- 1 Pour le cas thaïlandais, par exemple, on pourra avoir un aperçu des recherches effectuées – bien pe (...)
1Les grandes villes, les capitales tout particulièrement, ont depuis toujours retenu l’attention des chercheurs spécialistes de l’Asie du Sud-Est. L’intérêt pour les villes de moindre importance est, lui, beaucoup plus récent1. L’ouvrage présenté ici est issu d’une recherche du Centre Asie du Sud-Est (CASE) menée entre 2006 et 2010. Les contributeurs sont d’abord des géographes, mais ont été associés un urbaniste, une architecte et un ethnologue. La carte 1.3 (page 13) signale sur une carte de la région l’emplacement des villes de plus de 130 000 habitants, avec en rouge les six villes étudiées ici. Trois sont situées en Asie du Sud-Est continentale et trois dans la partie insulaire. Le choix des villes présentées surprend quelque peu. Deux sont des capitales, même si elles restent de dimensions modestes (Phnom Penh et Vientiane) et deux villes se trouvent dans le même pays, l’Indonésie, alors que trois pays majeurs (Birmanie, Thaïlande et Philippines) ne sont pas abordés. Sans aucun doute, au lieu de proposer des contributions sur la Chine et l’Inde, il aurait été opportun de traiter d’autres cas sud-est asiatiques, quitte à demander des articles à des géographes anglo-saxons s’il était trop difficile d’en dénicher en pays francophones.
2Dans le premier chapitre, Charles Goldblum- revient à un centre d’intérêt ancien avec un article très complet sur la capitale cambodgienne. Il fait suite à un autre excellent article qu’il avait signé avec Christiane Blancot en 1994 (Blancot & Goldblum 1994). Un des atouts majeurs des travaux de Ch. Goldblum réside dans les comparaisons pertinentes qu’il peut avancer avec les autres villes de la région sud-est asiatique. Il est, en effet, probablement le seul à connaître aussi bien Phnom Penh, que Singapour, Jakarta, Vientiane et Bangkok.
3L’article de Karine Peyronnie sur Vientiane- apporte une quantité d’informations pertinentes et développe une analyse intéressante sur « la plus petite capitale d’Asie du Sud-Est » (p. 75) présentant « une tendance récurrente à la dissémination plutôt qu’au regroupement fonctionnel des éléments de centralité » (p. 109). Il est toutefois bien mal desservi par un style plutôt médiocre et qu’il aurait été aisé d’améliorer.
4Avec l’article de Christian Taillard et Nguyen Tung sur la ville de Danang au Viêt Nam, nous abordons le cas des villes non capitales. Il est très clairement montré comment une métropolisation endogène a été relayée depuis 2006 par des investissements étrangers qui risquent de déboucher sur l’éclatement d’une bulle immobilière trop déconnectée des réels besoins, surtout dans l’immobilier de haut standing. On notera tout particulièrement combien C. Taillard, en un peu plus d’une décennie, a réussi à investir le terrain de recherche vietnamien, lié – par le biais des corridors économiques régionaux – à ses précédents terrains du Laos et du Nord-Est thaïlandais.
- 2 Alors que la graphie officielle semble bien comporter deux mots, la forme Georgetown est fréquemmen (...)
- 3 Un autre géographe, Rodolphe de Koninck, est plus précis quand il écrit que « le nom de Penang est (...)
5Dès l’introduction, il est question de « la ville de Penang » (p. 20). Je me suis rendu à de nombreuses reprises à Penang à partir de la décennie 1980 et je n’ai jamais rencontré de ville de ce nom. Penang est une île (Pulau Pinang) et un État (Negeri Pulau Pinang) et comprend deux (grandes) villes bien distinctes, George Town2 dans sa partie insulaire et Butterworth dans sa partie continentale, qui constitue la province de Wellesley. En outre, comme le chiffre de population donné dès la page 20 (1,2 million d’habitants) paraît élevé pour la seule ville de George Town, il reste difficile de déterminer de quoi il est réellement question : île, État, espace urbanisé de l’État de Penang ? Dans un texte de vulgarisation, on pourrait peut-être admettre la confusion entre George Town et Penang, c’est plus difficile à admettre dans un ouvrage de cette tenue3. D’autant que parler de « ville trans-détroit » comme le fait Nathalie Fau dans le titre de sa contribution, mentionner George Town – parfois écrit Georgetown (p. 160) – comme centre-ville (p. 156) puis évoquer le port de « Penang situé sur l’île de George Town » (p. 168) doit être bien déroutant pour le lecteur ne connaissant pas la région. N. Fau semble commencer son article en utilisant l’expression « ville de Penang », mais réalisant que c’est bien George Town, et non Penang, qui a été inscrit en 2008 – avec Melaka – au patrimoine mondial par l’UNESCO comme « ville historique du détroit de Malacca » (http://whc.unesco.org/fr/list/1223/) elle réintroduit George Town en cours d’article et en fait un usage plus régulier. Pourtant, cette contribution est l’une de celles qui comportent le plus de cartes et qui présentent une des bibliographies les plus étoffées, et sur une région si peu étudiée par des chercheurs – surtout francophones : sa lecture est donc à recommander.
- 4 M. Franck a partiellement réécrit et mis à jour, ici, un article publié en 2010 dans les Annales de (...)
