Marlène Coulomb-Gully, La démocratie mise en scènes. Télévision et élections
Marlène Coulomb-Gully, La démocratie mise en scènes. Télévision et élections, Paris, CNRS Éditions, 2001
Texte intégral
1Le titre de cet ouvrage peut sembler large par rapport au contenu qui est ensuite proposé. On s’attendrait en effet avec La démocratie mise en scènes. Télévision et élections à un traité sur l’aspect artificiel de la démocratie passée au filtre de la TV ou sur le suivi des élections par l’ensemble de la télévision, des chaines et des genres.
2Or, il n’en est rien. Dès l’introduction, MCG affiche clairement son projet. « En tant que spécialiste des médias, la perspective qui est la nôtre concerne clairement l’étude du formatage de la politique à la télévision, le formatage de la politique par la télévision relevant d’un autre type de problématique, susceptible d’une approche de type marketing, communicationnel, voire politologique » (note 1, p. 11). L’objectif de la chercheuse est de faire réfléchir sur la « rhétorique liée au petit écran » et d’étudier « les caractéristiques principales de ce formatage esthétique en ce qui concerne la mise en scène de la politique à la télévision ». Position annoncée comme iconoclaste et qui se veut justifiée par le fait que « les questions politiquement incorrectes peuvent s’avérer intellectuellement pertinentes ». L’orientation de l’ouvrage est donnée par la citation préliminaire de Mc Luhan. « Avec la télévision, un certain nombre de choses ne fonctionnent plus comme avant ». Les analyses portent sur la relation de la campagne présidentielle française de 1995 par le journal télévisé de 20 heures de TF1 et par les émissions satiriques.
3Le premier chapitre se situe dans la filiation théorique des travaux de Propp sur le conte, repris et élargis par Greimas et Brémond à l’ensemble des textes narratifs et enfin sur les travaux plus récents de l’Observatoire du récit médiatique de Louvain, selon lequel « il n’existe pas de société sans histoire (et sans histoires) ». Toute histoire se manifestant sous forme de récit, le récit médiatique constitue une des formes contemporaines les plus évidentes de cette nécessité de raconter. Passée au prisme du journal télévisé de 20 heures, la campagne électorale devient ainsi un récit politique qui se déroule selon la logique d’une scène ou d’un feuilleton télévisé ayant pour acteurs les hommes politiques, chaque jour apportant son lot d’informations reprises par le journal télévisé. Ce qui amène les « acteurs » politiques à faire leur déclaration ou à organiser leurs meetings en fonction de cet horaire pour avoir le maximum de chances d’y être repris. Chacun ayant dans ce récit un rôle type (héros, faux héros, traitre, etc.) correspondant à ce qu’on attend dans une narration et des attributs permettant de les identifier et de les distinguer les uns des autres.
4Le second chapitre s’inspire des travaux des anthropologues du contemporain, de Goffman et Turner à Augé, Agulhon ou Abeles sur la ritualité contemporaine. Le rite est une pratique sociale structurée dont la régularité et l’aspect codifié lui permettent « de s’ancrer dans l’imaginaire collectif et d’assurer le cohésion du groupe » (p. 40). L’auteure en distingue deux catégories, dans le cas des campagnes électorales. Les rites que MCG appelle « sémelfactifs » d’une part, qui ne se produisent qu’une fois dans chaque campagne pour chaque candidat, comme la déclaration de candidature ou la déclaration consécutive aux résultats. Les rites appelés « itératifs » d’autre part, qui sont effectués à de multiples reprises durant la campagne et par chaque candidat comme les meetings, les banquets, les visites de ville, etc. « La narration télévisuelle exacerbe la dimension rituelle d’une campagne électorale qu’elle contribue à formaliser par la façon dont les politiques et leurs équipes de communication anticipent la lecture induite par le média » (p. 67).
