles de l’archéologie (Méthivier & Proust 2019 : 58-61).
2Très attachée à présenter l’actualité de l’archéologie, nationale ou internationale, à travers des thématiques et des réflexions au plus proche des enjeux actuels de cette discipline, la revue Les nouvelles de l’archéologie n’a, jusque-là, pas eu l’occasion de consacrer un numéro intégral à la conservation-restauration en archéologie, le caractère méthodologique et déontologique et les implications ontologiques qui en découlent, comme il lui est arrivé de le faire pour d’autres spécialités : l’archéozoologie (Frère, Bayle & Vigne 2017), le mobilier métallique et l’instrumentum (Fort & Tisserand 2013), l’archéogéographie (Watteaux 2011), la céramologie (Giligny & Méry 2010). Tout au plus ont été publiés quelques articles abordant la conservation préventive, la documentation et l’archivage, intégrés à des thématiques archéologiques précises et émanant du choix du comité scientifique (Brives et al. 2013 ; Stahl et al. 2012 ; Charnier 2008). Le vide est désormais comblé.
3L'objectif de ce dossier est de dresser un portrait actualisé de la conservation-restauration en archéologie et de son rôle dans la pratique de la recherche archéologique. Les articles mettent en évidence les compétences et les champs d’action des conservateurs-restaurateurs, dans une perspective d’interdisciplinarité au sein de la chaîne opératoire de l’archéologie. Ils insistent sur le caractère méthodologique et déontologique de la discipline de la conservation-restauration, au-delà de la technique, et positionnent le conservateur-restaurateur comme personne-ressource pour faciliter l’accès aux informations scientifiques portées par les vestiges et préserver de manière pérenne ce patrimoine non renouvelable. Ces articles témoignent également d’une collaboration fructueuse et d’un épanouissement intellectuel entre professionnels de l’archéologie et de la conservation-restauration, malgré la persistance de préjugés mutuels, parfois encore tenaces. La plupart d’entre eux sont écrits à plusieurs voix, alliant conservateur, conservateur-restaurateur, régisseur, archéologue et anthropologue. Ils n’ont pas vocation à faire la démonstration de nouveautés techniques ou technologiques mais s’essaient plutôt à décrire ce qu’il se passe réellement au cœur de la démarche conservatoire, dans le but d’en promouvoir l’absolue nécessité.
4Il y a un parti pris dans ce numéro, dont les institutions muséales sont exclues. Sans vouloir découper la chaîne patrimoniale de l’objet archéologique, il nous est apparu nécessaire d’insister sur la problématique conservatoire du vestige avant son inscription dans les collections de musée, dont le cadre institutionnel est déjà bien défini et réglementé en matière de conservation-restauration. Dans le même ordre d’idée, la conservation-restauration sur les chantiers à l’étranger n’est pas évoquée ici. Il nous a paru plus pertinent de nous concentrer sur les problématiques au niveau national, dont le foisonnement et la variété nécessitent un intérêt à part entière.
5Notre groupe comprend trois conservatrices-restauratrices (Clotilde Proust, Amélie Méthivier et Marjorie Maqueda) et un archéologue (Olivier Labat). Bien que ce numéro soit consacré à la conservation-restauration en archéologie, il eût été trop restrictif d’évoquer ce métier à travers le prisme des seuls professionnels sans le regard averti d’un archéologue.
6La ligne éditoriale de ce numéro résulte des discussions au sein du groupe et du travail d’édition du comité des Nouvelles de l’archéologie. Il nous a semblé intéressant d’y attacher les associations professionnelles dont nous sommes partie prenante : la Fédération française des professionnels de la conservation-restauration (Ffcr), au comité d’administration de laquelle sont élues Amélie Méthivier et Clotilde Proust, et dont Marjorie Maqueda est affiliée en tant que membre du groupe de travail sur l’archéologie, et l’association nationale des archéologues de collectivités territoriales (Anact), dont Olivier Labat est l’un des administrateurs. Alors que la première s’adresse à un spectre de conservateurs-restaurateurs plus large que ses seuls adhérents, la seconde n’hésite pas à recruter, au-delà des seuls archéologues, parmi les acteurs de l’ensemble de la chaîne patrimoniale, largement représentée dans les collectivités territoriales. Cette association d’organisations professionnelles représentatives, aussi récente qu’inédite, préfigure, nous l’espérons, un réseau qui fédérera l’ensemble des acteurs de l’archéologie.
7Les autrices et auteurs sollicités interagissent autour de la conservation matérielle et de l’étude du bien archéologique mobilier (Bam). Quelle que soit la diversité de leurs statuts professionnels, leurs articles démontrent que, par une juste concertation et organisation des étapes de la chaîne opératoire, on peut optimiser largement la conservation et donc le potentiel informatif des vestiges.
8Toutes les contributions insistent en effet sur l’importance qu’il y a à enclencher la conservation-restauration dès la découverte du Bam sur le terrain, sans négliger son incidence sur le patrimoine immobilier. Un certain nombre de binômes associant les deux disciplines arrive en effet à la conclusion que c’est l’objet, dans tous ses états disciplinaires, au travers de sa pluralité ontologique, qu’il convient de prendre en compte. On ne répétera jamais assez que la conservation, amorcée dès la mise au jour des vestiges, est la garantie d’informations scientifiques exploitables. Dans cette optique, il semble nécessaire qu’elle soit évoquée, de façon plus systématique qu’elle ne l’est aujourd’hui, dans le cahier des charges des prescriptions de fouille. Au-delà du rappel à la loi, qui est bien le minimum, il est temps de prescrire l’intégration d’un conservateur-restaurateur à l’équipe de fouille, voire en post-fouille quand les contextes de découvertes l’exigent. Or cette exigence, pourtant vertueuse, est encore trop souvent minorée lors du contrôle scientifique et technique. Les matériaux ferreux parviennent-ils tous en post-fouille dans des conditions de conservation suffisamment bonnes, c’est-à-dire sans fissures ni bris à mettre sur le compte d’une reprise de corrosion dommageable, pour permettre leur exploitation ? Combien d’informations sur les pratiques funéraires et vestimentaires ont été perdues, après la découverte de sépultures habillées pour lesquelles la prise en compte de la conservation-restauration dans les méthodologies de fouille et de récolte n’avait pas été anticipée ? Bien d’autres cas pourraient être évoqués ici...