6Spécialiste des villes indonésiennes, Manuelle Franck livre ensuite un excellent article sur la deuxième ville de cet archipel4. Ville de 2,7 millions d’habitants (au moment de l’étude ; plus de 3 millions en 2013), Surabaya est la plus grande ville présentée dans cet ouvrage. L’article couvre un grand nombre d’éléments constitutifs de la ville et l’on apprécie tout particulièrement les comparaisons avec Jakarta, que l’auteur connaît également très bien. La question des kampung et des Kampung Improvement Programs (p. 214-215) intéressera beaucoup ceux qui étudient Bangkok ou Manille. Particulièrement, l’idée que les kampung de Surabaya connaissent un nouveau dynamisme. Le seul regret que je peux formuler est l’absence d’un développement direct du rôle des Chinois. Il est bien question d’eux à divers endroits, notamment dans la longue note 22 (p. 216), mais elle ne suffit pas à montrer leur influence réelle.
7M. Franck cosigne avec Nathalie Lancret l’article suivant sur Denpasar. Denpasar est la capitale peu touristique d’une île mondialement connue pour son intérêt touristique. Le spécialiste de la Thaïlande fera des rapprochements avec Nathon à Ko Samui ou même Mueang Phuket dans l’île de Phuket. L’essor de Denpassar est intimement lié au régional, au national et à l’international, mais, dans les faits, les touristes contournent la ville pour se précipiter – comme à Samui et à Phuket – vers les plages. Ce phénomène est particulièrement bien décrit par M. Franck et N. Lancret.
- 5 Le premier article de Goldblum sur Phnom Penh ne fait pas moins de 48 pages ! Et la plupart des aut (...)
8Les deux articles suivants s’éloignent du thème par les aires géographiques considérées – la Chine et l’Inde – ainsi que par l’objet étudié, puisqu’il s’agit de l’ensemble des villes de second rang ou métropoles secondaires. C’était une gageure et les deux géographes sollicités, Thierry Sanjuan et Philippe Cadène s’en tirent à merveille pour un format d’article d’encyclopédie (une douzaine de pages) là où le lecteur aurait pu souhaiter lire des articles plus développés5.
- 6 Ma dernière visite à George Town remonte déjà à une dizaine d’années, mais je n’avais pas eu l’imag (...)
9L’article qui termine l’ouvrage est signé par M. Franck et C. Goldblum et ne représente pas qu’une simple conclusion. C’est une véritable réflexion sur les divers cas présentés et c’est là que le lecteur peut réaliser qu’il s’agit bien d’un véritable programme de recherche sur une problématique bien spécifique. Bien entendu, les auteurs ne cachent pas que les trajectoires vers la métropolisation sont diversifiées (titre de ce dernier article) et que tous les marqueurs de la métropolisation ne sont pas présents dans tous les cas (p. 296). L’affirmation des auteurs selon laquelle « seule la ville de Penang affiche la quasi-totalité de ces marqueurs de métropolisation […] » (p. 299) pose cependant un problème. C’est probablement exact si par « ville de Penang » on entend « île » ou « État » de Penang, mais on peut émettre quelques réserves pour la seule ville de George Town6. D’une manière plus globale, je reste un peu étonné du rôle très largement dominant des États et de la place plutôt modeste des entrepreneurs locaux. Il ne fait guère de doute que si des cas philippins (Cebu, Baguio, Davao, Zamboanga, Iloilo, etc.) et thaïlandais (Chiang Mai, Phitsanulok, Saraburi-, Khon Kaen, Chonburi, Chanthaburi-, Hat Yai, etc.) avaient été abordés, l’étude du rôle d’élites chinoises locales se serait imposée.
10Revenons sur quelques points plus décevants. Même si dans l’article conclusif il est fait allusion à des villes de Thaïlande- (Chiang Mai, Phuket) et de Birmanie (Rangoon, Naypyidaw), il est clair que l’absence de contributions sur ces deux pays (ainsi que sur les villes philippines) est bien regrettable. De même, pourquoi des articles de synthèse sur les villes chinoises et indiennes, mais pas sur les villes japonaises, tout aussi intéressantes. Surtout, le travail éditorial n’est pas totalement satisfaisant. Nous avons déjà mentionné le cas de Penang ; notons aussi l’inconsistance de mentionner la même ville sous le nom de Bombay (p. 10, carte 1.1) puis de Mumbai (p. 14). Parmi les erreurs récurrentes se trouve la confusion sur Big C, qui appartient au groupe Casino plutôt qu’à Carrefour (p. 140). De nombreuses références ne sont pas reprises en bibliographie finale, comme Phonphakdee et al. (2009) (p. 45), Pietrantoni (1957), Stuart-Fox (1997) (p. 81), Condominas (2000) (p. 82), Tissandier (2010) (p. 85), Goldblum, Peyronnie- (2010) (p. 87-88), Taillard (2010) (p. 92), Peyronnie (2010) (p. 102). Certaines contributions présentent à la fois des références en notes de bas de page et sous la forme abrégée dans le texte (p. 183). Ces maladresses auraient pu aisément être évitées par une relecture attentive de la part des auteurs, des éditeurs ou du responsable de la collection. Fort heureusement, elles n’entament guère l’intérêt scientifique que l’on prend à la lecture de l’ouvrage.