5« Rhétorique télévisuelle et symbolique politique » est le titre du chapitre 3 où MCG s’emploie à montrer comment, alors que l’écrit privilégie l’abstraction et le concept, la campagne électorale télévisée « donne au symbole figuré une place qu’aucun mode de médiatisation antérieur ne lui avait attribué » (p. 72). L’auteure propose un inventaire des symboles utilisés par les divers candidats, symboles qui ont une fonction mobilisatrice en permettant aux électeurs de prendre « conscience d’une identité et d’une cohésion collectives » (p. 94). D’abord les symboles visuels, drapeaux, sigles politiques (Croix de Lorraine, rose, etc.) puis les symboles sonores, musiques, slogans… et enfin la mise en scène de la vie quotidienne qui permet d’attacher les candidats à un lieu, à des modes de transports – parfois aussi étonnants que l’auto-stop d’Edouard Balladur – à des vêtements ou à de la nourriture. Tête de veau chiraquienne ou méchoui balladurien. Ce chapitre se termine par un essai de typologie des candidats qui conclut au très faible usage de la symbolique figurative chez Lionel Jospin, qui se situerait aussi dans la tradition de « l’éthique républicaine dont l’iconophobie est un des traits constitutifs » (p. 94).
6Reprenant un article de l’auteure paru dans la revue Réseaux et prolongeant les travaux fondateurs d’E. Veron, le chapitre 4 est une illustration concrète de la façon dont la médiatisation télévisuelle permet d’« incarner » le corps politique, le corps des « politiques ». Même si cela peut paraitre paradoxal car la télévision ne fait que transmettre une image et ne permet pas une interaction directe avec une foule, ce média donne à l’homme politique une dimension corporelle, orchestrée par diverses instances : « les conseillers en communication, le candidat lui même, mais aussi le cameraman, le journaliste, le présentateur, les divers spécialistes convoqués, la chaine avec ses impératifs idéologiques et/ou commerciaux » (p. 101). D’où une mise en scène différente selon les caractéristiques physiques des candidats, permettant une identification et une réception par les citoyens inséparables d’une part d’imaginaire liée à un certain érotisme symbolique. Par delà la Révolution, la démocratie contemporaine renouerait ainsi avec une tradition médiévale de la corporéité du politique magistralement décrite par les travaux d’E. Kantorowicz.
7Le dernier chapitre de cet ouvrage apporte une note d’humour grâce à l’étude de la satire politique des « Guignols de l’Info » et du « Bébête Show ». Au delà des similitudes, MCG pointe des différences essentielles. Le bébête show fonctionne plutôt à la satire et les Guignols au pastiche, le premier oppose réalité et représentation quand le second les subsume dans une hyper réalité médiatique « coupée de toute nécessité représentative » (p. 129), le premier est plutôt « traditionaliste » et le second « postmoderne » ; le premier s’adresse à un public plutôt âgé quand l’autre s’adresse à un public plus jeune, plus urbain et plus cultivé, etc.
8Passionnant, concret et nourri de références à d’autres travaux, ce livre pose sans cesse en filigrane la question de l’évolution du politique, dans sa médiatisation télévisuelle, et de l’avenir de la raison. De ce point de vue, MCG semble osciller entre une vision pessimiste inspirée de Régis Debray, dont elle cite abondamment le Cours de médiologie et une vision plus nuancée, prenant en compte l’importance de la composante esthétique dans la démocratie grecque et de la composante affective à différents moments de notre histoire républicaine, pendant la Révolution française ou dans le gaullisme historique par exemple.
9Comme toujours, c’est la question de la représentativité du corpus qui se pose : si l’audience du journal télévisé de 20 heures de TF1 et des émissions satiriques justifie qu’on les considère comme essentielles pour se représenter ce qu’est « la » politique télévisuelle reçue par la grande majorité des téléspectateurs, il n’en demeure pas moins que d’autres émissions politiques fonctionnent assez différemment et que « le » politique ne se joue pas (encore ?) uniquement à la télévision, mais aussi dans les conditions de vie et de travail de chacun qui permettent de juger les déclarations et programmes.
Pour citer cet article
Référence papier
Simone Bonnafous et Pascal Rugraff, « Marlène Coulomb-Gully, La démocratie mise en scènes. Télévision et élections », Mots. Les langages du politique, 69 | 2002, 160-162.
Référence électronique
Simone Bonnafous et Pascal Rugraff, « Marlène Coulomb-Gully, La démocratie mise en scènes. Télévision et élections », Mots. Les langages du politique [En ligne], 69 | 2002, mis en ligne le 14 mai 2008, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/mots/10763 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/mots.10763
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