9Les articles rappellent également que la conservation-restauration résulte de la combinaison de trois domaines d’intervention : la conservation préventive, la conservation curative et la restauration. Si tout le monde s’accorde sur l’utilisation des deux premiers termes, l’emploi de celui de restauration est souvent considéré comme inapproprié quand il s’applique à des collections non intégrées dans un musée, les opérateurs d’archéologie préventive n’ayant pas vocation à la restauration du patrimoine, assurée par les institutions muséales. Il serait alors tentant de limiter l’action du conservateur-restaurateur en archéologie à la conservation préventive et curative dans la phase pré-muséale. Or, ces trois domaines, qui relèvent d’une seule et même démarche (CR = CP + CC + R), ne sont, dans la grande majorité des cas, pas dissociables de manière stricte. Force est de constater que les opérations dites de « nettoyage pour étude », réalisées par les conservateurs-restaurateurs et destinées à permettre l’étude des vestiges, correspondent bien aux actions décrites dans les textes qui régissent la profession. La norme européenne EN 15898 définit ainsi la restauration comme l’ensemble des « actions entreprises sur un bien en état stable ou stabilisé, dans le but d’en améliorer l’appréciation, la compréhension et/ou l’usage, tout en respectant son intérêt patrimonial et les matériaux et techniques utilisés ». L’acte de restauration donne accès au message culturel et scientifique dont l’objet est chargé, tandis que l’acte de conservation, préventive et curative, le rend pérenne. Dès lors, malgré une terminologie limitée, à la frontière floue, il apparaît que la restauration est bien une intervention indispensable et financée par l’ensemble des acteurs de l’archéologie, qu’ils soient opérateurs ou musées. Elle représente un investissement sur le long terme, pour la science et le patrimoine. À nous de l’utiliser à bon escient et surtout aux bons moments.
10En 1939, l’Office international des musées (Oim), prédécesseur de l’actuel Conseil international des musées (Icom selon son acronyme anglais), publiait le tout premier manuel sur la technique des fouilles, d’après les travaux et les recommandations de la Conférence internationale des fouilles réunie au Caire du 9 au 15 mars 1937. Cette conférence émettait le vœu que « l’établissement d’une méthode de fouilles appliquée internationalement facilitera non seulement les recherches futures dans le champ exploré, mais permettra d’établir, avec d’autres champs étudiés dans les mêmes conditions, des comparaisons infiniment plus fécondes, au profit de la science archéologique » (Oim 1939 : 8). Dès l’introduction, elle indiquait que « le principe d’une étroite collaboration entre les divers domaines de la science a été souligné à plusieurs reprises, qu’il s'agisse de choix du personnel, des méthodes d’organisation, de la technique de l’excavation ou du traitement de la matière archéologique ». Étaient également pointées toutes les difficultés inhérentes à la fouille archéologique, et notamment la conservation des vestiges. Ce « traité » soulignait enfin, dans un esprit pluridisciplinaire, qu’« un service bien organisé exige les cadres techniques suivants : le chef du service ; un corps consultatif ; les organes techniques auxiliaires : inspecteurs, architectes, topographes, dessinateurs, photographes, assistants, restaurateurs » (ibid. : 211). Le manuel de l’Oim marque l’entrée dans une nouvelle ère consécutive au développement de la science archéologique, qui a vu apparaître les premières techniques de fouilles sous l’égide de la Commission de topographie des Gaules, créée en 1858. Déjà, en ce milieu du xixe siècle, la conservation des vestiges apparaissait comme une nécessité et les différents acteurs devaient coordonner leurs efforts (Proust 2020).
11Conformément à ce constat historique, les articles de ce numéro ont été subdivisés en deux parties qui révèlent, à notre sens, les deux problématiques majeures de la conservation en archéologie. Elles sont connues de longue date mais sont toujours non résolues. La première partie du dossier, intitulée « Intégrer la conservation dans la chaîne opératoire : un enjeu, des exemples », concerne la grande difficulté que nous rencontrons pour développer une démarche de conservation intégrée, « penser » la conservation, lorsqu’un projet de chantier archéologique se met en place : le réflexe conservatoire n’est pas encore acquis. Toutefois, les textes réunis offrent des exemples réussis et des éléments de réflexion qui peuvent laisser espérer une résolution heureuse de cette équation.
12La seconde partie, intitulée « Étudier, conserver, valoriser l’objet : de l’importance de la pluridisciplinarité dans une démarche commune », est centrée sur le dialogue interdisciplinaire et l’enjeu qu’il représente. Ici, les contributions éclairent des situations dans lesquelles, lorsque la coopération est présente, le projet est un succès, et, à l’inverse, les difficultés rencontrées lorsqu’elle est absente.
13Nous espérons que vous trouverez du plaisir à lire ce numéro spécial des Nouvelles de l’archéologie, autant que nous en avons eu à le coordonner pour vous le proposer. Bonne lecture !